L Effets indésirables des statines MISE AU POINT

publicité
MISE AU POINT
Effets indésirables
des statines
New data on statin side effects
E. Bruckert*
L
es méta-analyses des études comparant une
statine à un placebo ont montré une baisse
significative de la morbidité et de la mortalité
cardiovasculaire (CV), en relation directe avec le
taux du LDL-cholestérol (1). Globalement, le rapport
bénéfice/risque des ces traitements est exceptionnellement bon. Il n’en est pas moins important de
rester vigilant quant aux possibles effets indésirables. En pratique, 3 d’entre eux méritent d’être
discutés.
Risque de cancer
* Service d’endocrinologie-métabolisme, IHU cardiométabolique, hôpital
de la Pitié-Salpêtrière, AP-HP, Paris.
Le risque de cancer sous statine fait l’objet de
nombreuses publications, car, si les études animales
montrent un effet bénéfique sur le développement
des tumeurs (lié à l’inhibition de la synthèse de
cholestérol utile pour la prolifération des cellules),
les études épidémiologiques montrent plutôt une
association entre cholestérol bas et risque de cancer
(au moins certains cancers). La baisse de la cholestérolémie au stade infraclinique semble expliquer
une partie de la relation. Globalement, les métaanalyses des essais randomisés ont mis en évidence
l’absence de surrisque de cancer dans le groupe
traité par rapport au groupe placebo. La publication récente du suivi prolongé à 11 ans de l’étude
HPS est très rassurante (tableau). Dans cette étude,
20 536 patients avaient été randomisés en 1 groupe
placebo et 1 groupe sous 40 mg de simvastatine.
Avec ce suivi plus long sur une population importante, il n’est apparu aucun surrisque de cancer
(RR = 0,98 ; IC95 : 0,89-1,02) [1].
Randomisation
RR (IC95)
Simvastatine (n = 10 269) Placebo (n = 10 267)
Cancer
– Gastro-intestinal
468 (4,6 %)
483 (4,7 %)
0,95 (0,84-1,08)
– Respiratoire
369 (3,6 %)
356 (3,5 %)
1,02 (0,88-1,18)
– Tissu conjonctif
141 (1,4 %)
154 (1,5 %)
0,90 (0,71-1,13)
– Génito-urinaire
622 (6,1 %)
609 (5,9 %)
1,00 (0,89-1,12)
– Système nerveux
29 (0,3 %)
21 (0,2 %)
1,35 (0,77-2,35)
– Hématologique
166 (1,6 %)
161 (1,6 %)
1,01 (0,81-1,25)
– Autre
15 (0,1 %)
14 (0,1 %)
1,05 (0,51-2,17)
– Non spécifié
90 (0,9 %)
99 (1,0 %)
0,89 (0,67-1,19)
1 749 (17,0 %)
1 744 (17,0 %)
0,98 (0,92-1,05)
Tout type
0,4
0,6
0,8
Simvastatine plus efficace
Tableau. Statine et risque de cancer. Suivi à 11 ans dans l’étude HPS (d’après [1]).
18 | La Lettre du Cardiologue • n° 456 - juin 2012
1,0
1,2
1,4
Placebo plus efficace
Points forts
» L’enjeu principal du traitement par statines en 2012 est l’observance ; en effet, 1 patient sur 2 qui a eu une
prescription de statine a arrêté le traitement au bout de 1 an. Ce problème majeur n’est pas spécifique aux
statines : on le retrouve avec d’autres thérapeutiques de prévention.
» La peur des effets indésirables (surmédiatisés) joue un rôle dans cette inobservance. Nous rapportons ici
3 groupes de publications qui permettent de conclure que :
– les statines, même après 11 ans, ne favorisent pas le cancer. Cette absence d’effet confirme les résultats des
précédentes méta-analyses, qui évaluaient l’effet sur 5 ans ;
– les statines favorisent en revanche les douleurs musculaires. Une démarche bien construite doit aider le
clinicien à rester à l’écoute des plaintes pour proposer un changement thérapeutique, et finalement contribuer
à une bonne observance ;
– les statines augmentent le risque de diabète. Cet effet biologique ne modifie en rien notre pratique, compte
tenu du rapport bénéfice/risque de ce type de traitement.
Douleurs musculaires
L’utilisation d’une statine, quand le LDL-cholestérol
(LDL-c) est élevé et quand le risque CV le justifie,
est indispensable, car le rapport bénéfice/risque
est considéré comme excellent. Les méta-analyses
des études comparant une statine avec un placebo
ont montré une baisse significative de la morbidité
et de la mortalité CV directement en relation avec
le LDL-c (2). En pratique quotidienne, la principale
difficulté rencontrée dans l’utilisation des statines
est liée à la possibilité d’effets indésirables musculaires. Elle est due à une surmédiatisation du retrait
du marché de la cérivastatine à la suite de cas de
rhabdomyolyse, qui ont généré une crainte chez
les patients. On peut également incriminer la très
grande fréquence dans la population des douleurs
(musculaires, tendineuses ou autres), facilement
attribuées aux statines par les patients, et de l’absence de données permettant un diagnostic fiable
et certain de la responsabilité des statines dans
la douleur. Après 20 ans d’expérience, le nombre
d’études et de publications est tristement faible, et
contraste en tout cas avec les innombrables publications sur les très hypothétiques effets pléiotropes
non musculaires des statines. Cette situation joue
un rôle non négligeable dans les difficultés d’observance, responsables d’un surrisque pour le patient
qui aurait arrêté son traitement par statine et d’un
surcoût pour la société. Un facteur génétique a été
mis en évidence, qui joue un rôle important chez
les sujets sous simvastatine, mais sa recherche
n’est pas de pratique courante. La fréquence de ces
effets est très faible dans les études d’intervention
du fait de biais de sélection (patient sans antécédent,
avec peu de comorbidités), de déclaration (seuls
les effets notables sont répertoriés) ou de dessin
de l’étude (période de run-in permettant d’exclure
les patients avec effets indésirables). Cette faible
fréquence contraste avec la réalité quotidienne,
où, à l’inverse, la responsabilité des statines dans
les douleurs est probablement surestimée (3).
La conduite à tenir devant les douleurs a fait l’objet
d’un récent consensus d’experts (4).
Les effets indésirables musculaires sont classiquement classés en 4 catégories : la rhabdomyolyse,
totalement exceptionnelle (5 à 20 cas par million
de personnes traitées ; 1 cas sur 10 est mortel) [5] ;
la myosite (douleur musculaire et créatine phosphokinase [CPK] élevée) ; les douleurs isolées ; l’élévation isolée des CPK. Le terme “myopathie” regroupe
l’ensemble des effets indésirables musculaires.
Caractéristiques des douleurs
Parmi les caractéristiques des douleurs, on peut
noter que :
➤ elles sont dose-dépendantes. Chez certains
patients, des doses plus faibles que celles prescrites
habituellement en début de traitement sont parfois
bien tolérées (atorvastatine 10 mg 1 jour sur 2 et
rosuvastatine 5 mg 1 jour sur 2, voire moins) ;
➤ elles ont une sémiologie particulière. L’expérience
clinique montre que la sémiologie des douleurs
rassemble le plus souvent les caractéristiques
suivantes (6) :
– il existe un lien chronologique (début dans les
2 mois qui suivent l'instauration du traitement et
arrêt, ou amélioration dans les semaines qui suivent
l’arrêt du traitement),
– on retrouve des symptômes associant le plus
souvent courbatures, crampes ou fatigabilité,
– ainsi que des symptômes, sinon diffus, du moins
bilatéraux, touchant plus volontiers les gros
muscles.
Surveillance et prise en charge
préventive
Dans la surveillance et la prise en charge préventive,
on peut proposer 3 recommandations :
➤ la surveillance du traitement comprend un
dosage des CPK chez les sujets qui sont à risque ou
qui présentent des symptômes musculaires. Il n’est
donc pas nécessaire de doser les CPK chez un patient
sans symptôme. Il n’est pas non plus justifié de doser
les CPK avant la mise sous traitement en l’absence
d’antécédent de pathologie musculaire. Il est nécessaire d’effectuer un dosage des CPK avant et sous
traitement dans les situations à risque suivantes :
– insuffisance rénale,
– hypothyroïdie,
Mots-clés
Effets indésirables
Statine
Myopathie
Diabète
Cancer
Highlights
» The main challenge with
statin treatment is to improve
long term compliance. Up to
one patient out of two has
stopped statin treatment
after one year. Although the
same compliance problem is
observed with other preventive strategies, the fear of side
effects might play a significant
role.
» Recent publications demonstrated that long term followup in the HPS trial was not
associated with any increase
in cancer incidence. This interesting result confirms earlier
meta-analyses. Over a five-year
period, these meta-analyses
were not able to show any
increase in cancer incidence
or mortality.
» It is well established that
statin treatment is associated
with myopathy in a significant
percentage of patients. Careful
clinical work-up including
good patient-doctor relationship should help manage the
possible side effects and maintain an adequate long-term
compliance.
» Finally, statin treatment is
associated with an increased
risk of diabetes mellitus.
Although recently described,
such effects did not change
recent guidelines based on the
risk benefit of statin treatment.
Keywords
Side effects
Statin
Myopathy
Diabetes mellitus
Cancer
La Lettre du Cardiologue • n° 456 - juin 2012 |
19
MISE AU POINT
Effets indésirables des statines
– antécédents personnels ou familiaux de maladie
musculaire génétique,
– antécédents personnels d’effet indésirable musculaire avec un fibrate ou une statine,
– abus d’alcool,
– âge supérieur à 70 ans, d’autant plus qu’il existe
d’autres facteurs de risque musculaires ;
➤ tout symptôme musculaire inexpliqué apparaissant sous traitement doit faire pratiquer un dosage
des CPK ;
➤ il convient par ailleurs d’être vigilant quant au
risque d’interactions médicamenteuses dans les cas
de prescription d’associations telles que statines
et fibrates (le gemfibrozil étant contre-indiqué),
et d’interactions liées aux statines métabolisées
par la voie CYP3A4 avec des traitements comme le
kétoconazole, les macrolides ou le jus de pamplemousse (se référer au Vidal® pour la liste complète
des interactions).
Conduite à tenir en cas de douleur
attribuable aux statines (4)
Liens d’intérêts
L’auteur déclare avoir des liens
d’intérêts avec les sociétés GSK,
MSD, Genzyme, Sanofi, Unilever,
Danone et l’université de Montréal
pour des activités de recherche,
et avec les sociétés Abbott,
AstraZeneca, Genfit, Genzyme,
MSD, Pfizer, Sanofi, Servier, AMT,
Merck, Lilly, Novo-Nordisk, Casino,
Lu-Kraft, Unilever et Danone en tant
que consultant ou orateur.
Elle dépend de l’évaluation individuelle du rapport
bénéfice/risque (par exemple, le traitement peut être
poursuivi dans une situation de haut risque avec des
symptômes mineurs). Le médecin peut ainsi favoriser
une fenêtre thérapeutique pour évaluer la responsabilité du traitement, choisir de changer de statine (au
moins 3 essais sont possibles) ou encore proposer de
diminuer la dose. Les alternatives thérapeutiques,
quand les statines ne sont pas suffisantes ou sont
mal tolérées, sont l’ézétimibe (le plus souvent bien
toléré sur le plan musculaire) ou la colestyramine.
Les inconvénients majeurs sont les effets indésirables, notables mais non dangereux (constipation).
Les patients se plaignent parfois d’un changement du
goût, de sensations de nausée et de ballonnement.
Mais, avec le temps, les effets indésirables tendent à
disparaître. Autre alternative pour certains, dans les
hypercholestérolémies pures, quand l’utilisation des
statines n’est pas possible : les dérivés des fibrates.
Ils n’ont toutefois pas fait leurs preuves dans ce cas
en termes de diminution des accidents CV.
Il ne faut pas passer à côté de l’urgence d’arrêter
le traitement en cas d’accident sérieux caractérisé
par une élévation importante des CPK (supérieure
à 10 fois la normale) et des douleurs musculaires.
Les douleurs musculaires restent un problème avec
les statines. Il faut ne pas surestimer la responsabilité
des statines, mais il faut aussi répondre à l’attente
des patients qui ont une plainte, en modifiant la
stratégie thérapeutique quand la responsabilité du
traitement est probable.
Développement du diabète
L’existence d’un surrisque de développer un diabète
est apparue relativement tardivement dans le développement des statines. La première méta-analyse
a été conduite chez 91 140 patients dans les essais
comparant les statines avec des placebos ou des soins
standard (7). Une augmentation significative de 9 %
du risque de développer un diabète (IC95 : 2-17) était
commune à toutes les statines, sans hétérogénéité
entre les études. De façon similaire, une analyse de
3 études avec l’atorvastatine confirme l’augmentation
du risque de diabète (+ 10 % [p = 0,26, étude TNT],
+ 19 % [p = 0,072, étude IDEAL] et + 37 % [p = 0,011,
étude SPARCL] et identifie les facteurs prédictifs de
ce risque de développer un diabète au cours du suivi
de l’étude (8). Une seconde méta-analyse a comparé
l’effet des fortes doses de statines par rapport à de plus
faibles doses (9). L’augmentation du risque est de 12 %
(IC95 : 4-22). Le mécanisme par lequel les statines
augmentent le risque de diabète n’est pas connu,
mais cet effet ne change en rien les recommandations
d’utilisation des statines en pratique courante. ■
Références bibliographiques
1. Bulbulia R, Bowman L, Wallendszus K et al. Effects on
11-year mortality and morbidity of lowering LDL cholesterol with simvastatin for about 5 years in 20,536 high-risk
individuals: a randomised controlled trial. Lancet 2011;
378:2013-20.
2. Baigent C, Keech A, Kearney PM et al. Efficacy and
safety of cholesterol-lowering treatment: prospective meta-analysis of data from 90,056 participants
in 14 randomised trials of statins. Lancet 2005;366:
1267-78.
3. Bruckert E, Hayem G, Dejager S, Yau C, Bégaud B. Mild
to moderate muscular symptoms with high-dosage statin
20 | La Lettre du Cardiologue • n° 456 - juin 2012
therapy in hyperlipidemic patients--the PRIMO study.
Cardiovasc Drugs Ther 2005;19:403-14.
4. Mancini GB, Baker S, Bergeron J et al. Diagnosis,
prevention, and management of statin adverse effects
and intolerance: proceedings of a Canadian Working Group
Consensus Conference. Can J Cardiol 2011;27:635-62.
5. Armitage J. The safety of statins in clinical practice.
Lancet 2007;370:1781-90.
6. Franc S, Dejager S, Bruckert E, Chauvenet M, Giral P,
Turpin G. A comprehensive description of muscle symptoms
associated with lipid-lowering drugs. Cardiovasc Drugs
Ther 2003;17:459-65.
7. Sattar N, Preiss D, Murray HM et al. Statins and
risk of incident diabetes: a collaborative metaanalysis of randomised statin trials. Lancet 2010;375:
735-42.
8. Waters DD, Ho JE, DeMicco DA et al. Predictors of newonset diabetes in patients treated with atorvastatin: results
from 3 large randomized clinical trials. J Am Coll Cardiol
2011;57:1535-45.
9. Preiss D, Seshasai SR, Welsh P et al. Risk of incident
diabetes with intensive-dose compared with moderatedose statin therapy: a meta-analysis. JAMA 2011;305:
2556-64.
Téléchargement