Flécaïnide : un mode d’emploi Rédacton : Dr Jean-Philippe Kevorkian Interview du Pr Antoine Leenhardt Service de rythmologie Hôpital Bichat, Paris Dans le respect total de l’indépendance scientifique et éditoriale. Quelle place le flécaïnide occupe-t-il dans la pharmacopée du cardiologue ? Une place essentielle. Le flécaïnide est un anti-arythmique de classe Ic dans la classification de Vaughan-Williams ; il est indiqué dans le traitement de l’hyperexcitabilité supraventriculaire et ventriculaire. Très concrètement, il permet une prévention efficace des récidives des troubles du rythme supraventriculaire (TRSV) paroxystiques, notamment la fibrillation atriale (FA), qui est le trouble du rythme le plus fréquent. En l’absence de dysfonction systolique ventriculaire gauche et de coronaropathie avérée, le flécaïnide est également un traitement prophylactique efficace des troubles du rythme ventriculaire, dès lors que ceux-ci sont documentés, symptomatiques et invalidants. Les deux réserves concernant la fonction systolique ventriculaire gauche et la maladie coronaire doivent être scrupuleusement respectées. L’hyperexcitabilité ventriculaire d’allure bénigne et la prévention des chocs électriques chez les porteurs de défibrillateur automatique peuvent ainsi relever d’un traitement par flécaïnide. À titre personnel, il me paraîtrait légitime de retenir deux autres indications : d’une part, l’hyperexcitabilité ventriculaire liée à une dysplasie ventriculaire droite arythmogène (DVDA) dont le traitement peut nécessiter l’association du flécaïnide avec un bêta-bloquant ; d’autre part, les tachycardies ventriculaires (TV) catécholergiques, qui constituent un trouble du rythme ventriculaire rare. Quelles sont les contre-indications formelles ? Trois situations constituent des contre-indications majeures à l’utilisation du flécaïnide : l’infarctus du myocarde, l’insuffisance cardiaque et les troubles de conduction. Tous les troubles de conduction ? Non, seulement les troubles de conduction intraventriculaire de type bloc de branche gauche complet, bloc bifasciculaire incluant les blocs de branche droite associée à un hémibloc antérieur ou postérieur gauche, les blocs du deuxième et du troisième degrés, les dysfonctions sinusales non appareillées. Autrement dit, l’utilisation du flécaïnide est possible en cas de bloc auriculo-ventriculaire du premier degré et de bloc de branche droite avec un axe normal de QRS. 6 | La Lettre du Cardiologue • n° 475-476 - mai-juin 2014 au travers de l’exemple de la DVDa, vous évoquez l’éventualité d’une association du flécaïnide avec un bêta-bloquant. C’est donc possible ? Certainement, si l’utilisation du bêta-bloquant ne s’inscrit pas dans le cadre du traitement de l’insuffisance cardiaque chronique (ICC). Les bêta-bloquants pour lesquels il existe une AMM spécifique dans le traitement de l’ICC ne peuvent être utilisés en association avec le flécaïnide. En raison de leur conditionnement particulier (multiples dosages), il me semble pourtant que ces bêta-bloquants peuvent être utiles, dans certains cas, pour une titration. J’attire l’attention sur la nécessité de préciser sur l’ordonnance le caractère exceptionnel, “hors AMM”, de la prescription de ces bêta-bloquants en association avec le flécaïnide. Il est indispensable également de prévenir le patient de cette utilisation inhabituelle. Quelles sont les situations qui peuvent relever de l’utilisation de l’association flécaïnide-bêta-bloquant ? C’est une association que j’utilise notamment pour la prévention des récidives de FA, qui sont spontanément très rapides (≥ 130/mn) avant réduction. Dans ces formes, sous l’effet du flécaïnide, les récidives peuvent se faire sur le mode d’un flutter atrial en mode 1/1. En revanche, c’est une association illogique pour la prévention de la FA d’allure vagale. Dans cette situation clinique, l’utilisation du bêta-bloquant peut faire perdre le bénéfice prophylactique du flécaïnide. Quelles sont les formes disponibles du flécaïnide ? Deux formes orales, aux propriétés pharmacocinétiques différentes, sont disponibles : une forme à libération immédiate (LI) et une forme à libération prolongée (LP). La forme LI impose deux prises par jour. Un seul dosage à 100 mg est disponible. La forme LP permet une prise unique quotidienne. Il en existe 4 dosages (50, 100, 150 et 200 mg), qui permettent un ajustement posologique adapté au patient, car la variation intra-individuelle peut être importante. Il existe aussi une forme injectable par voie intraveineuse. Elle est indiquée, notamment, pour la réduction de la FA récente, évoluant depuis moins de 24 heures, en l’absence d’altération de la fonction systolique ventriculaire gauche. Cette rubrique a été réalisée avec le soutien institutionnel du laboratoire Meda Pharma Quelle est votre pratique d’utilisation du flécaïnide ? Dans le cadre des TRSV, elle peut être prescrite chez un patient en rythme sinusal pour la prévention des récidives. Elle peut être également envisagée dans les 24 ou 48 heures qui précèdent une cardioversion électrique*. Cette imprégnation peut permettre de prévenir les récidives précoces de FA dans les suites d’une cardioversion réussie. En pratique, pour un patient qui pèse entre 60 et 70 kg, je prescris d’emblée une posologie pleine de flécaïnide LP entre 150 et 200 mg par jour. Cette modalité de prescription permet d’obtenir une concentration plasmatique stable sans variation plasmatique importante en 4 ou 5 jours. Il est également possible d’utiliser la forme LI en posologie initiale de 100 mg, pour atteindre la posologie moyenne efficace quotidienne de 200 mg par paliers d’augmentation de 4 à 5 jours. Dans l’hypothèse d’un relais par la forme flécaïne LP, il convient de surveiller l’effet sur l’ECG en mesurant les variations de durée du QRS. Dans le contexte de cet anti-arythmique à marge thérapeutique étroite, ces variations sont, en général, inférieures à 10 %. Comment pratiquez-vous la surveillance ? En tenant compte de la pharmacocinétique ; tout repose sur la pratique d’un ECG une semaine après la première prise de flécaïnide, ou lors de toute modification de posologie ou galénique. C’est le temps nécessaire à la stabilité de la concentration plasmatique. Contrairement aux quinidiniques, il n’y a pas de risque idiosyncrasique. Il n’y a donc aucune nécessité de pratiquer un ECG dans les heures qui suivent. Deux paramètres doivent être particulièrement analysés : la durée du QRS et la fréquence cardiaque. Au terme d’une semaine de traitement, l’allongement du QRS doit rester inférieur à 25 % de la durée préthérapeutique. Un aspect de Brugada de type 1 (sus-décalage du segment ST d’au moins 2 mm) doit également alerter sur la mauvaise tolérance ECG du flécaïnide. L’évaluation clinique et l’évaluation ECG doivent finalement permettre d’adapter la posologie à la hausse ou à la baisse, selon la réponse. Pour un patient qui reste symptomatique, quelles sont vos préconisations ? Elles comportent quatre étapes. Il me paraît primordial d’analyser les symptômes, la gêne engendrée et le ressenti pour dégager le niveau d’anxiété et la réalité de la gêne fonctionnelle. Dans la mesure du possible, il faut ensuite chercher à établir une relation certaine entre les symptômes et l’arythmie. Dans cette éventualité, la recherche de facteurs favorisants devient indispensable pour des raisons évidentes. Finalement, il sera possible de proposer des solutions qui tiendront du simple réconfort, d’une modification médicamenteuse voire d’une proposition de procédure interventionnelle. Peut-on anticiper la mauvaise tolérance ? Sans doute en tenant compte du terrain. La relation directe entre la posologie et la concentration plasmatique oblige à la prudence chez les patients âgés dont la fonction rénale est souvent naturellement altérée. En outre, pour ces patients, il faut également intégrer la notion d’une éventuelle insuffisance cardiaque potentielle à fonction systolique conservée. Toutes ces situations peuvent favoriser la toxicité du flécaïnide sous forme de déclenchement d’un flutter atrial 1/1 ou d’une arythmie ventriculaire. Un autre conseil important ? Il faut garder à l’esprit l’activité fréquence-dépendante du flécaïnide. Autrement dit, le blocage du canal sodique est proportionnel à la fréquence cardiaque. Par conséquent, l’effet clinique et ECG s’accroît avec l’augmentation de la fréquence cardiaque. Cette notion oblige à évaluer les effets cliniques et ECG du flécaïnide à l’effort chez les patients relativement jeunes conservant une activité sportive non négligeable, susceptible de faire augmenter la fréquence cardiaque au-delà de 140/mn. Pour ces patients, l’évaluation de la tolérance du flécaïnide pourrait justifier la pratique d’une épreuve d’effort pour ne pas manquer un élargissement notable du QRS annonciateur d’un trouble du rythme ventriculaire à l’effort. * Haute Autorité de santé. Guide Parcours de soins-Fibrillation atriale – Classe IIa, février 2014, p. 47. A. Leenhardt déclare avoir des liens d’intérêts avec Sanofi, Saint-Jude Médical, Pierre Fabre, MedaPharma. La Lettre du Cardiologue • n° 475-476 - mai-juin 2014 | 7