Mise au point Effets indésirables des statines New data on statin side effects Eric Bruckert* »»L’enjeu principal du traitement par statines en 2012 est The main challenge with statin treatment is to improve long term compliance. Up to one patient out of two has stopped statin treatment after one year. Although the same compliance problem is observed with other preventive strategies, the fear of side effects might play a significant role. »»La peur des effets indésirables (surmédiatisés) joue un rôle Recent publications demonstrated that long term follow-up in the HPS trial was not associated with any increase in cancer incidence. This interesting result confirms earlier metaanalyses. Over a five-year period, these meta-analyses were not able to show any increase in cancer incidence or mortality. p o i nt s f o rt s dans cette inobservance. Nous rapportons ici 3 groupes de publications qui permettent de conclure que : • les statines, même après 11 ans, ne favorisent pas le cancer. Cette absence d’effet confirme les résultats des précédentes méta-analyses, qui évaluaient l’effet sur 5 ans ; • les statines favorisent en revanche les douleurs musculaires. Une démarche bien construite doit aider le clinicien à rester à l’écoute des plaintes pour proposer un changement thérapeutique, et finalement contribuer à une bonne observance ; • les statines augmentent le risque de diabète. Cet effet biologique ne modifie en rien notre pratique, compte tenu du rapport bénéfice/risque de ce type de traitement. Highlights l’observance ; en effet, 1 patient sur 2 qui a eu une prescription de statine a arrêté le traitement au bout de 1 an. Ce problème majeur n’est pas spécifique aux statines : on le retrouve avec d’autres thérapeutiques de prévention. Mots-clés : Effets indésirables – Statine – Myopathie – Diabète – Cancer L es méta-analyses des études comparant une statine à un placebo ont montré une baisse significative de la morbidité et de la mortalité cardiovasculaire (CV), en relation directe avec le taux du LDL-cholestérol (1). Globalement, le rapport bénéfice/ risque des ces traitements est exceptionnellement bon. Il n’en est pas moins important de rester vigilant quant aux possibles effets indésirables. En pratique, 3 d’entre eux méritent d’être discutés. © La Lettre du Cardiologue 2012;(456);6:18-20. * Service d’endocrinologiemétabolisme, IHU cardiométabolique, hôpital de la PitiéSalpêtrière, AP-HP, Paris. 268 Risque de cancer Le risque de cancer sous statine fait l’objet de nombreuses publications, car, si les études animales montrent un effet bénéfique sur le développement It is well established that statin treatment is associated with myopathy in a significant percentage of patients. Careful clinical work-up including good patient-doctor relationship should help manage the possible side effects and maintain an adequate long-term compliance. Finally, statin treatment is associated with an increased risk of diabetes mellitus. Although recently described, such effects did not change recent guidelines based on the risk benefit of statin treatment. Keywords: Side effects – Statin – Myopathy – Diabetes ­mellitus – Cancer des tumeurs (lié à l’inhibition de la synthèse de cholestérol utile pour la prolifération des cellules), les études épidémiologiques montrent plutôt une association entre cholestérol bas et risque de cancer (au moins certains cancers). La baisse de la cholestérolémie au stade infraclinique semble expliquer une partie de la relation. Globalement, les méta-analyses des essais randomisés ont mis en évidence l’absence de surrisque de cancer dans le groupe traité par rapport au groupe placebo. La publication récente du suivi prolongé à 11 ans de l’étude HPS est très rassurante (schéma). Dans cette étude, 20 536 patients avaient été randomisés en 1 groupe placebo et 1 groupe sous 40 mg de simvastatine. Avec ce suivi plus long sur une population importante, il n’est apparu aucun surrisque de cancer (RR = 0,98 ; IC95 : 0,89-1,02) [1]. Correspondances en Métabolismes Hormones Diabètes et Nutrition - Vol. XVI - n° 9 - novembre 2012 Effets indésirables des statines Randomisation Simvastatine (n = 10 269) RR (IC95) Placebo (n = 10 267) Cancer – Gastro-intestinal 468 (4,6 %) 483 (4,7 %) 0,95 (0,84-1,08) – Respiratoire 369 (3,6 %) 356 (3,5 %) 1,02 (0,88-1,18) – Tissu conjonctif 141 (1,4 %) 154 (1,5 %) 0,90 (0,71-1,13) – Génito-urinaire 622 (6,1 %) 609 (5,9 %) 1,00 (0,89-1,12) – Système nerveux 29 (0,3 %) 21 (0,2 %) 1,35 (0,77-2,35) – Hématologique 166 (1,6 %) 161 (1,6 %) 1,01 (0,81-1,25) – Autre 15 (0,1 %) 14 (0,1 %) 1,05 (0,51-2,17) – Non spécifié 90 (0,9 %) 99 (1,0 %) 0,89 (0,67-1,19) Tout type 1 749 (17,0 %) 1 744 (17,0 %) 0,98(0,92-1,05) 0,4 0,60,81,01,2 1,4 Simvastatine plus efficace Placebo plus efficace Schéma. Statines et risque de cancer. Suivi à 11 ans dans l’étude HPS (d’après [1]). Douleurs musculaires L’utilisation d’une statine, quand le LDL-cholestérol (LDL-c) est élevé et quand le risque CV le justifie, est indispensable, car le rapport bénéfice/risque est considéré comme excellent. Les méta-analyses des études comparant une statine avec un placebo ont montré une baisse significative de la morbidité et de la mortalité CV directement en relation avec le LDL-c (2). En pratique quotidienne, la principale difficulté rencontrée dans l’utilisation des statines est liée à la possibilité d’effets indésirables musculaires. Elle est due à une surmédiatisation du retrait du marché de la cérivastatine à la suite de cas de rhabdomyolyse, qui ont généré une crainte chez les patients. On peut également incriminer la très grande fréquence dans la population des douleurs (musculaires, tendineuses ou autres), facilement attribuées aux statines par les patients, et de l’absence de données permettant un diagnostic fiable et certain de la responsabilité des statines dans la douleur. Après 20 ans d’expérience, le nombre d’études et de publications est tristement faible, et contraste en tout cas avec les innombrables publications sur les très hypothétiques effets pléiotropes non musculaires des statines. Cette situation joue un rôle non négligeable dans les difficultés d’observance, responsables d’un surrisque pour le patient qui aurait arrêté son traitement par statine et d’un surcoût pour la société. Un facteur génétique a été mis en évidence, qui joue un rôle important chez les sujets sous simvastatine, mais sa recherche n’est pas de pratique courante. La fréquence de ces effets est très faible dans les études d’intervention du fait de biais de sélection (patient sans antécédent, avec peu de comorbidités), de déclaration (seuls les effets notables sont répertoriés) ou de dessin de l’étude (période de run-in permettant d’exclure les patients avec effets indésirables). Cette faible fréquence contraste avec la réalité quotidienne, où, à l’inverse, la responsabilité des statines dans les douleurs est probablement surestimée (3). La conduite à tenir devant les douleurs a fait l’objet d’un récent consensus d’experts (4). Les effets indésirables musculaires sont classiquement classés en 4 catégories : la rhabdomyolyse, totalement exceptionnelle (5 à 20 cas par million de personnes traitées ; 1 cas sur 10 est mortel) [5] ; la myosite (douleur musculaire et créatine phosphokinase [CPK] élevée) ; les douleurs isolées ; l’élévation isolée des CPK. Le terme “myopathie” regroupe l’ensemble des effets indésirables musculaires. Caractéristiques des douleurs Parmi les caractéristiques des douleurs, on peut noter que : ✓✓ elles sont dose-dépendantes. Chez certains patients, des doses plus faibles que celles prescrites habituellement en début de traitement sont parfois bien tolérées (atorvastatine 10 mg 1 jour sur 2 et rosuvastatine 5 mg 1 jour sur 2, voire moins) ; ✓✓ elles ont une sémiologie particulière. L’expérience clinique montre que la sémiologie des douleurs ras- Correspondances en Métabolismes Hormones Diabètes et Nutrition - Vol. XVI - n° 9 - novembre 2012 269 Références 1. Bulbulia R, Bowman L, Wallendszus K et al. Effects on 11-year mortality and morbidity of lowering LDL cholesterol with simvastatin for about 5 years in 20,536 highrisk individuals: a randomised controlled trial. Lancet 2011; 378:2013-20. 2. Baigent C, Keech A, Kearney PM et al. Efficacy and safety of cholesterol-lowering treatment: prospective metaanalysis of data from 90,056 participants in 14 randomised trials of statins. Lancet 2005;366:1267-78. 3. Brucker t E, Hayem G, Dejager S, Yau C, Bégaud B. Mild to moderate muscular symptoms with high-dosage statin therapy in hyperlipidemic patients--the PRIMO study. Cardiovasc Drugs Ther 2005;19:403-14. 4. Mancini GB, Baker S, Bergeron J et al. Diagnosis, prevention, and management of statin adverse effects and intolerance: proceedings of a Canadian Working Group Consensus Conference. Can J Cardiol 2011;27:635-62. 5. Armitage J. The safety of statins in clinical practice. Lancet 2007;370:1781-90. 6. Franc S, Dejager S, Bruckert E, Chauvenet M, Giral P, Turpin G. A comprehensive description of muscle symptoms associated with lipid-lowering drugs. Cardiovasc Drugs Ther 2003;17:459-65. 7. Sattar N, Preiss D, Murray HM et al. Statins and risk of incident diabetes: a collaborative meta-analysis of randomised statin trials. Lancet 2010;375:735-42. 8. Waters DD, Ho JE, DeMicco DA et al. Predictors of newonset diabetes in patients treated with atorvastatin: results from 3 large randomized clinical trials. J Am Coll Cardiol 2011;57:1535-45. 9. Preiss D, Seshasai SR, Welsh P et al. Risk of incident diabetes with intensive-dose compared with moderate-dose statin therapy: a meta-analysis. JAMA 2011;305:2556-64. 270 au point semble le plus souvent les caractéristiques suivantes (6) : • il existe un lien chronologique (début dans les 2 mois qui suivent l’instauration du traitement et arrêt, ou amélioration dans les semaines qui suivent l’arrêt du traitement), • on retrouve des symptômes associant le plus souvent courbatures, crampes ou fatigabilité, • ainsi que des symptômes, sinon diffus, du moins bilatéraux, touchant plus volontiers les gros muscles. Surveillance et prise en charge préventive Dans la surveillance et la prise en charge préventive, on peut proposer 3 recommandations : ✓✓ la surveillance du traitement comprend un dosage des CPK chez les sujets qui sont à risque ou qui présentent des symptômes musculaires. Il n’est donc pas nécessaire de doser les CPK chez un patient sans symptôme. Il n’est pas non plus justifié de doser les CPK avant la mise sous traitement en l’absence d’antécédent de pathologie musculaire. Il est nécessaire d’effectuer un dosage des CPK avant et sous traitement dans les situations à risque suivantes : • insuffisance rénale, • hypothyroïdie, • antécédents personnels ou familiaux de maladie musculaire génétique, • antécédents personnels d’effet indésirable musculaire avec un fibrate ou une statine, • abus d’alcool, • âge supérieur à 70 ans, d’autant plus qu’il existe d’autres facteurs de risque musculaires ; ✓✓ tout symptôme musculaire inexpliqué apparaissant sous traitement doit faire pratiquer un dosage des CPK ; ✓✓ il convient par ailleurs d’être vigilant quant au risque d’interactions médicamenteuses dans les cas de prescription d’associations telles que statines et fibrates (le gemfibrozil étant contre-indiqué), et d’inter­actions liées aux statines métabolisées par la voie CYP3A4 avec des traitements comme le kétoconazole, les macrolides ou le jus de pamplemousse (se référer au Vidal® pour la liste complète des interactions). Conduite à tenir en cas de douleur attribuable aux statines (4) Elle dépend de l’évaluation individuelle du rapport bénéfice/risque (par exemple, le traitement peut être poursuivi dans une situation de haut risque avec des symptômes mineurs). Le médecin peut ainsi favoriser une fenêtre thérapeutique pour évaluer la responsabilité du traitement, choisir de changer de statine (au moins 3 essais sont possibles) ou encore proposer de diminuer la dose. Les alternatives thérapeutiques, quand les statines ne sont pas suffisantes ou sont mal tolérées, sont l’ézétimibe (le plus souvent bien toléré sur le plan musculaire) ou la colestyramine. Les inconvénients majeurs sont les effets indésirables, notables mais non dangereux (constipation). Les patients se plaignent parfois d’un changement du goût, de sensations de nausée et de ballonnement. Mais, avec le temps, les effets indésirables tendent à disparaître. Autre alternative pour certains, dans les hypercholestérolémies pures, quand l’utilisation des statines n’est pas possible : les dérivés des fibrates. Ils n’ont toutefois pas fait leurs preuves dans ce cas en termes de diminution des accidents CV. Il ne faut pas passer à côté de l’urgence d’arrêter le traitement en cas d’accident sérieux caractérisé par une élévation importante des CPK (supérieure à 10 fois la normale) et des douleurs musculaires. Les douleurs musculaires restent un problème avec les statines. Il faut ne pas surestimer la responsabilité des statines, mais il faut aussi répondre à l’attente des patients qui ont une plainte, en modifiant la stratégie thérapeutique quand la responsabilité du traitement est probable. Développement du diabète L’existence d’un surrisque de développer un diabète est apparue relativement tardivement dans le développement des statines. La première méta-analyse a été conduite chez 91 140 patients dans les essais comparant les statines avec des placebos ou des soins standard (7). Une augmentation significative de 9 % du risque de développer un diabète (IC95 : 2-17) était commune à toutes les statines, sans hétérogénéité entre les études. De façon similaire, une analyse de 3 études avec l’atorvastatine confirme l’augmentation du risque de diabète (+ 10 % [p = 0,26, étude TNT], + 19 % [p = 0,072, étude IDEAL] et + 37 % [p = 0,011, étude SPARCL] et identifie les facteurs prédictifs de ce risque de développer un diabète au cours du suivi de l’étude (8). Une seconde méta-analyse a comparé l’effet des fortes doses de statines par rapport à de plus faibles doses (9). L’augmentation du risque est de 12 % (IC95 : 4-22). Le mécanisme par lequel les statines augmentent le risque de diabète n’est pas connu, mais cet effet ne change en rien les recommandations d’utilisation des statines en pratique courante. ■ Liens d’intérêts L’auteur déclare avoir des liens d’intérêts avec les sociétés GSK, MSD, Genzyme, Sanofi, Unilever, Danone et l’université de Montréal pour des activités de recherche, et avec les sociétés Abbott, AstraZeneca, Genfit, Genzyme, MSD, Pfizer, Sanofi, Servier, AMT, Merck, Lilly, Novo-Nordisk, Casino, Lu-Kraft, Unilever et Danone en tant que consultant ou orateur. Correspondances en Métabolismes Hormones Diabètes et Nutrition - Vol. XVI - n° 9 - novembre 2012 P o i nt s f o rt s Mise