L’Encéphale (2010) Supplément 1, S1–S2

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L’Encéphale (2010) Supplément 1, S1–S2
Disponible en ligne sur www.sciencedirect.com
journal homepage: www.elsevier.com/locate/encep
Éditorial
Troubles bipolaires débutants
Beginning bipolar disorders
J.-M. Azorin
PU-PH, Pôle Universitaire de Psychiatrie, CHU Sainte Marguerite 13274 Marseille cedex 9
Les troubles bipolaires débutants constituent un domaine d’intérêt nouveau qui a probablement bénéficié des avancées
conceptuelles préalablement réalisées dans celui des troubles
psychotiques. En effet à l’instar de ce que l’on observe dans les
psychoses débutantes, on peut distinguer, parmi les étapes initiales du trouble bipolaire, une phase prémorbide, une phase
prodromale et une phase dite du premier épisode [4, 5].
La première est une phase de vulnérabilité à la maladie
essentiellement caractérisée par l’existence de manifestations égosyntoniques, soit de traits qui ne sont pas éprouvés par le sujet comme des ruptures de sa vie psychique
mais font, au contraire, partie intégrante de sa personnalité. Les caractéristiques tempéramentales décrites par
Akiskal [1] qui constituent les tempéraments cyclothymique, irritable, anxieux, dépressif ou hyperthymique seraient
à même de s’inscrire au sein de cette phase en tant que
marqueurs de vulnérabilité voire endophénotypes. On sait
en effet le lien qui les unit aux antécédents familiaux de
bipolarité [3], exemple, eux aussi, des facteurs de risque
présents dès cette phase de l’affection.
La phase prodromale est marquée par l’apparition des
premiers symptômes, manifestations égodystoniques par
définition même, mais toutefois non-spécifiques. Les études à la fois rétrospectives et plus récemment prospectives
réalisées dans le domaine des troubles bipolaires ont pu
cependant montrer l’importance des comorbidités parfois
présentes dès cette phase de la maladie. Cela vaut à la fois
pour le trouble déficitaire de l’attention avec hyperactivité
(TDAH), le trouble oppositionnel avec provocation (TOP), le
* Auteur correspondant.
E-mail : [email protected]
L’auteur n’a pas signalé de conflits d’intérêts.
© L’Encéphale, Paris, 2010. Tous droits réservés.
trouble des conduites (TDC) mais aussi les troubles anxieux,
les troubles addictifs, voire les troubles des conduites alimentaires ou les troubles somatoformes [12]. La co-occurrence de ces comorbidités (multimorbidité) associée aux
caractéristiques de la phase précédente susceptibles de
conduire à l’apparition de conduites suicidaires, par exemple, pourrait faire évoquer la bipolarité.
Le premier épisode signe généralement le début de la
maladie, encore que cela soit surtout vrai dans le cas des
épisodes maniaque ou mixte. Leur diagnostic demeure
cependant difficile car leur sémiologie, très fréquemment,
n’est pas typique, caractérisée par une prédominance de
symptômes psychotiques, voire schizophréniformes [4].
En dehors des questionnaires de tempérament [9], de
nouveaux outils ont néanmoins vu le jour, au cours de ces
dernières années, pour aider au dépistage des troubles
bipolaires qu’il s’agisse du « Mood Disorder Questionnaire
(MDQ) » [10], de « l’Hypomania Checklist (HCL-32) » [2],
de la « Bipolar Spectrum Diagnostic Scale (BSDS) » [7] ou du
« Bipolarity Index » [13]. Ces instruments constituent des
éléments d’orientation non négligeables. Le dernier d’entre eux, notamment, permet de suspecter l’existence d’un
trouble bipolaire même en l’absence d’un épisode maniaque ou hypomaniaque dans l’histoire de la maladie.
Au niveau thérapeutique, la question demeure tout
aussi polémique que dans le domaine des psychoses, pour
ce qui est des deux premières phases. Une telle question se
trouve, en outre, encore moins documentée que dans le
cas des psychoses débutantes.
S2
Le problème du traitement médicamenteux du premier
épisode n’est pas dénué d’une certaine spécificité dans la
mesure où la plupart des travaux confirment l’existence
d’un lien entre la polarité du premier épisode et la polarité
prédominante ultérieure de la maladie [6].
Le choix du thymorégulateur le plus approprié pourrait
alors revêtir une certaine importance dans la prévention de
nouveaux épisodes.
Il en va de même des traitements psychothérapiques
qui trouvent, à cette phase de l’affection, une indication
privilégiée.
La survenue d’un premier épisode constitue en effet la
plupart de temps une rupture dans la vie du sujet. Véritable
crise d’identité, elle extrait celui-ci du champ de l’existence ordinaire, pour le confronter à, voire l’inscrire définitivement dans le champ de l’institution psychiatrique.
On voit bien qu’il s’agit là d’un moment-clé qui ne saurait se résoudre par la simple réponse chimiothérapique.
Le colloque organisé sur ce thème par le Pôle
Universitaire de Psychiatrie, se propose d’en faire le point,
sachant les conséquences délétères du retard diagnostique
et thérapeutique en la matière [8, 11].
Références
[1]Akiskal AS. Delineating irritable and hyperthymic variants of
the cyclothymic temperament. J Pers Disord 1992 ; 6 :
326-342.
[2]Angst J, Adolfsson R, Benazzi F et al. The HCL-32 : towards a
self-assessment tool for hypomanic symptoms in outpatients.
J Affect Disord 2005 ; 88 : 217-233.
J.-M. Azorin
[3]Chiaroni P, Hantouche EG, Gouvernet J et al. The cyclothymic
temperament in healthy controls and famillaly at risk individuals for mood disorder endophenotype for genetic studies.
J Affect Disord 2005 ; 85 : 135-145.
[4]Conus P, McGorry PD. First episode mania : a neglected priority for early intervention. Aust NZJ Psychiatry 2002 ; 36 :
158-172.
[5]Conus P, Ward J, Hallacen KT et al. The proximal prodrome to
first episode mania-a new target for early intervention. Bipolar Disord 2008 ; 10 : 555-565.
[6]Daban C, Colom F, Sanchez-Moreno J et al. Clinical correlates
of first-episode polarity in bipolar disorder. Comp Psychiatry
2000 ; 41 : 13-18.
[7]Ghaemi SN, Miller CJ, Berv DA et al. Sensitivity and specificity
of a new bipolar spectrum diagnostic scale. J Affect Disord
2005 ; 84 : 273-277.
[8]Goldberg JF, Ernst C1. Features associated with the delayed
initiation of mood stabilizers at illness onset in bipolar disorder. J Clin Psychiatry 2002 ; 63 : 985-991.
[9]Hantouche E, Kochman F, Akiskal H. Évaluation des tempéraments affectifs : version complète des outils d’auto-évaluation. Encéphale 2001 ; 27 : 24-30.
[10]Hirschfeld RM, Williams JB, Spitzer RL et al. Development and
validation of a screening instrument for bipolar spectrum disorder : the Mood Disorder Questionaire. Am J Psychiatry
2000 ; 157 : 1873-1875.
[11]Hirschfeld RMA, Lewis L, Vornik LA. Perceptions and impact of
bipolar disorder : how far have we really come ? Results of
the National Depressive and Manic-Depressive Association
2000 survey of individuals with bipolar disorder. J Clin Psychiatry 2003 ; 64 : 161-174.
[12]Krishnan KRR. Psychiatric and medical comorbidities of bipolar disorder. Psychosom Med 2005 ; 67 : 1-8.
[13]Sachs GS. Strategies for improving treatment of bipolar disorder : integration of measurement and management. Acta Psychiatr Scand 2004 ; 110 (Suppl 422) : 7-17.
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