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aggravant de la situation préexistante. En
effet, le soin dentaire a pu être réalisé pour
des douleurs attribuées à tort à une lésion
dentaire alors qu’elles étaient dues à l’at-
teinte osseuse sous-jacente. Au stade de
nécrose, les lésions radiologiques sont
caractéristiques, avec perte osseuse. La
place de la scintigraphie osseuse ou
d’autres examens dans un diagnostic pré-
radiologique reste à définir. Dans tous les
cas, le diagnostic différentiel avec une
lésion métastatique ou une localisation du
myélome (au cours duquel la localisation
mandibulaire est fréquente) doit être
résolu.
QUELS PATIENTS SONT-ILS EXPOSÉS
À L’ONM ?
Ce sont d’abord et avant tout des patients
souffrant d’ostéolyse maligne, et traités de
manière prolongée par bisphosphonates
intraveineux (12, 13).
Les deux pathologies les plus fréquemment
rencontrées sont le myélome multiple et le
cancer du sein, probablement en raison de
la fréquence de ces deux cancers. Le
nombre de cas rapportés dans la littérature
est actuellement de 368 (4). Une préva-
lence de 10 % chez les patients traités pour
myélome multiple a été rapportée par
B.G. Durie, dans une enquête rétrospective
avec biais d’interrogatoire (11). Dans la
seule étude prospective publiée à ce jour,
l’incidence globale est de 6,7 % : 10 %
pour le myélome et 3 % pour le cancer du
sein (12). Ces chiffres paraissent trop éle-
vés par rapport aux publications précé-
dentes et devront être revus quand les cri-
tères diagnostiques d’ONM seront plus
précis.
Les deux facteurs de risque essentiels sont
la durée du traitement (et donc le nombre
de perfusions) et la nature du bisphospho-
nate, avec un risque plus grand pour le
zolédronate, comparé au pamidronate (7,
12). On notera que ces deux traitements
sont des amino-bisphosphonates, et que les
cas rapportés avec le clodronate (bisphos-
phonate non aminé) sont survenus chez des
patients traités préalablement par amino-
bisphosphonate, dont l’effet rémanent est
connu.
Chez ces patients cancéreux, les facteurs
de risque associés sont bien entendu la cor-
ticothérapie,la radiothérapie locale et
diverses chimiothérapies, mais aussi la
mauvaise hygiène bucco-dentaire et l’al-
coolo-tabagisme associé (10).
Quinze cas ont été publiés chez des patients
traités pour ostéoporose postménopau-
sique par des amino-bisphosphonates, dont
13 avec l’alendronate (4). Ces cas sont
peut-être plus nombreux (selon la FDA),
mais ces chiffres doivent être mis en pers-
pective avec le nombre de femmes (plu-
sieurs millions) actuellement traitées, et
avec le recul considérable dont nous dis-
posons pour ces traitements. De plus, les
cas rapportés sont peu ou pas décrits, et les
difficultés diagnostiques de l’ostéonécrose
sont telles que des précisions sont indis-
pensables.
QUEL EST LE TRAITEMENT ?
L’attitude qui prévaut actuellement est
d’abord préventive, comparable à ce qui
est fait dans le cadre des radiothérapies
de la sphère ORL. Chez les patients souf-
frant de myélome multiple et de méta-
stases osseuses, une consultation de sto-
matologie doit être faite au début du
traitement par bisphosphonates, de façon
à réaliser tous les soins dentaires indis-
pensables. Tout au long du traitement,
une bonne hygiène dentaire doit être res-
pectée, et des consultations stomatolo-
giques régulières sont certainement
utiles. Il est difficile de recommander des
mesures systématiques de ce type sans
tenir compte des facteurs de risque indi-
viduels, et sans évaluation du coût de
cette procédure. Dans tous les cas, les
soins dentaires indispensables (en parti-
culier en raison d’un risque septique
potentiel) doivent être réalisés par un
confrère prévenu des risques d’atteinte
osseuse. Des soins dentaires non indis-
pensables (implants) doivent être évités
et les prothèses dentaires ajustées.
Lorsque la nécrose est déclenchée, des pré-
lèvements avec antibiogramme sont indis-
pensables, avec adaptation d’une antibio-
thérapie (clindamycine et phenoxyméthyl-
pénicilline). L’oxygène hyperbare n’est pas
efficace. L’indication et l’étendue d’un
éventuel geste chirurgical doivent être dis-
cutées. Au stade de nécrose, il est proba-
blement inutile. Des études doivent être
conduites chez les patients ayant des signes
évocateurs avant la constitution de la
nécrose. Dans ces circonstances, la plupart
des praticiens arrêtent le bisphosphonate,
bien que cela ne soit pas logique compte
tenu de leur effet rémanent.
CONCLUSION
Le rapport bénéfice-risque de l’usage des
bisphosphonates au cours des métastases
osseuses et du myélome multiple reste très
largement favorable, et ces traitements
doivent être utilisés chez les patients
atteints par ces maladies (2, 3). Les soins
dentaires en début de traitement sont indis-
pensables. En cours de traitement, les sto-
matologues et dentistes consultés doivent
être informés de la nature des traitements
reçus par le patient. Évidemment, la ques-
tion est celle de la durée optimale de ces
traitements. Chez les patients cancéreux
dont la maladie osseuse peut devenir chro-
nique,il n’y a pas de recommandation sur
la durée optimale des traitements par bis-
phosphonates. La plupart des études
démontrent leur efficacité sur une durée
de 2 ans. Les patients contrôlés par le trai-
tement (par exemple, les patients souffrant
de myélome et greffés avec succès) doi-
vent certainement avoir une réévaluation
de l’indication de la poursuite des bis-
phosphonates. Faut-il espacer les perfu-
sions ? Faut-il arrêter les amino-bisphos-
phonates pour passer au clodronate ? À ce
jour, il n’y a pas de réponse scientifique
à ces deux questions, mais elles souli-
gnent l’intérêt d’études prospectives uti-
lisant en particulier les marqueurs biolo-
giques de la résorption osseuse pour
évaluer le rythme optimal d’administra-
tion des traitements.
Au cours de l’ostéoporose postménopau-
sique, il est certes logique de rappeler à nos
patientes l’importance d’une bonne hygiène
bucco-dentaire. Il est nécessaire de ne trai-
ter que les patientes ayant un risque de
fracture bien évalué et quantifié, en rééva-
luant le rapport bénéfice-risque du traite-
ment après 4 à 5 ans de traitement, selon
les recommandations de l’Afssaps. En
revanche, l’ostéonécrose de mâchoire ne
doit pas entrer, en l’état actuel de nos
connaissances, dans l’évaluation de ce rap-
port bénéfice-risque, la survenue d’événe-
ments de ce type étant extrêmement rare,
avec une relation de causalité très difficile
à établir.
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TRIBUNE
La Lettre du Rhumatologue - n° 324 - septembre 2006