DOSSIER THÉMATIQUE Prolapsus rectal et rectocèle Explorations fonctionnelles : qu’en attendre et jusqu’où aller ? Functional explorations: what to expect? How far to go? Isabelle Berkelmans* U n examen complémentaire ne doit être réalisé que s’il est utile : ➤➤ à la stratégie diagnostique, pour confirmer les données de l’examen clinique, ou le compléter quand il est insuffisant. ➤➤ à la stratégie thérapeutique, d’une part en guidant le choix thérapeutique, médical ou chirurgical, et dans ce cas le choix du type d’intervention ; d’autre part, en permettant une évaluation pronostique de la thérapeutique choisie, par l’identification de facteurs prédictifs du résultat fonctionnel. Position du problème * Service des maladies de l’appareil digestif, hôpital de Pontchaillou, Rennes. On distinguera le prolapsus rectal extériorisé de la rectocèle et de l’intussusception éventuellement associée, car la présentation clinique et les choix thérapeutiques sont différents. Les explorations Prolapsus rectal extériorisé Bilan fonctionnel préopératoire Imagerie dynamique Si symptômes urinaires Bilan urodynamique Si constipation : TTC, MAR Traitement des autres troubles de la statique pelvienne Prise en charge multidisciplinaire Traitement des autres troubles de la statique pelvienne Prise en charge multidisciplinaire Information du patient, poursuite des laxatifs, traitement d’un anisme : Prise en charge multimodale Figure 1. Algorithme des explorations fonctionnelles préopératoires d’un prolapsus rectal extériorisé en fonction des symptômes associés. 212 | La Lettre de l’Hépato-gastroentérologue • Vol. XV - n° 5 - septembre-octobre 2012 fonctionnelles utiles ne seront donc pas obligatoirement identiques et n’interviendront pas au même moment de la stratégie de prise en charge. Explorations fonctionnelles du prolapsus rectal extériorisé (figure 1) Le diagnostic du prolapsus rectal extériorisé est fait par l’examen clinique dynamique ; aucune exploration complémentaire n’est donc utile à la stratégie diagnostique. Son traitement est chirurgical. Les explorations fonctionnelles choisies sont effectuées dès que la décision chirurgicale est prise, en accord avec le patient. Elles devront aider au choix du type d’intervention et déterminer des facteurs prédictifs du résultat fonctionnel sur les symptômes accompagnant le prolapsus : constipation et/ou incontinence. L’avènement de la rectopexie antérieure laparoscopique a permis de diminuer significativement la fréquence de la constipation postopératoire en évitant la dénervation sympathique due à la dissection postérolatérale du rectum des précédentes techniques (1). Elle permet de corriger l’incontinence fécale chez 80 à 90 % des patients (1). Quels sont les résultats des explorations fonctionnelles, et ces résultats modifient-ils la stratégie opératoire ? Imagerie dynamique : colpocystodéfécographie, IRM dynamique, endosonographie anale dynamique Les examens d’imagerie dynamique pelvipérinéale font partie intégrante de l’approche globale et multi- Points forts »» Les études évaluant la valeur prédictive des explorations initiales sur le résultat fonctionnel post­ opératoire du prolapsus rectal et de la rectocèle sont rares ou inexistantes. »» Les explorations fonctionnelles doivent guider le diagnostic et la prise en charge de symptomatologies complexes et intriquées. »» Elles sont dominées par l’imagerie dynamique. disciplinaire des troubles de la statique pelvienne. La colpocystodéfécographie (CCD) et l’IRM dynamique, ou déféco-IRM, permettent une étude globale des 4 segments pelvipérinéaux : antérieur vésicourétral, moyen utérovaginal, postérieur anorectal et supérieur péritonéal. Ces 2 examens exigent une technique rigoureuse pour optimiser leurs performances diagnostiques : opacification préalable du grêle pour la CCD, opacification du rectum pour l’IRM dynamique, obtention d’une évacuation rectale et vésicale permettant de démasquer des prolapsus en compétition défavorable, telle qu’une entérocèle que l’examen clinique peut méconnaître ou sous-estimer. Si ces critères de qualité sont réunis, leurs résultats sont globalement comparables, la CCD restant cependant supérieure pour la mise en évidence des entérocèles (2) et des sigmoïdocèles. Les résultats des 2 types d’IRM, ouvertes (peu disponibles) et fermées, seraient identiques sur la détection des prolapsus rectaux, vésicaux et des rectocèles antérieures significatives. L’intérêt de l’endosonographie anale dynamique a récemment été souligné, du fait de sa bonne tolérance et de l’absence d’irradiation. Elle aurait une bonne concordance diagnostique avec la défécographie utilisée comme gold-standard pour le diagnostic de rectocèle, d’intussusception, d’anisme et d’entérocèle de grade III (3). Ses résultats seraient comparables à ceux de l’IRM dynamique pour le diagnostic de rectocèle, descente périnéale et entérocèle (4). Sa limite est la mauvaise évaluation des troubles de la statique pelvienne antérieurs et moyens, et elle ne peut donc pas être recommandée pour l’instant dans le bilan préthérapeutique d’un prolapsus rectal extériorisé. La valeur prédictive des résultats de l’imagerie dynamique sur le résultat fonctionnel de la chirurgie du prolapsus rectal extériorisé n’a fait l’objet d’aucune étude spécifique. Cependant, en recherchant d’autres troubles de la statique pelvienne associés au prolapsus rectal, l’imagerie dynamique participe à la stratégie de choix du type d’intervention chirurgicale et, par conséquent, à son résultat fonctionnel et anatomique : correction d’un prolapsus antérieur ou moyen associé, choix d’une voie d’abord haute pour correction d’une entérocèle (risque de récidive du prolapsus en cas d’entérocèle non corrigée). L’imagerie dynamique modifierait le type de chirurgie initialement programmée chez 41 à 67 % des patients ayant des troubles de la statique pelvienne ou une incontinence fécale. Ces données de la littérature incitent à pratiquer systématiquement une CCD ou une IRM dynamique dans le bilan préopératoire d’un prolapsus rectal extériorisé. Manométrie anorectale Le prolapsus du rectum se caractérise par une hypotonie anale au repos et une contraction volontaire plus faible par rapport à des sujets contrôles, les patients incontinents ayant des valeurs plus basses que les patients non incontinents (5). Une étude récente (6) a montré une corrélation entre l’importance de l’hypotonie anale et le grade du prolapsus, l’hypotonie étant la plus sévère dans les prolapsus extériorisés. L’hypotonie pourrait être secondaire à une neuropathie pudendale d’étirement, à des lésions anatomiques du sphincter interne, ou à une inhibition permanente de l’activité du sphincter anal interne, dont témoignerait l’absence de réflexe rectoanal inhibiteur parfois décrit en manométrie. La rectopexie améliorerait les pressions de repos du canal anal et la contraction volontaire (7), sauf chez les patients restés incontinents. Une pression de repos inférieure à 10 mmHg et une contraction volontaire inférieure à 50 mmHg seraient des facteurs prédictifs de la persistance de l’incontinence après la chirurgie (7). En revanche, d’autres études ne retrouvent pas de facteurs manométriques prédictifs des résultats opératoires après rectopexie, que ce soit pour la continence ou la constipation postopératoire (8). Dans ces conditions et en l’absence de consensus clairement défini à l’heure actuelle, il n’est pas licite de pratiquer une manométrie préopératoire systématique, ses résultats ne modifiant pas l’indication opératoire et ne guidant pas le choix du type d’intervention. Une nuance pourrait être apportée en cas de prolapsus extériorisé avec constipation entrant dans le cadre d’un possible côlon irritable, pouvant être associé à un anisme ou à des ondes ultra-lentes : on sera prudent et avertira les patients d’une possible persistance de la constipation en postopératoire et de la nécessité de faire prendre en charge cette anomalie fonctionnelle associée. Mots-clés Colpocystodéféco­graphie IRM dynamique Manométrie ­anorectale Prise en charge multidisciplinaire et multimodale Highlights »» Studies evaluating predictive value of functional explorations on the functional outcome of surgery for rectal prolapse or rectocele are rare. »» Functional explorations should guide diagnosis and treatment of complex and intricated symptoms. »» They are dominated by dynamic imaging. Keywords Colpocystodefecography Dynamic RMI Anal manometry Mutidisciplinary and multimodal approach La Lettre de l’Hépato-gastroentérologue • Vol. XV - n° 5 - septembre-octobre 2012 | 213 DOSSIER THÉMATIQUE Prolapsus rectal et rectocèle Explorations fonctionnelles : qu’en attendre et jusqu’où aller ? Temps de transit colique Bien que la rectopexie antérieure ait amélioré le résultat fonctionnel de la chirurgie du prolapsus rectal, le taux de constipation postopératoire, persistante ou de novo, reste, dans certaines séries, non négligeable. Il est donc conseillé d’effectuer un temps de transit des marqueurs radio-opaques chez les patients ayant un prolapsus rectal et se plaignant de constipation, bien que cette méthode soit peu sensible et peu reproductible. Cette attitude prudente permettra également d’avertir le patient de la possible persistance de sa constipation en postopératoire et de la nécessité de poursuivre le traitement laxatif. Une nouvelle méthode utilisant une capsule qui mesure le temps de transit des différents segments digestifs grâce aux modifications du pH semble prometteuse (9). Échographie endoanale et électrophysiologie du périnée Le prolapsus rectal peut être associé à un defect sphinctérien interne et/ou externe, significativement plus fréquent chez les patients souffrant d’incontinence (5). Une neuropathie pudendale attestée par un allongement de la latence motrice distale du nerf pudendal a été décrite chez 55,6 % des patients ayant un prolapsus rectal. Cependant, les résultats préopératoires de la latence motrice distale du nerf pudendal n’ont aucune valeur prédictive de l’incontinence postopératoire. Aucune étude ne montrant actuellement de valeur prédictive de l’échographie endoanale ou de l’électrophysiologie du périnée sur le résultat fonctionnel postopératoire, on ne peut recommander ces examens dans le bilan préopératoire d’un prolapsus rectal. En revanche, l’échographie endoanale, et en TTC, EE, BUD, si constipation, incontinence ou signes urinaires Stratégie thérapeutique : bilan préopératoire Imagerie dynamique MAR et test au ballonnet particulier celle en 3D, a certainement sa place pour rechercher un defect sphinctérien en cas de persistance de l’incontinence en postopératoire. Explorations fonctionnelles de la rectocèle antérieure (figure 2) Le problème de la rectocèle antérieure est plus complexe, car son diagnostic est souvent fait à l’occasion d’un “syndrome d’obstruction défécatoire” (sensation d’évacuation incomplète, poussées défécatoires, manœuvres digitales, utilisation de suppositoires ou lavements, douleurs anales, rectorragies) pouvant être expliqué par d’autres anomalies telles qu’une intussusception rectale, ou procidence rectale interne, ou encore un anisme. Une étude a montré que la rectocèle et le prolapsus muqueux interne étaient associés à 3 anomalies “occultes” (dont l’anisme et l’hyposensibilité rectale) dans 66 % des cas (10), ce qui explique le concept de “syndrome de l’iceberg”. Un double défi est à relever : rapporter les plaintes à la rectocèle sans négliger une autre anomalie fonctionnelle ou anatomique qui pourrait avoir une incidence sur les résultats de la thérapeutique, en particulier chirurgicale. Les explorations complémentaires peuvent donc être discutées. Dans la stratégie diagnostique L’examen clinique est souvent suffisant pour identifier un prolapsus rectal ou un anisme, mais moins précis pour le diagnostic des prolapsus vaginaux postérieurs (11, 12). Il peut alors être complété par une imagerie dynamique, CCD ou IRM dynamique, en particulier avant la chirurgie. Cependant, la rectocèle est retrouvée chez 80 % des patientes asymptomatiques en défécographie (13). La taille et la non-vidange de la rectocèle lors de l’évacuation ne sont pas toujours des critères prédictifs du caractère significatif de la rectocèle. L’imagerie n’est donc utile au diagnostic que si elle est corrélée à l’interrogatoire et à l’examen physique. Rectocèle Stratégie diagnostique : examen clinique à confirmer ou à compléter Imagerie dynamique Figure 2. Algorithme des explorations fonctionnelles d’une rectocèle antérieure. 214 | La Lettre de l’Hépato-gastroentérologue • Vol. XV - n° 5 - septembre-octobre 2012 Dans la stratégie thérapeutique ➤➤ Pour rechercher d’autres anomalies fonctionnelles ou troubles de la statique pelvienne, ce qui guiderait la décision thérapeutique, et en particulier le choix du type de chirurgie. Cette attitude s’ins- DOSSIER THÉMATIQUE crit dans une démarche de prise en charge globale et multidisciplinaire des troubles de la statique pelvienne. La CCD ou la déféco-IRM sont indispensables au bilan préopératoire. Elles recherchent une entérocèle, facteur prédictif d’un mauvais résultat de l’intervention de Stapled Transanal Rectal Resection (STARR) et contre-indication à la technique (14, 15). La recherche d’une procidence interne de haut grade est également importante, car celle-ci peut participer aux difficultés d’exonération qui risqueraient de ne pas être totalement soulagées par une intervention par voie transvaginale. On sera également attentif à dépister un trouble de la statique pelvienne moyen ou antérieur. En effet, la rectocèle peut constituer un système de soutènement des 2 autres étages, et des prolapsus antérieurs ou moyens peuvent se démasquer en postopératoire. ➤➤ Pour rechercher des facteurs prédictifs du résultat fonctionnel, et en particulier d’incontinence anale après une chirurgie par voie transanale. Une incontinence anale de novo aux gaz et des impériosités défécatoires peuvent survenir respectivement dans 9 et 34 % des cas après intervention de STARR, mais régressent souvent dans les 6 premiers mois (16). Cependant, les troubles de la continence peuvent persister, essentiellement chez les patients ayant une continence normale en préopératoire. Il n’y a pas d’étude spécifique sur les critères prédictifs d’une incontinence anale postchirurgicale, en particulier manométriques. L’intervention de STARR ne modifierait pas les pressions anales ni la contraction volontaire, mais le volume maximal tolérable (VMT) postopératoire est significativement diminué (17). L’incontinence anale postopératoire est corrélée à la réduction de la taille de la lumière rectale en défé- cographie (18). Ces résultats engagent fortement à pratiquer une manométrie anorectale préopératoire pour identifier un profil manométrique d’incontinence anale et, en particulier, un VMT bas. De plus, la manométrie, associée à un test d’expulsion d’un ballonnet, permet le diagnostic d’anisme, facteur prédictif de mauvais résultat de la chirurgie transanale et de récidive de la rectocèle (14). Sa prise en charge par biofeedback est donc nécessaire avant toute chirurgie. La défécographie préopératoire, et, plus précisément, la grande taille de la rectocèle, et sa non-vidange, n’aurait pas de valeur prédictive du résultat de la chirurgie transanale (19). Un temps de transit colique (TTC) sera effectué en cas de suspicion de constipation de transit associée (risque de moins bon résultat chirurgical, nécessité de poursuivre le traitement laxatif en postopératoire). Conclusion L’imagerie dynamique, CCD ou IRM dynamique, est nécessaire au bilan préthérapeutique du prolapsus rectal et de la rectocèle pour faire un bilan complet de l’ensemble des troubles de la statique pelvienne et assurer une prise en charge multidisciplinaire optimale dans le but d’améliorer non seulement l’anatomie et la fonction mais aussi la qualité de vie. On y ajoutera la manométrie anorectale dans le bilan préopératoire d’une rectocèle à la recherche d’un anisme justifiant une prise en charge spécifique (prise en charge multimodale), et d’un périnée “candidat” à l’incontinence. Les autres explorations (TTC, échographie endoanale, BUD) seront effectuées en fonction des symptômes associés. ■ Références bibliographiques 1. Boons P, Collinson R, Cunningham C, Lindsey I. Laparoscopic ventral rectopexy for external rectal prolapse improves constipation and avoid de novo constipation. Colorectal Dis 2010;12:526-32. 2. Pannu HK, Scatarige JC, Eng J et al. 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