La Lettre du Cardiologue - n° 322 - décembre 1999
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différentes selon les époques. Les méthodes thérapeutiques qui
en ont découlé ont, elles aussi, beaucoup varié.
L’ancienne explication cardiorénale, qui privilégiait l’insuffisance
d’élimination hydrosodée par le rein, a fait place dans les années
60 à 80 à la conception hémodynamique, qui accuse l’excès de
vasoconstriction artérielle et veineuse. L’utilisation de vasodila-
tateurs, artériels, veineux ou mixtes en a résulté. Parmi ceux-ci,
les inhibiteurs de l’enzyme de conversion, qui réduisent la sécré-
tion de l’angiotensine II, ont vite démontré leur supériorité sur
tous les autres vasodilatateurs. De multiples études prospectives
et randomisées ont démontré qu’ils améliorent les signes fonc-
tionnels, la fonction cardiaque et la survie (2, 3). On a ainsi
constaté que les vasodilatateurs ne sont pas tous équivalents, et
que leur efficacité n’est pas parallèle à leur pouvoir vasodilata-
teur. D’autre part, la conception hémodynamique a été de nou-
veau mise en échec en raison de l’effet défavorable de plusieurs
produits inotropes positifs au cours de l’insuffisance cardiaque
chronique. Seuls les digitaliques ont prouvé leur intérêt dans ce
cas, alors que beaucoup d’autres produits inotropes positifs ont
eu un effet défavorable. Ainsi, la stimulation de la contractilité
myocardique déprimée, bien que logique selon la conception
hémodynamique, ne donnait pas les résultats espérés.
Toutes ces anomalies, mal expliquées par le modèle hémodyna-
mique, ont conduit à envisager un nouveau modèle physiopatho-
logique de l’insuffisance cardiaque, reposant sur la théorie neu-
rohormonale (4). Selon cette conception, la stimulation des
systèmes rénine-angiotensine-aldostérone et sympathique est res-
ponsable de la vasoconstriction systémique et favorise la réten-
tion hydrosodée. Le traitement doit donc agir directement sur ces
axes neurohormonaux pour avoir une action efficace et persis-
tante. L’insuffisance cardiaque chronique ayant des mécanismes
complexes, son traitement ne peut qu’être multifactoriel, com-
battant les stimulations neurohormonales néfastes. Les succès
confirmés des IEC et, plus récemment, les espoirs que soulève
l’emploi prudent de certains bêtabloquants viennent étayer ces
concepts.
L’aldostérone est sécré-
tée par le cortex des sur-
rénales. Son action prin-
cipale consiste en une
rétention hydrosodée. Au cours de l’insuffisance cardiaque, son
excès de sécrétion contribue à la surcharge hémodynamique du
cœur, aggravant d’autant les signes d’insuffisance cardiaque. De
plus, elle induit une fuite de potassium et de magnésium, ce qui
favorise la survenue de troubles du rythme dangereux et augmente
d’autant le risque de mort subite. D’autre part, elle potentialise
les effets de la noradrénaline. Ces effets théoriques défavorables
se traduisent en clinique par un excès de mortalité quand l’aldo-
stérone plasmatique est élevée, ce qu’illustre la corrélation très
significative entre celle-ci et la mortalité des insuffisants car-
diaques chroniques (5).
Des arguments expérimentaux et cliniques font suspecter d’autres
effets négatifs de l’aldostérone, en particulier celui de favoriser la
fibrose myocardique et d’altérer la régulation du rythme cardiaque
par le système nerveux autonome (6). Des constatations cliniques ont
montré que l’hypertrophie myocardique pathologique est corrélée
très significativement au taux d’aldostérone plasmatique (7). De tels
effets contribuent également à favoriser les arythmies cardiaques.
La sécrétion de l’aldostérone est stimulée par l’angiotensine II.
Cette dernière, qui est un puissant vasoconstricteur, est l’abou-
tissement d’une chaîne qui va de l’angiotensinogène hépatique à
l’angiotensine I sous l’effet de la rénine d’origine rénale, puis de
l’angiotensine I à l’angiotensine II grâce à l’enzyme de conver-
sion de l’angiotensine. Cette dépendance explique pourquoi un
IEC, en réduisant la synthèse de l’angiotensine II, diminue aussi
la sécrétion de l’aldostérone. Ainsi, un traitement par énalapril
diminue en six semaines la sécrétion de presque toutes les hor-
mones impliquées dans le mauvais pronostic de l’insuffisance
cardiaque, en particulier le taux d’aldostérone (5). On pouvait
donc espérer traiter les effets néfastes de l’aldostérone par un IEC,
qui a d’autre part une action favorable sur l’insuffisance cardiaque
en réduisant la vasoconstriction provoquée par l’angiotensine II.
Si l’utilisation des IEC
au cours de l’insuffi-
sance cardiaque chronique, en complément du traitement clas-
sique, est actuellement incontournable, il n’en demeure pas moins
que la mortalité de cette affection reste élevée. Ainsi, au cours de
l’insuffisance cardiaque sévère, classe IV de la classification
NYHA, la mortalité, bien que diminuée sous IEC, reste sévère,
voisine de 36 % à un an (2). Quand l’insuffisance cardiaque est
moins grave, et correspond aux classes II et III de la classifica-
tion NYHA, la mortalité après 4 ans de traitement IEC avoisine
35 % (3). Il est donc apparu nécessaire de tenter d’améliorer ces
résultats ; de là les essais d’intervention sur le système adréner-
gique, mais aussi la réévaluation de l’action des IEC sur le système
rénine-angiotensine-aldostérone.
On a remarqué, au cours du traitement par IEC, que l’aldostérone,
diminuée dans un premier temps, avait tendance à remonter après
quelques mois de traitement. Ainsi, on a montré, au cours de l’hy-
pertension artérielle, qu’au-delà du premier mois de traitement
par captopril, le taux plasmatique d’aldostérone, initialement
abaissé par le traitement, remontait progressivement, et, après un
an de traitement, dépassait sa valeur initiale (8). Par contre, le taux
d’angiotensine II restait abaissé, ce qui semble démontrer que le
mécanisme de la remontée de l’aldostérone ne passe pas par un
échappement du blocage de l’enzyme de conversion. D’autre part,
lors du traitement de l’hypertension artérielle par énalapril, on a
observé une remontée de l’aldostérone plasmatique, mais égale-
ment du taux d’angiotensine II (9). Un phénomène voisin a été
observé au cours du traitement de l’insuffisance cardiaque par le
captopril. Après un an de traitement, celui-ci obtient une baisse
de l’angiotensine II, sans baisse du taux d’aldostérone. En outre,
la baisse de l’aldostérone ne s’observe qu’en cas de taux de rénine
élevé avant la mise en œuvre du traitement. Avec le zofénopril
donné au stade aigu de l’infarctus du myocarde, on a observé en
ACTUALITÉS
L’ aldostérone au cours
de l’insuffisance cardiaque
chronique
Aldostérone et IEC
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