
H é p a t o l o g i e
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Evidence-based medicine
C a n c é r o l o g i e
La Lettre de l’Hépato-gastroentérologue - Vol. IX - n° 7 - décembre 2006
lésions, des états précancéreux à risque de plus en plus élevé de
dysplasies et de cancer (1, 2). Même si les mécanismes ultimes
de la cancérogenèse gastrique restent encore largement ignorés,
il est admis que Helicobacter pylori joue un rôle déterminant
dans ce processus et qu’il est logique d’espérer de son éradication
une réduction de l’incidence du cancer gastrique non cardial.
Mais le cancer gastrique est un processus multifactoriel et,
pour conforter le bien-fondé de l’éradication, il fallait en avoir
la preuve par des essais prospectifs d’intervention. La réali-
sation de tels essais se heurte toutefois à plusieurs difficultés
méthodologiques (1). La première tient à la faible incidence du
cancer gastrique, qui implique l’inclusion de plusieurs dizaines de
milliers de personnes issues de populations à haut risque (Chine,
Japon, Colombie). La deuxième tient à la lenteur du processus
(le délai entre le début de l’infection à H. pylori et la survenue
du cancer est de plusieurs dizaines d’années), qui impose des
dizaines d’années de suivi avant d’obtenir les résultats.
Pour tenter d’approcher la réponse et de contourner ces diffi-
cultés, certains ont testé l’effet de l’éradication de H. pylori sur
les états précancéreux (atrophie et métaplasie) et sur l’incidence
des lésions précancéreuses (dysplasies), qui sont des événements
beaucoup plus fréquents. Les résultats publiés convergent pour
conclure à une réduction de la sévérité et de l’extension des
altérations muqueuses prénéoplasiques grâce à l’éradication,
mais la régression complète des lésions est loin d’être la règle
(3-5). En 1997, Uemura et al. (6) rapportaient, sur un petit groupe
de malades, une diminution du risque de récidive après exé-
rèse endoscopique d’un cancer gastrique superficiel pour ceux
chez lesquels H. pylori avait été éradiqué. En 2001, les Chinois
publiaient un essai contrôlé et randomisé (le premier et le seul
pour l’instant) portant sur 1 630 personnes H. pylori positives
(7). Après un suivi moyen de 7,5 ans, le pourcentage de cancers
gastriques était moins élevé dans la population “éradication”
(0,86 % ; réduction relative de 37 %), mais la différence avec
celui observé dans la population non éradiquée (1,35 %) n’était
pas significative (p = 0,33) [cet essai souffrant toutefois d’un
manque de puissance]. Le plus frappant dans ce travail est que
seul le sous-groupe de personnes présentant des altérations
mineures de la muqueuse gastrique tirait bénéfice de l’éradi-
cation, ceux qui avaient des altérations plus sévères et plus
étendues, et qui sont en principe les plus à risque, n’en tirant
aucun bénéfice. Cela rejoint les données de Leung et al. (4) et
l’opinion de beaucoup d’experts qui considèrent qu’il y aurait
un point de non-retour dans l’avancement des altérations de la
muqueuse gastrique, au-delà duquel l’éradication n’aurait plus
aucune influence. Récemment, Take et al. (8), au Japon, ont
étudié le devenir de 1 342 présentant un ulcère (ulcéregastrique
[UG] et/ou ulcère duodénal [UD]) associé à H. pylori, qui tous
ont reçu un traitement d’éradication. Le suivi moyen était de
3,5 ans. Chez les malades présentant un UD, aucun cancer n’était
observé, fait parfaitement connu ; chez ceux présentant un UG
et ayant bénéficié de l’éradication (n = 592), le risque de cancer
gastrique à 5 ans était de 2 %, soit un taux inférieur à celui de
6,41 % observé chez les 111 non-éradiqués. L’éradication ne
supprime donc pas le risque de cancer chez les malades avec
antécédent d’UG. Les auteurs soulignaient que ce risque restait
encore supérieur à celui observé dans une population générale
japonaise de même âge et de même sexe.
Au total, s’il est clair que l’éradication de H. pylori réduit l’in-
cidence du cancer gastrique, il reste à définir les conditions où
elle a le plus de chances d’être utile. Un faisceau d’arguments
amène à penser que plus l’éradication est précoce, plus elle a
des chances d’être bénéfique. Inversement, ceux qui ont des
lésions précancéreuses avancées ne bénéficieraient pas ou
peu de l’éradication. Aussi, le bon sens voudrait que, chez les
malades qui ont des antécédents directs de cancer gastrique,
la recherche de H. pylori et son éradication soient envisagées
le plus précocement possible. Néanmoins, ces résultats sont-ils
suffisants pour se lancer dans des campagnes systématiques
d’éradication ? La réponse n’est pas totalement tranchée. Par-
sonnet et al. (9), dans un modèle socio-économique, estimaient
qu’il fallait au minimum une réduction de 30 % de l’incidence
du cancer pour que cette stratégie soit justifiée en termes d’ef-
ficience. L’étude chinoise n’en est pas loin. Maintenant, il ne
reste plus qu’à démontrer que les résultats observés en Chine
sont transposables sans réserve en Europe. À cette question, il
est peu probable que l’on ait jamais de réponse !
RÉFÉRENCES
1. Correa P. Is gastric cancer preventable? Gut 2004;53:1217-9 [Review].
2. Uemara N, Okamoto S, Yamamoto S et al. Helicobacter pylori and the deve-
lopment of gastric cancer. N Engl J Med 2001;345:784-9.
3. Correa P, Fontham ET, Bravo JC et al. Chemoprevention of gastric dysplasia:
randomized trial of antioxidant supplements and anti-helicobacter pylori the-
rapy. J Natl Cancer Inst 2000;92(23):1881-8.
4. Leung WK, Lin SR, Ching JYL et al. Factors predicting progression of gastric
intestinal metaplasia: results of a randomized trial on Helicobacter pylori era-
dication. Gut 2004;53:1244-9.
5. Ley C, Mohan P, Guarner J et al. Helicobacter pylori eradication and gastric
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Cancer Epidemiol Biomark Prv 2004;13:4-10.
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Japan. Gastroenterol Clin North Am 2000;29:819-27 [Review].
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China: a randomized controlled trial. JAMA 2004;291(2):187-94.
8. Take S, Mizuno M, Ishiki K et al. e effect of eradicating Helicobacter pylori
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Gastroenterol 2005;100(5):1037-42.
9. Parsonnet J, Harris RA, Hack HM, Owens DK. Modeling cost effectiveness of
H. Pylori screening to prevent gastric cancer: a mandate for clinical trials. Lan-
cet 1996;348:150-4.