MISE AU POINT Non-réponse à la resynchronisation cardiaque : que peut-on faire ? Non-response to CRT: what can we do? G. Moubarak*, G. Vedrenne*, S. Cazeau* P lus de 10 ans après la publication de la première étude randomisée de la resynchronisation dans l’insuffisance cardiaque, MUltisite STimulation In Cardiomyopathy (MUSTIC) [1], le développement de cette technique se heurte toujours à la barrière des non-répondeurs, estimés à 30 % des patients implantés, quel que soit le critère utilisé pour juger de la réponse (remodelage échographique, amélioration fonctionnelle, réduction de la morbimortalité). Dans cette mise au point, nous aborderons les différentes possibilités actuelles et futures qui s’offrent au rythmologue interventionnel pour optimiser le résultat de l’implantation, ainsi que le rôle du cardiologue traitant dans la prise en charge du patient non-répondeur. Objectif de la resynchronisation Cela tombe sous le sens, mais c’est aujourd’hui largement occulté : la resynchronisation vise à corriger une désynchronisation. Cette désynchronisation est mécanique, bien qu’appréciée presque exclusivement par sa composante électrique ventriculaire représentée par la largeur du QRS. La désynchronisation mécanique a 3 composantes, auriculoventriculaire, Figure 1. L’asynchronisme intraventriculaire est temporel et spatial. Les pics de contraction de certains segments myocardiques surviennent après la fermeture de la valve aortique (premier trait vertical blanc) et même après l’ouverture de la valve mitrale (second trait vertical blanc). Ces pics ne sont de plus pas synchrones. * Département de rythmologie, hôpital Saint-Joseph, Paris. La Lettre du Cardiologue • n° 466-467 - juin-septembre 2013 | 21 Mots-clés Resynchronisation cardiaque Sélection des patients Non-répondeurs Techniques de stimulation alternatives Highlights »» Assessment of dyssynchrony by echocardiography is certainly useful during patient selection, even if QRS width and morphology are the sole criteria currently endorsed. »» During standard implantation procedure, the LV lead should be positionned nonapically in a lateral or posterolateral vein, distant to the RV lead. Positioning the LV lead at the site with maximum mechanical delay yields better results. »» The permanent delivery of resynchronization must be checked, particularly in patients with atrial fibrillation. »» Technical solutions exist for non-responders: multisite, multipolar or endocardial pacing. Points forts »» L’évaluation de la désynchronisation mécanique par l’échographie est certainement utile dans la sélection des patients, même si la largeur des QRS et leur morphologie sont encore les seuls critères actuellement retenus. »» Au cours d’une implantation classique, la position anatomique recherchée de la sonde VG est la portion non apicale d’une veine latérale ou postérolatérale, à distance de la sonde VD. La placer en regard de la ­paroi se contractant le plus tard semble être associé à de meilleurs résultats. »» Il faut s’assurer que la resynchronisation est bien délivrée en permanence, notamment dans le cas de la fibrillation atriale. »» Chez le patient non répondeur, des solutions techniques existent : stimulation multisite multipolaire ou endocardique. interventriculaire et intraventriculaire gauche (2). L’asynchronisme intraventriculaire est temporel (un ou plusieurs segments myocardiques se contractant au mauvais moment, c’est-à-dire trop tard, parfois même après la fermeture de la valve aortique), avec souvent une dimension spatiale si les différents segments myocardiques ne se contractent pas simultanément (figure 1, p. 21). La désynchronisation intraventriculaire spatiale est la seule à être parfois évaluée en routine. Keywords Cardiac resynchronization therapy Patient selection Non-responders Alternative pacing techniques Figure 2. Correction de l’asynchronisme intraventriculaire. La contraction de tous les segments myocardiques est simultanée et en systole. 22 | La Lettre du Cardiologue • n° 466-467 - juin-septembre 2013 MISE AU POINT L’objectif de la resynchronisation intraventriculaire serait donc de faire se contracter des segments myocardiques au bon moment, en systole (correction de l’asynchronisme temporel) et, si possible, en même temps (correction de l’asynchronisme spatial) [figure 2]. Une fois l’appareil implanté, les différents points de stimulation appliqués doivent permettre de raccourcir au minimum le temps d’activation global du ventricule gauche. Avant l’implantation : sélection des patients candidats à la resynchronisation La première étape pour espérer obtenir une réponse positive à la resynchronisation est donc de sélectionner un patient : ➤➤ qui présente un certain degré de désynchronisation ; ➤➤ dont la désynchronisation puisse bien être corrigée par l’implantation de l’appareil. Actuellement, le seul critère de désynchronisation retenu par les recommandations des sociétés savantes est celui de la largeur des QRS (≥ 120 ms). Cette approche simpliste est forcément imparfaite. On peut en effet remarquer que, parmi l’ensemble des patients avec un QRS ≥ 120 ms, la réponse la plus nette est observée chez ceux qui ont des QRS de plus de 150 ms. Mais tous les patients avec un QRS > 150 ms ne sont pas des répondeurs et, à l’inverse, tous les patients avec un QRS compris entre 120 et 150 ms ne sont pas non plus implantés pour rien. Dans l’étude DESIRE (3), 70 % des patients avec un QRS relativement fin, compris entre 120 et 150 ms, et un critère d’asynchronisme mécanique démontré par l’échographie étaient cliniquement répondeurs à la resynchronisation. Enfin, tous les QRS larges ne sont pas identiques : les patients ayant un aspect de bloc de branche droit ou un trouble indéterminé de la conduction intraventriculaire sont moins souvent répondeurs que les patients avec un bloc de branche gauche classique. Leur désynchronisation est différente et n’est pas facile à corriger avec nos moyens actuels. Les recommandations européennes de 2012 sur l’insuffisance cardiaque (4) ont intégré cette notion et exigent dorénavant que les patients avec un bloc de branche droit ou un trouble indéterminé de la conduction intraventriculaire aient un QRS ≥ 150 ms pour se voir proposer une resynchronisation (contre toujours 120 ms pour les patients avec bloc de branche gauche). L’échographie cardiaque peut (doit ?) certainement jouer un rôle important dans la sélection des patients, en sus de la largeur des QRS et de leur morphologie. L’étude PROSPECT (Providing Regional Observation to Study Prediction of Events in the Coronary Trec) [5] avait déçu les espoirs placés dans l’échographie, mais ses limites méthodologiques (notamment la reproductibilité de la mesure de certains paramètres) ont été très commentées depuis. Pourtant, tout le monde a oublié que, dans PROSPECT, certains paramètres simples, comme le délai pré-éjectionnel gauche, le délai interventriculaire et la durée du remplissage diastolique, étaient parfaitement reproductibles et prédisaient significativement la réponse clinique et échographique. En complément de cette première étape de screen­ing par l’ECG et l’échographie, il faudra considérer certains éléments cliniques dans la décision d’implantation d’une resynchronisation. Trois situations en particulier inciteront à ne pas la proposer : la dysfonction ventriculaire droite significative, l’existence d’une valvulopathie organique nécessitant une correction chirurgicale et l’insuffisance cardiaque terminale. L’évolution naturelle de ces patients est de toute façon péjorative à court ou à moyen terme et n’est pas modifiée par la resynchronisation dite “de sauvetage”, qui est actuellement quasiment abandonnée. L’implantation d’un système de resynchronisation classique : comment l’optimiser ? La mise en place d’une sonde atriale et d’une sonde ventriculaire droite (de stimulation ou de défibrillation) ne pose en règle générale aucun problème. La sonde ventriculaire gauche peut être plus délicate à implanter dans une veine coronaire : il faut qu’elle ait une position stable dans la veine, avec de bons paramètres de fonctionnement (notamment un seuil de stimulation acceptable), sans induire de stimulation phrénique. Si cette approche purement anatomique est maintenant couronnée de succès dans 90 à 95 % des cas, elle ne garantit pas que la stimulation biventriculaire ainsi délivrée permettra de corriger la désynchronisation que présente le malade. On dispose de plusieurs “astuces” pour améliorer le taux de réponse obtenu avec cette implantation “classique”. La Lettre du Cardiologue • n° 466-467 - juin-septembre 2013 | 23 MISE AU POINT Non-réponse à la resynchronisation cardiaque : que peut-on faire ? Où placer “anatomiquement” les sondes VG et VD ? Il existe maintenant des données solides, notamment des analyses des études MADIT-CRT (A Multicenter Automatic Defibrillator Implantation Trial with Cardiac Resynchronization Therapy) et REVERSE (REsynchronization reVErses Remodeling in Systolic left vEntricular dysfunction) [6, 7], indiquant que la sonde VG ne doit pas être placée dans une position apicale. L’effet bénéfique de la position non apicale se traduit par un remodelage échographique favorable plus fréquent, et même une diminution de la morbimortalité. Cette constatation est relativement logique si l’on considère que, dans le bloc de branche gauche (ce qui concerne la majorité des patients implantés), l’apex est activé précocement (au contraire de la paroi latérale) : il est peut-être inutile de stimuler une paroi qui n’est pas en retard… De plus, la stimulation apicale ou para-apicale peut induire une séquence d’activation mécanique inversée par rapport à la séquence d’activation mécanique naturelle, à point de départ basal. L’autre explication est que 88 % des patients de MADIT-CRT et 69 % des patients de REVERSE avaient une sonde VD également apicale, soit anatomiquement très proche de la sonde VG (stimulation biventriculaire “monosite” ?). De nombreuses données suggèrent qu’une grande distance anatomique entre les 2 électrodes est importante pour optimiser la réponse à la resynchronisation (8). Là encore, c’est logique : si on veut réduire le temps d’activation global des ventricules, il vaut mieux les stimuler à partir de points distants plutôt que tout proches. Ainsi, la position de la sonde VD en elle-même pourrait n’avoir que peu d’importance (il n’a pas été montré de différence selon qu’elle soit infundibulaire ou apicale) : c’est sa position relative à la sonde VG qui compte. Choix du site VG en fonction de l’importance de l’asynchronisme Quoi de plus logique que de placer la sonde VG en regard de la paroi qui a le plus grand degré de retard, si l’on ne raisonne qu’en termes de désynchronisation intraventriculaire spatiale ? La première approche est de retenir l’asynchronisme électrique, estimé par le délai entre le début du QRS et l’électrogramme local enregistré au bout de la sonde (9). S’il a été montré que cette approche est corrélée à une meilleure réponse hémodynamique aiguë, elle n’est toutefois pas 24 | La Lettre du Cardiologue • n° 466-467 - juin-septembre 2013 facilement réalisable en pratique, car elle nécessiterait de déplacer la sonde VG dans plusieurs veines (et à l’intérieur même des veines) pour rechercher le site qui s’active avec le plus de retard… La seconde approche, plus prometteuse, serait de se focaliser sur l’asynchronisme mécanique. L’idée est d’implanter la sonde VG en regard de la paroi qui se contracte en dernier, déterminée grâce à une évaluation par l’échographie de strain par exemple (10). Habituellement, il s’agit d’une veine latérale ou postérolatérale. Si l’on arrive bien à implanter la sonde en regard de la paroi d’intérêt (site dit “concordant” avec les données de l’échographie), le taux de réponse augmente significativement, selon certains auteurs. Choix du site VG en fonction de la fibrose myocardique Pour espérer une resynchronisation efficace, le site “retardé” visé ne doit pas être “cicatriciel”, comme c’est souvent le cas dans les cardiopathies ischémiques. Il faut en effet que l’activation électrique à partir de ce point puisse rapidement diffuser à l’ensemble du myocarde ; or, la conduction électrique à partir d’une stimulation en regard de zones de fibrose transmurale (“scar”) est malheureusement souvent très lente. Pendant l’implantation, on peut le vérifier en surveillant la durée d’activation des ventricules et la durée du QRS. Le résultat de la resynchronisation sera alors forcément décevant (11). Après l’implantation du système de resynchronisation : collaboration entre le rythmologue et le cardiologue traitant Ce n’est pas parce que le rythmologue a terminé son intervention que tout est réglé ! Il est nécessaire qu’un dialogue s’instaure entre le centre implanteur (rythmologue, échographiste connaissant le domaine) et le cardiologue traitant pour s’assurer que : ➤➤ la resynchronisation est délivrée en permanence ; ➤➤ le patient est bien resynchronisé ; ➤➤ il en tire un bénéfice. MISE AU POINT La resynchronisation est-elle bien permanente ? Pour que la resynchronisation marche, il faut déjà que la stimulation soit délivrée tout le temps ! Trois situations empêchent fréquemment une capture biventriculaire permanente : un délai auriculoventriculaire trop long chez les patients en rythme sinusal, l’existence d’une FA (pas forcément rapide, d’ailleurs) et, chez tous les patients (en rythme sinusal ou FA), des extrasystoles ventriculaires (ESV) fréquentes. Le premier cas peut être diagnostiqué sur un simple ECG et nécessitera de raccourcir par programmation le délai auriculoventriculaire. Dans le cas de la FA, le bénéfice de la resynchronisation n’est obtenu que pour des pourcentages de stimulation supérieurs à 95 % (12). Ainsi, en l’absence d’une FA spontanément très lente, sans intervalles RR courts, l’ablation de la jonction auriculoventriculaire tend à devenir systématique. Les ESV, quant à elles, doivent pousser à optimiser le traitement médicamenteux. Une ablation peut se discuter, surtout si les ESV sont nombreuses et monomorphes. réponse initiale ou de dégradation secondaire de l’état du patient. La resynchronisation est l’un des aspects du traitement de la défaillance myocardique, mais non le seul, et n’est – rappelons-le – qu’un traitement de la désynchronisation et non de la maladie causale. Que peut faire le rythmologue en dehors de l’implantation classique ? Malheureusement, malgré toutes les précautions détaillées ci-dessus, certains patients restent non répondeurs à la resynchronisation “classique” (1 sonde VD et 1 sonde VG placée dans une veine coronaire). Des techniques nouvelles peuvent représenter une alternative intéressante pour ces patients, toujours dans le but de délivrer une resynchronisation de meilleure qualité. Une fois arrivées à maturité, il n’est pas interdit de penser que certaines d’entre elles pourront être proposées en première intention. Le patient est-il bien resynchronisé ? Mise en place de 3 sites de stimulation (ou plus) C’est là le rôle de l’échographie, qui doit déterminer si la resynchronisation a bien corrigé la désynchronisation initiale du patient ! On a vu plus haut que ce n’était en effet pas automatique. La place de l’optimisation régulière des réglages des délais auriculoventriculaire et peut-être interventriculaire par l’échographie est encore débattue. Si elle n’est pas forcément indispensable en routine, n’ayant pas fait la preuve de son efficacité (13), elle devient importante chez un patient non répondeur. ◆◆ Trois sondes Il peut s’agir de mettre 3 sondes : 2 sondes VD + 1 sonde VG (figure 3, p. 26), ou bien 1 sonde VD + 2 sondes VG. La première configuration est plus aisée techniquement, consistant à implanter une sonde VD apicale et l’autre en position infundibulaire. Une équipe japonaise a montré qu’un tiers des patients avaient une amélioration hémodynamique aiguë en “tri-V” par rapport au “bi-V” (14). La deuxième configuration, testée par des équipes françaises, est techniquement réalisable dans 85 % des cas, avec une amélioration échographique à 3 mois (15). Dans les 2 cas, il reste à démontrer un effet bénéfique sur la morbimortalité (résultats de l’étude V3 en attente). Le patient tire-t-il bénéfice de la resynchronisation ? La vérification du bon résultat électrique et mécanique de la resynchronisation ne doit pas faire oublier la prise en charge globale du patient, au centre de laquelle se trouve son cardiologue traitant. Combien de patients croient à tort que l’appareil va tout régler et qu’ils pourront se passer de leurs médicaments ? Au contraire, une bonne resynchronisation est l’occasion de renforcer le traitement médical, en augmentant les doses de β-bloquant et d’IEC, si elles n’avaient pas pu l’être auparavant. Enfin, il importe de rechercher et de traiter les autres comorbidités, cardiovasculaires ou non (ischémie myocardique, approche agressive des arythmies, anémie, etc.), de surcroît en cas de non- ◆◆ Sondes multipolaires Les industriels proposent ou développent de nouvelles sondes pouvant délivrer la stimulation à partir de plusieurs pôles sur leur trajet, multipliant ainsi les possibilités des sites de stimulation sans multiplier le nombre des électrodes implantées (16). Stimulation endocardique Cette approche théoriquement séduisante permet de stimuler le VG à partir de l’endocarde (et non plus La Lettre du Cardiologue • n° 466-467 - juin-septembre 2013 | 25 MISE AU POINT Non-réponse à la resynchronisation cardiaque : que peut-on faire ? Figure 3. Stimulation triventriculaire : deux sondes ventriculaires droites, septale haute (VD1) et apicale (VD2), et une sonde ventriculaire gauche (VG). . Moubarak déclare ne pas avoir G de liens d’intérêts. à partir de l’épicarde comme à présent, à travers la veine coronaire), soit de respecter la séquence d’activation physiologique qui va de l’endocarde à l’épicarde (17). Elle permet aussi d’avoir un grand choix de points de stimulation, et de s’affranchir du risque de stimulation phrénique. Toutefois, cette implantation nécessite un abord transseptal ainsi qu’une anticoagulation efficace à vie en raison du risque de thrombus sur la sonde, et expose à un risque mal défini d’infection, avec possibilité d’embolie systémique. Des études de validation clinique devront faire suite aux études techniques de faisabilité. Conclusion Le bon résultat de la resynchronisation cardiaque dépend de la bonne sélection des patients (certes, sur la largeur des QRS et leur type, mais certainement aussi sur une évaluation électromécanique échographique) et des possibilités de correction de la désynchronisation initiale par la technique d’implantation actuelle. Une fois l’appareil implanté, un aller-retour permanent entre le centre implanteur et le cardiologue traitant est indispensable pour maximiser le bénéfice que le patient pourra en tirer. ■ Références bibliographiques 1. Cazeau S, Leclercq C, Lavergne T et al. 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