Médecine
& enfance
novembre 2013
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L’ENCOPRÉSIE VUE
PAR UN GASTROPÉDIATRE
O. Mouterde
L’encoprésie, trouble fonctionnel intesti-
nal, est définie comme des fuites fécales
chez un enfant au-delà de l’âge de l’acqui-
sition de la propreté. Ce texte reflète la
pratique et l’opinion d’un gastropédiatre,
confronté de façon fréquente à des en-
fants en souffrance, encoprétiques depuis
parfois des années.
TROIS TABLEAUX SONT BIEN
DIFFÉRENCIÉS
L’encoprésie «volontaire »
Il sagit de lémission volontaire de
selles dans un endroit inapproprié, ce
que nous considérons comme un
trouble du comportement justifiant une
prise en charge par un psychologue ou
un pédopsychiatre. On peut en rappro-
cher le refus d’acquérir la propreté ma-
nifesté par certains enfants. Cette étape
s’est mal passée, avec différentes mal-
adresses parentales qui ont pu influen-
cer défavorablement l’idée que l’enfant
se fait de la défécation. Citons le for-
cing, éventuellement précoce (s six
mois), pour obtenir la propreté, des pa-
rents barbouillant le visage de leur en-
fant de selles pour le punir de se
souiller, un père vomissant car ne sup-
portant pas la vue et l’odeur des selles
de son nourrisson, les messages insis-
tant sur le caractère « sale » des selles,
l’obsession de la propreté ou d’une selle
quotidienne La conséquence en est
souvent le refus d’aller aux toilettes, des
enfants de plus de trois ans demandant
qu’on leur mette une couche, ou se ca-
chant derrière un meuble pour déféquer
et émettant alors des selles complètes.
Une discussion avec les parents et l’en-
fant permet assez souvent de venir à
bout de ce comportement. A défaut, l’ai-
de d’un psychologue est demandée.
L’encoprésie non rétentionnelle
L’encoprésie non rétentionnelle est per-
toriée dans les troubles fonctionnels di-
gestifs par les critères de Rome. Il s’agit
d’enfants ayant des fuites incontrôlées,
non provoqes par des fécalomes ou une
Encoprésie ou encoprésies?
O. Mouterde, gastropédiatre, département
de pédiatrie, CHU de Rouen, et Faculté de
médecine, Université de Sherbrooke, Canada
M. Boublil, pédopsychiatre, pôle mère-enfant,
service de psychopathologie de l'enfant et de
l'adolescent, centre hospitalier d’Antibes
E. Pino, médecin de l’Education nationale,
Pont-l’Abbé
Chaque encoprésie est particulière. Pourtant, chaquedecin a une théorie
sur l’encopsie, mais qui ne repose en fait que sur le type d’encopsie qu’il a
coutume de voir. Peut-on tenter d’unifier cette variété et parler d’encopsie ?
Un récent échange sur le forum de discussion de decine & enfance montre
que les querelles moliéresques du foie et du poumon, comme celle plus sé-
rieuse des circulateurs et contre-circulateurs, peuvent ressurgir à propos de ce
qui n’est qu’un symptôme que l’on peut aborder de diverses manières et pour
lequel la demande parentale est aussi très diverse, depuis l’envie d’être débar-
raspar le médecin d’unene (comme pour une voiture : « réparez le problè-
me, c’est votre tier ») jusqu’au désir d’en comprendre le sens (« pourquoi
fait-il ça et pourquoi maintenant ? »).
Un gastroentérologue, undopsychiatre et undecin scolaire vont icicri-
re leur pratique quotidienne de manière vivante, afin que cela apporte à la-
flexion, sans que personne n’ait tout à fait raison ni tout à fait tort.
M.B.
REGARDS CROISÉS
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attitude de tention. Quand il est fait, le
toucher rectal ne trouve pas de fécalome.
Les laxatifs sont contre-indiqués au profit
de ralentisseurs du transit. Ce syndrome
est en fait exceptionnel (2 enfants en
vingt-cinq ans d’expérience, versus plus
de 1500 encopsies sur constipation!) et
sa physiopathologie est obscure, faisant
appel à une immaturité mentale et/ou
physiologique. Des sévices sexuels peu-
vent avoir cette conséquence.
Le tableau de loin le plus fréquent :
l’encoprésie secondaire
à la constipation
Dans limmense majorité des cas, le
gastropédiatre prend en charge des en-
fants chez qui l’encoprésie est le stade
ultime dune constipation. Les selles
s’accumulant dans le rectum finissent
par entraîner une béance anale relati-
ve, responsable de fuites de selles
molles dans les sous-vêtements (fausse
diarrhée). L’émission de selles est invo-
lontaire, fréquente et incontrôlée ; l’en-
fant sadapte au trouble et na pas
conscience de sentir mauvais, ce qui
peut choquer lentourage qui pense
qu’il le fait exprès. L’encoprésie due à la
constipation est parfois associée à une
énurésie, par dysfonctionnement de la
vessie du fait des fécalomes. L’interro-
gatoire met en évidence le signe « clé »,
qui est l’élimination de selles volumi-
neuses et dures à intervalles pouvant
atteindre trois semaines. L’examen ne
trouve pas de signes d’organici : dé-
bâcles à l’introduction du thermomètre,
subocclusions ou retard de croissance,
anomalie du dos ou du périnée. Des fé-
calomes sont souvent palpables en sus-
pubien.
Le mécanisme initial est l’attitude de ré-
tention, qui aboutit à la constitution
progressive de fécalomes puis à l’enco-
présie. La rétention peut être due à un
épisode de constipation passagère, avec
une selle dure émise douloureusement
qui incite l’enfant à se retenir ensuite,
réalisant un cercle vicieux qui peut du-
rer des mois ou parfois des années.
Dans la plupart des cas, la rétention est
liée à l’éducation. Tout d’abord à l’édu-
cation à la propreté, et dans ce cas elle
se manifeste dès deux ans. Malgré la dé-
finition officielle, qui met la limite à
quatre ans, il existe d’authentiques en-
coprésies sur constipation avant cet
âge. L’émission de selles volumineuses
et dures permet de faire la distinction
avec un enfant nayant pas acquis la
propreté. Ensuite, lécole maternelle
prend le relais, le caractère collectif des
toilettes induisant chez certains enfants
une attitude de rétention due à la pu-
deur. Et cela continue en primaire et au
collège, divers facteurs, pour ne pas
dire des quasi-sévices, rendent l’accès
aux toilettes difficile et font que beau-
coup d’enfants se retiennent : nombre
de wc limité, portes fermées à clé entre
les récréations (pour éviter qu’on y fu-
me), portes ne fermant pas, manque
d’hygiène (quand ce n’est pas, histoire
vraie, l’obligation institutionnelle d’al-
ler demander du papier toilette chez la
directrice). Les âges de deux, trois, six
et onze ans sont donc des caps impor-
tants, et sont évocateurs de la cause de
l’encoprésie.
RÔLE DU PÉDOPSYCHIATRE
DANS L’ENCOPRÉSIE SECONDAIRE
À LA CONSTIPATION
Un « psy » sera impuissant face à ce type
d’encoprésie. Le sympme « encopré-
sie » est la conséquence plus ou moins
lointaine de la rétention fécale. Il n’est
pas volontaire et est lié à un fécalome.
La solution n’est donc pas de « con vain -
cre » ou de faire évoluer un enfant, com-
me dans la situation de l’encoprésie « vo-
lontaire ». Le gastropédiatre ou le -
diatre doit « mettre l’enfant en état de
guérir». On pourrait dire « mettre le mé-
canisme de défécation en état de fonc-
tionner normalement», car il est pertur-
bé, parfois de façon ancienne et durable,
par la constipation et les fécalomes. En-
suite, la volonté de lenfant pourra
s’exercer, et, selon les situations décrites
ci-dessous, un accompagnement psy-
chologique pourra être bénéfique.
La cause de la rétention mérite attention.
Il s’agit plus souvent de garçons. Pour-
quoi se retiennent-ils ? Pudeur normale
ou excessive, conditions de l’acquisition
de la propreté, mauvaises conditions de
défécation à l’école, structure psycholo-
gique particulière, famille ? La question
n’est pas « pourquoi a-t-il des fuites »,
mais « pourquoi s’est-il retenu ? ». Cette
cause peut nécessiter une aide. Les sé-
vices doivent rester une hypothèse en fi-
ligrane. La douleur à lémission des
selles peut être une cause, aisément ré-
glée par les laxatifs. La raison initiale
est cependant bien souvent oubliée
quand l’enfant consulte, parfois des an-
nées plus tard. Lors de la prise en char-
ge, la cause importe parfois peu, et
beaucoup d’enfants motivés guérissent
avec l’aide du diatre sans autres in-
tervenants.
Les conséquences de lencoprésie doi-
vent être prises en compte, quelle qu’ait
été la cause de l’attitude de rétention.
L’enfant est souvent stigmatisé dans sa
famille et à l’école. Il s’installe un jeu de
relations le plus souvent négatives,
mais où l’enfant trouve parfois son inté-
rêt : conflit entre les parents, façon
dexister dans la famille, exception à
l’école. Certains enfants encoprétiques
explorés pour une petite taille avaient
un profil endocrinien de nanisme psy-
chosocial ! Il n’est pas exceptionnel de
recevoir un adolescent de quinze ans
portant des couches depuis des années :
on imagine les conséquences sociales et
affectives…
L’enfant qui ne «veut pas guérir » a besoin
d’aide. Il cache ses sous-vêtements, jette
ses dicaments. Les parents sont en
conflit à ce sujet, et finalement l’enfant
existe dans son milieu familial par ce
trouble. Il se greffe une part volontai-
re, l’enfant tirant néfice d’une enco-
présie involontaire. Il peut exister une
ambiance délétère la mère lave son
enfant de huit-dix ans, voire plus, admi-
nistre lavements et suppositoires. L’en-
fant passif ou ladolescent qui ne suit
pas son traitement sont des situations
non spécifiques de l’encoprésie et dont
la prise en charge est autre.
TRAITEMENT DE L’ENCOPRÉSIE
SECONDAIRE À LA CONSTIPATION
Pour le gastropédiatre, le traitement est
bien codif. Il est à la fois très efficace et
décevant. Efficace, car il est possible
d’obtenir la fin des souillures en quelques
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jours ; décevant, car le traitement peut
être long et les rechutes fréquentes.
La clé du traitement est l’utilisation pro-
longée de laxatifs à forte dose. La pres-
cription de laxatifs est précédée d’une
phase l’on cherche à évacuer les fé-
calomes, seuls responsables des fuites,
par des lavements (trois ou quatre jours
de suite) ou, quand la voie anale est re-
fusée par l’enfant, par de fortes doses de
PEG de type préparation de coloscopie.
L’utilisation de laxatifs sans désimpac-
tion fait souvent précéder l’améliora-
tion d’une aggravation des souillures,
ce qui entraîne fréquemment une dimi-
nution ou un arrêt du traitement… Le
laxatif est prescrit à forte dose (c’est-à-
dire en quantité suffisante pour obtenir
une selle molle tous les jours) et long-
temps, pendant des mois sil le faut
(certains conseillent un traitement égal
à la durée antérieure du trouble). Le
PEG est très (voire exclusivement) utili-
par les gastropédiatres.
Le troisième volet du traitement est la
rééducation. La guérison est rendue
possible par la désimpaction et les laxa-
tifs, mais la motricité colorectale est
perturbée et la sensation de besoin
émoussée. Il faut donc demander à l’en-
fant, en sachant quil nen ressent ja-
mais l’envie, de se présenter systémati-
quement aux toilettes tous les jours,
après un repas, et de prendre son
temps. Pendant les premières semaines,
certains enfants sont aidés par des sup-
positoires d’Eductyl®, qui clenchent
la sensation de besoin.
Il faut savoir qu’aucun régime ne vient à
bout d’une telle constipation. Point be-
soin de s’acharner : des fruits, des -
gumes, de l’eau, un verre de jus de pom-
me, poire ou prune, voilà les seuls
conseils à donner, c’est-dire une ali-
mentation saine, raisonnablement riche
en fibres et non un « régime ».
Ce traitement a souvent une efficaci
spectaculaire et rapide, mais les échecs
sont fréquents. Outre le refus actif de
lenfant de guérir, lobservance peut
être insuffisante, des traitements com-
me des conseils. Les parents ont parfois
peur des laxatifs et tentent de les inter-
rompre trop tôt, ou n’apportent pas suf-
fisamment de soutien à l’enfant. Parfois
une apparence de guérison amène à re-
lâcher l’attention. On assiste donc à des
situations contrastées, entre l’enfant qui
guérit en quatre jours et ne récidive ja-
mais et lévolution désespérante d’un
enfant ou d’une famille non observants.
Le traitement pose le problème des ma-
uvres endoanales, suppositoires et
lavements. Ceux-ci, déconseillés de
principe par certains, honnis dans cer-
tains pays comme le Royaume-Uni, peu-
vent être acceptés facilement. S’ils sont
prescrits de manière limitée dans le
temps et à bon escient, ils ont une bon-
ne efficacité et semble-t-il peu de consé-
quences. Sils sont refusés farouche-
ment par lenfant, dautres solutions
sont trouvées (désimpaction par voie
orale, routine quotidienne des toilettes
sans suppositoires).
Quelques pistes sont données aux pa-
rents pour faciliter la guérison :
défécation ne doit pas ou plus être au
centre de la vie de la famille. Cela peut
paraître paradoxal alors que lon de-
mande strictement une selle par jour…
Mais le but est que la fécation rede-
vienne une fonction naturelle, que l’on
satisfait dans l’intimité sans se poser de
question, et ne soit plus un événement ;
acquérir la propreté est un progrès et
matérialise le fait que l’enfant grandit,
ce qui doit donc être valorisant pour lui.
L’absence de souillure permettra plus
de choses : piscine, classes vertes… Cer-
tains enfants nous remercient dun
grand sourire lorsqu’on les félicite des
progrès accomplis. Un enfant qui ne fait
pas d’efforts peut être « puni », mais de
façon logique par rapport au trouble et
en montrant la voie à suivre : « je regret-
te mais je ne peux pas imposer à la ma-
man de ton copain d’avoir à te laver ;
quand tu auras fait des progrès comme
le médecin te l’a indiqué, tu pourras fai-
re plus de choses » ;
il est important que ce sujet, qui est
parfois le centre d’intérêt (négatif) dans
la famille, ne disparaisse pas sans être
remplacé par quelque chose de positif,
comme si l’enfant n’existait plus ou exis-
tait moins. J’encourage donc les parents
à faire des choses avec l’enfant : sport,
dessin, bricolage, pour que la page soit
tournée sans regrets.
CONCLUSION
L’encoprésie est très fréquente et sou-
vent longtemps négligée, car honteuse
ou mal comprise. Elle a des consé-
quences majeures sur l’enfant, et par-
fois des conséquences organiques à
long terme. La constipation occupe le
tout premier plan dans les causes d’en-
coprésie non volontaire. La rétention en
est à l’origine, due à l’interaction entre
lenfant, son milieu, léducation à la
fonction naturelle de défécation et mal-
heureusement aux conditions offertes
aux enfants scolarisés pour satisfaire
cette fonction naturelle. La prise en
charge psychologique ne pourra pas
tout. Il en va de même pour la prise en
charge médicale quand la cause ou les
conséquences de l’encoprésie justifient
un bilan et un soutien psychologiques.
L’ENCOPRÉSIE VUE
PAR UN PÉDOPSYCHIATRE
M. Boublil
« Per via di levare » (Léonard de Vinci)
Tout le monde a des problèmes avec les
selles : crainte de ne pas y aller (constipa-
tion), crainte de ne pas se retenir… Cha-
cun a connu ce type de difficultés, à un de-
gré ou à un autre, parfois consciemment,
parfois au niveau des fantasmes ou des
rêves, ou même des rêveries. Dans Domi-
cile conjugal (François Truffaut), le héros
rassemble livres et revues avant daller
s’enfermer pour ses besoins. Des person-
nages éminents sont connus pour leur
constipation opiniâtre (Martin Luther). Mi-
chel Tournier introduit ce thème dans son
Roi des aulnes.
L’encoprésie frappe deux âges de la vie :
la vieillesse (on parle de troisième ou de
quatrième âge) et l’enfance. L’encopré-
sie que l’on rencontre le plus souvent est
pourtant celle de l’enfant, chez qui le pé-
dopsychiatre rencontre deux cas de figu-
re : l’« encopsie volontaire », comme
l’appelle Olivier Mouterde, et l’encopré-
sie-rétention résistante au traitement.
L’« encoprésie volontaire » concerne un
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enfant d’intelligence normale, qui a ac-
quis normalement la maîtrise sphincté-
rienne et qui, tout dun coup ou pro-
gressivement, se met à déféquer sur lui,
étant apparemment tout à fait indiffé-
rent aux conséquences et ne réclamant
pas d’être changé. Lorsqu’on le voit en
consultation, il ne dit sespérément
rien et, au mieux, pleure sans faire au-
cun lien. Les parents réagissent mal, et,
selon leur degré de tolérance, se mon-
trent soit violents (le nez dans le caca),
soit passifs (ils font comme sils ne
voyaient rien), avec, entre ces deux ex-
trêmes, tous les degrés imaginables.
Le pédopsychiatre, à qui on envoie sou-
vent les encoprétiques résistants, est
dans la position de celui à qui on en-
voie les problèmes insolubles par la lo-
gique et la raison, et il se retrouve dé-
muni face à une famille qui attend une
solution, et face à un enfant sans de-
mande, si ce n’est celle de ne plus être
encoprétique, mais sans pouvoir en di-
re davantage. L’enfant est confron
à une folie de son corps que sa raison
ne peut maîtriser : ce qui se passe est
plus fort que lui. Dans ces cas, le terme
« psychogène » me semble préférable à
celui de « volontaire », puisque aucune
cause, ni explication, ni stratégie orga-
nique ne fonctionne.
[Vignette clinique. Lionel, quatre ans,
est en moyenne section de maternelle.
Depuis un mois, il est sans cesse impré-
gné de selles malodo rantes en classe
(mais pas à la maison), au point qu’une
réunion est organisée en urgence, je
me rends pour entendre que l’école ne
peut garder un enfant comme lui, et
que le passage en grande section est
problématique, car la maîtresse qui
s’occupe de cette section ne l’acceptera
pas. Une auxiliaire de vie scolaire est
demandée mais non obtenue.
Nous ne connaissons dans un premier
temps que le père de l’enfant. Il a quitté
la mère et demandé le divorce, alors
que la mère dit encore aimer son mari
et ne veut pas de paration. Chez la
mère, le déni de tout problème est tel
quil ressemble à une idée délirante.
D’ailleurs, le psychiatre qui la suit finit
par l’hospitaliser devant ses menaces de
se suicider si son mari ne renonce pas à
sa demande de divorce. L’enfant vit cet-
te situation mais il n’en dit pas un mot.
Il est également attaché à ses deux pa-
rents et semble sidéré par la situation,
dont il n’arrive pas à parler, ne parve-
nant pas à se la représenter.
La situation, malgré un suivi régulier de
l’enfant et de son père (la mère refuse
de venir) n’évolue pas, jusqu’au jour
la mère, suivie régulièrement, finit par
aller mieux. Cela correspond au mo-
ment où Lionel entre au CP. Elle accep-
te enfin la séparation, n’est plus dépres-
sive et ne refuse plus de venir aux entre-
tiens. Seule lévolution de la mère a
guéri l’enfant, dont le corps seul a expri-
l’impossibilité pour lui de se repré-
senter la séparation de ses parents.]
[Vignette clinique. Antoine a dix ans.
Depuis quatre mois, il est encoprétique
tous les jours. Ni lui ni sa mère ne disent
quelque chose du déclenchement. Des
conseils suffisent à faire dispartre le
problème pendant trois mois. A la re-
chute je les revois. J’apprends qu’il y a
un an Antoine a perdu brutalement son
grand-père maternel, qu’il voyait tous
les week-ends et qui lui était très atta-
ché. En outre, trois mois après le décès
du grand-père, on a découvert à la mère
une maladie de Bouveret, si grave que
cette jeune femme de trente-six ans est
en invalidité. Les crises continuent de se
produire, qui la plongent dans des états
de panique : à ces moments-là, elle a le
sentiment d’une mort imminente pos-
sible. Miraculeusement, cet entretien
délucidation fait cesser lencoprésie.
Pas de rechute depuis huit mois.]
Nous sommes dans un domaine qui res-
semble à la psychosomatique. Des affects
trop douloureux sont mis de côté, isolés
de la conscience par un clivage efficace.
Ces affects ne sont me pas pens,
c’est-à-dire qu’ils ne font pas l’objet d’une
représentation ou d’interrogations dans
l’esprit de l’enfant. Ils sont encore moins
verbalisés, ni intérieurement ni à un in-
terlocuteur, d’où leur émergence sous la
forme des selles, symptôme émergent
d’un affect irreprésentable.
La mise en liens, le regard porté sur le
contexte psychoaffectif peuvent seuls
permettre de comprendre la valeur éco-
nomique du symptôme.
La dimension « économique » dans la
théorie psychanalytique est issue du désir
permanent de Freud de conceptualiser le
fonctionnement de l’appareil psychique
en utilisant létat des connaissances
scientifiques de l’époque. Breuer, influen-
par la découverte de Helmholtz du
deuxième principe de la thermodyna-
mique (dégradation de l’énergie), initie
cette modélisation. Helmholtz désignait
par énergie libre «celle qui est capable de
se transformer librement en dautres
sortes de travail », et énergie liée « celle
qui ne peut se manifester que sous forme
de chaleur ». L’analogie avec les affects
est simple : libre est employé au sens de
liberté, de capacité de circulation, de ca-
paci à entrer dans des liens mis en pla-
ce par le moi sans le déborder.
Plus tard, dans Au-delà du principe de
plaisir, Freud affine son système : la
liaison est conçue comme une influence
du moi sur le processus primaire (rêves,
fantasmes) et le soumettant au principe
de réalité. Quand le moi ne peut remplir
ses fonctions, soit en raison de la massi-
vité de l’énergie libre (trauma, deuil,
perte, échec, blessure), soit par capacité
insuffisante du moi à lier cette énergie
(période difficile, trouble de la person-
nalité, dépression), soit à cause des
deux à la fois, apparaît le débordement
du moi et l’émergence du symptôme so-
matique, ici l’encoprésie.
Peut-on qualifier ce type d’encopsie
de « psychosomatique » ? Cela est à dis-
cuter, mais dans ma pratique, à chaque
fois, un événement, un trauma dont on
me disait quil navait aucun rapport
avec létat de l’enfant était en fait en
cause. Cette vision, démodée en appa-
rence ou simpliste (c’est celle du Pr Von
Himbergeist dans La grison des Dal-
ton), correspond pourtant à ce qui est
observé en clinique, et la mise en mots
est efficace sur les symptômes.
Venons-en à l’encoprésie-rétention qui
résiste au traitement chez le petit enfant
(trois-quatre ans). Les parents sont an-
goissés et l’école menace de ne pas gar-
der lenfant. L’histoire est toujours la
même : l’enfant a été constipé, a eu des
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expériences précoces de douleurs à l’exo-
nération, de dilatation anale importante
et, de crainte de connaître à nouveau
une telle expérience, refuse d’aller sur le
pot ou sur les wc, position qui favorise
lexonération complète. Par contre, il
veut bien faire debout, dans sa culotte ou
dans la couche que les parents refusent
de lui remettre, ce qui entrne une enco-
présie nuisible à son insertion sociale.
Le ramollissement des selles par voie
orale (Movicol®), lautorisation de la
couche au moment l’enfant sent l’en-
vie et la demande glent le problème
de la propreté sociale. Beaucoup de pa-
tience est nécessaire pour attendre que
l’enfant aille seul à la selle, et beaucoup
de résistances médicales et familiales (il
m’est arrivé de faire un certificat pour la
grand-mère, enseignante à la retrai-
te…) sont à surmonter.
Chaque encoprésie, en dehors de son
mécanisme, a son sens ; il n’est pas in-
dispensable de le connaître pour soi-
gner le mal, car la gêne, souvent majeu-
re dans la vie sociale, doit être soulagée
le plus rapidement et le plus radicale-
ment possible. Ce n’est que dans les cas
atypiques ou rebelles que lenfant est
adressé au pédopsychiatre, et les jeunes
patients nous arrivent après un par-
cours où tout a déjà été tenté.
Lencoprésie de Lhomme aux loups
(l’une des cinq psychanalyses de Freud)
avait le sens, pour un enfant de quatre
ans et demi, d’une identification com-
plexe à sa mère qui souffrait de ses mé-
trorragies. Pour chaque enfant se déve-
loppe autour dun symptôme sociale-
ment honteux une problématique intri-
quée physique et psychoaffective.
Pourquoi cet exergue de Léonard de Vin-
ci ? Ce dernier oppose deux manières de
créer : celle « per via di porre» (la peintu-
re, que l’on « pose » sur la toile) et celle
« per via di levare » (la sculpture, où l’on
« enlève» de la matière). La statue est dé-
incluse dans le bloc de marbre, et l’ar-
tiste la révèle par son art. Dans l’enco-
présie, ledopsychiatre est plutôt com-
me le sculpteur, c’est-à-dire un révéla-
teur des liens entre le langage du corps
et son sens, cette révélation étant au
cœur de l’action thérapeutique.
L’ENCOPRÉSIE VUE PAR
UN MÉDECIN SCOLAIRE
E. Pino
Comme le dit M. Boublil, il y a tant
d’encopsies difrentes quil est per-
mis au professionnel d’en bâtir une ty-
pologie à l’aune de sa propre pratique.
Celle du médecin scolaire pourrait dé-
buter sommairement : il y a d’un
les cas qui se dévoilent dans l’intimité
de la consultation, qu’elle ait lieu lors
d’une visite systématique de la classe
d’âge ou lors d’un examen à la deman-
de. De l’autre côté, il y a celles qui ont
envahi lespace public, sur lesquelles
l’école nous quisitionne plus encore
quelle nous alerte, tant le symptôme
est obsédant, tenace, entêtant. Bien en-
tendu, cette division binaire nous suffi-
ra rarement. Il y en a, en fait, bien
d’autres possibles. On peut distinguer
ce qui peut apparaître comme un « acci-
dent rétentionnel » dont l’enfant n’arri-
ve pas à se sortir sans intervention, et ce
qui s’inscrit plus profondément dans un
contexte dexpression de soi ; les en-
fants acteurs de leur prise en charge et
ceux qui resteraient volontiers la jour-
née dans leur bain de matières… Mais
dans cet exercice de regards croisés, on
choisira de considérer ce qui fait la par-
ticularité de l’exercice du decin de
lélève : lirruption scandaleuse de la
matre fécale dans une institution au
demeurant souvent fort mal à laise
avec les fonctions d’excrétion. Ce n’est
un secret pour personne : il reste encore
à écrire le grand roman vrotique de
l’école française et de ses toilettes. L’in-
ventaire des encoprésies ne serait sans
doute pas complet s’il ne mentionnait
les encoprésies que lécole elle-même
sécrète, à grands coups de locaux désas-
treux, d’accès limités et de distribution
pointilleuse, voire mesquine, de papier
toilette.
QUELLE PRISE EN CHARGE
À L’ÉCOLE ?
Il est bien évident que les encoprésies
qui n’ont pas été signalées à l’école ne
doivent surtout pas faire l’objet d’une
quelconque mention à celle-ci. Le rôle
du médecin scolaire sera de s’assurer de
l’accès aux soins de son jeune patient. Si
l’état des sanitaires apparaît comme fac-
teur clenchant, il faut bien entendu
interpeller les municipalis. Dans les
autres cas, un PAI peut être discuté. Sa
cessité est à évaluer en fonction du
contexte, du caracre envahissant du
trouble ou de l’intolérance de l’école.
Bien que la prise en charge repose sur
des gestes ne demandant aucune tech-
nicité, le PAI (projet d’accueil indivi-
dualisé) peut être extrêmement compli-
qué à mettre en place. C’est probable-
ment lun de ceux qui demandent le
plus d’attention au contexte : pour quel
enfant, dans quelles limites, avec
quelles personnes ?
Le but du PAI, comme de toute la prise
en charge de l’encoprésie, c’est de per-
mettre des gestes simples en limitant les
effets d’excitation, de bâtir un cadre suf-
fisamment banalisé pour que la vie de
l’enfant et de son entourage cesse de
tourner autour de cette fonction.
Il faut naviguer entre plusieurs écueils.
Les premiers sont celui de la répulsion
de ladulte, souvent marquée par le
soupçon que souiller sa culotte est un
acte délibéré, et celui qui poserait l’en-
fant comme entièrement passif. Or, si
l’enfant n’a pas le contrôle de l’émission
de selle, ni même le choix de cette émis-
sion comme symptôme névrotique, il
garde un certain contrôle sur la possibi-
lité de se mettre au propre et de limiter
les effets de l’encoprésie sur sa vie so-
ciale. De plus, comme dans tout PAI éta-
bli pour une pathologie ayant des as-
pects comportementaux, le risque est
de renchérir sur les bénéfices secon-
daires de la sollicitude familiale et d’y
cantonner lenfant. Autant il est pos-
sible de renouveler par accord tacite des
PAI dasthme qui ne changeront pas
pendant des années, autant il est im-
pensable de renouveler des PAI d’enco-
présie sans avoir pris des nouvelles de
l’évolution.
Favoriser un accès gulier à des toilettes
décentes, trouver un moyen de laver et
changer l’enfant quand il ne peut le faire
lui-même, choisir selon lâge entre la
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