DOSSIER THÉMATIQUE Journée FFCD-PRODIGE Biothérapies dans le cancer gastrique : état des lieux Biotherapies in gastric cancer: state of knowledge Rosine Guimbaud* Thérapie anti-HER2 (trastuzumab) © La Lettre de l’Hépato-gastroentérologue 2013;2(mars-avril):70-2. *Unité d’oncologie médicale digestive et gynécologique, pôle digestif, CHU de Toulouse. Le premier essai de phase III positif, utilisant une biothérapie dans le cancer gastrique, est l’essai TOGA avec le trastuzumab ciblant HER2 (1). L’étude TOGA, a évalué l’apport d’un anticorps anti-HER2 : le trastuzumab (Herceptine®, largement utilisé dans le traitement du cancer du sein) en 1re ligne chez les patients porteurs d’un cancer gastrique avancé dont la tumeur présentait une surexpression du récepteur HER2. On estime qu’environ 15 à 20 % des cancers de l’estomac surexpriment HER2, c’est-à-dire une incidence identique à celle observée dans le cancer du sein. L’étude démontrait pour la première fois l’intérêt d’une thérapie ciblée (en association avec une chimiothérapie standard de type cisplatine + capécitabine ou cisplatine + 5-FU [CF] par rapport au même schéma de chimiothérapie sans trastuzumab) avec un gain de survie significatif : médiane de survie à 13,8 mois versus 11 mois (HR = 0,74 [IC95 : 0,600,91] ; p = 0,0046). Pour la première fois, la médiane de 1 an de survie globale a été franchie. Selon une analyse exploratoire en fonction du niveau de positivité de HER2, la meilleure efficacité du traitement était observée chez les patients à forte expression de HER2 (tumeur “IHC 3+” ou “IHC2+ et FISH+”). La survie médiane était alors de 16 mois avec la combinaison chimiothérapie-trastuzumab versus 11,8 mois avec la chimiothérapie seule ! L’association CF-trastuzumab s’impose donc comme nouveau standard de chimiothérapie de 1re ligne des cancers gastriques surexprimant fortement HER2. La recherche de surexpression de HER2 doit donc être demandée chez les malades aptes à recevoir ce 230 | La Lettre du Cancérologue • Vol. XXII - n° 6 - juin 2013 traitement. L’analyse du statut HER2 doit être effectuée à partir d’un bloc tumoral conservé en paraffine avec fixation initiale classique par formol. Le liquide de Bouin ne doit pas être utilisé. Les 2 méthodes recommandées actuellement pour l’évaluation de l’expression HER2 sont l’immunohistochimie (IHC) et l’hybridation in situ (HIS) sur coupes fixées et incluses en paraffine. L’HIS peut reposer elle-même sur 2 techniques : la FISH ou la CISH en fonction du type de sonde utilisé. Comme dans le cancer du sein, le statut HER2 doit être évalué d’abord en IHC, puis plus ou moins par HIS pour les cas ambigus 2+ en IHC. La technique d’IHC est suffisante pour déterminer le statut HER2 des tumeurs gastriques dans environ 90 % des cas. Le profil de surexpression requis pour une indication de trastuzumab est défini par IHC2+ confirmée par un résultat HIS+ ou par IHC3+. Thérapie anti-angiogène (anti-VEGF : bévacizumab & anti-VEGFR : ramucirumab) Quatre essais de phase II ont été conduits avec le bévacizumab (Avastin®) montrant des taux de réponse intéressants aux alentours de 60 % en 1re ligne métastatique. L’essai de phase III AVAGAST n’a malheureusement pas confirmé les résultats encourageants de ces essais de phase II. L’essai AVAGAST évaluait l’association du bévacizumab (7,5 mg/kg) associé à la même chimiothérapie que dans l’essai TOGA (cisplatine + capécitabine ou cisplatine + 5-FU) versus la chimiothérapie seule. Les résultats, présentés au dernier congrès de l’ASCO® Résumé Depuis l’arrivée en force des thérapies ciblées dans le domaine de l’oncologie, plusieurs thérapies ciblées sont développées dans le cancer de l’estomac, essentiellement dans les stades avancés. Dans ces stades, l’apport d’une chimiothérapie cytotoxique est réel mais limité avec des médianes de survie ne dépassant pas un an. L’ère des biothérapies ouvre donc un espoir… Plusieurs essais randomisés sont maintenant disponibles avec des résultats très variables. (juin 2010), ne montraient pas de différence significative de survie globale : 10,1 mois dans le bras contrôle versus 12,1 mois dans le bras avec bévacizumab (HR = 0,87 ; p = 0,10) malgré un allongement significatif de la survie sans progression et du taux de réponse. Les résultats différaient cependant selon l’origine géographique des patients : 6,8 versus 11,5 mois (HR = 0,63) pour le continent américain, 8,6 versus 11,1 mois en Europe (HR = 0,85) et 12,1 versus 13,9 mois en Asie/Pacifique (HR = 0,97). Il s’agit donc d’une étude négative pour son critère de jugement principal, mais positive pour ses critères de jugement secondaires, et montrant un profil de tolérance acceptable de l’association chimiothérapiebévacizumab. Les différences marquées de survie globale, notamment dans le bras chimiothérapie seule, selon la région géographique soulignent une fois de plus la difficulté à interpréter les résultats des études sur le cancer de l’estomac selon qu’elles ont été conduites en Asie ou en Europe. Les résultats de cet essai amènent à s’interroger sur la recherche spécifique de facteurs de variabilité de la réponse au bévacizumab et sur l’hétérogénéité des pratiques cliniques de 2e ligne d’une région géographique à l’autre. Finalement, l’approche de la voie VEGF a récemment été confortée par l’étude de phase III REGARD2 (n = 355) évaluant le ramucirumab, un anticorps anti-VEGFR2, en monothérapie (versus placebo) en 2e ligne. En effet, cet essai est annoncé comme positif sur la survie globale, objectif principal de l’étude (et sera présenté à l’ASCO GI 2013). On attend aussi les résultats de l’étude RAINBOW évaluant le ramucirumab en association avec le paclitaxel versus placebo + paclitaxel toujours en situation de 2e ligne des adénocarcinomes gastriques avancés. Thérapie anti-EGFR (panitumumab et cétuximab) La cible EGFR s’avère potentiellement intéressante avec une surexpression dans plus de 50 % des cancers gastriques et un faible taux de mutations Kras et Braf. Après plusieurs essais de phase II concernant les anticorps anti-EGFR, nous disposons à ce jour des résultats (communiqués mais non encore publiés) de 2 larges études phase III concernant le panitumumab et le cétuximab (2, 3). Ces 2 études sont “négatives” : ➤➤ L’étude multicentrique britannique, REAL 3 a évalué l’intérêt de l’association EOX + panitumumab versus EOX (2). Cette étude, après avoir inclus 229 patients dans ses phases II/III, devait randomiser un total de 730 malades pour atteindre son objectif principal de survie globale en phase III. Néanmoins, l’essai a été prématurément fermé après l’inclusion de 553 malades en raison du constat d’infériorité du bras expérimental : 8,8 versus 11,3 mois pour le bras contrôle (HR = 1,22 ; p = 0,013). L’association EOX + panitumumab, qui avait déjà imposé une modification du schéma EOX avec réduction posologique des cytotoxiques lors des phases I/II, a confirmé sa surtoxicité se traduisant par une dose-intensité et un nombre de cycles administrés inférieurs. Ce choix pourrait, en partie, expliquer les moins bons résultats du bras test par le biais d’un “sous-traitement”. Il souligne l’importance du schéma de chimiothérapie cytotoxique associée dans le développement des thérapies ciblées. ➤➤ L’essai international EXPAND a évalué l’intérêt du cétuximab chez 850 malades en 1re ligne, selon le schéma XP + cétuximab versus XP (3). Aucun bénéfice de survie n’a été démontré, que ce soit en termes de survie sans progression, objectif principal de l’étude, (4,4 versus 5,6 mois ; HR = 1,091 ; IC95 : 0,920-1,292 ; p = 0,3158) ou en survie globale (9,4 versus 10,7 mois HR = 1,004 ; IC95 : 0,866-1,165 ; p = 0,9547). Ces 2 études signent donc l’échec des anticorps antiEGFR dans le cancer gastrique et nous poussent à attendre les résultats des analyses biologiques attenantes afin de voir si cette stratégie pourrait être relancée chez des patients sélectionnés par le biais de biomarqueurs pertinents. Enfin, outre des études de phase II peu probantes, aucune étude de phase III n’a étudié, pour l’instant, les inhibiteurs tyrosine kinase (ITK) spécifiques d’EGFR (en dehors du lapatinib TKI ciblant à la fois EGFR et HER2, lire supra). On notera cependant une étude de phase III consacrée au cancer de l’œsophage (N = 450, dont 75 % d’adénocarcinomes) testant le gefitinib en monothérapie et en 2e ligne ou plus, ne démontrant aucune amélioration de la survie et une surtoxicité (4). Mots-clés Biothérapie Cancers gastriques avancés Abstract Since the strength arrival of biotherapies in the field of oncology, several biotherapies have been developed in gastric cancer treatments, mainly in the advanced stages. In these stages the benefit of cytotoxic chemotherapy is limited with a mediane overall survival of less then one year. Biotherapies thus open a hope. Several randomised trials are now available with variable results. Keywords Biotherapy Advanced gastric cancer La Lettre du Cancérologue • Vol. XXII - n° 6 - juin 2013 | 231 DOSSIER THÉMATIQUE Journée FFCD-PRODIGE Références bibliographiques 1. Bang YJ, Van Cutsem E, Feyereislova A et al. ToGA Trial Investigators. Trastuzumab in combination with chemotherapy versus chemotherapy alone for treatment of HER2-positive advanced gastric or gastro-oesophageal junction cancer (ToGA): a phase 3, open-label, randomised controlled trial. Lancet 2010;376:687-97. 2. Okines AF, Ashley SE, Cunningham D et al. A randomized multicenter trial of epirubicin, oxaliplatin, and capecitabine (EOC) plus panitumumab in advanced esophagogastric cancer (REAL3). ASCO 2012. J Clin Oncol 2012;30(Suppl.15); abstr LBA4000. 3. Lordick F, Bodoky G, Chung H et al. Cetuximab in combination with capecitabine and cisplatin as firstline treatment in advanced gastric cancer: Randomised controlled phase III EXPAND study. ESMO 2012;abstr 3. 4. Ferry DR, Dutton SJ, Mansoor W et al. Phase III multi-centre, randomised, doubleblind, placebo-controlled trial of gefitinib versus placebo in esophageal cancer progressing after chemotherapy, COG (Cancer Oesophagus Gefitinib). ESMO 2012;abstr 20. 5. Oliner KS, Tang R, Anderson A. Evaluation of MET pathway biomarkers in a phase II study of rilotumumab (R, AMG 102) or placebo (P) in combination with epirubicin, cisplatin, and capecitabine (ECX) in patients (pts) with locally advanced or metastatic gastric (G) or esophagogastric junction (EGJ) cancer. J Clin Oncol 2012;30(Suppl.4);abstr LBA4005. 6. Van Cutsem E, Yeh KH, Bang YJ et al. Phase III trial of everolimus (EVE) in previously treated patients with advanced gastric cancer (AGC): GRANITE-1. J Clin Oncol 2012;30(Suppl.4); abstr LBA3. Biothérapies dans le cancer gastrique : état des lieux Thérapie anti-EGFR + anti-HER2 (lapatinib) Thérapie anti-mTOR (évérolimus) Le lapatinib est un inhibiteur de tyrosine kinase ciblant à la fois EGFR et HER2. Cette approche mérite donc d’être testée dans les cancers gastriques, notamment surexprimant HER2. C’est ce qui a été fait en paticulier avec une étude de phase III asiatique qui sera prochainement rapportée à l’ ASCO GI en 2013. L’étude TyTAN a en effet testé une association paclitaxel + lapatinib versus paclitaxel en situation de 2e ligne chez 261 des patients porteurs de tumeurs gastriques avec amplification de HER2 (FISH). Il faudra être attentifs aux prochains résultats de la prochaine étude de phase III “LOGiC”, toujours en 2e ligne, évaluant CAPOX + lapatinib versus CAPOX + placebo. En dehors du ciblage des récepteurs membranaires (EGFR, HER2, c-Met), une approche “d’aval” permet d’envisager un ciblage des cascades enzymatiques impliquées dans la transmission du signal induit par l’activation des récepteurs. La voie PI3K/Akt/mTOR est une voie majeure de signalisation intracellulaire contrôlant croissance cellulaire, prolifération et survie. Elle est dérégulée dans 50 à 60 % des cancers gastriques induisant une chimiorésistance et un mauvais pronostic. L’évérolimus est un inhibiteur oral de mTOR disposant déjà d’une AMM en France dans le traitement des cancers du rein et des tumeurs endocrines pancréatiques. L’étude internationale de phase III GRANITE1 a évalué l’évérolimus en monothérapie, versus placebo, en 2 e ou 3 e ligne (n = 656) sans amélioration de la survie globale (objectif principal de l’étude, HR = 0,90 ; p = 0,124) malgré une amélioration de la survie sans progression (6). La seule voie d’avenir pour cette thérapie serait donc de déterminer la sous-population profitant du traitement par le biais de biomarqueurs, mais aucun candidat n’existe et aucun résultat biolo­ gique n’a pour l’instant pu être dégagé de ces essais thérapeutiques. Thérapie anti-c-Met Le récepteur tyrosine-kinase c-Met, dont le ligand est l’Hepatocyte Growth Factor (HGF), a été décrit dans les phénomènes d’embryogenèse et de réparation tissulaire. Sa capacité à interagir avec la transition épithéliomésenchymateuse et à induire la migration et l’invasion des cellules épithéliales en fait également un acteur clé du développement tumoral. Son expression aberrante dans de nombreux types tumoraux est associée à un phénotype agressif et à un pronostic sombre… il s’est récemment révélé être une cible thérapeutique d’intérêt. Dans le cancer gastrique, on estime que 5 à 40 % des tumeurs présentent une amplification ou une surexpression de c-Met. Il est un facteur de mauvais pronostic. Cependant, son ciblage thérapeutique semble très intéressant. On ne dispose pas à l’heure actuelle de résultats d’étude de phase III, mais ceux d’une étude randomisée de phase II, testant un anticorps anti-HGF (rilotumumab, associé à une chimio ECX versus ECX + placebo) sont très prometteurs (5). Une étude de phase III évaluant l’efficacité du rilotumumab chez les patients atteints de cancer gastrique surexprimant le c-Met est d’ores et déjà planifiée. Par ailleurs, c’est également dans les situations de résistance que l’inhibition de c-Met pourrait s’avérer particulièrement pertinente, la voie MET étant recrutée par les cellules soumises à la pression de l’hypoxie, de l’inflammation mais aussi de certains traitements… inhibiteurs des récepteurs HER, notamment ! Ainsi, des situations de rattrapage ou un double ciblage HER et c-Met constituent certainement des voies à explorer en clinique. 232 | La Lettre du Cancérologue • Vol. XXII - n° 6 - juin 2013 Conclusion L’ère des biothérapies dans le cancer gastrique est lancée. Elle a pour l’instant permis d’identifier le sous-groupe des cancers surexprimant HER2 tirant bénéfice d’une thérapie anti-HER2. Prochainement, il se pourrait que le sous-groupe sur­e xprimant c-Met devienne aussi d’intérêt pour les thérapies anti-c-Met. Pour l’instant les thérapies appliquées sans sélection de patients ou tumeurs n’ont pas pu démontrer d’efficacité au cours d’essais de phase III (anti-EGFR, antiVEGF…), néanmoins l’approche anti-angiogénique reste à explorer de façon plus approfondie. Enfin, les approches à “double” blocage (antiHER1 + HER2, anti-EGFR + cMET…) semblent aussi potentiellement prometteuses. De nombreux essais sont prêts à être communiqués dans les 2 prochaines années ou sont en cours… Il faudra rester vigilant sur ce sujet. ■