L’arrêt des THM après WHI aux États-Unis a-t-il modifié l’incidence du cancer du sein ? Relationship between risk factors of breast cancer and stop of the hormonal treatments of the menopause Dossier D ossier C. Jamin *, M. Espié **, P. Madelenat *** I l semble se dessiner une certaine cohérence dans les résultats des risques relatifs de cancer du sein lors de la prise des traitements hormonaux de la ménopause (THM), avec un RR d’environ 1,3 pour une prise en cours. Les résultats sont indépendants du type d’estrogène, de sa dose et de sa voie d’administration. Ce chiffre peut être majoré dans les études d’observation par un effet dépistage, mais aussi minoré par des biais d’inclusion ou par une baisse de la sensibilité du dépistage du fait de l’augmentation de la densité mammaire. En revanche, de nombreuses zones d’incertitude persistent, parmi lesquelles : quelle est l’influence du type de progestatif (naturel ou artificiel) ? Les estrogènes seuls augmentent-ils le risque ? Le risque dépend-il de la durée des traitements et/ou de l’âge des femmes ou des deux ? Le pronostic de ces cancers est-il meilleur que celui de ceux dépistés hors THM ? Y a-til un intérêt à donner des doses faibles d’estrogènes et/ou de progestatifs ? Enfin, et c’est le point traité ici, que devient ce risque à l’arrêt des THM ? Plusieurs approches sont à notre disposition pour tenter de répondre à cette question. Une étude publiée dans le New England Journal of Medicine (10) a fait grand bruit ces dernières semaines : on a observé une chute brutale (8,6 % par an) de l’incidence des cancers du sein aux États-Unis en 2003, déclin qui aurait débuté mi-2002, juste après la publication de l’étude WHI, qui a entraîné de nombreux arrêt de THM. Cette baisse est surtout observée chez les femmes de 50 ans ou plus et principalement pour les formes avec récepteurs des estrogènes positifs (ER+). La diminution de l’utilisation des THM après WHI est donnée par les auteurs comme la raison principale de cette baisse d’incidence. Deux explications contradictoires viennent à l’encontre de cette théorie. La première est que les femmes auraient déserté les cabinets médicaux à la suite du choc WHI : ce serait, de ce fait, le dépistage qui a diminué et non l’incidence réelle. Cette baisse de la pratique des mammographies aux États-Unis vient d’être confirmée par un communiqué de N. Breen du National Cancer Institute (NCI) après une enquête du Center * Association Francophone de l’Après-Cancer du Sein (AFACS), www.afacs.fr, 169, bd Haussmann, 75008 Paris. ** Hôpital Saint-Louis, 1, avenue Claude-Vellefaux, 75010 Paris. *** 5, avenue Émile-Deschanel, 75007 Paris. La Lettre du Gynécologue - n ° 328-329 - janvier-février 2008 for Disease Control and Prevention (CDC) (dépêche APM du 14 mai 2007). Par ailleurs, la chute semble trop précoce après WHI pour que celle-ci puisse avoir joué un rôle majeur. Mais, de plus, cette explication ne prend pas en compte les résultats publiés dans le récent numéro de Breast Cancer Research (8) où il est montré que l’incidence dans les registres nationaux des États-Unis cette fois a débuté sa baisse en 1999 et que la tendance globale de 2003 ne diffère pas de celle des autres années. Cette baisse touche toutes les tranches d’âge au-delà de 45 ans, même si son importance n’est pas uniforme suivant les tranches d’âges. Pour les 60-69 ans, la baisse globale ne s’observe que depuis 2002. La décroissance est limitée aux petites tumeurs (< 2 cm). Pendant cette période, l’incidence des cancers in situ est stable. En réalité, pour les tumeurs ER+ de petite taille, la baisse est accentuée depuis 2002 pour les 5069 ans. Pour les auteurs, l’explication est mixte. Tout d’abord, il y a eu une baisse globale de l’incidence du cancer du sein par saturation du dépistage depuis 1999 (dans un premier temps, le dépistage recrute tous les cancers infracliniques présents, puis une fois ceux-ci diagnostiqués, seuls les cancers qui apparaissent entre deux mammographies sont découverts) [2]. La seconde explication est que l’arrêt des THM, depuis la publication de l’étude WHI, a entraîné une diminution des cancers ER+ depuis 2002 chez les femmes de plus de 50 ans. La métaanalyse du Lancet des études d’observation (5) avait déjà montré une disparition rapide du surrisque de cancer du sein à l’arrêt des THM. Le RR est de 1,2 pour les utilisatrices en cours, il baisse pour devenir non significatif après 1 à 4 ans d’arrêt du THM (RR : 1,1 ; NS). Dans la Million Women Study (9), le risque est à l’unité pour un arrêt depuis moins de 5 ans. Enfin, dans l’étude WHI (1), qui ne permet pas d’évaluer à ce jour ce paramètre, apparaît une information importante, et ce après un examen minutieux des données disponibles (calculs personnels). Si l’on considère uniquement les femmes appartenant au groupe placebo, celles antérieurement traitées par THM ont, au cours du suivi de l’étude, un risque relatif d’apparition d’un cancer du sein de 0,75 (S) comparées à celles toujours sous placebo, mais non antérieurement traitées par THM. On peut penser que les cancers diagnostiqués prématurément sous THM viennent en déduction de ceux qui apparaissent ensuite. En revanche, toujours chez ces femmes antérieurement traitées, mais qui ont été tirées au sort pour poursuivre le THM, on trouve un RR de 2 (S). Enfin, pour cel23 Dossier D ossier 24 les sous THM dans l’étude, mais qui n’avaient pas été antérieurement traitées, le RR n’est que de 1,02 (NS). Le dernier article, et pas le moins intéressant, est celui de Glass (9) dans le Journal of the National Cancer Institute complété par l’éditorial de Berry (2) où est analysée l’évolution de l’incidence du cancer du sein aux États-Unis au travers du registre du Kaiser Permanente North West. L’étude porte sur la période 1980-2006 où 7 386 cancers du sein sont analysés. Il est observé une augmentation d’incidence du cancer du sein de 25 % depuis 1980 jusqu’en 1992-93, puis de 15 % depuis cette date jusqu’en 2001, puis depuis 2001 une décroissance de 18 % jusqu’en 2004, puis une légère croissance depuis. Les variations observées concernent les femmes de plus de 45 ans touchées par des tumeurs hormonodépendantes uniquement. Les tumeurs ER- ne suivent pas ces croissances, mais chutent, elles aussi, depuis 2003. Cela fait que le ratio de tumeurs ER/ER+ s’est effondré pendant cette période d’observation. Le taux de mammographies a augmenté de façon importante entre 1980 et 1993 jusqu’à concerner 75-79 % des américaines de plus de 45 ans tous les deux ans. Le nombre de femmes sous THM a augmenté entre 1988 et 2002 et chuté de 75 % depuis 2002. L’augmentation des cancers du sein observée entre 1988 et 2002 peut donc être attribuée à la conjonction de deux phénomènes : augmentation des mammographies et des prises de THM, ce dernier n’augmentant que les tumeurs ER+. Depuis 2002, la décroissance est liée à la saturation de l’effet mammographie, à la diminution de son utilisation, probablement en rapport en partie avec la diminution des consultations de prescription de THM, mais aussi à l’arrêt des THM chez 75 % des femmes. Dans l’éditorial, Berry (2) prend enfin clairement position pour affirmer que le THM n’induit pas de cancer du sein, mais en augmente l’incidence par l’effet dépistage et aussi par l’effet promotion des cancers uniquement ER+. Il s’interroge à juste titre sur l’avenir de la mortalité par cancer du sein du fait de l’arrêt des THM. En effet, plusieurs articles récents portent sur ce sujet, confirmant des données anciennes selon lesquelles les THM font la promotion de cancers de meilleur pronostic en termes de survie globale et sans récidive. Schuetz (11) trouve sur un suivi de 20 ans que les tumeurs du sein découvertes sous THM entraînent une mortalité trois fois moins forte que les tumeurs diagnostiquées chez des femmes non traitées lors de la découverte, et un risque métastatique moitié moindre sur tous les sites et, en particulier, au niveau hépatique et pulmonaire. Des résultats proches sont obtenus par l’équipe française de Curie (6) et par une équipe anglaise (4). Enfin, Brewster (3) confirme que le THM a bien un effet de promotion portant uniquement sur les tumeurs ER+ et que seule cette population de tumeurs découvertes sous THM bénéficie d’un meilleur pronostic. Les tumeurs ER- diagnostiquées sous THM n’ont pas de pronostic différent. Tous ces résultats ébauchent l’explication suivante : les femmes sous THM voient leur risque de cancer du sein augmenter avec la durée et/ou leur vieillissement, alors qu’à l’arrêt du traitement, ce risque chute brutalement pour peut-être passer sous la barre du 1. La vitesse d’augmentation du risque de même que celle de sa disparition évoquent l’association d’un effet dépistage (davantage de consultations et de mammographies) à un effet de promotion, qui porte uniquement sur les clones ER+. Les tumeurs ainsi dévoilées viendraient en soustraction du risque spontané, à distance de l’arrêt du traitement. Il n’est pas possible de déterminer à ce jour par quel mécanisme cette promotion augmente le nombre de cancers ER+ : – soit en stimulant uniquement les tumeurs ER+ ; – soit en stimulant spécifiquement les clones ER+ dans des tumeurs non homogènes sur la réceptivité hormonale, permettant d’infléchir le devenir de ces tumeurs en les rendant davantage hormonodépendantes ; – soit, enfin, en permettant à ces tumeurs d’atteindre la taille critique de détection de 0,5 cm grâce aux cellules ER+ stimulées. En tout état de cause et quelle que soit l’explication retenue, le pronostic de ces tumeurs ER+ dépistées sous THM est nettement moins mauvais que celui des tumeurs découvertes hors THM ou sous THM mais ER-. n Références bibliographiques 1. Anderson GL, Chlebowski RT, Rossouw J et al. Prior hormone therapy and breast cancer risk in the Women’s Health Initiative randomised trial of estrogen plus progestin. Maturitas 2006;55:103-15. 2. Berry DA, Ravdin PM. Breast cancer trends: a marriage between clinical trial evidence and epidemiology. J Natl Cancer Inst 2007;99:1139-41. 3. Brewster AM, Do KA, Thompson P et al. Relationship between epidemiologic risk factors and breast cancer recurrence. J Clin Oncol 2007;25:4438-44. 4. Chen W, Petitti DB, Geiger AM. Mortality following development of breast cancer while using estrogen or estrogen plus progestin: a computer record-linkage study. Brit J Cancer 2005;93:392-8. 5. Collaborative Group on Hormonal Factors in Breast Cancer. Breast cancer and hormone replacement therapy: collaborative reanalysis of data from 51 epidemiological studies of 52 705 women with breast cancer and 108 women without breast cancer. Lancet 1997;350:1047-59. 6. Czernichow C, This P, Asselain B et al. Traitement hormonal substitutif de la ménopause et cancer du sein à l’institut Curie entre 1988 et 1999. Bull Cancer 2007;94:469-75. 7. Glass AG, Lacey JV, Carreon JD, Hoover RN. Breast cancer incidence, 19802006: combined roles of menopausal hormone therapy, screening mammography, and estrogen receptor status. J Natl Cancer Instit 2007;99:1152-61. 8. Jemal A, Ward E, Thun MJ. Recent trends in breast cancer incidence rates by age and tumour characteristics among US women. Breast Cancer Res 2007;9: R28. 9. Million Women Study Collaborators. Breast cancer and hormone-replacement therapy in the Million Women Study. Lancet 2003;362:419-27. 10. Ravdin PM, Cronin KA, Howlader N et al. The decrease in breast-cancer incidence in 2003 in the United States. N Eng J Med 2007;356:1670-4. 11. Schuetz f, Diel IJ, Pueschel M et al. Reduced incidence of distant metastases and lower mortality in 1 072 patients with breast cancer with a history of hormone replacement therapy.Am J Obstet Gynecol 2007;196;342:1-9. La Lettre du Gynécologue - n ° 328-329 - janvier-février 2008