Effets indésirables musculaires des statines : ils sont précoces mais

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Effets indésirables musculaires des statines : ils sont précoces mais aussi
tardifs ?
H. BAGHERI, L. SAILLER
Les inhibiteurs de l’hydroxymethyl-glutaryl coenzyme A (HMG CoA) réductase (statines) sont des
médicaments hypocholestérolémiants commercialisés depuis une vingtaine d’années. L’intérêt de leur
utilisation a été démontré dans de nombreuses études, en prévention primaire et secondaire des
maladies cardiovasculaires, avec des niveaux de preuve d’efficacité différents selon le médicament.
L’inhibition de HMG CoA réductase provoque une diminution de la synthèse de cholestérol et stimule
l’expression du gène des récepteurs au LDL par la levée du rétrocontrôle négatif exercé par le
cholestérol intracellulaire.
Parmi les effets indésirables des statines, la toxicité aigue a été très étudiée. Toutes les statines peuvent
entraîner des atteintes musculaires aigues, qui rétrocèdent plus ou moins rapidement après l’arrêt du
médicament, parfois après plusieurs mois. Elles se manifestent par des myalgies, une faiblesse
musculaire, et/ou une augmentation de la créatine-kinase (CK). Leurs effets indésirables (neuro)musculaires chroniques sont moins connus mais font l’objet d’un intérêt croissant.
MECANISME DE MYOTOXICITE DES STATINES
* La plupart des mécanismes évoqués pour la myotoxicité seraient indépendants de l’inhibition de la
synthèse de cholestérol par les statines. En effet, l’inhibition de l’HMG CoA réductase entraîne
également une modification de nombreux métabolites non cholestérolique en aval de l’HMGCoA, comme l’ ubiquinone (ou coenzyme Q10), les sélénoprotéines, le dolichol, l’heme A, le
farnesyl-pyrophosphate et le geranyl-geranyl-pyrophosphate. Ces molécules ont un rôle structural ou
fonctionnel myocytaire (ancrage des protéines G à la membrane cellulaire, fonctionnement
mitochondrial…). Les statines provoquent également une diminution de la N-glycosylation des
protéines, une altération du fonctionnement des canaux ioniques et une augmentation de la
peroxydation cellulaire. Le myocyte peut être ainsi touché au niveau structural, ainsi qu’au niveau
fonctionnel par le biais d’une dysfonction mitochondriale ou d’une lipidose.
Le caractère lipophile des statines a été décrit comme facteur favorisant la survenue d’effets
indésirables [1]. Des facteurs génétiques (particulièrement des mutations dans le gène SLCO1B1
codant pour une protéine de transport hépatique) jouent également un rôle important [2].
*Une toxicité indirecte pourrait être due à l’effet immunomodulateur des statines sur les lymphocytes
T. Elles promeuvent une réponse immune de type TH-2 [3], favorisant activation des lymphocytes B
et production d’anticorps. Depuis quelques années, des publications rapportent des cas de lupus
érythémateux disséminé et de dermatomyosite/polymyosite induites par les statines. La réponse
immunologique pourrait se développer contre des antigènes cryptiques ou modifiés par l’action du
médicament, libérés à la faveur de la rhabdomyolyse, ou surexprimés par les molécules HLA de classe
I à la surface des myocytes [4].
Les mécanismes de myotoxicité des statines s’avèrent donc complexes et multiples. Ils permettent
d’expliquer l’apparition non seulement de myopathies aigues ou chroniques au cours de la prise du
médicament et d’envisager la survenue de myopathies chroniques ne se résolvant pas spontanément à
l’arrêt de la statine.
TOXICITE CHRONIQUE MUSCULAIRES: LES EVIDENCES CLINIQUES
Myopathies inflammatoires :
Depuis plusieurs années ont été signalés des cas de polymyosite et surtout de dermatomyosite
survenant chez des patients exposés aux statines pendant des durées très variables. Dans
certains cas mimant une dermatomyosite, les patients ont guéris complètement avec le seul
arrêt du médicament. Mais dans la plupart des observations, le tableau clinique impose la
mise en route d’une corticothérapie et/ou d’immunosuppressseurs. Un travail
pharmacoépidémiologique de notre équipe en Midi-Pyrénées a montré très clairement une
surexposition aux statines chez les patients ayant développé une maladie musculaire
chronique [5]. Cette surexposition était particulièrement marquée en cas de
dermatomyosite/polymyosite : 47.6% des patients avaient été exposés à une statine avant le
déclenchement de leur maladie, contre 23,8 % chez les témoins appariés pour l’âge et le sexe
(p=0.02). La durée d’exposition était très variable, en moyenne de 40,9 mois (de 6 à 72 mois).
Le lien existant entre maladie musculaire inflammatoire et prescription de statines parait donc
réel. Il n’existait en revanche pas de lien entre exposition aux fibrates et myosite ;
Myopathies génétiques de révélation tardive
Le lien entre myopathie génétique de révélation tardive et exposition aux statines pourrait être
tout aussi réel bien que moins fort. Des observations isolées rapportent la survenue de
myopathies génétiques devenues symptomatiques après la prescription d’une statine. Un
travail systématique a été mené chez des patients ayant présenté des symptômes musculaires
apparus sous statine et persistant plusieurs mois à plusieurs années après arrêt du médicament.
Les auteurs ont mis en évidence une fréquence de 10% d’anomalies génétiques, hétérozygotes
ou homozygotes, observées dans les 3 myopathies métaboliques les plus fréquentes (déficit en
myoadénylate deaminase, en CPTII, et maladie de McArdle), soit jusqu’à 20 fois plus que
dans un groupe témoin [6]. Le même groupe de recherche a mis en évidence l’existence
d’anomalies anatomopathologiques évocatrices de maladie métabolique musculaire diverses
(lipidose, cytopathies mitochondriales…) chez des patients exposés à une statine au cours
d’un essai clinique [7]. De manière remarquable, ces patients étaient symptomatiques au plan
musculaire mais avaient un taux de créatine kinase (CK) normal. Dans notre étude, 33.3% des
patients ayant eu un diagnostic de myopathie génétique avaient été exposés à une statine,
contre 20% chez leurs témoins appariés.
Nos résultats ont été parfaitement confirmés par une étude prospective, qui retrouve dans un
suivi de cohorte de 32225 patients, une multiplication par 2 du risque de myopathie et par 4
du risque de myosite sévère chez des patients exposés aux statines [8].
AUTRES MANIFSTATIONS NEURO-MUSCULAIRES (SLA)
Il nous parait important de rappeler ici que les statines sont également incriminées dans
d’autres manifestations neuro-musculaires : les neuropathies, la sclérose latérale
amyotrophique (SLA) et les tendinopathies.
Neuropathies
Une étude cas-témoin, réalisée chez 1084 malades avec diagnostic de neuropathie idiopathique,
indique un risque relatif de 4,6 (IC95 : 2,1-10) chez les malades traités par statines avec une
augmentation du risque au delà de 2 ans d’exposition [9].
SLA
L’analyse des notifications spontanées de la base de données de pharmacovigilance de l’OMS (à
Uppsala, Suède) en 2007 constitue un signal important sur le lien éventuel entre exposition aux
statines et SLA [10]. Parmi les 43 cas de SLA ou de « SLA-like syndrome », la statine était le seul
médicament suspect dans 34 cas. Les auteurs discutent la rareté de cet effet indésirable nécessitant
d’autres études pour confirmer le signal et proposent l’arrêt de la statine chez tout patient atteint de
maladie neuromusculaire. La HAS recommande d’ailleurs la réévaluation ou l’arrêt du traitement par
statine chez les patients atteints de SLA [11].
Tendinopathies et fibromyalgies
En dehors de l’atteinte musculaire, on évoque de plus en plus le rôle des statines dans la survenue de
tendinopathies. Une enquête nationale de pharmacovigilance a établi l’existence de tendinopathies
avec l'atorvastatine, la fluvastatine, la pravastatine et la simvastatine. D’incidence faible, elles touchent
dans la moitié des cas le tendon d’Achille et peuvent conduire à des ruptures tendineuses. Leur
survenue est généralement précoce et ne semble pas dose-dépendante. Leur mécanisme est obscure,
mais les observations sont assez convaincantes, notamment lorsque l’épreuve de réintroduction a été
réalisée. Il faut donc ajouter les statines à la liste des médicaments pouvant induire des tendinopathies
: fluoroquinolones, rétinoïdes, fibrates et corticoïdes [12].
Un arrêt du traitement par statine de quelques mois devrait également être envisagé chez les patients
présentant un tableau clinique de fibromyalgie, tant il peut être difficile de différencier cette pathologie
d’une tendinopathie diffuse ou de certaines maladies musculaires.
CONCLUSION :
Tout praticien doit retenir la possibilité de survenue d’effets indésirables musculaires ou neurologiques
chez les patients exposés au long cours à une statine. La déclaration systématique à la
pharmacovigilance s’impose, même en cas de prescription ancienne. Les enquêtes pharmacoépidémiologiques permettront peut être d’identifier quelles sont les statines les plus impliquées dans
ces pathologies. Une réflexion rigoureuse sur le rapport bénéfice-risque chez le patient réel reste
impérative avant toute prescription de statines, particulièrement en prévention primaire.
Références
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www.has-sante.fr. ALD n°9-PNDS Sclérose Latérale amyotrophique.29/01/2008
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Arthritis Rheum 2008; 3: 367-72.
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