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La Lettre du Pharmacologue - Volume 15 - n
os
7-8 - septembre-octobre 2001
PHARMACOLOGIE
focales de fibrose peut augmenter l’incidence des troubles du
rythme ventriculaire. Cet effet proarythmique peut être renforcé
par l’inhibition par l’aldostérone du recaptage myocardique des
catécholamines (27). Enfin, l’aldostérone étant capable d’alté-
rer les réponses baroréflexes (au moins chez le volontaire sain)
(28), il est possible que l’augmentation d’aldostérone dans
l’insuffisance cardiaque joue un rôle dans la désensibilisation
du baroréflexe caractéristique de cette pathologie.
Au niveau vasculaire, les effets vasoconstricteurs de l’aldosté-
rone, qu’ils soient directs ou secondaires à la stimulation sym-
pathique, peuvent contribuer à augmenter les résistances péri-
phériques, et donc à aggraver le contexte d’insuffisance
cardiaque. De plus, le développement de la fibrose des gros
troncs pourrait contribuer à diminuer leur compliance (29).
Enfin, les effets vasculaires de l’aldostérone impliquent égale-
ment la circulation veineuse. Ainsi, une étude réalisée chez
16 insuffisants cardiaques traités par captopril, digoxine et furo-
sémide démontre une relation inverse entre aldostérone et capa-
citance veineuse, suggérant un rôle direct de l’aldostérone sur
la précharge (30).
SPIRONOLACTONE ET INSUFFISANCE CARDIAQUE
Compte tenu du fait que le principal stimulant de la sécrétion
d’aldostérone est l’angiotensine II, il paraît normal de penser
que les inhibiteurs de l’enzyme de conversion de l’angioten-
sine I, ou encore les antagonistes des récepteurs AT1de l’an-
giotensine II, diminuent la production d’aldostérone dans l’in-
suffisance cardiaque, cet effet inhibiteur ayant été retrouvé dans
les grands essais cliniques. Par exemple, dans l’étude
CONSENSUS, un traitement de 6 mois par l’énalapril conduit
à une réduction de plus de 50 % des concentrations plasma-
tiques d’aldostérone (23). Cependant, les études réalisées avec
les inhibiteurs de l’enzyme de conversion chez l’insuffisant
cardiaque s’accordent à dire que l’inhibition de la production
d’aldostérone en réponse à ces traitements est incomplète (31).
Dans de nombreux cas, on observe même un retour aux valeurs
de base des concentrations d’aldostérone en présence d’un
traitement chronique par un IEC (32).
Les mécanismes de phénomène “d’échappement” de l’al-
dostérone pourraient être liés en partie au blocage incom-
plet de la production d’angiotensine II par les IEC en trai-
tement chronique. Toutefois, des résultats récents
démontrent que le phénomène d’échappement de l’aldosté-
rone se retrouve avec les antagonistes des récepteurs AT1.
Par exemple, dans l’étude pilote RESOLVD (33), aucune
modification des taux d’aldostérone n’a été observée après
43 semaines de traitement par un IEC (l’énalapril), un anta-
goniste des récepteurs AT1(le candesartan), ou leur combi-
naison. D’autres mécanismes pourraient donc expliquer cet
échappement de l’aldostérone, en particulier le fait que,
comme il a été indiqué plus haut, la sécrétion d’aldostérone
est sous la dépendance de nombreux facteurs, indépendam-
ment de l’angiotensine II (ACTH, potassium, endothéline,
ANF, débit hépatique, etc.).
Compte tenu des effets délétères de l’aldostérone et du contrôle
incomplet de sa sécrétion par les IEC ou les antagonistes AT1,
l’utilisation de médicaments bloquant directement la produc-
tion ou les effets tissulaires de l’aldostérone paraissait promet-
teuse. La principale substance utilisée dans ce contexte est la
spironolactone, un antagoniste compétitif du récepteur miné-
ralocorticoïde de l’aldostérone.
Paradoxalement, peu d’études ont évalué les effets de la spiro-
nolactone dans des modèles expérimentaux d’insuffisance car-
diaque. Cependant, il a récemment été montré que cet antago-
niste était capable d’inhiber la fibrose myocardique dans un
modèle d’infarctus du myocarde chez le rat, et ce sans modifi-
cation de pression artérielle, bien que, dans ce modèle, l’effet de
la spironolactone soit inférieur à celui d’un antagoniste AT1(12).
L’efficacité de la spironolactone chez les patients insuffisants
cardiaques a d’abord été évaluée dans des études cliniques de
petite taille et sur des périodes courtes. Tsutamoto et al. (34)
ont ainsi montré que la spironolactone diminuait l’extraction
transcardiaque d’aldostérone, elle-même corrélée à un mar-
queur biologique de fibrose cardiaque. Au plan hémodyna-
mique, une étude randomisée en double aveugle réalisée chez
31 insuffisants cardiaques traités par un IEC et un diurétique
(35) a démontré que la spironolactone (50-100 mg/j) induisait
une baisse de fréquence cardiaque, ainsi qu’une augmentation
de la variabilité de fréquence cardiaque, reconnue comme étant
un facteur pronostique dans l’insuffisance cardiaque. En paral-
lèle, cette étude rapportait également une diminution des taux
sériques d’un marqueur du collagène cardiaque.
Les effets de la spironolactone sur l’équilibre électrolytique et
les modifications électrocardiographiques ont été évalués chez
42 patients insuffisants cardiaques en classe II et III de la
NYHA et traités par IEC + diurétique (27). On observe lors du
traitement par la spironolactone une diminution du nombre
d’extrasystoles ventriculaires évalué par holter ; cette diminu-
tion est inversement corrélée à l’augmentation du magnésium
plasmatique. Ces propriétés antiarythmiques de la spironolac-
tone ont aussi été retrouvées dans une seconde étude randomisée
réalisée chez 35 patients en classe III de la NYHA (36). On
retrouve dans cette étude une diminution du nombre d’extra-
systoles ventriculaires et des épisodes de tachycardie.
L’efficacité de la spironolactone a également été vérifiée chez
16 patients (classe III de la NYHA) non répondeurs au traite-
ment IEC-diurétique de l’anse. Chez ces patients, on note une
augmentation importante de la natriurèse et de la diurèse, asso-
ciée à une diminution de poids, et une amélioration des symp-
tômes pour 81 % d’entre eux (37).
Les effets de la spironolactone dans l’insuffisance cardiaque ne
se limitent pas au cœur et au rein, mais s’étendent aussi au sys-
tème vasculaire. Ainsi, une étude récente suggère qu’un traite-
ment d’un mois par la spironolactone chez 10 patients insuffi-
sants cardiaques améliore la fonction endothéliale périphérique,
évaluée par la réponse vasodilatatrice à l’acétylcholine et la
réponse vasoconstrictrice à un inhibiteur de synthèse de NO