L Traitement des myopéricardites : état de l’art et perspectives

MISE AU POINT
> seuil troponine
Ex : 0,04 µg/l
> seuil troponine US
Myopéricardite
Myopéricardite
Myocardite
Myocardite
Péricardite
Péricardite
0 élevée
0 élevée
Figure 1. Continuum entre péricardite, myopéricardite, myocardite : où placer la frontière ?
En pointillés bleus, un exemple de distribution des patients. Cet exemple montre que la
modification des techniques de dosage pourrait poser des problèmes diagnostiques et
des problèmes de prise en charge aux cliniciens.
20 | La Lettre du Cardiologue n° 457 - septembre 2012
Traitement
des myopéricardites :
état de l’art et perspectives
Management of patients with myopericarditis:
state of the art and perspectives
F. Roubille¹, ², Z. Khoueiry¹, C. Roubille³, J.M. Davy¹, C. Piot¹, F. Leclercq¹
¹ CHU Arnaud-de-Villeneuve, dépar-
tement de cardiologie, Montpellier.
² Institut de cardiologie, Montréal,
Canada.
³ CHU Saint-Éloi, service de méde-
cine interne A, Montpellier.
L
e diagnostic de myopéricardite couvre un grand
nombre de situations. Les symptômes d’entrée
dans la maladie, les manifestations cliniques,
échographiques et biologiques sont très variés.
La frontière entre la myocardite, la péricardite et
la myopéricardite est parfois difficile à situer, et
nombre de douleurs atypiques sont étiquetées péri-
cardite, voire myocardite en cas d’élévation, même
minime, de la troponine. Le traitement est également
très complexe. Les prises en charge recommandées
changent beaucoup selon la situation, mais plus
encore en fonction des habitudes locales.
Quand parler de myocardite ?
Les manifestations cliniques des myocardites sont
très variées : elles vont de la simple douleur thora-
cique jusqu’au décès, en passant par le syndrome
coronarien ST− troponine+, le trouble du rythme
et le choc cardiogénique d’emblée ; elles peuvent
même apparaître après des années sous la forme
d’une cardiomyopathie dilatée (CMD).
La définition de la myocardite est histologique.
La biopsie devrait être proposée dès qu’un traitement
spécifique peut être envisagé, c’est-à-dire, en théorie,
assez souvent (1). En pratique, une péricardite sans
élévation de la troponine est considérée comme une
péricardite pure, et comme une myocardite en cas
d’élévation importante de la troponine associée à un
retentissement fonctionnel (dysfonction ventricu-
laire gauche, dyspnée, etc.). Entre les 2, les myopé-
ricardites empruntent aux 2 tableaux, à travers un
véritable continuum (figure 1): les physiopathologies
diffèrent sans doute, et les traitements devraient
donc également varier.
Épidémiologie des péricardites
aiguës bénignes
et des myocardites
La péricardite aiguë bénigne est une affection
fréquente, dont l’incidence annuelle est estimée
à 27,7 nouveaux cas pour 100 000 habitants en
Europe (2-4). Environ 5 % des douleurs thoraciques
F. Roubille
Nécrose cellulaire
Apoptose
Dérégulation immunitaire
AUTONOMISATION
Chronicité
Récidives
Constriction
Cardiopathie dilatée
Infection virale du péricarde et/ou du myocarde
ou autre agression
Exposition d’antigènes normalement séquestrés
Réaction auto-immune
Figure 2. Physiopathologie schématique
de la myopéricardite virale : apparition du
phénomène inflammatoire.
La Lettre du Cardiologue n° 457 - septembre 2012 | 21
Points forts
»
Les myopéricardites recouvrent une réalité disparate, tant par leur définition que par leurs tableaux
cliniques.
»Les seules recommandations disponibles sont celles de l’ESC de 2004 concernant la péricardite.
»Un traitement associant l’aspirine à une dose anti-inflammatoire, éventuellement de la colchicine, est
le plus souvent proposé.
»Les habitudes locales diffèrent également considérablement.
»
L’harmonisation des pratiques (depuis le recours à l’hospitalisation jusqu’au choix de la durée et des
modalités du traitement) serait souhaitable.
»Les études portant sur cette pathologie sont rares.
Mots-clés
Myocardite
Péricardite
Myopéricardite
Colchicine
Aspirine
Highlights
»
Myopericarditis are clinically
heterogeneous.
»
Guidelines are rarely
provided, except ESC in 2004.
»
Treatment is usually aspirin
(anti-inflammatory target),
eventually colchicine.
»
Local habits differ greatly.
»
Professional practices could
be homogenized: hospitaliza-
tion duration, first-line treat-
ment, treatment duration, etc.
»
Clinical trials on pericarditis
are rather rare.
Keywords
Myocarditis
Pericarditis
Myopericarditis
Colchicine
Aspirin
d’origine non ischémique admises aux urgences
sont rattachées à des péricardites. Le diagnostic de
péricardite aiguë bénigne repose sur la présence de
2 éléments parmi les suivants : frottement péricar-
dique à l’auscultation, douleur thoracique typique,
ECG typique, échocardiographie montrant un épan-
chement.
En ce qui concerne les formes plus sévères de
myocardite, la prévalence et l’incidence réelles
sont difficiles à évaluer, puisque les patients les plus
gravement atteints pourraient en effet décéder avant
le diagnostic. De plus, la preuve histologique est
rarement apportée, et, surtout, la mise en évidence
d’un agent pathogène suspect n’est pas suffisante
pour établir un lien formel avec l’atteinte cardiaque.
Physiopathologie
La physiopathologie est multiple (figure 2).
Les lésions cardiaques sont induites à la fois direc-
tement par l’agent pathogène, et, par ailleurs, indi-
rectement par l’effet auto-immun ou dysimmunitaire
d’une réaction inadaptée. Ainsi, en cas de VIH, les
atteintes pourraient être dues au virus, soit par
l’effet cytotoxique direct ou par la production d’une
protéine inhibant la contraction myocardique, soit par
la facilitation d’une co-infection, soit encore par l’effet
toxique des médications. Enfin, plus récemment, une
induction de l’apoptose myocardique induite par les
entérovirus a été mise en évidence chez l’homme (5).
Au-delà de l’effet directement cytotoxique, les virus
pourraient interagir avec la machinerie cellulaire à
différents niveaux. La myocardite à cellules géantes
est plus spécifiquement une forme auto-immune.
Étiologie
Létiologie des myopéricardites est principalement
virale (tableau I, p. 22), historiquement tout d’abord
avec les virus Coxsackie, puis avec les adénovirus, et,
plus récemment, avec le parvovirus B19 (6). Ceux
qui peuvent bénéficier d’un traitement étiologique
sont surtout les virus des hépatites B et C, ou le
VIH. Une recherche systématique n’est cependant
ni possible ni souhaitable, puisque peu rentable,
mais aussi parce que le lien entre infection virale
et atteinte cardiaque n’est pas toujours établi (7).
La recherche orientée par le contexte clinique est
donc à envisager au cas par cas. Ainsi, un syndrome
monucléosique chez un patient jeune peut faire
suspecter une infection par le virus d’Epstein-Barr
(EBV) [8] ou par le cytomégalovirus (CMV) [9].
MISE AU POINT
22 | La Lettre du Cardiologue n° 457 - septembre 2012
Traitement desmyopéricardites : étatdel’art et perspectives
Prise en charge actuelle
des péricardites aiguës
bénignes
La prise en charge thérapeutique de la péricardite aiguë
repose essentiellement sur les anti-inflammatoires
(l’aspirine, par exemple), éventuellement sur une
protection gastrique et toujours sur les antalgiques.
En France, le repos fait traditionnellement partie de
la prise en charge, même s’il n’a jamais été évalué de
façon rigoureuse. On dispose de peu d’essais rando-
misés. L’efficacité de l’aspirine, ou d’autres anti-inflam-
matoires non stéroïdiens (AINS), est démontrée depuis
longtemps dans cette affection (10). Plus exactement,
elle est admise pour l’aspirine sans que le niveau de
preuve soit très élevé. Les corticoïdes initialement
utilisés ne sont plus recommandés que dans certaines
formes (comme le lupus) [11]. Les recommandations
européennes retiennent donc l’aspirine en première
intention, éventuellement un AINS, et le repos (3).
Plusieurs publications ont montré l’efficacité de la
colchicine (12-14). Ainsi, l’essai CORE, essai ouvert
randomisé contrôlé chez des patients ayant une péri-
cardite aiguë bénigne récurrente traitée par aspirine,
a montré en 2005 que l’adjonction de colchicine à
0,5-1 mg/j pendant 6 mois avait permis de réduire la
proportion de patients toujours symptomatiques à
72 h (10 % versus 31 ; p = 0,03), et surtout de diviser
par 2 la proportion de patients ayant une récidive
dans les 18 mois (24 % versus 51 ; p = 0,02) [13].
Le traitement est généralement prescrit pour
3 semaines à 1 mois, mais cette durée est assez
arbitraire.
Traitement étiologique
Dans de rares situations, un traitement étiologique
doit être entrepris, par exemple en présence d’une
immunosuppression chez un patient lupique en cas
d’atteinte cardiaque au cours d’une poussée du lupus,
en présence d’un traitement antirétroviral en cas
de découverte de VIH au stade sida, etc. La plupart
des essais déjà publiés ou en cours qui évaluent
l’efficacité des traitements immunosuppresseurs
sont pour l’instant décevants : interféron, immuno-
suppresseurs, ciclosporine, anticorps monoclonaux,
etc., à l’exception des formes à cellules géantes.
Plusieurs études cliniques fondées sur la présence
d’un génome viral ont testé les traitements anti-
viraux ou immunomodulateurs, sans succès le plus
souvent à l’heure actuelle : ribavirine, interféron,
Tableau I. Principales causes de myopéricardites.
Causes virales
Parvovirus B19
Adénovirus
Entérovirus, virus Coxsackie
Virus du groupe herpès :
EBV, CMV, HHV (HHV6 en particulier)
HTLV, HIV1, HIV2
VHB, VHC
Causes infectieuses non virales
Sepsis sévère
Bactéries intracellulaires (chlamydiae, mycoplasme, etc.),
mycobactéries
Bactéries invasives : shigelles, klebsielles
Borrelia burgdorferi
(maladie de Lyme)
Protozoaires :
Trypanosoma cruzi
(maladie de Chagas,
co-infections possibles)
Historiques : tréponèmes
Fongiques (aspergillose,
Candida
, cryptocoques, etc.)
Parasites : schistozomes, larva migrans
Maladies inflammatoires
Lupus
Vascularites : syndrome de Churg et Strauss, artérite
de Takayasu
Maladies inflammatoires chroniques intestinales (MICI)
Granulomatose de Wegener
Thyrotoxicose
Myocardites de stress
Myocardite adrénergique (doses répétées en cours
de réanimation, phéochromocytome, etc.)
Syndrome de tako-tsubo
Toxiques
Cocaïne, antracyclines
Hypersensibilité
Sulfamides, digoxine, antidépresseurs tricycliques,
dobutamine, diurétiques, etc.
Hyperéosinophilie
Hyperéosinophilie réactionnelle : parasitose, cancer, etc.
Syndrome d’hyperéosinophilie, syndrome de Churg
et Strauss, fibrose endomyocardique de Löffler
Syndrome postvaccinal
Radiques
Postintervention
Chirurgie cardiaque
Traumatisme fermé
Cardiologie interventionnelle
(ablations en électrophysiologie)
Auto-immune
Myocardite à cellules géantes
Autres causes
Sarcoïdose
Post-partum
Invasion par un processus tumoral (voisinage
ou métastatique)
MISE AU POINT
La Lettre du Cardiologue n° 457 - septembre 2012 | 23
immunoglobulines i.v., immunosuppresseurs, etc.
Lexception est celle des cardiopathies dilatées chro-
niques, stables, avec persistance de génome prouvée,
pour lesquelles l’interféron pourrait être efficace.
Prise en charge actuelle
des myocardites bénignes
Le traitement de la myocardite associe les traite-
ments de l’étiologie, de la péricardite de l’insuffi-
sance cardiaque (IC), des troubles du rythme de l’IC,
voire du choc cardiogénique.
En ce qui concerne le traitement de la myocardite, les
AINS à fortes doses sont parfois considérés comme
potentiellement délétères (surtout dans les petites
cohortes ou les études animales).
Traitement de l’insuffisance cardiaque
En cas de forme fulminante, la défaillance cardiaque
est le plus souvent rapidement réversible, permet-
tant un sevrage rapide des méthodes d’assistance.
En fonction des habitudes et des disponibilités
locales, toutes les méthodes d’assistance peuvent
être proposées, mais on a le plus souvent recours
à l’assistance biventriculaire. Dès que possible, le
traitement pharmacologique conventionnel est
renforcé (inhibiteurs de l’enzyme de conversion,
bêtabloquants indiqués dans l’IC, antialdostérone
en cas de dysfonction ventriculaire sévère).
Traitement des troubles rythmiques
et conductifs
La fibrillation auriculaire peut être rencontrée en
cas de péricardite. Dans le cas de la myocardite, les
troubles conductifs disparaissent habituellement en
quelques semaines, mais ceux du rythme ventricu-
laire peuvent être létaux. Les troubles rythmiques
répondent généralement bien aux bêtabloquants,
parfois à l’amiodarone. Compte tenu du jeune âge
des patients, l’implantation d’un défibrillateur auto-
matique est parfois nécessaire devant des troubles
ventriculaires, même si leur évolution est souvent
favorable, et malgré l’inflammation. La surveillance
rythmique en unité de soins continus est logique-
ment proposée.
La biopsie endomyocardique trouve un intérêt dans
le traitement étiologique éventuel (question à part
entière).
Traitements
en fonction de l’évolution
Pour les péricardites aiguës, l’évolution est le plus
souvent favorable. Le taux de récidive à 1 an est en
revanche élevé, évalué entre 20 et 30 %. Le trai-
tement des récidives fait de plus en plus souvent
appel à une intensification du traitement initial,
avec prescription de colchicine et augmentation
de la durée du traitement. En cas d’évolution vers
la chronicité, ou de rechutes très fréquentes, un
traitement prolongé par aspirine + colchicine,
voire autres AINS, doit être envisagé. Au moindre
doute, une consultation spécialisée doit explorer les
possibilités d’une maladie systémique, en particulier
auto-immune, qui pourrait relever d’un traitement
spécifique. Le recours aux corticoïdes est en général
évité, afin de s’affranchir des problèmes de corti-
codépendance. Les rares évolutions vers les formes
constrictives chroniques – rares, mais graves – font
appel à la chirurgie de décortication dans les cas
extrêmes.
Limites de la prise en charge
actuelle
Hétérogénéité dans la prise en charge
des péricardites aiguës bénignes
Lors de la mise en place d’un travail collaboratif,
nous avons constaté que tous les points de la prise
en charge suscitaient le débat entre les partisans
du traitement systématique et ceux du traitement
ciblé, de même que les points concernant la durée du
traitement, et surtout le recours à l’hospitalisation.
Questions actuelles
Léquipe de cardiologie du CHU de Brest a montré
que, en pratique, la durée de traitement de 1 mois
était rarement respectée par les patients (15), et
que la durée de traitement effectif était d’environ
1 semaine, c’est-à-dire qu’il était arrêté quelques
jours après la résolution des symptômes. Cette
même équipe évalue actuellement l’efficacité d’une
courte durée de traitement.
Les traitements actuellement reconnus et les cibles
thérapeutiques potentielles sont replacés dans le
schéma physiopathologique (figures 3A, 3B et 3C,
p. 24). Les principales études enregistrées sont présen-
MISE AU POINT
Infection péricarde/myocarde
Inflammation
Cibles potentielles
Voies spécifiques Voies connues
Infection spécifique
Réponse auto-immune
Immunomodulation
Inflammation
Aggravation des lésions
Tachycardie
A
BInfection péricarde/myocarde
Inflammation
Cibles actuelles
Voies spécifiques
Corticoïdes
Voies spécifiques
Immunosuppresseurs
Traitements bradycardisants
Nouveaux anti-inflammatoires
Anti-infectieux spécifiques
Repos
Voies connues
AINS dont aspirine
colchicine
Infection spécifique
Réponse auto-immune
Immunomodulation
Inflammation
Aggravation des lésions
Tachycardie
CInfection péricarde/myocarde
Inflammation
Cibles potentielles
Anti-infectieux spécifiques
Voies connues
Infection spécifique
Réponse auto-immune
Immunomodulation
Inflammation
Aggravation des lésions
Tachycardie
Figure 3.
A. Différents phénomènes physiopathologiques impliqués dans les myopéricardites : un cercle vicieux.
B. Cibles thérapeutiques actuelles.
C. Cibles thérapeutiques potentielles.
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