2 Variétés différentielles
Pour des explications historiques sur l’invention de la notion de variété et ses motivations,
nous renvoyons aux textes originaux de Riemann [Rie, Spi], H. Poincaré [Poi], E. Cartan [Car],
ainsi qu’aux ouvrages d’histoire des mathématiques comme l’excellent [Die4].
2.1 Variétés topologiques
Avant de définir les variétés topologiques, donnons deux résultats de topologie générale.
Pour tout ndans N, l’ensemble Rnest muni de sa topologie usuelle.
Théorème 2.1 (Théorème d’invariance du domaine de Brouwer) Soit Uun ouvert de
Rn, et f:U→Rnune application continue et injective. Alors f(U)est ouvert, et f:U→f(U)
est un homéomorphisme.
En particulier, un ouvert non vide de Rnn’est pas homéomorphe à un ouvert non vide de Rm
si net msont distincts. Notons que si l’on remplace « homéomorphe » par « C1-difféomorphe »,
alors cette dernière assertion est évidente. Dans le cadre différentiel de ce cours, le théorème
d’inversion locale (voir l’appendice A.3) est en général un outil suffisant pour remplacer le
théorème d’invariance du domaine de Brouwer.
Nous admettrons le théorème 2.1. Les preuves les plus naturelles utilisent des outils élé-
mentaires de topologie algébrique, ce qui constituerait une diversion un peu longue (voir
[God, Spa, Hat, Pau]). Il existe aussi des preuves plus directes, mais moins éclairantes (voir
avec précautions la preuve originelle [Brou]).
La proposition suivante servira à comprendre les propriétés topologiques globales (qui sont
minimes) que nous demanderons aux variétés topologiques. Nous renvoyons à l’appendice A.1
pour les définitions des notions topologiques utilisées.
Proposition 2.2 Soit Xun espace topologique, dont tout point admet un voisinage ouvert
homéomorphe à un ouvert d’un espace Rn. Alors les assertions suivantes sont équivalentes :
1. Xest séparé et à base dénombrable,
2. Xest σ-compact,
3. Xest dénombrable à l’infini,
4. Xest métrisable séparable,
5. il existe un plongement topologique de Xdans `2(R).
Preuve. Un espace topologique séparé dans lequel tout point admet un voisinage ouvert homéo-
morphe à un ouvert d’un Rnest localement compact. En particulier, tout point d’un tel espace
admet un système fondamental de voisinages fermés métrisables (pour la topologie induite).
Il est immédiat qu’un espace localement compact à base dénombrable admet une base dé-
nombrable d’ouverts d’adhérences compactes, donc est σ-compact, et qu’un espace σ-compact,
dans lequel tout point admet un voisinage ouvert qui est à base dénombrable (pour la topologie
induite), est à base dénombrable. Donc (1) et (2) sont équivalents.
Il est immédiat qu’un espace dénombrable à l’infini est σ-compact, et qu’un espace locale-
ment compact et σ-compact est dénombrable à l’infini. Donc (2) et (3) sont équivalents.
L’espace de Hilbert `2(R)est métrisable et à base dénombrable (l’ensemble des boules
ouvertes de rayons rationnels centrées aux suites presque nulles de rationnels est une base
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dénombrable d’ouverts). Tout sous-espace d’un espace métrisable et à base dénombrable l’est
encore. Un espace topologique à base dénombrable est séparable, car si (Ui)i∈Nest une base
d’ouverts non vides, et xiun point de Ui, alors (xi)i∈Nest dense. Donc (5) implique (4).
Un espace métrique séparable est séparé et à base dénombrable (en prenant les boules
ouvertes de rayons rationnels centrées aux points d’une partie dénombrable dense). Donc (4)
implique (1).
Un espace topologique X, séparé, à base dénombrable, et dont tout point admet un système
fondamental de voisinages fermés métrisables, se plonge dans `2(R). En effet, soit (Ui)i∈Nune
base dénombrable d’ouverts de X. Nous pouvons supposer que Uiest métrisable (pour la
topologie induite), car si Jest l’ensemble des itels que Uiest métrisable, alors (Uj)j∈Jest
encore une base d’ouverts. Notons diune distance sur l’espace Uicompatible avec sa topologie.
Considérons la fonction ϕi:X→[0,1] définie par ϕi(x) = min{1, di(x, ∂Ui)}si xest dans Uiet
ϕi(x) = 0 sinon. Il est facile de vérifier que ϕiest continue et non nulle exactement sur Ui. Alors
l’application f:x7→ (1
i+1 ϕi(x))i∈Nest un homéomorphisme de Xsur son image dans `2(R).
En effet, l’injectivité découle du fait que Xsoit séparé et que (Ui)i∈Nsoit une base d’ouverts.
La continuité vient du fait que les ϕisoient continues et bornées en valeur absolue par 1. Enfin,
l’application f:X→f(X)est fermée, car si Fest un fermé de Xet si xn’est pas dans F,
alors il existe itel que x⊂Ui⊂X−F, et donc d(f(x), f (F)) ≥ϕi(x)/(i+ 1) >0. Donc (1)
implique (5).
Une variété topologique (ou par abus variété) est un espace topologique Mtel que
•l’espace Msoit séparé et à base dénombrable,
•tout point de Madmette un voisinage ouvert homéomorphe à un ouvert d’un espace Rn.
En particulier, par la proposition 2.2, une variété topologique est un espace localement
compact, métrisable, séparable, dénombrable à l’infini. Au lieu de demander que Msoit séparé
à base dénombrable, nous pourrions demander, de manière équivalente par la proposition 2.2,
que Msoit métrisable séparable. Il est souvent plus facile de vérifier les conditions séparé à base
dénombrable que les conditions métrisable séparable (lorsque l’on veut montrer qu’un objet est
une variété), et c’est pour cela que nous mettons en avant les premières. Par contre, les secondes
sont souvent plus utiles lorsque l’on travaille sur une variété donnée.
Mais ces propriétés globales des variétés topologiques sont minimes, et en pratique faciles
à vérifier (cette vérification étant parfois omise). Ce qui est important est qu’une variété topo-
logique admette les mêmes propriétés topologiques locales qu’un espace Rn. Par exemple, elle
est, entre autres, (voir les appendices A.1 et A.4 pour des définitions)
– localement compacte (ce qui n’est pas uniquement une condition locale à cause de l’hy-
pothèse de séparation),
– localement connexe par arcs (donc elle est connexe par arcs si elle est connexe),
– localement contractile.
Soit Mune variété topologique. Pour tout xdans M, l’entier ntel qu’il existe un voisinage
ouvert de xhoméomorphe à un ouvert de Rnest uniquement défini, par le théorème d’invariance
du domaine de Brouwer 2.1, et il est localement constant (donc constant sur toute composante
connexe de M). Pour tout ndans N, une variété topologique est dite de dimension nsi tout
point admet un voisinage ouvert homéomorphe à un ouvert de Rn. Toute composante connexe
de Mpossède donc une dimension bien définie. Dans la littérature comme dans ce cours, on
ne considère en général que des variétés topologiques dont les dimensions des composantes
connexes sont égales. On appelle souvent courbe une variété topologique de dimension 1, et
surface une variété topologique de dimension 2.
Par exemple, les variétés topologiques de dimension 0sont les espaces discrets dénombrables.
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