Médecine & enfance REGARDS CROISÉS O. Mouterde, gastropédiatre, département de pédiatrie, CHU de Rouen, et Faculté de médecine, Université de Sherbrooke, Canada M. Boublil, pédopsychiatre, pôle mère-enfant, service de psychopathologie de l'enfant et de l'adolescent, centre hospitalier d’Antibes E. Pino, médecin de l’Education nationale, Pont-l’Abbé Encoprésie ou encoprésies ? Chaque encoprésie est particulière. Pourtant, chaque médecin a une théorie sur l’encoprésie, mais qui ne repose en fait que sur le type d’encoprésie qu’il a coutume de voir. Peut-on tenter d’unifier cette variété et parler d’encoprésie ? Un récent échange sur le forum de discussion de Médecine & enfance montre que les querelles moliéresques du foie et du poumon, comme celle plus sérieuse des circulateurs et contre-circulateurs, peuvent ressurgir à propos de ce qui n’est qu’un symptôme que l’on peut aborder de diverses manières et pour lequel la demande parentale est aussi très diverse, depuis l’envie d’être débarrassé par le médecin d’une gêne (comme pour une voiture : « réparez le problème, c’est votre métier ») jusqu’au désir d’en comprendre le sens (« pourquoi fait-il ça et pourquoi maintenant ? »). Un gastroentérologue, un pédopsychiatre et un médecin scolaire vont ici décrire leur pratique quotidienne de manière vivante, afin que cela apporte à la réflexion, sans que personne n’ait tout à fait raison ni tout à fait tort. M.B. L’ENCOPRÉSIE VUE PAR UN GASTROPÉDIATRE O. Mouterde L’encoprésie, trouble fonctionnel intestinal, est définie comme des fuites fécales chez un enfant au-delà de l’âge de l’acquisition de la propreté. Ce texte reflète la pratique et l’opinion d’un gastropédiatre, confronté de façon fréquente à des enfants en souffrance, encoprétiques depuis parfois des années. TROIS TABLEAUX SONT BIEN DIFFÉRENCIÉS L’encoprésie « volontaire » Il s’agit de l’émission volontaire de selles dans un endroit inapproprié, ce que nous considérons comme un trouble du comportement justifiant une prise en charge par un psychologue ou un pédopsychiatre. On peut en rapprocher le refus d’acquérir la propreté manifesté par certains enfants. Cette étape s’est mal passée, avec différentes maladresses parentales qui ont pu influennovembre 2013 page 300 cer défavorablement l’idée que l’enfant se fait de la défécation. Citons le forcing, éventuellement précoce (dès six mois), pour obtenir la propreté, des parents barbouillant le visage de leur enfant de selles pour le punir de se souiller, un père vomissant car ne supportant pas la vue et l’odeur des selles de son nourrisson, les messages insistant sur le caractère « sale » des selles, l’obsession de la propreté ou d’une selle quotidienne… La conséquence en est souvent le refus d’aller aux toilettes, des enfants de plus de trois ans demandant qu’on leur mette une couche, ou se cachant derrière un meuble pour déféquer et émettant alors des selles complètes. Une discussion avec les parents et l’enfant permet assez souvent de venir à bout de ce comportement. A défaut, l’aide d’un psychologue est demandée. L’encoprésie non rétentionnelle L’encoprésie non rétentionnelle est répertoriée dans les troubles fonctionnels digestifs par les critères de Rome. Il s’agit d’enfants ayant des fuites incontrôlées, non provoquées par des fécalomes ou une Médecine & enfance attitude de rétention. Quand il est fait, le toucher rectal ne trouve pas de fécalome. Les laxatifs sont contre-indiqués au profit de ralentisseurs du transit. Ce syndrome est en fait exceptionnel (2 enfants en vingt-cinq ans d’expérience, versus plus de 1500 encoprésies sur constipation !) et sa physiopathologie est obscure, faisant appel à une immaturité mentale et/ou physiologique. Des sévices sexuels peuvent avoir cette conséquence. Le tableau de loin le plus fréquent : l’encoprésie secondaire à la constipation Dans l’immense majorité des cas, le gastropédiatre prend en charge des enfants chez qui l’encoprésie est le stade ultime d’une constipation. Les selles s’accumulant dans le rectum finissent par entraîner une béance anale relative, responsable de fuites de selles molles dans les sous-vêtements (fausse diarrhée). L’émission de selles est involontaire, fréquente et incontrôlée ; l’enfant s’adapte au trouble et n’a pas conscience de sentir mauvais, ce qui peut choquer l’entourage qui pense qu’il le fait exprès. L’encoprésie due à la constipation est parfois associée à une énurésie, par dysfonctionnement de la vessie du fait des fécalomes. L’interrogatoire met en évidence le signe « clé », qui est l’élimination de selles volumineuses et dures à intervalles pouvant atteindre trois semaines. L’examen ne trouve pas de signes d’organicité : débâcles à l’introduction du thermomètre, subocclusions ou retard de croissance, anomalie du dos ou du périnée. Des fécalomes sont souvent palpables en suspubien. Le mécanisme initial est l’attitude de rétention, qui aboutit à la constitution progressive de fécalomes puis à l’encoprésie. La rétention peut être due à un épisode de constipation passagère, avec une selle dure émise douloureusement qui incite l’enfant à se retenir ensuite, réalisant un cercle vicieux qui peut durer des mois ou parfois des années. Dans la plupart des cas, la rétention est liée à l’éducation. Tout d’abord à l’éducation à la propreté, et dans ce cas elle se manifeste dès deux ans. Malgré la dé- finition officielle, qui met la limite à quatre ans, il existe d’authentiques encoprésies sur constipation avant cet âge. L’émission de selles volumineuses et dures permet de faire la distinction avec un enfant n’ayant pas acquis la propreté. Ensuite, l’école maternelle prend le relais, le caractère collectif des toilettes induisant chez certains enfants une attitude de rétention due à la pudeur. Et cela continue en primaire et au collège, où divers facteurs, pour ne pas dire des quasi-sévices, rendent l’accès aux toilettes difficile et font que beaucoup d’enfants se retiennent : nombre de wc limité, portes fermées à clé entre les récréations (pour éviter qu’on y fume), portes ne fermant pas, manque d’hygiène (quand ce n’est pas, histoire vraie, l’obligation institutionnelle d’aller demander du papier toilette chez la directrice). Les âges de deux, trois, six et onze ans sont donc des caps importants, et sont évocateurs de la cause de l’encoprésie. RÔLE DU PÉDOPSYCHIATRE DANS L’ENCOPRÉSIE SECONDAIRE À LA CONSTIPATION Un « psy » sera impuissant face à ce type d’encoprésie. Le symptôme « encoprésie » est la conséquence plus ou moins lointaine de la rétention fécale. Il n’est pas volontaire et est lié à un fécalome. La solution n’est donc pas de « convaincre » ou de faire évoluer un enfant, comme dans la situation de l’encoprésie « volontaire ». Le gastropédiatre ou le pédiatre doit « mettre l’enfant en état de guérir ». On pourrait dire « mettre le mécanisme de défécation en état de fonctionner normalement », car il est perturbé, parfois de façon ancienne et durable, par la constipation et les fécalomes. Ensuite, la volonté de l’enfant pourra s’exercer, et, selon les situations décrites ci-dessous, un accompagnement psychologique pourra être bénéfique. La cause de la rétention mérite attention. Il s’agit plus souvent de garçons. Pourquoi se retiennent-ils ? Pudeur normale ou excessive, conditions de l’acquisition de la propreté, mauvaises conditions de défécation à l’école, structure psycholonovembre 2013 page 301 gique particulière, famille ? La question n’est pas « pourquoi a-t-il des fuites », mais « pourquoi s’est-il retenu ? ». Cette cause peut nécessiter une aide. Les sévices doivent rester une hypothèse en filigrane. La douleur à l’émission des selles peut être une cause, aisément réglée par les laxatifs. La raison initiale est cependant bien souvent oubliée quand l’enfant consulte, parfois des années plus tard. Lors de la prise en charge, la cause importe parfois peu, et beaucoup d’enfants motivés guérissent avec l’aide du pédiatre sans autres intervenants. Les conséquences de l’encoprésie doivent être prises en compte, quelle qu’ait été la cause de l’attitude de rétention. L’enfant est souvent stigmatisé dans sa famille et à l’école. Il s’installe un jeu de relations le plus souvent négatives, mais où l’enfant trouve parfois son intérêt : conflit entre les parents, façon d’exister dans la famille, exception à l’école. Certains enfants encoprétiques explorés pour une petite taille avaient un profil endocrinien de nanisme psychosocial ! Il n’est pas exceptionnel de recevoir un adolescent de quinze ans portant des couches depuis des années : on imagine les conséquences sociales et affectives… L’enfant qui ne « veut pas guérir » a besoin d’aide. Il cache ses sous-vêtements, jette ses médicaments. Les parents sont en conflit à ce sujet, et finalement l’enfant existe dans son milieu familial par ce trouble. Il se greffe là une part volontaire, l’enfant tirant bénéfice d’une encoprésie involontaire. Il peut exister une ambiance délétère où la mère lave son enfant de huit-dix ans, voire plus, administre lavements et suppositoires. L’enfant passif ou l’adolescent qui ne suit pas son traitement sont des situations non spécifiques de l’encoprésie et dont la prise en charge est autre. TRAITEMENT DE L’ENCOPRÉSIE SECONDAIRE À LA CONSTIPATION Pour le gastropédiatre, le traitement est bien codifié. Il est à la fois très efficace et décevant. Efficace, car il est possible d’obtenir la fin des souillures en quelques Médecine & enfance jours ; décevant, car le traitement peut être long et les rechutes fréquentes. La clé du traitement est l’utilisation prolongée de laxatifs à forte dose. La prescription de laxatifs est précédée d’une phase où l’on cherche à évacuer les fécalomes, seuls responsables des fuites, par des lavements (trois ou quatre jours de suite) ou, quand la voie anale est refusée par l’enfant, par de fortes doses de PEG de type préparation de coloscopie. L’utilisation de laxatifs sans désimpaction fait souvent précéder l’amélioration d’une aggravation des souillures, ce qui entraîne fréquemment une diminution ou un arrêt du traitement… Le laxatif est prescrit à forte dose (c’est-àdire en quantité suffisante pour obtenir une selle molle tous les jours) et longtemps, pendant des mois s’il le faut (certains conseillent un traitement égal à la durée antérieure du trouble). Le PEG est très (voire exclusivement) utilisé par les gastropédiatres. Le troisième volet du traitement est la rééducation. La guérison est rendue possible par la désimpaction et les laxatifs, mais la motricité colorectale est perturbée et la sensation de besoin émoussée. Il faut donc demander à l’enfant, en sachant qu’il n’en ressent jamais l’envie, de se présenter systématiquement aux toilettes tous les jours, après un repas, et de prendre son temps. Pendant les premières semaines, certains enfants sont aidés par des suppositoires d’Eductyl®, qui déclenchent la sensation de besoin. Il faut savoir qu’aucun régime ne vient à bout d’une telle constipation. Point besoin de s’acharner : des fruits, des légumes, de l’eau, un verre de jus de pomme, poire ou prune, voilà les seuls conseils à donner, c’est-à-dire une alimentation saine, raisonnablement riche en fibres et non un « régime ». Ce traitement a souvent une efficacité spectaculaire et rapide, mais les échecs sont fréquents. Outre le refus actif de l’enfant de guérir, l’observance peut être insuffisante, des traitements comme des conseils. Les parents ont parfois peur des laxatifs et tentent de les interrompre trop tôt, ou n’apportent pas suf- fisamment de soutien à l’enfant. Parfois une apparence de guérison amène à relâcher l’attention. On assiste donc à des situations contrastées, entre l’enfant qui guérit en quatre jours et ne récidive jamais et l’évolution désespérante d’un enfant ou d’une famille non observants. Le traitement pose le problème des manœuvres endoanales, suppositoires et lavements. Ceux-ci, déconseillés de principe par certains, honnis dans certains pays comme le Royaume-Uni, peuvent être acceptés facilement. S’ils sont prescrits de manière limitée dans le temps et à bon escient, ils ont une bonne efficacité et semble-t-il peu de conséquences. S’ils sont refusés farouchement par l’enfant, d’autres solutions sont trouvées (désimpaction par voie orale, routine quotidienne des toilettes sans suppositoires). Quelques pistes sont données aux parents pour faciliter la guérison : 첸 défécation ne doit pas ou plus être au centre de la vie de la famille. Cela peut paraître paradoxal alors que l’on demande strictement une selle par jour… Mais le but est que la défécation redevienne une fonction naturelle, que l’on satisfait dans l’intimité sans se poser de question, et ne soit plus un événement ; 첸 acquérir la propreté est un progrès et matérialise le fait que l’enfant grandit, ce qui doit donc être valorisant pour lui. L’absence de souillure permettra plus de choses : piscine, classes vertes… Certains enfants nous remercient d’un grand sourire lorsqu’on les félicite des progrès accomplis. Un enfant qui ne fait pas d’efforts peut être « puni », mais de façon logique par rapport au trouble et en montrant la voie à suivre : « je regrette mais je ne peux pas imposer à la maman de ton copain d’avoir à te laver ; quand tu auras fait des progrès comme le médecin te l’a indiqué, tu pourras faire plus de choses » ; 첸 il est important que ce sujet, qui est parfois le centre d’intérêt (négatif) dans la famille, ne disparaisse pas sans être remplacé par quelque chose de positif, comme si l’enfant n’existait plus ou existait moins. J’encourage donc les parents à faire des choses avec l’enfant : sport, novembre 2013 page 302 dessin, bricolage, pour que la page soit tournée sans regrets. CONCLUSION L’encoprésie est très fréquente et souvent longtemps négligée, car honteuse ou mal comprise. Elle a des conséquences majeures sur l’enfant, et parfois des conséquences organiques à long terme. La constipation occupe le tout premier plan dans les causes d’encoprésie non volontaire. La rétention en est à l’origine, due à l’interaction entre l’enfant, son milieu, l’éducation à la fonction naturelle de défécation et malheureusement aux conditions offertes aux enfants scolarisés pour satisfaire cette fonction naturelle. La prise en charge psychologique ne pourra pas tout. Il en va de même pour la prise en charge médicale quand la cause ou les conséquences de l’encoprésie justifient un bilan et un soutien psychologiques. L’ENCOPRÉSIE VUE PAR UN PÉDOPSYCHIATRE M. Boublil « Per via di levare » (Léonard de Vinci) Tout le monde a des problèmes avec les selles : crainte de ne pas y aller (constipation), crainte de ne pas se retenir… Chacun a connu ce type de difficultés, à un degré ou à un autre, parfois consciemment, parfois au niveau des fantasmes ou des rêves, ou même des rêveries. Dans Domicile conjugal (François Truffaut), le héros rassemble livres et revues avant d’aller s’enfermer pour ses besoins. Des personnages éminents sont connus pour leur constipation opiniâtre (Martin Luther). Michel Tournier introduit ce thème dans son Roi des aulnes. L’encoprésie frappe deux âges de la vie : la vieillesse (on parle de troisième ou de quatrième âge) et l’enfance. L’encoprésie que l’on rencontre le plus souvent est pourtant celle de l’enfant, chez qui le pédopsychiatre rencontre deux cas de figure : l’« encoprésie volontaire », comme l’appelle Olivier Mouterde, et l’encoprésie-rétention résistante au traitement. L’« encoprésie volontaire » concerne un Médecine & enfance enfant d’intelligence normale, qui a acquis normalement la maîtrise sphinctérienne et qui, tout d’un coup ou progressivement, se met à déféquer sur lui, étant apparemment tout à fait indifférent aux conséquences et ne réclamant pas d’être changé. Lorsqu’on le voit en consultation, il ne dit désespérément rien et, au mieux, pleure sans faire aucun lien. Les parents réagissent mal, et, selon leur degré de tolérance, se montrent soit violents (le nez dans le caca), soit passifs (ils font comme s’ils ne voyaient rien), avec, entre ces deux extrêmes, tous les degrés imaginables. Le pédopsychiatre, à qui on envoie souvent les encoprétiques résistants, est dans la position de celui à qui on envoie les problèmes insolubles par la logique et la raison, et il se retrouve démuni face à une famille qui attend une solution, et face à un enfant sans demande, si ce n’est celle de ne plus être encoprétique, mais sans pouvoir en dire davantage. L’enfant est là confronté à une folie de son corps que sa raison ne peut maîtriser : ce qui se passe est plus fort que lui. Dans ces cas, le terme « psychogène » me semble préférable à celui de « volontaire », puisque aucune cause, ni explication, ni stratégie organique ne fonctionne. [Vignette clinique. Lionel, quatre ans, est en moyenne section de maternelle. Depuis un mois, il est sans cesse imprégné de selles malodo rantes en classe (mais pas à la maison), au point qu’une réunion est organisée en urgence, où je me rends pour entendre que l’école ne peut garder un enfant comme lui, et que le passage en grande section est problématique, car la maîtresse qui s’occupe de cette section ne l’acceptera pas. Une auxiliaire de vie scolaire est demandée mais non obtenue. Nous ne connaissons dans un premier temps que le père de l’enfant. Il a quitté la mère et demandé le divorce, alors que la mère dit encore aimer son mari et ne veut pas de séparation. Chez la mère, le déni de tout problème est tel qu’il ressemble à une idée délirante. D’ailleurs, le psychiatre qui la suit finit par l’hospitaliser devant ses menaces de se suicider si son mari ne renonce pas à sa demande de divorce. L’enfant vit cette situation mais il n’en dit pas un mot. Il est également attaché à ses deux parents et semble sidéré par la situation, dont il n’arrive pas à parler, ne parvenant pas à se la représenter. La situation, malgré un suivi régulier de l’enfant et de son père (la mère refuse de venir) n’évolue pas, jusqu’au jour où la mère, suivie régulièrement, finit par aller mieux. Cela correspond au moment où Lionel entre au CP. Elle accepte enfin la séparation, n’est plus dépressive et ne refuse plus de venir aux entretiens. Seule l’évolution de la mère a guéri l’enfant, dont le corps seul a exprimé l’impossibilité pour lui de se représenter la séparation de ses parents.] [ Vignette clinique. Antoine a dix ans. Depuis quatre mois, il est encoprétique tous les jours. Ni lui ni sa mère ne disent quelque chose du déclenchement. Des conseils suffisent à faire disparaître le problème pendant trois mois. A la rechute je les revois. J’apprends qu’il y a un an Antoine a perdu brutalement son grand-père maternel, qu’il voyait tous les week-ends et qui lui était très attaché. En outre, trois mois après le décès du grand-père, on a découvert à la mère une maladie de Bouveret, si grave que cette jeune femme de trente-six ans est en invalidité. Les crises continuent de se produire, qui la plongent dans des états de panique : à ces moments-là, elle a le sentiment d’une mort imminente possible. Miraculeusement, cet entretien d’élucidation fait cesser l’encoprésie. Pas de rechute depuis huit mois.] Nous sommes dans un domaine qui ressemble à la psychosomatique. Des affects trop douloureux sont mis de côté, isolés de la conscience par un clivage efficace. Ces affects ne sont même pas pensés, c’est-à-dire qu’ils ne font pas l’objet d’une représentation ou d’interrogations dans l’esprit de l’enfant. Ils sont encore moins verbalisés, ni intérieurement ni à un interlocuteur, d’où leur émergence sous la forme des selles, symptôme émergent d’un affect irreprésentable. La mise en liens, le regard porté sur le contexte psychoaffectif peuvent seuls novembre 2013 page 303 permettre de comprendre la valeur économique du symptôme. La dimension « économique » dans la théorie psychanalytique est issue du désir permanent de Freud de conceptualiser le fonctionnement de l’appareil psychique en utilisant l’état des connaissances scientifiques de l’époque. Breuer, influencé par la découverte de Helmholtz du deuxième principe de la thermodynamique (dégradation de l’énergie), initie cette modélisation. Helmholtz désignait par énergie libre « celle qui est capable de se transformer librement en d’autres sortes de travail », et énergie liée « celle qui ne peut se manifester que sous forme de chaleur ». L’analogie avec les affects est simple : libre est employé au sens de liberté, de capacité de circulation, de capacité à entrer dans des liens mis en place par le moi sans le déborder. Plus tard, dans Au-delà du principe de plaisir, Freud affine son système : la liaison est conçue comme une influence du moi sur le processus primaire (rêves, fantasmes) et le soumettant au principe de réalité. Quand le moi ne peut remplir ses fonctions, soit en raison de la massivité de l’énergie libre (trauma, deuil, perte, échec, blessure), soit par capacité insuffisante du moi à lier cette énergie (période difficile, trouble de la personnalité, dépression), soit à cause des deux à la fois, apparaît le débordement du moi et l’émergence du symptôme somatique, ici l’encoprésie. Peut-on qualifier ce type d’encoprésie de « psychosomatique » ? Cela est à discuter, mais dans ma pratique, à chaque fois, un événement, un trauma dont on me disait qu’il n’avait aucun rapport avec l’état de l’enfant était en fait en cause. Cette vision, démodée en apparence ou simpliste (c’est celle du Pr Von Himbergeist dans La guérison des Dalton), correspond pourtant à ce qui est observé en clinique, et la mise en mots est efficace sur les symptômes. Venons-en à l’encoprésie-rétention qui résiste au traitement chez le petit enfant (trois-quatre ans). Les parents sont angoissés et l’école menace de ne pas garder l’enfant. L’histoire est toujours la même : l’enfant a été constipé, a eu des Médecine & enfance expériences précoces de douleurs à l’exonération, de dilatation anale importante et, de crainte de connaître à nouveau une telle expérience, refuse d’aller sur le pot ou sur les wc, position qui favorise l’exonération complète. Par contre, il veut bien faire debout, dans sa culotte ou dans la couche que les parents refusent de lui remettre, ce qui entraîne une encoprésie nuisible à son insertion sociale. Le ramollissement des selles par voie orale (Movicol ® ), l’autorisation de la couche au moment où l’enfant sent l’envie et la demande règlent le problème de la propreté sociale. Beaucoup de patience est nécessaire pour attendre que l’enfant aille seul à la selle, et beaucoup de résistances médicales et familiales (il m’est arrivé de faire un certificat pour la grand-mère, enseignante à la retraite…) sont à surmonter. Chaque encoprésie, en dehors de son mécanisme, a son sens ; il n’est pas indispensable de le connaître pour soigner le mal, car la gêne, souvent majeure dans la vie sociale, doit être soulagée le plus rapidement et le plus radicalement possible. Ce n’est que dans les cas atypiques ou rebelles que l’enfant est adressé au pédopsychiatre, et les jeunes patients nous arrivent après un parcours où tout a déjà été tenté. L’encoprésie de L’homme aux loups (l’une des cinq psychanalyses de Freud) avait le sens, pour un enfant de quatre ans et demi, d’une identification complexe à sa mère qui souffrait de ses métrorragies. Pour chaque enfant se développe autour d’un symptôme socialement honteux une problématique intriquée physique et psychoaffective. Pourquoi cet exergue de Léonard de Vinci ? Ce dernier oppose deux manières de créer : celle « per via di porre » (la peinture, que l’on « pose » sur la toile) et celle « per via di levare » (la sculpture, où l’on « enlève » de la matière). La statue est déjà incluse dans le bloc de marbre, et l’artiste la révèle par son art. Dans l’encoprésie, le pédopsychiatre est plutôt comme le sculpteur, c’est-à-dire un révélateur des liens entre le langage du corps et son sens, cette révélation étant au cœur de l’action thérapeutique. L’ENCOPRÉSIE VUE PAR UN MÉDECIN SCOLAIRE E. Pino Comme le dit M. Boublil, il y a tant d’encoprésies différentes qu’il est permis au professionnel d’en bâtir une typologie à l’aune de sa propre pratique. Celle du médecin scolaire pourrait débuter sommairement : il y a d’un côté les cas qui se dévoilent dans l’intimité de la consultation, qu’elle ait lieu lors d’une visite systématique de la classe d’âge ou lors d’un examen à la demande. De l’autre côté, il y a celles qui ont envahi l’espace public, sur lesquelles l’école nous réquisitionne plus encore qu’elle nous alerte, tant le symptôme est obsédant, tenace, entêtant. Bien entendu, cette division binaire nous suffira rarement. Il y en a, en fait, bien d’autres possibles. On peut distinguer ce qui peut apparaître comme un « accident rétentionnel » dont l’enfant n’arrive pas à se sortir sans intervention, et ce qui s’inscrit plus profondément dans un contexte d’expression de soi ; les enfants acteurs de leur prise en charge et ceux qui resteraient volontiers la journée dans leur bain de matières… Mais dans cet exercice de regards croisés, on choisira de considérer ce qui fait la particularité de l’exercice du médecin de l’élève : l’irruption scandaleuse de la matière fécale dans une institution au demeurant souvent fort mal à l’aise avec les fonctions d’excrétion. Ce n’est un secret pour personne : il reste encore à écrire le grand roman névrotique de l’école française et de ses toilettes. L’inventaire des encoprésies ne serait sans doute pas complet s’il ne mentionnait les encoprésies que l’école elle-même sécrète, à grands coups de locaux désastreux, d’accès limités et de distribution pointilleuse, voire mesquine, de papier toilette. QUELLE PRISE EN CHARGE À L’ÉCOLE ? Il est bien évident que les encoprésies qui n’ont pas été signalées à l’école ne doivent surtout pas faire l’objet d’une novembre 2013 page 304 quelconque mention à celle-ci. Le rôle du médecin scolaire sera de s’assurer de l’accès aux soins de son jeune patient. Si l’état des sanitaires apparaît comme facteur déclenchant, il faut bien entendu interpeller les municipalités. Dans les autres cas, un PAI peut être discuté. Sa nécessité est à évaluer en fonction du contexte, du caractère envahissant du trouble ou de l’intolérance de l’école. Bien que la prise en charge repose sur des gestes ne demandant aucune technicité, le PAI (projet d’accueil individualisé) peut être extrêmement compliqué à mettre en place. C’est probablement l’un de ceux qui demandent le plus d’attention au contexte : pour quel enfant, dans quelles limites, avec quelles personnes ? Le but du PAI, comme de toute la prise en charge de l’encoprésie, c’est de permettre des gestes simples en limitant les effets d’excitation, de bâtir un cadre suffisamment banalisé pour que la vie de l’enfant et de son entourage cesse de tourner autour de cette fonction. Il faut naviguer entre plusieurs écueils. Les premiers sont celui de la répulsion de l’adulte, souvent marquée par le soupçon que souiller sa culotte est un acte délibéré, et celui qui poserait l’enfant comme entièrement passif. Or, si l’enfant n’a pas le contrôle de l’émission de selle, ni même le choix de cette émission comme symptôme névrotique, il garde un certain contrôle sur la possibilité de se mettre au propre et de limiter les effets de l’encoprésie sur sa vie sociale. De plus, comme dans tout PAI établi pour une pathologie ayant des aspects comportementaux, le risque est de renchérir sur les bénéfices secondaires de la sollicitude familiale et d’y cantonner l’enfant. Autant il est possible de renouveler par accord tacite des PAI d’asthme qui ne changeront pas pendant des années, autant il est impensable de renouveler des PAI d’encoprésie sans avoir pris des nouvelles de l’évolution. Favoriser un accès régulier à des toilettes décentes, trouver un moyen de laver et changer l’enfant quand il ne peut le faire lui-même, choisir selon l’âge entre la Médecine & enfance couche, la protection ou le simple change, favoriser l’autonomie le plus rapidement possible, signaler sans stigmatisation à l’enfant que son odeur devient gênante… toutes ces choses qui s’inscrivent parfois banalement dans un cadre d’école maternelle deviennent de plus en plus difficiles au fur et à mesure que l’enfant grandit et change de structure. L’encoprésie qui persiste à l’entrée au collège est extrêmement difficile à vivre pour tout le monde. D’une part parce que les conditions matérielles ne sont absolument pas favorables à sa prise en charge. Entre l’absence de douche, de papier toilette et la surveillance suspicieuse des adultes sur l’usage des locaux, il n’y a souvent pas grand-chose qui permette une gestion apaisée. D’autre part, les encoprésies qui perdurent au-delà du primaire, et plus encore les encoprésies qui perdurent comme des symptômes publics sont à mon sens presque toujours les témoins d’une pathologie ou d’une détresse psychologiques sous-jacentes. L’encoprésie à l’école suit les mêmes chemins hasardeux qu’au cabinet, entre empathie et lassitude, entre espoirs et rechute, entre compréhension et agacement. Les buts du médecin scolaire seront les mêmes que ceux de ses confrères : la reconnaître, lui faire une place pour qu’elle ne se vive pas dans la honte, limiter cette place pour qu’elle n’envahisse pas tout le terrain et enfin… parler d’autre chose. L’HISTOIRE DES ENFANTS N. Lorsque les deux frères arrivent à l’école au mois d’avril, ils ont déjà, à sept et huit ans, fait plusieurs établissements. Nous connaîtrons peu de chose de l’histoire précédente, en dehors de rumeurs de placement et d’aide éducative qui ont échoué sur un fond de probable violence paternelle. Mais les deux enfants sont dans un tel état que, dès leur arrivée, l’école me demandera une intervention rapide. Non seulement ils sont tous les deux encoprétiques et tous les deux en échec scolaire, mais ils sont dans une telle opposition à l’école que ces deux enfants passent leur journée la tête entre les bras, refusant d’écouter et de voir ce qui se passe autour d’eux. Durant les récréations, ils ne jouent qu’entre eux, évitant tout contact avec les pairs. L’odeur incommodante qu’ils dégagent n’est qu’une partie des nombreux moyens qu’ils emploient pour tenir les tiers à distance. C’est peu dire que la situation demande une prise en charge urgente. Mais nous savons ce que signifient ces multiples changements d’école : ces familles multisuivies repèrent de très loin toute entreprise qui viserait à les amener de nouveau entre les mains d’un travailleur social ou d’un pédopsychiatre, et fuient dès qu’on les serre d’un peu trop près. Commencer par aborder l’encoprésie peut paraître accessoire devant le spectaculaire tableau de souffrance psychologique des deux frères. Mais il nous faut apprivoiser cette famille, et la casquette du médecin apparaît, pour l’instant, comme la moins menaçante. Une première consultation me donne un aperçu de l’épuisement raidi, anxieux de la mère, mais aussi de son désir que les choses aillent mieux et de son inquiétude réelle devant ce qu’on lui dit de ses enfants à l’école. Je la convaincs de consulter le pédiatre de l’hôpital, qui, par chance, est un confrère très averti de cette pathologie. Ma proposition de reprise de contact avec le CMPP a moins de succès. La réunion de PAI fait suite immédiatement à la consultation, et j’insiste pour que les enfants y assistent. On pose donc un cadre précisant les modalités de fourniture de protections et de linge, le passage aux toilettes à la récréation et à la demande le reste de la journée. Je note que les enfants quittent la table de discussion dès les premières minutes et, tout au long de la réunion, ils ne manifesteront aucun intérêt envers ce que les adultes disent d’eux. Le début de la prise en charge à l’école sera un peu chaotique, et l’école mettra un peu de temps avant de disposer de changes. La mère prendra effectivement rendez-vous durant l’été pour ses ennovembre 2013 page 306 fants. En septembre, tout le monde est plein de bonne volonté, et la rentrée des enfants se passe moins mal que leur arrivée. On peut commencer à aborder les difficultés scolaires et la nécessité d’une prise en charge globale. Ils sont routinièrement encoprétiques, mais le pédiatre note une certaine adhésion à ses recommandations. Le cadet commence à s’appuyer sur la prise en charge (en particulier orthophonique) du CMPP et des progrès scolaires sont notés. Ça tiendra quelque mois, et puis la situation se dégradera à toute vitesse pour l’aîné. Le refus de l’école, l’encoprésie gênante repartiront de plus belle. Le pédiatre m’écrira avoir été sidéré de l’attitude des enfants, qui, en consultation, n’écoutent rien, échappent à tout contrôle. Il est prêt à faire une remontée d’information préoccupante (RIP). Quelques semaines plus tard, l’aîné refuse d’aller à l’école et refuse les soins. Devant l’incapacité de la mère de faire face à la situation, une RIP est faite au conseil général et une évaluation est demandée. Au mois de septembre suivant, la famille change d’école. Dans le feutrage des difficultés psychologiques, familiales, scolaires de cette famille, il est bien difficile de savoir ce qui a fait décompenser la situation de l’aîné, alors que le cadet, lui, commençait à tirer son épingle du jeu. Mais j’ai longtemps été frappée de l’aspect très fusionnel des deux frères, qui se souillaient de concert, ne parlaient qu’à l’autre en cours de récréation et refusaient l’école avec le même mouvement. Tout s’est passé comme si, pris dans le maelström de la violence paternelle et de l’épuisement de la mère, ils s’étaient défendus par une sorte de pacte, dans lequel l’émission de selle faisait office de renforcement de l’isolement. En acceptant d’aller mieux, en acceptant d’investir les prises en charge qui ouvraient l’accès à des progrès scolaires, le cadet avait laissé l’aîné sans défense. Mais ce n’est peutêtre qu’une hypothèse littéraire. L’HISTOIRE DE E. E. est une petite fille de six ans quand je la rencontre. Elle a été maintenue deux Médecine & enfance ans en moyenne section de maternelle car une naissance troublée lui a laissé un petit retard global. La visite de grande section fera émerger deux choses : la première est qu’une partie de ces troubles est de nature neurovisuelle et demande une prise en charge spécialisée ; l’autre est que E. est une petite fille étonnante. S’il existe un discret retard de langage et d’évidentes difficultés graphiques, son contact n’a rien de gauche ni d’immature. Elle accepte les consignes, mêmes les plus difficiles pour elle, avec un sérieux et une bonne grâce qui en disent long sur sa capacité à rassurer les adultes autour d’elle. Je lui présente, comme à chaque enfant, la figure de Rey B. Elle la recommencera quatre fois en quelques minutes. Quatre fois, la langue entre les dents, le crayon empoigné plutôt que tenu, sous mes yeux stupéfaits. Et chaque essai marquera une progression telle qu’elle arrive à passer d’une reproduction presque embryonnaire à une forme correcte pour l’âge. Je n’ai jamais vu ça. E. est très bien intégrée dans son école et soutenue avec beaucoup d’attention par ses deux parents. Son père, en particulier, est présent d’une façon indiscutablement étayante et affectueuse. Nous programmons de nous revoir chaque année pour suivre l’évolution de la scolarité, en nous basant sur un projet individualisé avec l’école. Au CP, E. est toujours une petite fille très agréable. La lecture s’installe. Nous ne dirons pas plus facilement que prévu, car rien n’est facile pour E. Mais elle n’est pas seulement volontaire, elle est acharnée. Et depuis quelques semaines, elle est encoprétique. L’examen clinique révèle un fécalome important. La relation des parents avec l’enfant me paraît toujours juste et tendre, et la petite fille ne témoigne d’aucune difficulté de relation à l’école. Je l’adresse donc au médecin traitant en expliquant aux parents que cela peut être un peu plus long que la seule évacuation des matières. Quelques épisodes ayant eu lieu dans le temps scolaire, je profite du temps de récréation pour « prendre la température » de l’école à ce sujet. Rappelant que l’évolution des encoprétiques peut être parfois décourageante, je pose prudemment la question d’un éventuel PAI. Le directeur est un homme pondéré. Mais ce jour-là je crois bien qu’il m’a pouffé au nez. M’invitant à considérer le lieu où l’on était, une minuscule école, avec à droite le potager, à gauche la mer, deux enseignants qui connaissent tous les parents et même les grands-parents, il me signifia aimablement que pour mettre E. au sec et au propre avec quelques mots de réconfort et la renvoyer jouer, il n’avait nul besoin de formulaire. Six mois plus tard, E. rame toujours, s’acharne toujours, lit péniblement mais n’est plus encoprétique. Elle est aujourd’hui en CE2 et cela ne s’est jamais reproduit. On peut faire le pari d’un épisode accidentel, chez cette petite fille qui se demande beaucoup à elle-même. L’HISTOIRE DE G. J’ai suivi G. pendant presque six ans, et trois fois la question de l’encoprésie dans l’espace scolaire s’est posée. G. est un petit garçon présentant un retard de langage et psychomoteur, associé à des leucomalacies périventriculaires. Il n’a pas d’atteinte motrice franche, mais une maladresse globale, des troubles attentionnels, articulatoires et lexicaux. Malgré tout, la WIPPSI montre des performances cognitives préservées, particulièrement en raisonnement, compréhension, matrice et concepts. Quand je le rencontre, il est très malheureux à l’école et ses parents encore plus. Les enseignantes (il en a deux) ont beaucoup de mal à appréhender l’hétérogénéité des compétences de G. L’école, tout à la fois, refuse la demande d’auxiliaire de vie scolaire (AVS) faite par la famille et n’envisage la scolarité de G. qu’au sein d’une CLIS, estimant que les parents mésestiment son handicap. Les relations avec la famille, d’abord marquées par l’incompréhension, sont devenues franchement mauvaises. Dans ce panorama, l’encoprésie de G. apparaît à l’école comme une preuve à charge de sa déficience et non comme un signal de souffrance. novembre 2013 page 307 Or, si G. n’a pas acquis la propreté nocturne, la continence des selles a été acquise vers quatre ans et l’encoprésie a réapparu en milieu d’année. Les parents sont au bord de la décision de changement d’école. Je ne leur cache pas que cela me semble, en l’occurrence, une excellente idée, comme celle de déposer malgré tout leur demande d’AVS. L’AVS est accordé, et G. passera deux années presque idylliques dans une deuxième école. L’encoprésie a disparu, les parents restant très attentifs à la constipation. La lecture est acquise. Il persiste bien entendu des difficultés attentionnelles, langagières et, devant quelques aspects un peu discordants de la prise d’initiatives, je me pose la question d’une atteinte frontale discrète. Mais tout va bien jusqu’au CE2, où les parents de nouveau catastrophés m’interpellent avant la date prévue de notre prochain rendez-vous. L’encoprésie a réapparu de façon très gênante et G. a des conduites d’opposition, une agitation qui contrastent singulièrement avec les précédentes années. On programme une équipe éducative en urgence. Je constate alors que l’AVS a changé et que la personne qui le prend en charge n’est absolument pas dans ce qu’on pourrait appeler la juste distance. Elle est extrêmement intrusive, exigeant de G. des réponses qu’il ne peut donner, et maintient envers lui une proximité physique que n’importe qui trouverait intolérable. Pour parler net, elle le marque à la culotte. La psychologue scolaire qui fera une observation en classe me fait part de son effarement devant la pression qu’il subit. Sachant que, si l’on met en place un PAI, c’est très probablement l’AVS qui se trouverait en charge de cette tâche qui suppose un minimum d’empathie et de délicatesse, le problème paraît insoluble. Je me résous à en faire part à l’inspecteur académique en charge de la scolarité des enfants handicapés. Le changement d’AVS réglera le problème. Celui-ci resurgira en fin de scolarité. Mais là, l’origine du problème ne pourra trouver aucune solution académique. G. est amoureux, avec candeur, avec Médecine & enfance emportement et sans aucune discrétion. Malheureusement pour lui, l’objet de sa flamme, non seulement ne le lui rend pas, mais est d’autant plus troublée par ce sentiment qu’il vient d’un enfant différent, dont l’étrangeté la menace jusque dans son statut auprès de ses camarades. Elle, qui faisait autrefois partie du groupe de celles qui avaient pris une position protectrice et quasi maternante, se défend de cette intrusion avec une violence proche de la haine. Et sans doute beaucoup d’angoisse. G., qui n’a pas beaucoup de mots, souffre. BULLETIN Là encore, il n’y aura pas de PAI. Epuisés par ces difficultés d’ajustement, les parents choisiront de ne plus scolariser G. qu’à mi-temps, la mère assurant le reste de la scolarité à la maison. G. a intégré une SEGPA (section d’enseignement général et professionnel adapté) l’année suivante. Il va bien. Les trois épisodes d’encoprésie ont, chaque fois, résulté de la confrontation de G. avec un espace ou des personnes rejetantes et ont eu pour effet de majorer l’incompréhension de ce qu’il a toujours été dans l’intimité de la famille et de la D’ABONNEMENT A consultation : un enfant souvent gai, affectueux et terriblement désireux de bien faire. Il reste à savoir pourquoi il a réagi à chaque fois de cette façon-là. Peut-être a-t-il, au milieu de toutes ses difficultés praxiques, une vulnérabilité particulière qui l’empêche de percevoir le besoin d’exonération dans les moments de tension. Peut-être que le trouble du langage a maintenu plus longtemps qu’un autre l’encoprésie comme moyen d’expression. Il faut espérer en tout cas que l’adolescence lui 첸 donne d’autres clés. MEDECINE & ENFANCE NOM Prénom Adresse Code postal, ville Adresse courriel Votre spécialité Je m’abonne (indiquez votre choix en cochant une case) Particulier ou collectivité Institution Etudiant Pour un an (10 numéros) 첸 70 € 첸 90 € 첸 45 € Pour deux ans (20 numéros) 첸 120 € 첸 160 € 첸 70 € Tous les numéros depuis 1999, à l’exception des quatre derniers publiés, sont en accès libre sur le site de la revue : medecine-et-enfance.net 첸 Je joins un chèque à l’ordre de Médecine & enfance 첸 Règlement par mandat administratif Bulletin à photocopier ou à télécharger sur le site et à envoyer à Médecine & enfance, 42 avenue Bugeaud, 75116 Paris. Un reçu vous sera adressé. Abonnement réservé aux professionnels de santé novembre 2013 page 308