P A T H O L O G I E M U S C U L A I R E Attitude diagnostique devant un déficit de la ceinture pelvienne ● C. Tranchant* n déficit moteur bilatéral de la ceinture pelvienne, d’installation progressive, est dans la majorité des cas le témoin d’une souffrance musculaire primitive. La connaissance de plus en plus précise de la cellule musculaire, de son fonctionnement, de ses protéines constitutives, structurelles et enzymatiques, s’est accompagnée d’une révision de la nosologie de ces maladies. Les entités suivantes peuvent être individualisées : – les dystrophies musculaires, congénitales ou non, dont la classification repose sur la nature de la protéine altérée (tableau p. 6). Depuis la découverte de la dystrophine et de son gène, ont également été identifiées les protéines du complexe sarcoglycanes, puis d’autres protéines sarcolemniques (dysferline, cavéoline), des protéines cytosoliques (calpaïne 3), sarcomériques (myotiline, téléthonine), nucléaires (lamine, émerine, etc.), et de la matrice extracellulaire (mérosine, etc.) ; – d’autres myopathies héréditaires, qu’elles soient congénitales, métaboliques, inflammatoires (en particulier, les myosites à inclusion) ou de mécanisme encore inconnu (myopathie proximale myotonique : PROMM) ; – les myopathies acquises inflammatoires (polymyosites, myosires à inclusions) et, plus rarement, iatrogènes (statines, AZT, etc.). U Confirmer l’origine myogène d’un déficit moteur pelvien est en règle générale facile grâce au dosage des enzymes musculaires et à l’électromyographie. En revanche, en préciser l’étiologie est souvent difficile, voire impossible, avant la réalisation d’une biopsie musculaire (études histologiques et moléculaires) et d’une étude génétique. Toutefois, la recherche des antécédents personnels et familiaux, l’étude de l’éventuel mode de transmission, l’âge de début des symptômes, la topographie du déficit et de l’amyotrophie, la présence de signes associés (myotonie, cardiopathie, rétractions précoces, etc.) permettent d’orienter le diagnostic. * CHRU de Strasbourg. La Lettre du Neurologue - Hors-série - avril 2002 Le premier élément d’orientation est le mode de transmission. Si l’on exclut la myopathie myotubulaire de révélation néonatale, les myopathies liées à l’X se résument aux dystrophies musculaires de Duchenne (DMD) et de Becker (BMD). Une transmission autosomique récessive oriente vers une dystrophie musculaire par déficit en sarcoglycanes, dysferline, calpaïne ou téléthonine, ou vers certaines myopathies congénitales ou métaboliques, une transmission autosomique dominante vers un déficit en myotiline, lamine ou cavéoline 3 ou vers une PROMM. Les formes sporadiques peuvent être inflammatoires, métaboliques ou iatrogènes. L’origine ethnique du patient peut constituer un élément d’orientation, avec une fréquence plus élevée des dystrophies musculaires par déficit en γ-sarcoglycanes dans les familles tziganes ou du Maghreb, et des dystrophies par déficit en calpaïne sur l’île de la Réunion. L’âge de début de la symptomatologie peut être un élément d’orientation trompeur, car des formes tardives de la plupart des myopathies on été décrites. Néanmoins, on évoque en priorité, chez le nouveau-né ou le nourrisson, une dystrophie congénitale, une myopathie myotubulaire ou une forme néonatale de maladie de Steinert et, devant un retard à la marche, une myopathie congénitale ou métabolique. Chez le jeune enfant qui vient d’acquérir la marche, la dystrophie musculaire de Duchenne chez le garçon et les sarcoglycanopathies dans les deux sexes sont les diagnostics les plus fréquents. La topographie des anomalies musculaires, appréciée par l’examen clinique ou aidée par l’examen électromyographique et le scanner musculaire, est la seconde étape importante d’orientation du diagnostic étiologique. Une hypertrophie des mollets oriente en premier lieu vers une dystrophinopathie ou une sarcoglycanopathie. L’étude attentive des muscles des membres inférieurs montre une atteinte plus importante des muscles pelviens que des muscles fémoraux dans les sarcoglycanopathies. Un respect des abducteurs de cuisse associé à une atrophie musculaire précoce et à des rétractions musculaires distales (plus rarement axiales) donne aux patients porteurs d’un déficit en calpaïne une démarche caractéristique. Une atteinte 5 P A T H O L O G I E M U S C U L A I R E Tableau. Dystrophies musculaires avec déficit moteur pelvien prédominant. Diagnostic Transmission Protéine (PM) Gène Locus Début Clinique CPK Myopathie de Duchenne Myopathie de Becker X Dystrophine (427 kDa) Xp21.2 DMD BMD < 10 ans > 10 ans – hypertrophie des mollets – perte précoce de la marche dans DMD – atteinte cardiaque ± α-sarcoglycanopathie AR α-sarcoglycane (50 kDa) 17q12 LGMD2D < 10 ans – hypertrophie des mollets – atteinte prédominante sur muscles pelviens + ß-sarcoglycanopathie AR ß-sarcoglycane (43 kDa) 4q12 LGMD2E – atteinte scapulaire précoce associée γ-sarcoglycanopathie AR γ-sarcoglycane (35 kDa) 13q12 LGMD2C – l’α-sarcoglycanopathie est la plus fréquente δ-sarcoglycanopathie AR δ-sarcoglycane (35 kDa) 5q33 LGMD2F – la γ-sarcoglycanopathie est plus fréquente dans le Maghreb et dans les familles tziganes Dysferlinopathie AR Dysferline (230 kDa) 2p13 LGMD2B 15-20 ans – atteinte prédominante sur muscles postérieurs de cuisse – atteinte distale (loge postérieure de jambe) clinique ou infraclinique souvent associée +++ Calpaïnopathie AR Calpaïne 3 (94 kDa) 15q15 LGMD2A 2-40 ans (8-15) – respect des abducteurs de cuisse – atteinte scapulaire précoce – rétractions tendons d’Achille – absence d’atteinte cardiaque ++ Téléthoninopathie AR Téléthonine (22 kDa) 17p11 LGMD2G 9-15 ans – atrophie ou hypertrophie des mollets – atteinte cardiaque non exceptionnelle – l’atteinte distale peut être prédominante + Déficit en myotiline AD Myotiline (57 kDa) 5q22 LGMD1A 18-35 ans – voix nasonnée et dysarthrique ± Déficit en lamine AD Lamine 1q11 LGMD1B 4-38 ans – troubles de la conduction cardiaque – contractures musculaires inconstantes ± Cavéolinopathie AD Cavéoline 3 3p25 LGMD1C < 10 ans – hypertrophie des mollets – myalgies d’effort + Dystrophie congénitale mérosine-négative AR Mérosine 6q2 LAMA2 < 1 an – déficit musculaire généralisé, retard à la marche – contractures importantes – hypersignaux T2 à l’IRM ++ précoce des muscles de la loge postérieure de cuisse et de jambe ou la notion d’antécédents familiaux de myopathie distale des membres inférieurs orientent vers une mutation du gène de la dysferline, qui peut se traduire soit par une myopathie proximale, soit par une myopathie distale de type Myoshi. Une atteinte précoce de la ceinture scapulaire avec décollement des omoplates n’est exceptionnelle ni dans les sarcoglycanopathies, ni dans les déficits en calpaïne. L’atteinte des muscles laryngés est rarement signalée, sauf dans les déficits en myotiline. Une atteinte cardiaque précoce doit faire rechercher en priorité un déficit en lamine (troubles de la conduction) ou certaines glycogénoses (type II). Les signes cliniques associés, lorsqu’ils existent, sont d’un grand intérêt. Une myotonie conduit au diagnostic de PROMM, myopa- 6 thie myotonique proximale débutant à l’âge adulte aux membres inférieurs et associée à une cataracte. Des myalgies au repos évoquent une myopathie inflammatoire ou iatrogène, mais ont été décrites dans la PROMM. Des myalgies d’effort sont classiques dans certaines myopathies métaboliques et au cours des déficits en cavéoline 3. Les rétractions musculaires précoces sont caractéristiques des myopathies ou des dystrophies musculaires congénitales, mais sont fréquentes au cours des déficits en calpaïne (rétractions du triceps sural et de la musculature spinale) et dans certains déficits en lamine, dont le tableau clinique est parfois très proche de celui de la dystrophie musculaire d’Emery-Dreifuss (rétractions musculaires et troubles de la conduction cardiaque). Chez l’enfant, une atteinte des fonctions supérieures oriente plutôt vers une dystrophinopathie que vers une sarcoglycanopathie. Une atteinte associée du système nerveux central est présente dans certaines dystrophies musculaires congénitales. La Lettre du Neurologue - Hors-série - avril 2002 Le dosage des enzymes musculaires, et tout particulièrement des phosphocréatine-kinases (CPK), peut lui aussi constituer un élément d’orientation. Dans les dystrophies musculaires, les taux les plus élevés sont décrits dans les déficits en dysferline (parfois supérieurs à 100 fois la normale), puis dans les déficits en calpaïne ou cavéoline ; un taux presque normal n’est pas exceptionnel dans les sarcoglycanopathies. L’étude génétique réalisée d’emblée à partir d’un prélèvement sanguin est rarement informative. Elle ne se justifie que dans un contexte familial très évocateur, comme cela est parfois le cas dans les dystrophinopathies. Cependant, elle ne permet de détecter que les grandes délétions ou les duplications du gène de la dystrophine et n’est positive que dans 60 % des DMD et 10 % des BMD. La biopsie musculaire reste l’étape essentielle du diagnostic étiologique dans la majorité des cas. L’aspect histologique permet de distinguer les myopathies congénitales (anomalies spécifiques), les dystrophies musculaires (lésions de nécrose et de régénération), les myopathies métaboliques (lésions de surcharge) et les myosites à inclusions (vacuoles, etc.). Le marquage immuno-histochimique est une étape essentielle du diagnostic des dystrophies musculaires. La plupart des laboratoires d’anatomie pathologique ne disposent que d’anticorps antidystrophine, antisarcoglycanes et antimérosine. Ces immunomarquages doivent être interprétés avec précaution. Classiquement, on note, avec les anticorps antidystrophine, une absence d’immunomarquage dans la DMD et un marquage irrégulier dans la BMD. La dystrophine étant une protéine d’ancrage des autres protéines sarcolemniques, son immunomarquage peut également être altéré dans les sarcoglycanopathies. Une étude immunohistochimique des sarcoglycanes doit donc toujours être couplée à l’étude de la dystrophine. Son interprétation est elle aussi délicate : en particulier, les déficits en β- et α-sarcoglycanes s’accompagnent d’une absence totale d’immunomarquage des quatre sarcoglycanes. La technique du Western-Blot permet, par électrophorèse puis transfert sur une membrane, d’étudier les différentes protéines musculaires, caractérisées par leur poids moléculaire et leur immunomarquage. La technique du Western-Blot multiplex permet d’étudier simultanément les différentes protéines. Le Western-Blot est essentiel pour confirmer ou affiner les résultats de l’étude immunohistochimique. Il distingue la DMD (absence de dystrophine) de la BMD (dystrophine anormale ou diminuée) et La Lettre du Neurologue - Hors-série - avril 2002 des sarcoglycanopathies. Le diagnostic précis des sarcoglycanopathies doit prendre en compte le fait qu’une diminution de l’un des composants du complexe des sarcoglycanes, qui ne peut se former que lors de la synthèse des quatre protéines, s’accompagne en général d’un déficit secondaire des trois autres. Ainsi, l’α-sarcoglycane est diminuée dans toutes les sarcoglycanopathies, et il y a un effondrement des quatre sarcoglycanes au cours des ß- et -sarcoglycanopathies. Si toutes ces protéines sont normales, on réalise en seconde intention (à moins d’un tableau d’emblée très évocateur) : – dans les formes récessives, une étude de la calpaïne, de la dysferline ou de la téléthonine ; – dans les formes dominantes, une étude de la cavéoline, de la lamine ou de la myotiline. Un déficit en calpaïne peut être secondaire à un déficit en dysferline, et les deux protéines doivent toujours être comparées. Le diagnostic de certitude repose sur la mise en évidence de l’anomalie génétique. Même dans les formes classiques de dystrophie de Duchenne diagnostiquées dès l’étude immunohistochimique, cette étape est indispensable dans la perspective d’un conseil génétique, d’un diagnostic prénatal ou de la mise en évidence des femmes vectrices. En raison de la multiplicité des gènes impliqués dans les dystrophies musculaires en particulier, et, pour chaque gène, de la multiplicité des mutations, ce diagnostic génétique n’est possible que s’il est orienté par la démarche clinique et anatomopathologique. ■ R É F É R E N C E S B I B L I O G R A P H I Q U E S ❒ Bornemann A, Goebel HH. Congenital myopathies. Brain Pathol 2001 ; 11 : 206-17. ❒ Brown SC, Muntoni F, Sewry CA. Non-sarcolemmal muscular dystrophies. Brain Pathol 2001 ; 11 : 193-205. ❒ Bushby K. Making sense of the limb-girdle muscular dystrophies. Brain 1999 ; 122 : 1403-20. ❒ Cohn RD, Campbell KP. Molecular basis of muscular dystrophies. Muscle Nerve 2000 ; 23 : 1456-71. ❒ Mastaglia FL, Laing NG. 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