P H A R M A C O L O G I E Aldostérone, spironolactone et insuffisance cardiaque ! V. Richard*, C. Thuillez* RÉSUMÉ. L’aldostérone est le principal minéralocorticoïde de l’organisme. Elle est produite par les cellules glomérulées de la corticosurrénale, mais également au niveau cardiaque (au moins dans les modèles expérimentaux). Les principaux effets biologiques de l’aldostérone s’expriment au niveau rénal (stimulation de la réabsorption de sodium et d’eau et de l’excrétion de potassium et de magnésium), mais également au niveau neuronal (inhibition du recaptage des catécholamines) et au niveau cardiaque (en particulier développement de fibrose). Ces effets dépendent de la stimulation d’un récepteur nucléaire, mais aussi probablement d’un récepteur membranaire, responsable des effets immédiats de l’aldostérone. La synthèse d’aldostérone est augmentée de façon importante dans l’insuffisance cardiaque, en particulier suite à l’activation du système rénineangiotensine. Si l’on se réfère aux effets de l’aldostérone au niveau rénal et cardiaque, il est clair que le blocage de la production et/ou des effets de l’aldostérone pourrait exercer des effets bénéfiques dans l’insuffisance cardiaque, en particulier en termes d’amélioration de fonction cardiaque et de diminution de l’incidence des troubles du rythme. Néanmoins, de nombreux essais cliniques ont démontré que la production d’aldostérone était contrôlée de façon très imparfaite par les inhibiteurs de l’enzyme de conversion ou les antagonistes des récepteurs de l’angiotensine II. L’existence d’un tel échappement de l’aldostérone dans l’insuffisance cardiaque ainsi que le développement des connaissances dans la physiopathologie de ce facteur ont conduit à l’évaluation des effets d’un antagoniste des récepteurs de l’aldostérone, la spironolactone, dans l’insuffisance cardiaque. Ainsi, l’étude multicentrique RALES (Randomized Aldactone Evaluation Study) a clairement démontré le bénéfice de la spironolactone chez des patients en insuffisance cardiaque sévère, en particulier en termes de sévérité de l’insuffisance cardiaque et de mortalité. Le blocage des récepteurs de l’aldostérone paraît donc constituer un apport majeur dans le traitement de l’insuffisance cardiaque, au moins dans un contexte de dysfonction ventriculaire sévère et en l’absence d’insuffisance rénale et d’hyperkaliémie. Mots-clés : Rénine - Angiotensine - Aldostérone -Insuffisance cardiaque - Spironolactone. M algré l’amélioration de la prise en charge de l’insuffisance cardiaque, la morbidité et la mortalité associées à cette pathologie demeurent élevées (1, 2). De plus, les perspectives d’évolution suggèrent que la prévalence de l’insuffisance cardiaque devrait augmenter de façon importante au cours des années à venir, du fait du vieillissement de la population et de l’amélioration des thérapeutiques, notamment dans le domaine de l’ischémie myocardique et de l’hypertension artérielle (3). Les progrès les plus marquants dans le domaine du traitement médicamenteux de l’insuffisance cardiaque ont tous porté sur les interactions avec les grands systèmes neuro-hormonaux : système sympathique, endothéline et surtout système rénineangiotensine-aldostérone (SRAA). S’il a longtemps été consi- * Service de pharmacologie, INSERM E9920, CHU de Rouen, 76031 Rouen Cedex. 136 déré que la plupart des effets des bloqueurs du SRAA résultaient de l’inhibition des effets de l’angiotensine II, il est clair aujourd’hui que le blocage des effets de l’aldostérone joue également un rôle important, ce que montrent aussi indirectement les observations démontrant le rôle délétère certain de l’aldostérone dans l’insuffisance cardiaque. Dans ce contexte, il a été montré que le traitement chronique par les inhibiteurs de l’enzyme de conversion de l’angiotensine I (IEC) ou les antagonistes des récepteurs AT1 de l’angiotensine II conduit à une inhibition incomplète de la production d’aldostérone. Les conséquences d’un tel phénomène d’échappement et la connaissance des effets délétères de l’aldostérone justifient l’utilisation d’un antagoniste des récepteurs de l’aldostérone, et en particulier de la spironolactone, dans le traitement de l’insuffisance cardiaque. Cet article résume nos connaissances actuelles dans le domaine des effets cardiovasculaires de l’aldostérone, son rôle dans l’insuffisance cardiaque et les résultats obtenus avec la spironolactone dans cette pathologie. La Lettre du Pharmacologue - Volume 15 - nos 7-8 - septembre-octobre 2001 P SYNTHÈSE ET MÉTABOLISME DE L’ALDOSTÉRONE Le principal site de synthèse d’aldostérone est la glande corticosurrénale, et, en particulier, les cellules glomérulées situées immédiatement sous la capsule. Les cellules surrénaliennes ne stockent pas l’aldostérone ; au contraire, elles sont capables de la synthétiser extrêmement rapidement au niveau des mitochondries. La synthèse d’aldostérone se fait à partir de cholestérol (figure 1). Celui-ci est mobilisé à partir des réserves constituées par des gouttelettes lipidiques, et transformé en prégnénolone par la cholestérol desmolase, ce qui constitue une étape précoce de régulation de la synthèse. La prégnénolone est ensuite convertie en progestérone, elle-même hydroxylée en 11-désoxycorticostérone (DOC), puis la DOC est hydroxylée en corticostérone par la cytochrome P-450 11β/18β-hydroxylase. La conversion corticostérone-aldostérone se fait alors grâce à la cytochrome P-450 aldostérone synthétase. Cette conversion met d’abord en jeu une hydroxylation (conduisant à la production de 18-OH corticostérone), suivie de la formation d’un aldéhyde qui constitue l’aldostérone, ces deux étapes mettant en jeu l’aldostérone synthétase. AII Cholestérol ANF AT1 ACTH + + K + Prégnénolone ET-1 ETA-ETB 10 + Progestérone 10 Na+ K+ + Désoxycorticostérone (DOC) Corticostérone Mitochondrie (Cellule glomérulée, cœur, artère) Aldostérone synthétase Aldostérone Figure 1. Voies de synthèse de l’aldostérone. Au contraire des glucocorticoïdes, il n’existe pas de protéine de transport spécifique de l’aldostérone. Plus de 50 % de l’aldostérone circulante est non liée, et le volume de distribution de cette hormone est très important (35 litres pour une personne de 70 kg). Le principal site de métabolisme de l’aldostérone est le foie, qui en inactive 85 % en un seul passage. La tétrahydroaldostérone (glucuronoconjuguée) constitue le principal métabolite urinaire. La vitesse de dégradation de l’aldostérone dépend du débit hépatique et de son extraction au niveau des cellules parenLa Lettre du Pharmacologue - Volume 15 - nos 7-8 - septembre-octobre 2001 H A R M A C O L O G I E chymateuses, deux paramètres qui peuvent être modifiés dans l’insuffisance cardiaque. Ainsi, les modifications de débit hépatique et de métabolisme associées à l’insuffisance cardiaque peuvent conduire à une augmentation par un facteur 3 des concentrations sanguines et de la demi-vie de l’aldostérone. L’hyperaldostéronisme rencontré dans l’insuffisance cardiaque est donc lié à la fois à l’activation du SRAA et à la diminution de la clairance hépatique (4). De nombreux facteurs peuvent réguler la synthèse d’aldostérone au niveau surrénalien. Les principaux stimulants de la synthèse d’aldostérone sont : " L’angiotensine II, qui en constitue le stimulant majeur. Au contraire de l’ACTH, la stimulation induite par l’angiotensine II persiste en cas de stimulation prolongée. Ainsi, certains effets de l’angiotensine II (par exemple, la stimulation de la réabsorption de Na+) s’exercent à la fois de façon directe et par l’intermédiaire de la sécrétion d’aldostérone. L’angiotensine II stimule la sécrétion d’aldostérone par l’intermédiaire de la stimulation des récepteurs AT1, conduisant à une activation de la phospholipase C et à une augmentation de calcium intracellulaire qui stimule les enzymes de biosynthèse calciumdépendantes (5). " L’ACTH, dont les effets sur la stimulation d’aldostérone sont temporaires (de l’ordre de 24 heures), avec un retour à la normale qui peut s’observer même en cas de taux élevés d’ACTH. Cette hormone joue un rôle important sur le cycle nycthéméral de sécrétion d’aldostérone. " La kaliémie, qui constitue un système de régulation sensible de la sécrétion d’aldostérone. Cette régulation par le K+ est par ailleurs influencée par la balance sodée, une balance sodée négative augmentant la sensibilité au K+. Au-delà de cette description “classique” des stimulants de la sécrétion d’aldostérone, d’autres facteurs ont été potentiellement impliqués : c’est notamment le cas de l’endothéline. En effet, on trouve des récepteurs de l’endothéline au niveau des cellules glomérulées de la corticosurrénale. Ces récepteurs sont de type ETB chez le rat et ETA et ETB chez l’homme. La stimulation de ces récepteurs provoque non seulement une augmentation de la production d’aldostérone, mais aussi une stimulation de la prolifération des cellules glomérulées (6). À l’inverse, la synthèse d’aldostérone peut être inhibée par le facteur atrial natriurétique (par un effet direct qui s’ajoute à l’effet indirect lié à l’inhibition de la synthèse de rénine), l’héparine, la ouabaïne, la dopamine et les inhibiteurs de la stéroïdogenèse (dont les androgènes). Récemment, de nombreuses données ont suggéré l’existence d’une synthèse locale d’aldostérone au niveau extrarénal. C’est, en particulier, le cas du cerveau (7), des vaisseaux (8, 9), mais aussi du myocyte cardiaque, au moins chez le rat (10-12). Au niveau cardiaque, bien que les facteurs régulant la synthèse d’aldostérone restent à déterminer de façon précise, il est probable que l’angiotensine II (notamment celle produite au niveau tissulaire) joue là aussi un rôle majeur (12). 137 P H A R M A C O L O G I E EFFETS BIOLOGIQUES DE L’ALDOSTÉRONE L’aldostérone est le minéralocorticoïde le plus puissant de l’organisme. Comme son nom l’indique, ce stéroïde intervient dans la régulation des minéraux, et tout particulièrement dans la réabsorption du Na+ et de l’eau (aux dépens de l’excrétion de K+ et Mg2+). Cependant, outre ces effets “classiques”, l’aldostérone peut intervenir au niveau de tissus non épithéliaux, essentiellement au niveau cardiaque. Les principaux effets biologiques de l’aldostérone et leurs conséquences au niveau du système cardiovasculaire sont résumés dans le tableau I. Tableau I. Effets biologiques de l’aldostérone et conséquences cardiovasculaires. # $ Na+ " hypertrophie ventriculaire gauche " % compliance artérielle # % K+ " troubles du rythme # % Mg2+ " troubles du rythme # Potentialisation du tonus sympathique " effet proarythmique # Fibrose " cardiaque – compliance ventriculaire gauche – troubles du rythme " vasculaire – mécanique artérielle (compliance, pression artérielle systolique) # $ volémie " pression artérielle " volume et mécanique cardiaques " stress pariétal Effets rénaux Les effets majeurs de l’aldostérone se situent au niveau du tubule distal du néphron. À ce niveau, le potassium filtré a été entièrement réabsorbé, tandis que le sodium l’a été à 80-90 %. Le tube distal est le site majeur de la régulation finale de l’excrétion de sodium et de potassium, en particulier par des échanges sodium contre potassium ou proton. L’aldostérone stimule la réabsorption de sodium et l’excrétion de potassium. La réabsorption de sodium crée un gradient électrochimique conduisant à un transfert passif d’ions chlore, ainsi qu’une sécrétion d’ions H+. Les effets cellulaires de l’aldostérone dépendent de sa liaison avec un récepteur intracellulaire spécifique, le récepteur minéralocorticoïde. Le couplage hormone/récepteur va induire une migration vers le noyau et une fixation sur des séquences spécifiques de l’ADN. Il s’ensuit une augmentation de la synthèse des protéines responsables de l’échange Na+/K+. Cette stimulation se fait au niveau transcriptionnel, et l’inhibition de la synthèse protéique abolit les effets de l’aldostérone. Parmi les protéines dont la synthèse est augmentée par l’aldostérone, on peut citer la Na+/K+ ATPase, le canal Na+ sensible à l’amiloride, ainsi que des enzymes impliquées dans le métabolisme énergétique, et probablement d’autres échangeurs ioniques. Ces mécanismes d’action cellulaire de l’aldostérone, qui nécessitent une synthèse protéique, expliquent le délai observé dans les effets de l’aldostérone. 138 Bien que le récepteur nucléaire ne soit pas sélectif vis-à-vis de l’aldostérone et soit également capable de fixer les glucocorticoïdes, la sélectivité vis-à-vis de l’aldostérone est assurée par la présence de 11β hydroxystéroïde déshydrogénase, qui dégrade les glucocorticoïdes en dérivés présentant une affinité faible pour le récepteur (13). Effets cardiovasculaires La présence de récepteurs minéralocorticoïdes dans le myocarde et sur les vaisseaux est maintenant bien établie. On retrouve ce récepteur au niveau des myocytes humains (oreillette et ventricule) (14) ainsi que sur les cellules endothéliales et musculaires lisses de gros troncs artériels (aorte, artère pulmonaire, carotide, mésentérique) (15). En revanche, ces récepteurs n’ont pas été détectés dans les artérioles, les capillaires et les veines (15). Le myocyte cardiaque possède également une activité 11β hydroxystéroïde déshydrogénase, qui est responsable de la sélectivité du récepteur nucléaire vis-à-vis de l’aldostérone. Ainsi, la présence à la fois des enzymes de synthèse et de dégradation et des récepteurs de l’aldostérone plaide pour l’existence d’un système aldostérone local dans le muscle cardiaque et les cellules vasculaires, comme cela a été démontré avec le système rénine-angiotensine. Dans le système cardiovasculaire, la stimulation des échanges ioniques par l’aldostérone est associée à une modification des concentrations ioniques de la cellule ou de son environnement extracellulaire immédiat. Cependant, les cibles cellulaires exactes de l’aldostérone au niveau des tissus non épithéliaux restent à déterminer. Indépendamment des effets ioniques, de nombreuses données suggèrent que l’aldostérone exerce au niveau cardiaque et vasculaire un puissant effet stimulant de la synthèse de collagène et de la fibrose. Ainsi, chez le rat, la perfusion d’aldostérone à des doses n’induisant pas d’hypertension artérielle conduit au développement d’une fibrose interstitielle et périvasculaire (16). En outre, l’aldostérone stimule la synthèse de collagène sur des fibroblastes en culture (17). Ces observations plaident en faveur d’un effet direct de l’aldostérone, indépendant du contexte hémodynamique et, au moins en partie, de l’activation du système rénine-angiotensine. La stimulation de la fibrose dans les situations où les concentrations d’aldostérone sont augmentées peut avoir des conséquences majeures, à la fois sur le cœur (en termes de modification de compliance et d’incidence de troubles du rythme) et les vaisseaux (diminution de compliance et augmentation de pression artérielle) (tableau II). Tableau II. Principales conséquences de la fibrose ventriculaire. & Conséquences liées à la rigidité du collagène – diminution de l’élasticité musculaire – augmentation de la rigidité diastolique – gêne au remplissage passif – augmentation du remplissage actif télédiastolique ' Conséquences dues à une hétérogénéité tissulaire – dysfonctionnement systolique – création de circuits de réentrée – augmentation de l’automaticité – hétérogénéité de la propagation ( Conséquences dues à la perte de substance contractile – diminution de la tension active La Lettre du Pharmacologue - Volume 15 - nos 7-8 - septembre-octobre 2001 P Les effets vasculaires de l’aldostérone pourraient enfin dépendre de la stimulation d’un récepteur membranaire de l’aldostérone, distinct du récepteur nucléaire (18). Les effets de l’activation de ces récepteurs seraient rapides, ne nécessitant pas de synthèse protéique. Les mécanismes de transduction impliqués lors de la stimulation de ces récepteurs membranaires impliquent la stimulation de l’échangeur sodium/protons, mais aussi l’activation de la voie de la phospholipase C, se traduisant en particulier par un effet vasoconstricteur (19). ALDOSTÉRONE ET INSUFFISANCE CARDIAQUE Insuffisance cardiaque et concentrations circulantes d’aldostérone L’activation de différents systèmes neurohumoraux constitue un élément déterminant du développement de l’insuffisance cardiaque chronique. Parmi les systèmes activés, on note le système sympathique, la vasopressine, le facteur atrial natriurétique, le système endothéline et, bien entendu, le système rénine-angiotensine-aldostérone. L’hyperaldostéronisme observé dans l’insuffisance cardiaque est de nature secondaire, et résulte principalement de l’activation de la production de rénine, bien qu’il soit probable que d’autres facteurs humoraux y participent. Ce peut être le cas de l’endothéline, bien que les relations entre endothéline et aldostérone dans l’insuffisance cardiaque restent à étudier précisément. Par ailleurs, certains traitements de l’insuffisance cardiaque peuvent affecter la synthèse d’aldostérone. C’est le cas notamment des diurétiques, principalement par l’augmentation de libération de rénine qu’ils induisent. Indépendamment des modifications de synthèse, l’augmentation des taux d’aldostérone dans l’insuffisance cardiaque pourrait être liée en partie à une moindre élimination du minéralocorticoïde. En effet, comme cela a déjà été mentionné, l’élimination de l’aldostérone est principalement hépatique, et donc proportionnelle au débit sanguin hépatique. Ainsi, chez des patients insuffisants cardiaques, il a été démontré que la baisse de débit hépatique provoque une augmentation de la demi-vie d’élimination de l’aldostérone (20). La présence de nombreux facteurs confondants, tels que la charge sodée et les traitements associés, rend difficile l’évaluation exacte de l’augmentation des taux d’aldostérone chez des patients insuffisants cardiaques. Cependant, plusieurs études anciennes ont pu évaluer ces taux chez des patients non traités. Par exemple, dans une analyse d’un sous-groupe de l’étude CONSENSUS II, une augmentation des taux d’aldostérone a été notée après un infarctus, uniquement chez les patients présentant une insuffisance cardiaque (21). Une augmentation a également été mesurée chez des patients en insuffisance cardiaque sévère (classe III et IV de la NYHA) (22). Les relations entre concentrations d’aldostérone et morbi-mortalité dans l’insuffisance cardiaque ont aussi été étudiées dans l’étude CONSENSUS I, chez 239 patients en stade IV d’inLa Lettre du Pharmacologue - Volume 15 - nos 7-8 - septembre-octobre 2001 H A R M A C O L O G I E suffisance cardiaque et randomisés dans le bras placebo. Tous ces patients étaient traités par un diurétique, 94 % recevaient des digitaliques et la moitié un vasodilatateur (en général le dinitrate d’isosorbide). Les résultats de cette étude démontrent une corrélation significative entre les concentrations d’aldostérone et la mortalité évaluée à 6 mois (p = 0,003) (23). Insuffisance cardiaque et production cardiaque d’aldostérone Des données expérimentales récentes suggèrent que l’insuffisance cardiaque affecte la production cardiaque d’aldostérone. En effet, dans un modèle d’infarctus du myocarde chez le rat, on observe une augmentation marquée de l’expression des gènes codant pour l’aldostérone synthétase, associée à une augmentation importante de la production d’aldostérone au niveau du myocarde non nécrosé, et ce sans modification des taux plasmatiques d’aldostérone ni de l’expression d’aldostérone synthétase au niveau surrénalien (12). Cette activation s’accompagne d’une augmentation de production d’angiotensine II, et est abolie par un antagoniste des récepteurs AT1 de l’angiotensine II. Cela suggère que dans une situation d’infarctus de myocarde associé à une dysfonction ventriculaire gauche modérée, il existe une activation locale de la synthèse cardiaque d’aldostérone, et ce même en l’absence de stimulation de la production surrénalienne. L’existence d’une telle activation tissulaire reste toutefois à démontrer de façon directe chez l’homme. Conséquences de l’augmentation d’aldostérone dans l’insuffisance cardiaque L’augmentation des concentrations circulantes d’aldostérone facilite la rétention hydrosodée et participe donc au développement d’œdème et de congestion observables en pratique clinique. Chez les patients en insuffisance cardiaque, la surcharge volumique tend à aggraver le contexte hémodynamique. La baisse de débit cardiaque qui en résulte s’accompagne d’une diminution du débit sanguin rénal et d’une activation supplémentaire du système rénine-angiotensine-aldostérone, contribuant au développement d’un véritable cercle vicieux. En parallèle de la rétention hydrosodée, l’augmentation de sécrétion de Mg2+ et de K+ induite par l’aldostérone aggrave la déplétion en magnésium et l’hypokaliémie, et particulièrement celles induites par les diurétiques. Les conséquences principales de ces modifications ioniques se détectent au niveau cardiaque, où elles participent à l’instabilité électrique et tendent donc à augmenter les arythmies (24, 25.) Au niveau cardiaque, les conséquences de l’hyperaldostéronisme se traduisent principalement en termes de stimulation de développement d’hypertrophie et de fibrose. En effet, comme il a déjà été indiqué, la stimulation des récepteurs minéralocorticoïdes présents sur les fibroblastes cardiaques conduit à une augmentation de la synthèse de collagène par ces cellules (16, 17). La fibrose myocardique, qu’elle soit interstitielle ou périvasculaire, peut perturber la perfusion myocardique et diminuer la compliance ventriculaire gauche, contribuant à la dysfonction contractile (26) (tableau II). Par ailleurs, l’hétérogénéité de conduction associée au développement de zones 139 P H A R M A C O L O G I E focales de fibrose peut augmenter l’incidence des troubles du rythme ventriculaire. Cet effet proarythmique peut être renforcé par l’inhibition par l’aldostérone du recaptage myocardique des catécholamines (27). Enfin, l’aldostérone étant capable d’altérer les réponses baroréflexes (au moins chez le volontaire sain) (28), il est possible que l’augmentation d’aldostérone dans l’insuffisance cardiaque joue un rôle dans la désensibilisation du baroréflexe caractéristique de cette pathologie. Au niveau vasculaire, les effets vasoconstricteurs de l’aldostérone, qu’ils soient directs ou secondaires à la stimulation sympathique, peuvent contribuer à augmenter les résistances périphériques, et donc à aggraver le contexte d’insuffisance cardiaque. De plus, le développement de la fibrose des gros troncs pourrait contribuer à diminuer leur compliance (29). Enfin, les effets vasculaires de l’aldostérone impliquent également la circulation veineuse. Ainsi, une étude réalisée chez 16 insuffisants cardiaques traités par captopril, digoxine et furosémide démontre une relation inverse entre aldostérone et capacitance veineuse, suggérant un rôle direct de l’aldostérone sur la précharge (30). SPIRONOLACTONE ET INSUFFISANCE CARDIAQUE Compte tenu du fait que le principal stimulant de la sécrétion d’aldostérone est l’angiotensine II, il paraît normal de penser que les inhibiteurs de l’enzyme de conversion de l’angiotensine I, ou encore les antagonistes des récepteurs AT1 de l’angiotensine II, diminuent la production d’aldostérone dans l’insuffisance cardiaque, cet effet inhibiteur ayant été retrouvé dans les grands essais cliniques. Par exemple, dans l’étude CONSENSUS, un traitement de 6 mois par l’énalapril conduit à une réduction de plus de 50 % des concentrations plasmatiques d’aldostérone (23). Cependant, les études réalisées avec les inhibiteurs de l’enzyme de conversion chez l’insuffisant cardiaque s’accordent à dire que l’inhibition de la production d’aldostérone en réponse à ces traitements est incomplète (31). Dans de nombreux cas, on observe même un retour aux valeurs de base des concentrations d’aldostérone en présence d’un traitement chronique par un IEC (32). Les mécanismes de phénomène “d’échappement” de l’aldostérone pourraient être liés en partie au blocage incomplet de la production d’angiotensine II par les IEC en traitement chronique. Toutefois, des résultats récents démontrent que le phénomène d’échappement de l’aldostérone se retrouve avec les antagonistes des récepteurs AT1. Par exemple, dans l’étude pilote RESOLVD (33), aucune modification des taux d’aldostérone n’a été observée après 43 semaines de traitement par un IEC (l’énalapril), un antagoniste des récepteurs AT1 (le candesartan), ou leur combinaison. D’autres mécanismes pourraient donc expliquer cet échappement de l’aldostérone, en particulier le fait que, comme il a été indiqué plus haut, la sécrétion d’aldostérone est sous la dépendance de nombreux facteurs, indépendamment de l’angiotensine II (ACTH, potassium, endothéline, ANF, débit hépatique, etc.). 140 Compte tenu des effets délétères de l’aldostérone et du contrôle incomplet de sa sécrétion par les IEC ou les antagonistes AT1, l’utilisation de médicaments bloquant directement la production ou les effets tissulaires de l’aldostérone paraissait prometteuse. La principale substance utilisée dans ce contexte est la spironolactone, un antagoniste compétitif du récepteur minéralocorticoïde de l’aldostérone. Paradoxalement, peu d’études ont évalué les effets de la spironolactone dans des modèles expérimentaux d’insuffisance cardiaque. Cependant, il a récemment été montré que cet antagoniste était capable d’inhiber la fibrose myocardique dans un modèle d’infarctus du myocarde chez le rat, et ce sans modification de pression artérielle, bien que, dans ce modèle, l’effet de la spironolactone soit inférieur à celui d’un antagoniste AT1 (12). L’efficacité de la spironolactone chez les patients insuffisants cardiaques a d’abord été évaluée dans des études cliniques de petite taille et sur des périodes courtes. Tsutamoto et al. (34) ont ainsi montré que la spironolactone diminuait l’extraction transcardiaque d’aldostérone, elle-même corrélée à un marqueur biologique de fibrose cardiaque. Au plan hémodynamique, une étude randomisée en double aveugle réalisée chez 31 insuffisants cardiaques traités par un IEC et un diurétique (35) a démontré que la spironolactone (50-100 mg/j) induisait une baisse de fréquence cardiaque, ainsi qu’une augmentation de la variabilité de fréquence cardiaque, reconnue comme étant un facteur pronostique dans l’insuffisance cardiaque. En parallèle, cette étude rapportait également une diminution des taux sériques d’un marqueur du collagène cardiaque. Les effets de la spironolactone sur l’équilibre électrolytique et les modifications électrocardiographiques ont été évalués chez 42 patients insuffisants cardiaques en classe II et III de la NYHA et traités par IEC + diurétique (27). On observe lors du traitement par la spironolactone une diminution du nombre d’extrasystoles ventriculaires évalué par holter ; cette diminution est inversement corrélée à l’augmentation du magnésium plasmatique. Ces propriétés antiarythmiques de la spironolactone ont aussi été retrouvées dans une seconde étude randomisée réalisée chez 35 patients en classe III de la NYHA (36). On retrouve dans cette étude une diminution du nombre d’extrasystoles ventriculaires et des épisodes de tachycardie. L’efficacité de la spironolactone a également été vérifiée chez 16 patients (classe III de la NYHA) non répondeurs au traitement IEC-diurétique de l’anse. Chez ces patients, on note une augmentation importante de la natriurèse et de la diurèse, associée à une diminution de poids, et une amélioration des symptômes pour 81 % d’entre eux (37). Les effets de la spironolactone dans l’insuffisance cardiaque ne se limitent pas au cœur et au rein, mais s’étendent aussi au système vasculaire. Ainsi, une étude récente suggère qu’un traitement d’un mois par la spironolactone chez 10 patients insuffisants cardiaques améliore la fonction endothéliale périphérique, évaluée par la réponse vasodilatatrice à l’acétylcholine et la réponse vasoconstrictrice à un inhibiteur de synthèse de NO La Lettre du Pharmacologue - Volume 15 - nos 7-8 - septembre-octobre 2001 P (38). Cependant, au contraire de ce qu’on aurait pu attendre d’une telle augmentation apparente de production de NO, ces effets ne s’accompagnent pas d’une diminution de la réponse vasoconstrictrice induite par l’angiotensine, et ne sont associés qu’à une augmentation modérée et non significative du débit sanguin au niveau de l’avant-bras. Sur la base des évidences expérimentales et des premières études cliniques, et à la suite d’une étude pilote vérifiant l’efficacité et la bonne tolérance de la spironolactone associée à un traitement IEC + diurétique + digoxine (notamment pour ce qui concerne la kaliémie) (39), une large étude multicentrique a été initiée en 1995 : il s’agit de l’études RALES (Randomized Aldactone Evaluation Study), dont les résultats définitifs ont été publiés récemment (40). Les principales caractéristiques et les résultats majeurs de cette étude, qui portait sur 1 663 patients en insuffisance cardiaque sévère, sont résumés dans le tableau III. Son objectif principal était de comparer la mortalité chez des patients recevant la spironolactone à la dose initiale de 25 mg/j à celle d’un placebo, administré en plus d’un traitement conventionnel (IEC + diurétique, associés à des digitaliques dans plus de 70 % des cas). Cet essai a été interrompu après une analyse intermédiaire à 24 mois, démontrant une diminution significative (30 %) de la mortalité dans le groupe traité par la spironolactone. Cette réduction globale était attribuable à une diminution de la mortalité par insuffisance cardiaque et à une diminution de l’incidence des morts subites. Par ailleurs, la fréquence d’hospitalisation pour cause Tableau III. Étude RALES (40) : caractéristiques et principaux résultats. Caractéristiques – étude multicentrique randomisée en double aveugle contre placebo – patients insuffisants cardiaques sévères (classe IV NYHA dans les 6 mois précédant l’inclusion et classe III-IV à l’inclusion – fraction d’éjection 25-26 %) – 1 663 patients inclus (841 dans le groupe placebo et 822 dans le groupe spironolactone) – insuffisance cardiaque d’origine ischémique chez 54-55 % des patients inclus – patients non insuffisants rénaux et sans hyperkaliémie (K+ sérique à l’inclusion < 5 mmol/l) – traitement conventionnel : diurétiques de l’anse (100 % des patients), inhibiteur de l’enzyme de conversion de l’angiotensine (94-95 %) et digitaliques (72-75 %) – étude stoppée après une analyse intermédiaire à 24 mois, démontrant une diminution significative de la mortalité dans le groupe traité # Effets de la spironolactone – diminution de 30 % du risque de mortalité (placebo : 46 % ; spironolactone : 35 % ; p < 0,001) – diminution de 35 % du risque d’hospitalisation pour insuffisance cardiaque (p < 0,001) – effet bénéfique sur classe NYHA : p < 0,001 – pas de modification significative de la pression artérielle ou de la fréquence cardiaque – augmentation modeste des concentrations de créatinine et de potassium, sans modification significative de l’incidence des hyperkaliémies sévères (2 % sous spironolactone, 1 % sous placebo ; p = 0,42) – événements indésirables plus fréquents sous spironolactone par rapport au groupe placebo : gynécomastie ou douleurs mammaires chez les hommes (10 % versus 1 % dans le groupe placebo ; p < 0,001) # La Lettre du Pharmacologue - Volume 15 - nos 7-8 - septembre-octobre 2001 H A R M A C O L O G I E d’aggravation de l’insuffisance cardiaque était significativement réduite de 35 % dans le groupe traité par spironolactone par rapport au groupe placebo. Ces effets s’observaient en l’absence de modification de pression artérielle. Dans cette étude multicentrique, la spironolactone a été bien tolérée, avec une incidence d’événements indésirables conduisant à l’arrêt du traitement de 8 % dans le groupe traité contre 5 % dans le groupe placebo (différence non significative). Le seul événement indésirable plus fréquent dans le groupe spironolactone a été la survenue de gynécomastie et de douleurs mammaires chez les hommes (10 % versus 1 % sous placebo ; p < 0,001). Il est important de noter que, malgré la présence d’un IEC, l’incidence des hyperkaliémies sévères n’a pas été augmentée significativement avec la spironolactone par rapport au groupe placebo (2 % versus 1 % ; p = 0,42). Il convient cependant de préciser que l’étude a été effectuée chez des patients dont la fonction rénale n’était pas altérée à l’inclusion (créatinine inférieure à 2,5 mg/dl) et dont la kaliémie était inférieure à 5 mmol/l. Par ailleurs, aucun des patients ne recevait d’autre diurétique épargneur de potassium. Ainsi, l’étude RALES démontre clairement l’efficacité de la spironolactone, en association avec un traitement standard, chez les patients en insuffisance cardiaque sévère (classe III ou IV). À l’heure actuelle, toutefois, aucune donnée n’est disponible dans un contexte d’insuffisance cardiaque légère à modérée (classe I ou II). Par ailleurs, il est important de noter que l’absence d’un traitement par un bêtabloquant chez la plupart des patients de l’étude RALES ne permet pas de préjuger d’éventuelles interactions avec ce type de médicaments chez les patients insuffisants cardiaques. Dans tous les cas, il paraît évident que les précautions d’emploi associées à la spironolactone dans l’hypertension artérielle doivent être suivies dans l’insuffisance cardiaque, en particulier pour ce qui est du monitoring de la kaliémie et de la créatinémie, de la non-association avec un médicament épargneur de potassium, et de la nonprescription en cas d’hyperkaliémie ou d’insuffisance rénale. CONCLUSION Le développement des connaissances dans le domaine de la physiopathologie et de la pharmacologie de l’aldostérone a considérablement modifié notre perception du rôle de ce minéralocorticoïde dans le système cardiovasculaire. Ainsi, au-delà du schéma classique d’un facteur d’origine surrénale et à action principalement rénale, il est aujourd’hui clair que de nombreux tissus peuvent être à la fois une source et une cible de l’aldostérone, en particulier au niveau du système cardiovasculaire. En parallèle, l’utilisation de la spironolactone chez l’insuffisant cardiaque, et tout particulièrement l’étude RALES, a permis non seulement de mettre clairement en évidence le rôle délétère de la production d’aldostérone dans cette pathologie, mais aussi de démontrer l’apport majeur du blocage des récepteurs de l’aldostérone dans le traitement de l’insuffisance cardiaque sévère, à la fois en termes d’amélioration fonctionnelle et de survie. # 141 P R H A R M A C O L O G I E É F É R E N C E S B I B L I O G R A P H I Q U E S 1. American Heart Association. Heart and Stroke facts. 1999 statistical update. 2. Dargie HJ, McMurray JJ, McDonagh TA. Heart failure - Implications of the true size of the problem. J Intern Med 1996 ; 239 : 309-15. 3. Lenfant C. Fixing the failing heart. Circulation 1997 ; 95 : 771-2. 4. Tait JF, Bougas J, Little B, Tait SAS, Flood C. Splanchnic extraction and clearance of aldosterone in subjects with minimal and marked cardiac dysfunction. 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