E. Salort-Campana En partenariat avec le laboratoire Schering Troubles cognitifs à la phase précoce de la sclérose en plaques E. Salort-Campana*, M. Deloire-Grassin**, B. Brochet*** Troubles cognitifs et SEP Les troubles cognitifs sont fréquents, atteignant, suivant les études, de 40 à 70 % des patients (1, 2). Il existe un relatif consensus concernant la nature des troubles cognitifs dans la SEP, portant principalement sur la mémoire récente, l’attention, la vitesse de traitement de l’information, les capacités visuospatiales et l’abstraction. En revanche, les fonctions du langage et les fonctions intellectuelles sont le plus souvent préservées (2). Les troubles mnésiques touchent principalement la mémoire antérograde, lors du rappel différé et immédiat, de l’apprentissage et de la reconnaissance (retrieval) (1, 3). On note une grande variabilité interindividuelle concernant le type et la sévérité de l’atteinte cognitive (2). Il n’existe, par ailleurs, qu’une faible corrélation entre le degré du handicap moteur mesuré par l’expanded disability status scale (EDSS) ou la durée de la maladie et les performances aux tests neuropsychologiques (4, 5, 6). De nombreux auteurs s’accordent à dire que les patients présentant une forme chronique progressive sont plus atteints * Emmanuelle Salort-Campana travaille au laboratoire des affections de la myéline de l'université Bordeaux II sur l'étude AQUISEP sur laquelle a porté son travail de thèse. Elle est actuellement chef de clinique dans le service du Pr Lagueny (hôpital Haut-Lévêque, CHU de Bordeaux). Elle participe à la consultation multidisciplinaire sur la sclérose latérale amyotrophique. ** Laboratoire des affections de la myéline, université de Bordeaux II. *** Hôpital Pellegrin, CHU de Bordeaux. cognitivement que les patients atteints de formes rémittentes (RR). Cependant, très peu d’études ont distingué les formes secondairement progressives (SP) des formes primaires progressives (PP) et des formes transitionnelles progressives (TP) (6). Dans l’étude européenne longitudinale et multicentrique de Camp et al. (1999), les performances cognitives et l’étude IRM de 191 patients de forme PP ou TP ont été comparées à celles de contrôles sains. Aucune différence n’a été notée sur le plan cognitif entre les patients de forme PP et ceux de forme TP, qui ont été assimilés pour l’analyse. Une atteinte cognitive, définie par l’obtention de scores inférieurs à la normale pour trois tests, a été observée chez 28,6 % des patients. Suivant les tâches cognitives, 5 à 43 % des patients avaient des scores au-dessous de la normale. Les troubles cognitifs seraient plus fréquents dans les phases avancées de la maladie, mais certaines études ont prouvé qu’ils pouvaient survenir à des stades très précoces ou en l’absence d’une atteinte physique marquée (4, 5). Troubles cognitifs à la phase précoce de la SEP Très peu d’études contrôlées se sont intéressées aux troubles cognitifs à la phase précoce de la SEP. La première étude contrôlée est celle de Lyon-Caen et al. (1986) portant sur les performances cognitives de 21 patients présentant une SEP récemment diagnostiquée et de 6 patients présentant une névrite optique (4). Malgré le stade débutant de la maladie, une atteinte cognitive était présente chez 60 % des Act. Méd. Int. - Neurologie (4) n° 7, octobre 2003 L a prévalence des troubles cognitifs dans la sclérose en plaques (SEP) est élevée, touchant, suivant les études, plus de la moitié des patients. Les caractéristiques pathologiques de cette affection sont la cause d’une importante hétérogénéité clinique interindividuelle rendant difficile l’étude de ces troubles. Peu d’études se sont intéressées à ce jour à l’atteinte cognitive aux stades précoces de la maladie. L’objectif de cette synthèse est de présenter les données de la littérature disponibles et d’exposer brièvement les résultats à l’inclusion de l’étude AQUISEP, étude clinique et neuropsychologique, longitudinale et contrôlée d’une cohorte de patients présentant une SEP diagnostiquée depuis moins de 6 mois. patients en comparaison aux témoins. Des différences significatives étaient observées pour tous les tests réalisés et n’étaient pas corrélées à l’existence d’une dépression. Amato et al. (5) ont publié l’étude contrôlée, longitudinale sur 10 ans, ayant comparé les performances de 45 patients porteurs d’une SEP et de 65 témoins appariés pour une batterie de tests neuropsychologiques. À l’inclusion, les patients présentaient de mauvaises performances dans les tâches verbales, les capacités d’abstraction et les processus linguistiques. Après 10 ans d’intervalle, des déficits additionnels ont été mis en évidence, portant sur l’attention et sur la mémoire spatiale à court 179 En partenariat avec le laboratoire Schering terme. La prévalence de l’atteinte cognitive est passée, en 10 ans, de 26 à 56 %. La sévérité du déclin cognitif était associée au degré d’atteinte physique, à une augmentation de l’âge et à une évolution progressive. Dans l’étude rapportée par Pelosi et al., comparant les performances cognitives de 24 patients ayant présenté un épisode de myélite aiguë isolée et suspects de SEP à 24 témoins sains appariés, il est mis en évidence une atteinte débutante de la mémoire de travail, impliquant probablement à la fois les mécanismes d’encodage et de récupération, à ce stade très précoce d’une affection démyélinisante (7). D’autres études ont étudié les troubles cognitifs en phase précoce, sans comparer la population de malades à un groupe contrôle. Zivadinov et al. ont étudié les performances cognitives de 53 patients de forme RR, avec une durée de maladie comprise entre 1 et 5 ans et un score EDSS inférieur à 5, couplée à leur étude IRM. À l’inclusion, 26,4 % d’entre eux étaient considérés comme atteints cognitivement ; ils étaient 52,8 % après 2 ans d’évolution (8). Dans l’étude récente d’Achiron et Barak (2003), une population de 67 patients ayant présenté un événement démyélinisant unique a été soumise à une batterie de tests neuropsychologiques. Après comparaison aux normes disponibles dans la littérature, 53,7 % des patients étaient définis comme cognitivement atteints, les déficits prédominant sur la mémoire et sur l’attention (9). Étude AQUISEP Dans une étude longitudinale contrôlée, l’équipe du Pr Brochet a comparé les performances cognitives de 69 patients présentant une SEP nouvellement diagnostiquée (moins de 6 mois) et recrutés consécutivement par le réseau AQUISEP, dont 84 % de patients de forme RR, 10 % de forme TP et 6 % de forme PP, à celles de 69 sujets sains (10). Cinquante-cinq de ces derniers étaient individuellement appariés, selon l’âge, le sexe et le niveau d’éducation, à 44 patients de forme RR et à 11 de forme TP ou PP. Les patients et les témoins étaient soumis à une large batterie de tests neuropsychologiques dont certains sont fréquemment utilisés dans la SEP : la brief repeatable battery de Rao, associant le symbol digit modalities test (SDMT), le selective reminding test (SRT), le 10/36 spatial recall test (10/36 SRT), le paced auditory addition task (PASAT) et le world list generation task (WLG). Ils étaient également soumis à une batterie informatisée explorant les domaines attentionnels et les processus d’inhibition (11), incluant un test de Stroop, un test de Go-No go et d’autres tests : le soustest des similitudes de la Welscher adult intelligence scale revised (WAIS-R), le Boston naming test (BNT) et le Ruff figural fluency test (Ruff). Cette batterie explore la mémoire verbale et spatiale immédiate et au rappel différé (SRT et 10/36 SRT), l’attention complexe et soutenue (PASAT 2s et 3s, SDMT), l’inhibition (Stroop, Go-No go), la fluence verbale sémantique (WLG), la dénomination (BNT), la conceptualisation (similitudes) et la fluence non verbale (Ruff). Un examen neurologique standardisé avec la cotation de l’EDSS et du score composite (MFSC), une échelle évaluant la dépression, la MADRS, une échelle de qualité de vie, la SEP59, ainsi qu’une étude IRM étaient réalisés chez tous les patients. Les patients de forme RR et les patients de forme progressive, regroupant les formes TP et PP, ont été analysés séparément. Les patients étaient définis comme cognitivement atteints par l’obtention de scores inférieurs de -2 DS à ceux des témoins à au moins deux tests neuropsychologiques non redondants. Les patients de forme RR présentaient des performances significativement inférieures à celles des témoins, principalement pour les tâches de mémoire verbale (immédiate et différée) et spatiale (différée), d’inhibition (Stroop), de conceptualisation, et pour tous les tests attentionnels. Quarante-trois pour cent d’entre eux présentaient une atteinte cognitive globale, 54 % un déficit attentionnel et 30 % un déficit mnésique. Des différences significatives entre les performances des sujets de forme progressive et les témoins appariés n’ont été notées qu’au SDMT (attention) et au test des similitudes (conceptualisation), probablement en raison du faible échantillon (n = 11). Pour les patients de forme RR, comme pour ceux de forme progressive, il n’a pas été noté de corrélation significative entre les performances aux tests cognitifs et les symptômes dépressifs ou le score de fatigue. Le score à l’EDSS n’était pas corrélé aux résultats des tests cognitifs, excepté au SDMT pour les patients de forme RR, traduisant la limite de cette échelle dans l’évaluation du handicap lié à l’atteinte cognitive. Seul le nine hole peg test, l’une des deux composantes motrices du score composite, était corrélé significativement aux scores des tests étudiant l’attention (PASAT2s et 3s, SDMT). Aucune corrélation n’a été mise en évidence entre le domaine “bien-être général” de la SEP59 et les scores cognitifs, excepté pour le SDMT. Cela suggère que de mauvaises performances à ces tests neuropsychologiques très sensibles pourraient ne pas affecter de façon significative la vie quotidienne. Les résultats à venir de l’étude longitudinale de cette cohorte permettront de mieux cerner l’histoire naturelle des troubles cognitifs dans la SEP. Physiopathologie des troubles cognitifs Les fonctions cognitives telles que l’attention, la mémoire et le langage sont assurées par des réseaux interneuronaux qui effectuent la transmission des informations. Les caractéristiques pathologiques de la SEP peuvent contribuer à l’interruption de 180 En partenariat avec le laboratoire Schering ceux-ci par le biais de plusieurs processus. Le rôle des lésions corticales non visualisées en IRM, représentant 10 % des lésions, a été avancé. Celui des lésions focales de la substance blanche pouvant interrompre des voies associatives ou déafférenter certaines structures corticales est suggéré par l’existence de faibles corrélations entre les troubles cognitifs et la charge lésionnelle (6). Le caractère modeste de ces corrélations peut s’expliquer par le fait qu’un petit nombre de lésions placées en position stratégique est suffisant pour provoquer de telles conséquences. Enfin, certaines études ont observé des corrélations entre le degré d’atrophie cérébrale et les troubles cognitifs, suggérant l’implication d’une atteinte axonale diffuse siégeant dans la substance blanche, d’apparence normale (6). Zivadinov et al. ont mis en évidence des corrélations entre la présence d’une atteinte cognitive chez des patients en phase précoce et la décroissance du volume du parenchyme cérébral (8). Conclusion L’existence d’une atteinte cognitive, commune aux phases avancées de la maladie (2), semble bien plus fréquente aux stades précoces de la SEP que les études initiales le laissaient supposer. Le faible nombre d’études disponibles sur ce sujet ainsi que les défauts de méthodologie (absence de groupe contrôle apparié, faibles échantillons) sont probablement à l’origine de cette sous-estimation. À ce stade, les fonctions les plus atteintes sont l’attention, la mémoire verbale (rappel immédiat et différé) et spatiale (rappel différé), l’inhibition et la conceptualisation. Les fonctions de dénomination et de fluence verbale semblent globalement préservées. À l’origine de l’atteinte cognitive pourraient coexister : d’une part, un processus multifocal constitué de plaques inflammatoires disséminées, responsable à la fois de poussées, si leur localisation intéresse un lieu stratégique, et d’une partie de la progression par atteinte axonale secondaire à la démyélinisation ; d’autre part, un processus diffus précoce à prédominance axonale, évoluant en dehors des poussées et pouvant rendre compte d’une grande partie de l’évolution des troubles cognitifs. Remerciements À C. Fabrigoule, H. Amieva, Y. Arimone et à tous les membres du réseau AQUISEP qui ont permis la réalisation de ce travail. L’étude AQUISEP a été rendue possible par le soutien de l’ARSEP et de Schering France. Références 1. Rao SM, Leo GJ, Bernardin L, Unverzagt F. Cognitive dysfunction in multiple sclerosis : frequency, patterns and prediction. Neurology 1991 ; 41 : 685-91. 2. Bobholz JA, Rao SM. Cognitive dysfunction in multiple sclerosis : a review of recent developments. Curr Opin Neurol 2003 ; 16 : 283-8. Act. Méd. Int. - Neurologie (4) n° 7, octobre 2003 3. Minden SL, Moes EJ, Orav J et al. Memory impairment in multiple sclerosis. J Clin Exp Neuropsychol 1990 ; 12 : 56686. 4. Lyon-Caen O, Jouvent R, Hauser S et al. Cognitive function in recent-onset demyelinating disease. Arch Neurol 1986 ; 43 : 1138-41. 5. Amato MP, Ponziani G, Pracucci G et al. Cognitive impairment in early-onset multiple sclerosis. Arch Neurol 1995 ; 52 : 168-72. 6. Camp SJ, Stevenson VL, Thompson AJ et al. 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