20 La Lettre du Psychiatre - Suppl. Les Actualités au vol. I - n° 5 - décembre 2005
>Actualités
thérapeutiques
L
e terme de “thymorégulateur” est
largement utilisé dans la littéra-
ture et dans les échanges courants
entre cliniciens, et pourtant sa défini-
tion précise est l’objet de discussions
(1). M. Bauer et al. (2) proposent une
définition dite en “deux fois deux” :
– efficacité sur les symptômes mania-
ques et dépressifs ;
– prévention des phases dépressives et
maniaques.
Cinq produits ont obtenu une autorisa-
tion de mise sur le marché (AMM) en
France dans l’indication “accès
maniaque” : les sels de lithium, la car-
bamazépine, le divalproate, l’olanzapine
et la rispéridone. Le lithium, la carba-
mazépine le valpromide et l’olanzapine
sont indiqués dans le traitement pré-
ventif du trouble bipolaire.
On peut constater que ces thymo-
régulateurs appartiennent à différentes
classes pharmacologiques : sels de
lithium, thymorégulateurs anticonvul-
sivants et antipsychotiques de deuxième
génération.
La prescription de thymorégulateurs
concernant surtout le trouble bipolaire,
nous nous référons ici à différents ins-
truments de recommandations théra-
peutiques dans cette pathologie :
Un consensus d’experts a été mis en
œuvre sous l’égide d’un groupe de tra-
vail piloté par G.S. Sachs et al. (3). Une
adaptation française de ce travail a
paru, en 2002, dans Les Actualités en
Psychiatrie (4).
Une deuxième édition des “Recom-
mandations pour la pratique clinique
dans le traitement du trouble bipolaire”
a été publiée par l’American Psychiatric
Association (APA) en 2002 (5).
La British Association for Psychophar-
macology a publié, en 2003, les travaux
d’un groupe de travail piloté par
G.M. Goodwin et conduisant à des recom-
mandations evidence-based (fondées sur
les preuves) pour le traitement du trouble
bipolaire (10). Une version résumée est
disponible en langue française (6).
Depuis ces recommandations, différents
travaux sont venus apporter des don-
nées complémentaires (7-9).
Les thymorégulateurs
dans le trouble bipolaire
Épisodes maniaques ou mixtes
Pour les épisodes maniaques ou mixtes
sévères, les éléments de recommanda-
tions thérapeutiques les plus probants
(3, 5) sont en faveur de l’association,
en première intention, d’un thymorégu-
lateur, tel que le lithium ou le val-
proate, et d’un antipsychotique. Dans
les formes moins sévères, le lithium ou
le valproate en monothérapie peuvent
être suffisants ; l’adjonction temporaire
d’une benzodiazépine peut être utile en
cas d’agitation ou d’anxiété.
Dans les états mixtes, il existe des
arguments relativement substantiels
pour recommander le valproate de pré-
férence au lithium (3, 5). En ce qui
concerne les antipsychotiques, les pro-
duits de deuxième génération sont
recommandés en raison d’un profil de
tolérance plus satisfaisant ; l’olanza-
pine et la rispéridone ont fait l’objet de
travaux probants dans ce domaine. Il en
est de même pour la quétiapine, mais
ce produit – autorisé par la Food and
Drug Administration (FDA) dans l’indica-
tion “manie” – n’est pas commercialisé
en France à l’heure actuelle. Chez des
patients qui refusent un traitement per
os, on peut être conduit à choisir un
produit antipsychotique administrable
par voie intramusculaire ; ce mode d’ad-
ministration sera reconsidéré lorsque
l’amélioration clinique permettra un
consentement au traitement par voie
orale.
En matière de thymorégulateurs anti-
convulsivants, la carbamazépine ou
l’oxcarbazépine constituent des alter-
natives intéressantes. Les données
concernant l’efficacité de la carbamazé-
pine dans les épisodes maniaques sont
en effet consistantes (10). L’oxcarbazé-
pine, produit structurellement proche
de la carbamazépine, présente des
avantages en termes de tolérance et de
profil d’interactions, mais le produit n’a
pas actuellement l’AMM dans l’indica-
tion “manie”.
Dans la manie comme dans les états
mixtes, les antidépresseurs, lorsqu’ils
étaient prescrits avant l’épisode aigu,
doivent être arrêtés progressivement.
Pour des patients en cours de traite-
ment d’entretien qui présentent une
rechute maniaque ou mixte, l’attitude
thérapeutique la plus adaptée en pre-
mière intention est l’optimisation des
doses de traitement. Dans ces situa-
tions, l’adjonction ou la reprise d’un
traitement antipsychotique est égale-
ment souvent nécessaire.
Lorsqu’une thérapeutique de première
intention n’assure pas un contrôle suf-
fisant de la symptomatologie, les
options thérapeutiques comportent
d’abord l’adjonction d’un autre traite-
ment de première intention :
– ajouter du valproate au lithium ou
inversement ;
– utiliser un thymorégulateur alternatif
tel que la carbamazépine ou l’oxcarba-
zépine ;
>
Les traitements thymorégulateurs
F. Petitjean, centre hospitalier Sainte-Anne, Paris.
>
21
La Lettre du Psychiatre - Suppl. Les Actualités au vol. I - n° 5 - décembre 2005
– ajouter un antipsychotique si aucun
n’a été prescrit en première intention ;
– changer d’antipsychotique.
De plus, la clozapine a démontré son
efficacité dans ces situations de résis-
tance au traitement habituel ; il en est
de même pour l’électroconvulsivothéra-
pie (ECT) dans les épisodes sévères ou
résistants, qu’ils soient maniaques ou
mixtes.
Enfin, soulignons que l’utilisation des
antipsychotiques doit être la règle lors-
qu’il existe des caractéristiques psycho-
tiques associées (manies délirantes).
Dépression bipolaire
Les ressources thérapeutiques restent
insuffisamment développées dans la
dépression bipolaire.
Les recommandations thérapeutiques
actuelles conseillent le lithium ou le
valproate en première intention dans
cette indication.
La lamotrigine (8) est indiquée comme
traitement de première intention par
les Guidelines de l’APA (5).
Une étude contrôlée a, en effet, montré
l’efficacité de cet anticonvulsivant dans
la prévention des rechutes dépressives
chez des patients bipolaires (1). Le
produit n’a cependant pas fait la preuve
de son efficacité dans la manie.
La lamotrigine n’a pas reçu à l’heure
actuelle, en France, l’AMM dans cette
indication. La monothérapie antidé-
pressive n’est pas recommandée dans la
dépression bipolaire en raison du risque
de virage maniaque ou de déclenche-
ment de cycles rapides. Dans les formes
d’intensité modérée à sévère, il est
approprié de mettre en œuvre une thé-
rapeutique associant un antidépresseur
avec un thymorégulateur (lithium, val-
proate ou olanzapine). Dans les situa-
tions cliniques présentant un degré de
sévérité important (risque suicidaire,
sitiophobie majeure, troubles psycho-
tiques associés, aspects catatoniques),
les ECT constituent un choix thérapeu-
tique tout à fait adapté ; les ECT peu-
vent également être mises en œuvre
dans les dépressions sévères survenant
durant la grossesse.
Lorsque l’épisode dépressif survient
chez un patient en traitement d’entre-
tien, l’intervention thérapeutique à
mettre en œuvre en premier lieu est
l’optimisation des doses. Si cette
démarche se révèle insuffisante, on
ajoutera au traitement thymorégulateur
un anticonvulsivant comme la lamotri-
gine, un inhibiteur spécifique de la
recapture de la sérotonine (ISRS), la
venlafaxine, ou encore les inhibiteurs
de la monoamine oxydase (IMAO). Les
épisodes dépressifs avec caractéris-
tiques psychotiques nécessitent géné-
ralement l’adjonction d’un traitement
antipsychotique, mais, là encore, les
ECT constituent une alternative raison-
nable.
Abus de substances associé
Le trouble bipolaire est, dans les deux
sexes, fréquemment associé à un abus
de substances (32). L’abus de sub-
stance peut masquer ou accentuer les
fluctuations thymiques ; il augmente le
risque de passage à l’acte suicidaire et
le risque de rechute, tout en aggravant
le pronostic. Sur le plan thérapeutique,
il est donc indispensable de prendre en
compte cette comorbidité dans le pro-
gramme de soins. Il n’existe que peu
de données émanant d’études contrô-
lées portant sur le traitement pharma-
cologique de ces patients, dans la
mesure où l’abus de substances consti-
tue habituellement un motif d’exclu-
sion de ce type d’étude. Néanmoins,
certains travaux (12) soulignent l’in-
térêt du valproate dans ces situations
cliniques, et un consensus d’experts
datant de 2000 (13) cite ce produit
comme constituant une thérapeutique
de première ligne en cas de comorbi-
dité alcoolique ou d’autre abus de
substance associé. Il conviendra
d’être particulièrement attentif à
d’éventuelles altérations des fonctions
hépatiques : les Guidelines de lAPA
recommandent, dans ce cas, une coor-
dination des soins avec un gastro-
entérologue ou un omnipraticien (5).
Traitement d’entretien
Les thymorégulateurs éprouvés que
sont le lithium et/ou le valproate
constituent les thérapeutiques de choix
en matière de traitement d’entretien
(recommandation de niveau 1 selon les
Guidelines de l’APA). L’olanzapine pré-
vient les récidives maniaques plus que
les récidives dépressives (9, 14, 15) ; la
carbamazépine, l’oxcarbazépine ou
encore la lamotrigine constituent des
alternatives possibles (niveau 2 selon
l’APA).
Pour G. Goodwin et al., le niveau de
preuve en faveur de l’efficacité du
lithium dans la prévention des rechutes
est net pour la manie et un peu
moindre pour la dépression. Il existe en
outre des données consistantes en
faveur d’un rôle spécifique du lithium
dans la diminution du risque suicidaire
(16-18).
Lorsque des antipsychotiques ont été
prescrits en phase aiguë, ils peuvent
être poursuivis durant la phase de
maintenance de six mois ; au-delà de
cette période, il convient d’en réévaluer
la nécessité.
Le traitement d’entretien doit égale-
ment comporter, de façon impérative,
un soutien psychothérapique et des
mesures psycho-éducatives (5). Ces
mesures psychothérapiques revêtent une
22 La Lettre du Psychiatre - Suppl. Les Actualités au vol. I - n° 5 - décembre 2005
>Actualités
thérapeutiques
importance particulière lorsqu’il existe
des troubles de la personnalité associés.
On s’attachera à détecter de possibles
facteurs de non-observance du traite-
ment d’entretien (point de vue insuffi-
samment critique vis-à-vis des épisodes
maniaques, nostalgie des phases d’exci-
tation, effets latéraux du traitement
dans la sphère psychique). La persis-
tance d’une symptomatologie subsyn-
dromique ou l’apparition de signes de
rechute peuvent amener à modifier le
traitement médicamenteux (adjonction
d’un autre thymorégulateur, d’un anti-
psychotique ou d’un antidépresseur).
Indications en dehors
du trouble bipolaire
Dépression unipolaire
Plusieurs études contrôlées ont montré
que le lithium exerce un effet prophy-
lactique dans les troubles unipolaires.
Les antécédents familiaux de troubles
de l’humeur, l’aspect endogène de la
symptomatologie pourraient constituer,
pour certains auteurs, des arguments en
faveur d’une indication du lithium.
Lorsqu’il existe des antécédents fami-
liaux de bipolarité chez un patient uni-
polaire, le risque de bipolarisation sous
antidépresseur doit amener à discuter
la lithiothérapie (17-23).
Dépression résistante
De nombreux travaux soulignent l’inté-
rêt de l’adjonction des sels de lithium
dans les dépressions résistantes. Tous
les antidépresseurs pourraient ainsi être
potentialisés (31).
Les études les plus récentes concernent la
fluoxétine et le citalopram. En outre, cer-
tains travaux mentionnent une accéléra-
tion de la réponse aux antidépresseurs
grâce à l’adjonction de lithium (20).
Schizophrénie
Lithium
Il n’existe pas de donnée substantielle
pour justifier l’utilisation du lithium
comme potentialisateur des antipsy-
chotiques dans les formes résistantes
de schizophrénie. Seuls quelques tra-
vaux rapportent un effet bénéfique sur
des dimensions symptomatiques telles
que l’anxiété, la dépression ou l’excita-
tion, avec un niveau de preuve qui
demeure modeste.
Les troubles schizo-affectifs justifient
l’association d’un antipsychotique et
d’un thymorégulateur.
Anticonvulsivants
Les patients schizophrènes présentant
des symptômes maniaques ou des
comportements impulsifs ou agressifs
peuvent bénéficier de l’adjonction de
valproate ou de carbamazépine au trai-
tement antipsychotique (24). Il en est
de même pour les patients présentant
des anomalies EEG et pour ceux qui
développent des crises comitiales sous
clozapine (25).
Dans une étude randomisée, D.E. Casey
et al. (26) ont montré que l’adjonction
de valproate à l’olanzapine ou à la ris-
péridone chez des patients en phase de
rechute de schizophrénie avait une effi-
cacité plus grande sur les symptômes
psychotiques que la monothérapie anti-
psychotique.
Autres indications
Le lithium atténuerait l’impulsivité,
associée ou non à une labilité thymique
et émotionnelle, chez des patients pré-
sentant une personnalité limite ou dys-
sociale (27).
Malheureusement, l’observance théra-
peutique médiocre limite considérable-
ment le bénéfice du traitement à moyen
et long terme.
Les anticonvulsivants agissent égale-
ment sur l’instabilité thymique, l’irrita-
bilité et l’impulsivité. La carbamazépine
a pu démontrer son efficacité dans ce
type d’indication (28). E. Hollander et
al. (29) retrouvent une amélioration des
symptômes de dépression, d’agressivité,
d’irritabilité ainsi que des tendances
suicidaires chez des patients borderline
traités par valproate, dans une étude
contrôlée de dix semaines. Un travail du
même auteur (30), portant sur des
patients qui présentent un trouble de la
personnalité du cluster B (au sens du
DSM), montre une amélioration des
dimensions d’impulsivité et d’agressivité
chez ces patients dans le groupe val-
proate versus groupe placebo.
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