ONCOLOGIE TRANSLATIONNELLE Coordonné par S. Faivre (hôpital Beaujon, Clichy) C. Tournigand (hôpital Saint-Antoine, Paris) // Journal of Clinical Oncology // British Journal of Cancer Biologie moléculaire et chimiothérapie dans le cancer du côlon métastatique Richman SD, Seymour MT, Chambers P, Elliott F, Daly CL, Meade AM, Taylor G, Barrett JH, Quirke P. KRAS and BRAF mutations in advanced colorectal cancer are associated with poor prognosis but do not preclude benefit from oxaliplatin or irinotecan: results from the MRC FOCUS trial. J Clin Oncol 2009;27(35):5931-7. F luoro-uracile, oxaliplatine et irinotécan sont les 3 molécules majeures formant la base du traitement par chimiothérapie du cancer du côlon. La recherche de biomarqueurs prédictifs de la réponse et de la survie a été réalisée concernant les thérapies anti-EGFR (récepteur de l’EGF). Ainsi, de nombreuses études ont montré l’absence de bénéfice d’un traitement par anti-EGFR chez les patients porteurs d’une tumeur présentant une mutation du gène KRAS. La présence d’une mutation du gène BRAF semble aussi être un biomarqueur de réponse aux anti-EGFR, mais cela n’a pas été confirmé dans une étude prospective. Concernant la réponse à la chimiothérapie conventionnelle, aucune étude n’a mis en évidence le rôle des mutations KRAS ou BRAF. L’essai FOCUS (Fluorouracil, Oxaliplatin, CPT11 [irinotecan], Use and Sequencing) a permis d’étudier les statuts mutationnels de KRAS et de BRAF Le statuts KRAS et BRAF chez des patients traités par chimiopourraient être pronostiques thérapie sans thérapie ciblée, et les valeurs pronostique et prédictive de mais ne prédisent pas ces mutations, indépendamment le bénéfice de la chimiothérapie des thérapies anti-EGFR. Le statut cytotoxique dans le cancer MSI a aussi été étudié. du côlon Entre 2000 et 2003, 2 135 patients porteurs d’un cancer du côlon avancé ont été randomisés dans l’essai MRC FOCUS, qui consistait en la comparaison de différentes séquences de chimiothérapie, comportant 5-FU, irinotécan et oxaliplatine. Les objectifs de l’étude étaient la survie sans progression (SSP) et la survie globale (SG). Parmi les 1 425 patients inclus dans le groupe traité par 5-FU seul suivi de l’association 5-FU/irinotécan ou 5-FU/oxaliplatine et dans le groupe traité par la seule association 5-FU/ irinotécan ou 5-FU/oxaliplatine, 711 avaient du tissu tumoral primitif disponible pour l’étude moléculaire. Les mutations des codons 12, 13 et 61 du gène KRAS et du codon 600 du gène BRAF ont été recherchées par la technique de pyroséquençage et confirmées par la méthode de séquençage par Sanger. L’expression de MLH1 a été étudiée à partir de TMA (tissue microarray) par immunohistochimie. 166 | La Lettre du Cancérologue • Vol. XIX - n° 3 - mars 2010 43,3 % des patients présentaient une mutation des codons 12, 13 ou 61 du gène KRAS, et 7,9 % une mutation du gène BRAF. Les mutations des gènes KRAS seul ou BRAF seul n’ont pas d’effet sur la SSP, mais étaient pronostiques d’une diminution de la SG (HR = 1,24, p = 0,008 pour KRAS ; HR = 1,82, p < 0,0001 pour BRAF). La présence d’une mutation à la fois de KRAS et de BRAF était pronostique d’une diminution de la SG (HR = 1,40, p < 0,0001). Par contre, la présence d’une mutation de KRAS seul ou de BRAF seul n’était pas prédictive de la survie sous traitement à base d’irinotécan ou d’oxaliplatine. Le statut MSI a été déterminé chez 686 patients. Une perte de l’expression de MLH1 a été retrouvée chez 2,8 % d’entre eux. Une association a été retrouvée entre la présence d’une mutation BRAF et la perte d’expression de MLH1 (p = 0,012). Cette étude prospective randomisée permet de mettre en évidence l’absence de valeur prédictive des mutations KRAS et BRAF pour la survie sous chimiothérapie sans thérapie ciblée, dans le cancer du côlon avancé. Alors que la présence d’une mutation KRAS est désormais une contre-indication au traitement par anticorps anti-EGFR, les patients porteurs d’une mutation KRAS ou BRAF présentent une survie équivalente à celle des patients non mutés sous chimiothérapie. Cette donnée est importante dès lors que les données de biologie moléculaire permettent d’orienter le choix des traitements notamment des thérapies ciblées, dans le cancer du côlon. C. Massard, université Paris XI, SITEP (Service des innovations thérapeutiques précoces) ; département de médecine, Institut Gustave-Roussy, Villejuif ; Royal Marsden Hospital, Institute of Cancer Research, Sutton, Surrey, Royaume-Uni Biologie moléculaire dans le cancer du colon métastatique et anti-EGFR Laurent-Puig P, Cayre A, Manceau G, Buc E, Bachet JB, Lecomte T, Rougier P, Lievre A, Landi B, Boige V, Ducreux M, Ychou M, Bibeau F, Bouché O, Reid J, Stone S, Penault-Llorca F. Analysis of PTEN, BRAF, and EGFR status in determining benefit from cetuximab therapy in wild-type KRAS metastatic colon cancer. J Clin Oncol 2009;27(35):5924-30. L a présence d’une mutation KRAS est prédictive d’une absence de réponse et d’une survie La détermination du statut KRAS n’est que le début du démembrement moléculaire du cancer du côlon plus courte chez les patients traités par les anticorps antirécepteurs de l’EGF (EGFR) pour un cancer du côlon métastatique. La prescription des anticorps anti-EGFR (cétuximab et panitumumab) est désormais restreinte aux patients présentant une tumeur avec le gène KRAS sauvage. KRAS n’est pourtant pas un biomarqueur parfait, car seulement la moitié des patients porteurs d’une tumeur KRAS sauvage bénéficient du traitement. Cette étude propose de s’intéresser aux autres éventuels biomarqueurs de l’efficacité des antiEGFR que sont les gènes de l’EGFR, PTEN et BRAF, connus pour être altérés dans le cancer du côlon. Les tumeurs de 173 patients atteints d’un cancer du côlon ont été collectées de façon rétrospective, dans 6 hôpitaux. La majorité des patients ont reçu du cétuximab en association avec de l’irinotécan. Les objectifs de l’étude sont la réponse basée sur les critères RECIST (Response Evaluation Criteria in Solid Tumors), la survie sans progression (SSP) et la survie globale (SG). Les 7 plus fréquentes mutations des codons 12 et 13 du gène KRAS ainsi que la mutation V600E du gène BRAF ont été étudiées par la méthode de discrimination allélique utilisant des sondes TaQman®. Une CISH (hybridisation chromogénique in situ) a été réalisée sur l’ensemble des tumeurs pour rechercher la présence d’une amplification du gène de l’EGFR, la positivité de l’amplification étant confirmée par la méthode de FISH (hybridisation in situ par fluorescence). L’expression de PTEN était déterminée par immunohistochimie (IHC). 31,3 % des patients présentaient une mutation activatrice du gène KRAS. Comme attendu, la présence de la mutation était fortement prédictive de l’absence de réponse (p < 0,001), avec une SSP plus courte (p < 0,001) et une SG plus courte (p < 0,001). Trois pour cent des tumeurs présentaient une mutation du gène BRAF, et étaient aussi KRAS sauvage. Chez les patients KRAS sauvage, la mutation BRAF était associée à l’absence de réponse, mais pas de façon significative (p = 0,063). Par contre, elle était très significativement associée à une SSP plus courte (p < 0,001) et à une SG également plus courte (p < 0,001). Une polysomie ou amplification du gène de l’EGFR a été retrouvée chez 22 des 138 patients dont la tumeur a été analysée. Dans le sous-groupe des patients KRAS sauvage, le phénotype FISH+ était associé à un taux de réponse plus élevé que lorsque le nombre de copies de l’EGFR était normal (71 % versus 37 %, p = 0,015). Si les SSP et SG associées à ce phénotype tendaient à être plus courtes, la différence n’était pas significative. Concernant l’expression de PTEN, dans le sous-groupe des patients KRAS sauvage, la perte de PTEN était associée à une SG plus courte (p = 0,013) mais pas à la réponse ni à la SSP. En analyse multivariée, EGFR et BRAF étaient prédictifs de la réponse de façon significative. PTEN et BRAF étaient conjointement prédictifs de la SG. Cette étude met en évidence 3 facteurs autres que les mutations du gène KRAS associés à la réponse et/ou à la survie des patients traités par anti-EGFR pour un cancer du côlon métastatique : la mutation BRAF, l’amplification de l’EGFR et l’expression de PTEN. Ainsi, plusieurs éléments de la voie de signalisation de l’EGFR semblent être impliqués dans la réponse aux anti-EGFR. Ces données doivent être confirmées, notamment par une étude prospective. La connaissance de la biologie moléculaire des cancers du côlon pourra permettre, dans les années à venir, de disséquer les mécanismes de réponse et de résistance aux traitements, et ainsi de proposer un traitement personnalisé aux patients. C. Massard, université Paris XI, SITEP (Service des innovations thérapeutiques précoces) ; département de médecine, Institut Gustave-Roussy, Villejuif ; Royal Marsden Hospital, Institute of Cancer Research, Sutton, Surrey, Royaume-Uni Nouvelle thérapie antiangiogénique Lockhart AC, Rothenberg ML, Dupont J, Cooper W, Chevalier P, Sternas L, Buzenet G, Koehler E, Sosman JA, Schwartz LH, Gultekin DH, Koutcher JA, Donnelly EF, Andal R, Dancy I, Spriggs DR, Tew WP. Phase I study of intravenous vascular endothelial growth factor trap, aflibercept, in patients with advanced solid tumors. J Clin Oncol 2010;28(2):207-14. L’ angiogenèse est un mécanisme majeur impliqué dans la carcinogenèse. La voie du VEGF a un rôle capital, et l’action en particulier du VEGF-A est médiée par les récepteurs VEGFR-2 et VEGFR-1 exprimés au niveau des cellules endothéliales des vaisseaux ou au niveau des cellules tumo- rales. Plusieurs modèles expérimentaux ont montré que l’activation de la voie VEGF-VEGFR induit une prolifération des vaisseaux, une perméabilité et une migration. De plus, depuis le concept avancé par Judah Folkman, plusieurs études précliniques et de grandes études de phase III ont démontré la validité du concept d’inhibition de l’angiogenèse, et en particulier de celui d’inhibition de la voie VEGF-VEGFR, dans les tumeurs humaines. À ce jour, plusieurs agents sont enregistrés dans des cancers métastatiques comme ceux du poumon, du sein, du côlon, du rein, du foie : les inhibiteurs de tyrosine kinase multicibles ciblant en particulier le VEGFR (sunitinib, sorafénib), et un anticorps monoclonal ciblant le VEGF (bévacizumab). Cependant, même si ces thérapies sont efficaces, la plupart des patients développent des résistances à ces traitements et finissent par progresser. De nouvelles approches sont nécessaires. L’étude de phase I du VEGF Trap développée par Regeneron Pharmaceuticals et Sanofi-aventis, a été publiée en début d’année dans le Journal of Clinical Oncology. Le VEGF Trap est une protéine recombinante constituée de domaines du VEGFR-1 et du VEGFR-2 fusionnés avec le fragment Fc d’une immunoglobuline. Le VEGF Trap est donc un antagoniste circulant du VEGF, qui bloque le VEGF et inhibe son interaction avec son récepteur. La phase I a inclus 47 patients avec des tumeurs solides avancées, traités avec des doses croissantes de 0,3 à 7 mg/kg par voie intraveineuse toutes les 2 semaines. Les toxicités limitantes ont été une ulcération rectale et une protéinurie à la dose de 7 mg/kg. Ainsi, la dose recommandée pour ce produit est de 4 mg/kg toutes les 2 semaines. Les autres toxicités rapportées sont celles qu’ordinairement comportent les thérapies antiangiogéniques : dysphonie (46,8 %), hypertension artérielle (38,3 %) et protéinurie (10,6 %). De plus, 3 réponses partielles selon les critères RECIST ont été observées chez des patients (1 patient avec un thymome et 2 patientes avec un cancer de l’ovaire). En outre, 2 patients porteurs d’un cancer du rein ont présenté une stabilité tumorale prolongée de plus de un an. Dans cette étude, l’évaluation de la réponse tumorale était faite par un scanner standard, mais aussi par une imagerie fonctionnelle de type DCE-IRM. Cette IRM fonctionnelle est utilisée pour mettre en évidence des effets sur la perméabilité vasculaire et la perfusion tumorale ; elle a montré une diminution de la vascularisation tumorale 24 heures La Lettre du Cancérologue • Vol. XIX - n° 3 - mars 2010 | 167 ONCOLOGIE TRANSLATIONNELLE après l’administration du médicament, ce qui met en évidence l’effet antiangiogénique attendu. Ce type d’examen pourrait permettre de mettre en évidence des profils de Le VEGF Trap est un nouvel réponse différents selon la sensibiantiangiogénique très lité des tumeurs aux traitements, et d’identifier précocement les patients prometteur, son activité répondeurs à cette thérapeutique. antitumorale s’exerçant De nombreuses études d’association dans les cancers de l’ovaire de chimiothérapies avec le VEGF Trap et du rein ont été réalisées par la suite. De plus, plusieurs études de phase III sont en cours actuellement avec le VEGF Trap, en particulier dans le cancer du pancréas, du poumon ou de la prostate. C. Massard, université Paris XI, SITEP (Service des innovations thérapeutiques précoces) ; département de médecine, Institut Gustave-Roussy, Villejuif ; Royal Marsden Hospital, Institute of Cancer Research, Sutton, Surrey, Royaume-Uni Vers une meilleure compréhension de la biologie du cancer de la prostate : nouveaux facteurs pronostiques ? Reid AH, Attard G, Ambroisine L, Fisher G, Kovacs G, Brewer D, Clark J, Flohr P, Edwards S, Berney DM, Foster CS, Fletcher A, Gerald WL, Møller H, Reuter VE, Scardino PT, Cuzick J, de Bono JS, Cooper CS; Transatlantic Prostate Group. Molecular characterisation of ERG, ETV1 and PTEN gene loci identifies patients at low and high risk of death from prostate cancer. Br J Cancer 2010;102(4):678-84. U ne meilleure connaissance de la biologie des cancers de la prostate a permis l’identification de nombreuses anomalies moléculaires qui, pour certaines d’entre elles, constituent de possibles cibles théraLa translocation TMPRSS2-ERG peutiques. La découverte de gènes de et la délétion PTEN pourraient fusion impliqués dans le cancer de la permettre de mieux stratifier prostate a d’importantes implications biologiques et cliniques. La fusion du les patients atteints d’un cancer gène TMPRSS2 avec le gène ETS a été de la prostate localisé rapportée par Tomlins et al. en 2005 comme le premier gène de fusion dans les cancers de la prostate, ce qui a depuis été confirmé par plusieurs équipes indépendantes. La détection de la translocation TMPRSS2 et ERG dans le tissu du cancer de la prostate peut être 168 | La Lettre du Cancérologue • Vol. XIX - n° 3 - mars 2010 utilisée comme un biomarqueur pour le développement clinique. Les gènes impliqués sont le gène TMPRSS2, régulé par les androgènes, et les gènes de la famille des facteurs de transcription ETS, comme ERG, ETV1 ou ETV4. La translocation TMPRSS2-ERG est la plus fréquente, présente dans 40 à 80 % des cancers de la prostate. Une autre voie de signalisation importante dans le cancer de la prostate est la voie PI3K/Akt/mTOR. Plusieurs études suggèrent qu’elle est activée dans 30 à 50 % des cancers de la prostate, le plus souvent à cause de la perte de PTEN. Ainsi, l’étude de la translocation TMPRSS2-ERG et la perte de PTEN pourraient permettre de redéfinir le pronostic des patients atteints de cancer de la prostate métastatique, mais aussi localisé. À l’heure du débat sur le dépistage par le PSA du cancer de la prostate, la possibilité de mieux définir le pronostic des patients ayant un cancer de la prostate localisé est cruciale. Récemment, l’équipe du Royal Marsden Hospital a montré l’intérêt de l’étude des recombinaisons ERG/ETV1 et de la perte de PTEN pour mieux définir le pronostic des patients ayant un cancer de la prostate localisé. Reid et al. ont déterminé le statut PTEN et ERG/ETV1 chez plus de 300 patients atteints de cancer de la prostate localisé non traité (surveillance seule). En analyse multivariée, le statut ERG/ETV1 ou PTEN n’est pas corrélé à la survie. Cependant, le groupe le plus important de patients (54 %) ayant une perte de PTEN et une absence de recombinaison a un très bon pronostic en l’absence de traitement (85,5 % de longs survivants, après un suivi de 11 ans). À l’inverse, les patients ayant une absence de recombinaison et une perte de PTEN (6 %) ont un pronostic très péjoratif (13,7 % de longs survivants). Cette étude rétrospective doit être validée par une autre série, et idéalement dans une étude prospective. Cependant, la détermination du statut TMPRSS2-ERG et PTEN pourrait permettre de mieux stratifier les patients, d’adapter leur prise en charge après le dépistage ou un diagnostic précoce et de mieux choisir entre traitement actif et surveillance. C. Massard, université Paris XI, SITEP (Service des innovations thérapeutiques précoces) ; département de médecine, Institut Gustave-Roussy, Villejuif ; Royal Marsden Hospital, Institute of Cancer Research, Sutton, Surrey, Royaume-Uni