Le traitement des troubles bipolaires

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Le traitement des troubles bipolaires
E. HAFFEN (1), D. SECHTER (1)
Les maladies bipolaires restent à ce jour insuffisamment reconnues, diagnostiquées et traitées, avec toutes
les conséquences que cela induit en terme d’évolution et
de pronostic (21). Comme le précise l’American Psychiatric Association (APA) dans les « practice guidelines »
pour le traitement des troubles bipolaires (2), le traitement
curatif n’existe pas. Le repérage des symptômes résiduels
pendant les phases intercritiques, la recherche des complications tant psychiatriques que somatiques, la distinction des autres troubles psychiatriques, en particulier de
l’axe II, sont autant d’objectifs de soins pour les années à
venir.
Le traitement des troubles bipolaires s’articule autour
de la prise en charge des épisodes aigus tant maniaques,
que mixtes et mélancoliques, et de la prévention des
rechutes ou récidives. Le traitement psychotrope constitue la pierre angulaire de la démarche thérapeutique et
doit s’organiser en lien avec la prise en charge psychologique, éducative et sociale, tant du patient que parfois,
l’entourage familial. Ce n’est qu’à partir de l’optimisation
de la prise en charge thérapeutique, que l’on assiste à une
réduction tant de la mortalité (1 à 2 patients sur 10 décèdent par suicide) (3, 16, 23) que de la morbidité (complications psychiatriques et somatiques). Il semble indispensable aujourd’hui que l’alliance thérapeutique soit un
élément déterminant dans l’évolution de la maladie en
favorisant par une approche psychoéducative, l’identification des signes précurseurs des rechutes et des récidives.
De nombreux psychotropes sont utilisés dans le traitement des troubles bipolaires, et la monothérapie est plus
l’exception que la règle, mais rares sont ceux qui agissent
sur l’ensemble des dimensions de la maladie : accès
dépressifs, maniaques, prévention des récidives. Les
médicaments thymorégulateurs constituent la base du
traitement des troubles bipolaires de l’humeur. Ils favorisent la guérison symptomatique des épisodes dépressifs,
maniaques et mixtes et préviennent les rechutes et récidives. Le traitement thymorégulateur, doit s’intégrer dans
un programme global des soins.
TRAITEMENT DES ACCÈS DÉPRESSIFS
La prise en charge d’un épisode dépressif au décours
de l’évolution d’une maladie bipolaire, consiste à obtenir
dans un premier temps la rémission symptomatique. Les
thymorégulateurs constituent la première ligne de traitement, avec en première intention le lithium ou dans certains pays la lamotrigine. Cet anticonvulsivant, aux multiples cibles pharmacologiques, aurait une efficacité
supérieure au lithium dans la prévention des récidives
dépressives, mais pas maniaques (5). Son intérêt dans le
traitement des phases aiguës de la maladie reste cependant à préciser. Les antidépresseurs, notamment de nouvelle génération (ISRS, IRSNA) sont utilisés chez les
patients présentant des épisodes dépressifs sévères, le
plus souvent en association avec un thymorégulateur,
lithium ou acide valproïque. L‘APA préconise de ne pas
utiliser les antidépresseurs tricycliques. D’une manière
générale, une monothérapie antidépressive est à proscrire en raison des risques de survenue de cycles rapides,
d’états mixtes ou d’inversion de l’humeur. Néanmoins,
cette notion communément admise selon laquelle un traitement antidépresseur favoriserait une inversion de
l’humeur est remise en question par certains auteurs. Altshuler et al. (1) ont ainsi démontré que les patients traités
pour une récidive dépressive par antidépresseurs présenteraient un risque de rechute significativement moins
élevé lorsque le traitement antidépresseur était maintenu
dans le temps avec un risque de virage de l’humeur pas
plus fréquent avec ou sans antidépresseur. Dans une
revue récente de la littérature, Visser et Van Der Mast (26)
concluent que le risque d’inversion de l’humeur n’est pas
clairement identifié et préconisent des études complémentaires. Depuis peu, l’olanzapine et la rispéridone ont
démontré une efficacité, en association avec un thymorégulateur, chez les patients souffrant d’un trouble unipolaire
ou bipolaire en phase dépressive avec ou sans caractéristique psychotique (27). Les dépressions bipolaires qui
ne répondent pas aux traitements antidépresseurs ISRS
(1) Service de Psychiatrie de l’Adulte, CHU Saint-Jacques, Université de Besançon, 25030 cedex.
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E. Haffen, D. Sechter
ou IRSNA peuvent faire l’objet d’un traitement antidépresseur tricyclique. La notion de résistance n’a pas toujours
été univoque. À l’heure actuelle, on considère, de façon
relativement consensuelle, que la résistance est définie
par l’échec de deux traitements antidépresseurs bien conduits avec vérification des concentrations plasmatiques
(contrôle de l’observance du traitement et recherche de
capacités métaboliques particulières), posologies adaptées, durée de prescription d’au moins 6 semaines. L’électroconvulsivothérapie (ECT) dans les formes les plus
sévères, résistantes, ou lors de contre-indication aux antidépresseurs, constitue le traitement de choix. Par contre,
la stimulation magnétique transcrânienne, dont les indications restent à préciser, semble moins efficace que
l’ECT dans les dépressions sévères avec caractéristiques
psychotiques (9).
TRAITEMENT DES ACCÈS MANIAQUES ET MIXTES
L’objectif premier de la prise en charge thérapeutique
consiste à contrôler les symptômes pour faciliter le retour
au fonctionnement antérieur (2). Le lithium comme l’acide
valproïque et certains antipsychotiques ont démontré leur
efficacité dans le traitement des phases maniaques, avec
néanmoins un délai d’action un peu retardé pour le lithium,
d’où son utilisation peu fréquente en monothérapie.
L’acide valproïque et ses dérivés, la carbamazépine et
certains antipsychotiques sont indiqués en cas de contreindication ou d’inefficacité du lithium. Depuis quelques
années, l’utilisation des antipsychotiques de seconde
génération s’est généralisée dans le traitement des troubles de l’humeur, en particulier des épisodes maniaques.
Ils sont utilisés en association avec les stabilisateurs de
l’humeur pour accélérer l’effet antimaniaque. À ce jour,
seule l’utilisation de l’olanzapine, la rispéridone et la ziprasidone est validée par des études cliniques pour le traitement de la manie. La clozapine et la quétiapine sont en
cours d’évaluation. Les patients présentant des formes cliniques sévères seront préférentiellement traités par
lithium ou acide valproïque et antipsychotiques. Pour les
patients dont l’expression symptomatique est moins
intense, une monothérapie peut être proposée avec soit
lithium, acide valproïque, olanzapine (2) ou rispéridone
orale (15). Chez les patients souffrant d’un trouble bipolaire I, les états mixtes, ou manie dysphorique, sont fréquemment rencontrés. Dans une méta-analyse, Goodwin
et Jamison (12) retrouvent une humeur triste chez 72 %
des patients en phase maniaque avec une labilité émotionnelle chez 69 % d’entre eux. Les états mixtes répondraient mieux à la ziprasidone ou la quiétapine en association avec la carbamazépine ou l’oxcarbazépine pour
certains auteurs. Pour d’autres, il est intéressant d’associer lithium et acide valproïque. L’APA (2) recommande
le lithium ou l’acide valproïque en association avec un antipsychotique pour le traitement des épisodes mixtes sévères. Certaines molécules ont des propriétés sérotoninergiques ou noradrénergiques, comme la ziprasidone et la
zotépine, et posséderaient ainsi, en plus d’une action antipsychotique, un effet antidépresseur qui pourrait être intéS 532
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ressant chez les patients à haut risque d’inversion de
l’humeur. Les patients souffrant d’un trouble bipolaire atypique semblent mieux répondre à la carbamazépine et aux
antipsychotiques atypiques. La lamotrigine serait plus efficace chez les patients présentant des épisodes dépressifs
à répétition (5). Par ailleurs, lorsque le traitement est insuffisant notamment pour contrôler la dimension comportementale, les benzodiazépines peuvent être associées
pour potentialiser les effets sédatifs des autres psychotropes. En revanche, l’utilisation des antidépresseurs doit
être proscrite en raison du risque d’exacerbation des états
mixtes et d’induction de cycles rapides. De la même façon,
il apparaît souhaitable d’éviter les neuroleptiques classiques qui peuvent favoriser une inversion de l’humeur (épisode dépressif) et limiter la récupération des capacités
fonctionnelles du sujet après la phase aiguë. Lors d’états
d’agitation incoercibles, la préférence ira aux antipsychotiques de nouvelle génération, rispéridone orale et olanzapine disponible sous forme injectable. Enfin, dans les
formes cliniques résistantes (après adaptation des posologies, vérifications des concentrations plasmatiques,
association de plusieurs thymorégulateurs avec un antipsychotique de seconde génération), la clozapine pourrait
être utile, de même que l’électroconvulsivothérapie.
Actuellement, certaines études suggèrent une activité thymorégulatrice propre aux antipsychotiques de nouvelle
génération. Bien entendu, les bénéfices d’une prescription
au long cours sont à mettre en balance avec les risques
d’inobservance en lien avec les effets indésirables, en particulier endocriniens.
Le traitement des premiers épisodes maniaques nécessite sans doute certains ajustements, quand on sait, par
exemple que plus de la moitié des patients traités sont non
adhérents à la prise en charge qui leur est initialement proposée (7). Alors que dès les premiers épisodes maniaques, on observe une mauvaise récupération fonctionnelle. Tohen et al. (25) ont ainsi démontré que 6 mois
après un premier épisode 86 % des patients étaient
asymptomatiques, mais seulement 33 % avaient récupéré sur le plan fonctionnel avec un retour au niveau occupationnel antérieur. Dans une seconde étude, après
24 mois d’évolution les mêmes auteurs (24) retrouvaient
que seuls 40 % des patients présentaient un bon niveau
de récupération fonctionnelle avec 98 % de patients
asymptomatiques. Afin de limiter au mieux l’impact fonctionnel de la maladie, il apparaît nécessaire de développer
de nouvelles stratégies thérapeutiques et de prendre en
charge les patients le plus précocement possible. En
sachant qu’en France, les troubles bipolaires restent largement sous-diagnostiqués avec un délai entre les premiers symptômes et le diagnostic qui oscille entre huit et
douze ans (14).
TRAITEMENT DES CYCLES RAPIDES
Un autre aspect concerne la prise en charge des cycles
rapides, qui, s’ils sont peu fréquents chez les patients souffrant d’un trouble bipolaire de type I, concerneraient 31 %
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des patients souffrant d’un trouble bipolaire II (4). La notion
de cycles rapides introduite en 1974 par Dunner et Fieve
(8) correspond à la survenue d’au moins quatre épisodes
thymiques par an. Koukopoulos et al. mettent en avant
l’impact des antidépresseurs dans la survenue des cycles
rapides, constatant dans une étude menée chez plus de
400 patients bipolaires que 20 % d’entre eux avaient évolué vers une forme à cycles rapides après un traitement
antidépresseur (18). Goodwin et Jamison (12) considèrent que les antidépresseurs accélèrent le cours cyclique
de la maladie en réduisant la durée d’un épisode dépressif
mais aussi en accélérant la survenue du prochain épisode.
Ainsi, la durée des épisodes et des intervalles libres diminue progressivement. Ces formes cliniques, difficiles parfois à prendre en charge, nécessitent avant tout l’abstention de tout traitement antidépresseur. Une réponse
médiocre au lithium serait en partie imputable aux cycles
rapides. Ainsi, L’APA (2) recommande un thymorégulateur antiépileptique pour le traitement des cycles rapides,
voire l’association de plusieurs d’entre eux fonction de
l’évolution sur le plan clinique.
TRAITEMENT DES ÉPISODES HYPOMANIAQUES
Un consensus semble se dessiner autour d’un traitement thymorégulateur dès un épisode hypomaniaque et
dépressif ou deux à trois épisodes hypomaniaques. Le
lithium et l’acide valproïque sont le traitement de choix de
la prévention des récidives.
FORMES CLINIQUES SELON LA GRAVITÉ,
L’ÂGE ET LE SEXE
L’existence de symptômes psychotiques marque la
sévérité de l’épisode. Le plus souvent le contenu est congruent à l’humeur. Dans leur revue de la littérature, Goodwin et Jamison (12) retrouvent que deux tiers des patients
souffrant de troubles bipolaires ont présenté au moins un
épisode avec caractéristiques psychotiques, particulièrement au décours des phases maniaques. Un début précoce à l’adolescence, est associé à un plus grand risque
de formes cliniques sévères avec symptômes psychotiques. Par contre, il n’y aurait pas de lien entre sévérité de
l’accès et risques évolutifs. Le traitement des formes sévères requiert comme nous l’avons vu, des stratégies thérapeutiques associant aux thymorégulateurs, antipsychotiques ou antidépresseurs, voire ECT, selon les formes
cliniques et la situation propre à chaque patient. Les risques de comportements agressifs (auto- comme hétéroagressifs) seront à prendre en compte dans la démarche
de soins et pourront faire l’objet de mesures de protection
comme d’hospitalisations éventuellement sous contrainte. L’abus de substance sera également à prendre en
compte dès les démarches initiales de soins en raison du
risque d’évolution péjorative de la maladie bipolaire. La
dépendance à une substance, en particulier l’alcool devra
conduire à une prise en charge spécifique parallèlement
au programme de soins du trouble bipolaire.
Le traitement des troubles bipolaires
La prévalence des troubles bipolaires chez l’adolescent
est comparable à celle des adultes. La difficulté consiste
parfois à les distinguer du trouble déficit de l’attention avec
hyperactivité (13). L’efficacité des thymorégulateurs, alors
que les antidépresseurs et amphétaminiques sont inefficaces, suggère l’existence d’un trouble bipolaire. En raison des risques évolutifs, des conduites à risque fréquentes à cet âge avec consommation de toxiques, un
traitement régulateur au long cours par lithium ou acide
valproïque est conseillé. Carlson et al. (6) décrivent après
4 ans d’évolution, une amélioration fonctionnelle significative avec moins de rechute chez les adolescents pris
en charge qui stoppent leur addiction. La poursuite du
comportement addictif au contraire aggrave le pronostic
de la maladie bipolaire.
Contrairement aux autres périodes de la vie, l’âge
avancé est associé à une moindre prévalence des troubles bipolaires (2). Les décompensations dépressives ou
maniaques sont fréquemment associées à une pathologie
somatique intercurrente ou à un traitement associé. La
prudence doit être de mise dans la prise en charge thérapeutique en débutant avec les posologies les plus basses et en limitant les associations médicamenteuses. En
dehors des modifications du métabolisme hépatique et de
l’excrétion urinaire des psychotropes, les sujets âgés sont
sensibles aux effets indésirables, notamment sur le plan
cardiovasculaire et cognitif. Les benzodiazépines et antipsychotiques atypiques devront être utilisés avec parcimonie.
Les troubles bipolaires sont fréquents chez les femmes
jeunes. En dehors de quelques rares particularités cliniques, les femmes sont plus exposées aux cycles rapides,
le problème essentiel est posé par la grossesse chez les
patientes traitées au long cours ou qui rechutent. Les risques sont liés principalement aux effets tératogènes de
certaines substances : lithium, acide valproïque et carbamazépine. L’acide valproïque semble entraîner un risque
de malformation plus important, plus varié mais surtout
plus difficilement dépistable que le lithium et la carbamazépine. L’acide valproïque multiplie par trois ou quatre la
fréquence des malformations : anomalie de fermeture du
tube neural, malformations cardiaques, de la face des
reins et organes génitaux. Le lithium est essentiellement
responsable de malformations cardiaques et la carbamazépine induit des effets comparables à ceux de l’acide valproïque. Par contre, les antipsychotiques atypiques, malgré des données encore trop restreintes, ne semblent pas
avoir d’effets surajoutés. En pratique, un traitement thymorégulateur ne contre-indique pas une grossesse, mais
impose des précautions avec arrêt du traitement par
lithium, acide valproïque et carbamazépine lorsque la
grossesse est programmée. Mais, compte tenu de la
demi-vie de ces molécules, la dernière prise devra avoir
lieu au plus tard à 4 semaines d’aménorrhée. La découverte d’une grossesse ne doit pas conduire à un arrêt brutal du traitement. Le lithium pourra être réintroduit à la fin
du premier trimestre de même que la carbamazépine.
Pour l’acide valproïque, pour qui l’effet protecteur de
l’acide folique n’est pas démontré, il s’agira de le remplaS 533
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cer si la reprise d’un traitement régulateur s’impose. Si un
antipsychotique atypique est prescrit en remplacement, il
faudra tenir compte, notamment pour l’olanzapine du risque de diabète induit. Quel que soit le traitement reçu au
cours de la grossesse, la prise en charge de l’enfant à la
naissance s’effectuera de manière adaptée. En raison du
risque élevé de décompensation dans le post-partum, la
reprise du traitement thymorégulateur s’impose, quitte à
favoriser l’allaitement artificiel. Il s’effectuera selon le
schéma antérieur à la grossesse.
TRAITEMENT PROPHYLACTIQUE
Le risque de rechute est majeur dans les 6 mois qui suivent un épisode aigu. Même si ce risque régresse au fil
du temps, la plupart des auteurs s’accordent pour préconiser un traitement régulateur de l’humeur à vie. La prévention des rechutes maniaques ou mixtes est clairement
documentée pour le lithium. L’acide valproïque et la carbamazépine sont également utilisés dans cette indication.
L’un des objectifs concerne la monothérapie avec le régulateur efficace en aigu et si possible une prise vespérale
qui est associée à une meilleure observance thérapeutique. Néanmoins, certaines formes cliniques particulièrement résistantes ou avec des rechutes fréquentes pourront faire l’objet d’un traitement au long cours par deux
voire trois thymorégulateurs en association avec ou sans
antipsychotique atypique. Les thymorégulateurs semblent cependant moins efficaces en ce qui concerne la prévention des rechutes dépressives. Severus et al. (22) à
partir d’une revue de la littérature, montrent que l’effet protecteur du lithium serait en lien avec le niveau des concentrations plasmatiques. Il serait ainsi plus efficace contre les rechutes maniaques à des concentrations de l’ordre
de 0,8 à 1,2 meq/l et plus efficace à des concentrations
plus basses dans la prévention des rechutes dépressives
de l’ordre de 0,5 à 0,8 meq/l. Certains patients pourront
recevoir au long cours un traitement antidépresseur associé à un régulateur de l’humeur. Un traitement au long
cours permet par ailleurs de réduire la mortalité. Kessing
et al. (17) confirment l’intérêt du lithium dans la prévention
du risque suicidaire chez les patients souffrant de troubles
bipolaires.
ÉVOLUTION DE LA MALADIE BIPOLAIRE
La maladie bipolaire est à l’origine d’une altération
importante du fonctionnement de vie, avec des conséquences parfois proches de celles de la schizophrénie. On
a longtemps cru que la maladie évoluait de façon cyclique
avec une récupération complète entre les épisodes. Les
données actuelles montrent que tel n’est pas le cas pour
un nombre important de patients. Ainsi, la qualité de vie
est globalement altérée chez les patients souffrant de troubles bipolaires, même pendant les périodes intercritiques
(20). La morbidité sociale et professionnelle ne s’améliore
pas forcément avec la disparition des symptômes. On
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retrouve au long cours une altération des fonctions cognitives, des relations sociales, des conditions de vie et de
travail, voire de la prise en charge de maladies somatiques
intercurrentes aiguës ou chroniques. D’autres facteurs
sont à considérer dans le pronostic parfois péjoratif de la
maladie, comme l’impact des thérapeutiques médicamenteuses. Il semble, pour certains que la prescription trop
fréquente d’antidépresseurs ait favorisé les récidives
maniaques et les cycles rapides, la prescription des neuroleptiques classiques étant associée à une augmentation
des épisodes dépressifs et à une moins bonne récupération fonctionnelle. De façon parallèle, l’évolution des
sociétés sur un mode de compétition et d’individualisme
a probablement restreint les possibilités d’intégration des
personnes présentant un handicap sur le plan psychique.
Un autre aspect concerne l’impact des facteurs de stress
psychosociaux, la désynchronisation des rythmes de vie,
voire un défaut des synchroniseurs sociaux, qui auraient
la capacité d’induire une récidive maniaque ou dépressive. Les synchroniseurs externes tels que lumière, repères sociaux modifient la phase des rythmes circadiens :
l’arrêt brutal des activités peut générer une récidive, la
sévérité d’un épisode notamment dépressif pouvant être
proportionnelle à la perte des activités sociales (11).
L’altération des synchroniseurs sociaux et du rythme
veille/sommeil peut également générer des épisodes
maniaques (19). Il apparaît ainsi nécessaire de limiter au
mieux l’exposition aux événements stressants, de favoriser une hygiène de vie centrée sur la régularité des activités incluant activités physiques, sommeil, alimentation
et contacts sociaux. Dans une étude récente, Frank et al.
(10) mettent en avant l’impact positif, sur le plan évolutif
de la maladie bipolaire de type I, de la psycho-éducation
centrée sur les rythmes individuels et sociaux. Comme
dans toute pathologie chronique, la prescription d’un traitement médicamenteux au long cours expose au risque
de mauvaise observance thérapeutique. Les altérations
liées à la maladie : troubles cognitifs, idées d’incurabilité,
le manque de connaissance de la maladie, de la nature
des traitements, des effets secondaires, le déni en lien
avec la sévérité de la maladie, l’ambivalence, ainsi que
les croyances du patient et de son entourage à l’égard de
la prophylaxie sont autant de facteurs d’inobservance thérapeutique. Le deuil difficile pour certains patients des
états hypomaniaques, voire maniaques s’ajoute aux réticences à prendre un traitement à vie. Promouvoir l’observance s’effectuera au prix de stratégies thérapeutiques
conjointes en associant les psychothérapies, en impliquant l’entourage et en favorisant l’alliance thérapeutique
et l’information.
Par une meilleure connaissance de la maladie et des
traitements, par le développement de stratégies efficaces
pour « faire face » aux symptômes prodromiques, et de
compétences pour gérer la maladie et son traitement, la
psychoéducation se positionne dans la complémentarité
des prises en charge existantes. Elle permet de limiter
l’impact fonctionnel de la maladie, car même si la maladie
est bien contrôlée par les traitements médicamenteux, il
est difficile de supprimer l’ensemble de ses effets tant les
L’Encéphale, 2006 ; 32 : 531-5, cahier 2
bouleversements dans la sphère sociale familiale et professionnelle sont importants.
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