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La Lettre du Sénologue - n° 12 - avril/mai/juin 2001
a chirurgie cancérologique et la chirurgie plastique
ont été longtemps distinctes, voire éloignées. Durant
des décennies, la chirurgie a été la seule modalité du
traitement des cancers et le chirurgien cancérologue se devait
d’extirper la tumeur le plus largement possible, quelles que
soient les séquelles. En cas de cancer du sein, la mastectomie
était le seul traitement efficace et reconnu. L’introduction de la
chirurgie plastique en cancérologie mammaire est apparue au
cours des décennies, afin de réduire une partie des séquelles
iatrogènes. Le chirurgien doit pratiquer un geste répondant aux
critères de l’exérèse carcinologique, mais il peut utiliser toutes
les ressources de la chirurgie plastique pour minimiser les
conséquences esthétiques et fonctionnelles de son intervention.
Lorsque les tumeurs étaient découvertes à un stade avancé,
elles étaient toutes traitées par mastectomie. L’approche pluri-
disciplinaire associant les bénéfices de la chimiothérapie et de
la radiothérapie a permis de moduler les indications et de voir
diminuer celles du traitement radical. Par ailleurs, les tumeurs
dépistées sont de plus en plus petites, voire infracliniques.
Parallèlement, dans le cadre d’une désescalade thérapeutique
en toute sécurité, et en respect de l’image corporelle de la
patiente et de sa qualité de vie, l’utilisation conjointe des tech-
niques de chirurgie plastique et de chirurgie carcinologique
permet de répondre au double objectif du traitement du cancer
du sein : améliorer les taux de survie, tout en réduisant les
séquelles esthétiques.
La chirurgie oncoplastique consiste à transférer en chirurgie
cancérologique des techniques dérivées de la chirurgie plas-
tique. Cette approche, initialement développée après mastecto-
mie, s’étend depuis une dizaine d’années au traitement conser-
vateur des cancers du sein. L’apport de ces techniques permet :
– en cas de mastectomie, de proposer systématiquement une
reconstruction immédiate ou différée ;
– en cas de traitement conservateur, de réaliser des exérèses
larges, d’étendre les indications du traitement conservateur à
des lésions jusqu’alors traitées par mastectomie pour des rai-
sons de taille ou de rapport entre la taille de la tumeur et la
taille du sein.
Ainsi peut-on espérer réduire le taux des récidives locales et
améliorer les résultats esthétiques.
CHIRURGIE ONCOPLASTIQUE ET TRAITEMENT RADICAL
La mastectomie a longtemps été le seul traitement du cancer
du sein. Plusieurs études contrôlées ont confirmé que la mas-
tectomie élargie de type Halsted pouvait être abandonnée, et
qu’une mastectomie simple avec curage axillaire des deux
étages de Berg restait la sanction thérapeutique d’un certain
nombre de tumeurs. Face à cette mastectomie, il est possible
de proposer une reconstruction mammaire, dont l’innocuité est
parfaitement démontrée : la reconstruction ne modifie pas le
pronostic des patientes opérées ; en particulier, le taux de réci-
dive est identique à celui des patientes non reconstruites (1).
En revanche, les bénéfices physiques, fonctionnels et psy-
chiques de la reconstruction sont majeurs : la reconstruction
mammaire fait maintenant partie intégrante du traitement du
cancer du sein. Initialement réalisée à distance de la mastecto-
mie, elle est de plus en plus fréquemment immédiate, dans le
même temps opératoire que celle-ci. Plus de 60 % des recons-
tructions mammaires réalisées à l’institut Curie sont des
reconstructions mammaires immédiates (RMI). Cette RMI
peut être réalisée par une double équipe chirurgicale associant
un chirurgien cancérologue et un chirurgien plasticien. Dans
notre conception “oncoplastique” du traitement chirurgical du
cancer du sein, c’est le même chirurgien, qualifié en chirurgie
oncologique et en chirurgie plastique, qui réalise toute l’inter-
vention. Les avantages de cette approche sont multiples :
- l’adaptation du dessin de la mastectomie à la lésion ;
- un seul interlocuteur pour la patiente, qui prend en charge
non seulement l’intervention, mais les suites à long terme,
qu’il s’agisse de problèmes carcinologiques ou liés à la recons-
truction ;
- la décision de la reconstruction mammaire immédiate prise
en fonction de l’argument carcinologique mais également mor-
phologique ;
- une meilleure organisation peropératoire.
Cette attitude nous a permis, dans notre série de RMI par
prothèse, de réduire considérablement le taux de complica-
tion : moins de 2 % de déposes de prothèse (avec plus de
75 % de bons ou très bons résultats esthétiques) (2).
Cependant, notre suivi des prothèses à long terme a confirmé
que, si les résultats esthétiques sont souvent bons à court
terme, ils se dégradent avec le temps (3). Par ailleurs, les pro-
thèses sont source de complications spécifiques (coque,
dégonflage) et de réinterventions itératives dans 35 à 50 %
des cas. C’est la raison pour laquelle s’est développé un
ensemble de techniques de reconstruction autologue (sans
prothèse) par transfert d’un lambeau musculo-cutané de
grand dorsal ou de grand droit. Ces interventions, plus
lourdes initialement que lorsqu’on utilise une prothèse, ont
cependant l’avantage de donner d’excellents résultats esthé-
tiques, stables à long terme. Les résultats sont encore amélio-
rés par la possibilité de conserver la peau du sein. En cas de
carcinome intracanalaire ou micro-infiltrant étendu, nous réa-
lisons des mastectomies conservant tout l’étui cutané
(figure 1) ; seule l’aréole est excisée dans ces indications très
Chirurgie oncoplastique du sein
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Krishna B. Clough*
* Service de chirurgie générale et sénologique, institut Curie, 26, rue d’Ulm,
75005 Paris.
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