Cas clinique Une dystrophie cornéenne épithéliale de Lisch Lisch Epithelial Corneal Dystrophy L. Benoudis, M. Mercie, B. Briat, G. Sultan, M. Boissonnot, S. Rouissi (Service d’ophtalmologie, CHU de Poitiers) Dystrophie cornéenne épithéliale de Lisch • OTC de segment antérieur • Opacité cornéenne. Lisch epithelial corneal dystrophy • Anterior segment OCT (Optical Coherence Tomography) • Corneal opacity. U ne femme âgée de 68 ans (œil droit : 10/10 avec +2,00 dioptries ; œil gauche : 8/10 avec +1,25), suivie depuis 20 ans pour une dystrophie cornéenne jusqu’alors asymptomatique, consulte pour un flou visuel lentement progressif principalement à gauche et une baisse de l’acuité visuelle à 7/10. Examen et évolution La baisse d’acuité visuelle est indolore. À l’examen à la lampe à fente, on retrouve des opacités épithéliales cornéennes à l’œil gauche (figure 1), accompagnées de nombreux microkystes intraépithéliaux en fort grossissement (figure 2). Les opacités cornéennes épithéliales forment des volutes (figure 3) et gagnent en partie l’axe visuel. Par ailleurs, il n’y a ni ulcération cornéenne, ni érosion épithéliale, ni coloration à la fluorescéine ou inflammation de la surface oculaire. Le breakup time, ou mesure du temps de rupture du film lacrymal, est estimé à 10 secondes. Le tonus oculaire et le fond d’œil sont sans particularités. Des opacités similaires sont également retrouvées à l’œil droit, mais sans atteinte de l’axe visuel. L’OCT de segment antérieur de la cornée de l’œil gauche montre les lésions intraépithéliales (figure 4). Plusieurs hypothèses diagnostiques sont initialement discutées : une dystrophie épithéliale de Cogan en phase cicatricielle, une dystrophie épithéliale de Meesmann, une dystrophie épithéliale de Lisch, une maladie de surcharge ou une maladie de Fabry, une cornée verticillée. Devant la description clinique et l’OCT de segment antérieur, le diagnostic de dystrophie épithéliale de Lisch est posé. Prise en charge et évolution Le traitement proposé pour remédier au flou visuel de l’œil gauche consiste en un débridement épithélial au scarificateur de cornée. Le traitement postopératoire préconise le port d’une lentille souple à visée antalgique et cicatrisante, un collyre antibiotique en topique et des larmes artificielles. Après l’opération, l’acuité visuelle de l’œil gauche est remontée à 9/10 à la lampe à fente, et l’épithélium cornéen a retrouvé sa transparence (figure 5). L’OCT de segment antérieur rapporte la disparition des opacités épithéliales après débridement épithélial (figure 6). 142 Images en Ophtalmologie • Vol. VII • no 5 • septembre-octobre 2013 Légendes Figure 1. Examen à la lampe à fente montrant une opacité cornéenne naissant en périphérie et empiétant sur l’axe visuel. Figure 2. Lampe à fente à fort grossissement objectivant des microkystes confluents au niveau des couches profondes de l’épithélium. a. Microkystes intraépithéliaux, grossissement × 5. b. Confluence des microkystes pour former des opacités cornéennes épithéliales, mieux vues sur un iris dilaté et/ou en rétro-illumination. Figure 3. Opacités épithéliales grises formant des volutes avec bandes de cornée saine. Figure 4. Clichés de l’OCT de segment antérieur montrant les opacités intraépithéliales. Figure 5. Après l’opération, l’épithélium cornéen a retrouvé sa transparence. Figure 6. Disparition des opacités épithéliales après débridement épithélial en OCT de segment antérieur. 3 1 4 2a 5 2b 6 Images en Ophtalmologie • Vol. VII • no 5 • septembre-octobre 2013 143 Cas clinique Discussion La dystrophie cornéenne de Lisch peut être diagnostiquée fortuitement, à l’adolescence, par un examen ophtalmologique systématique. Le premier stade évolutif de cette dystrophie est en général asymptomatique et peut montrer des opacités cornéennes épithéliales linéaires épargnant le centre optique cornéen. Ce n’est que lorsque les opacités atteignent l’axe visuel qu’apparaissent des symptômes tels qu’un flou visuel ou une baisse d’acuité visuelle, une diplopie monoculaire ou encore une photophobie (2). Cette dystrophie épithéliale héréditaire est la seule à ne pas former d’érosion épithéliale ; elle reste donc indolore au cours de son évolution. Il s’agit d’une pathologie héréditaire transmise sur le mode dominant lié au chromosome X ; le locus a été identifié en Xp22.3 mais le gène reste encore indéfini (3). L’examen à la lampe à fente retrouve des opacités cornéennes épithéliales grisâtres à bords bien limités pouvant dessiner des formes de volutes (“whorl-like patterns”) [3], des flammes ou des plumes ; ces opacités correspondent en fort grossissement à la confluence de plusieurs microkystes dans l’épithélium cornéen. Entre ces opacités, des bandes de cornée transparente d’allure saine peuvent être observées. L’atteinte est épithéliale pure, sans atteinte stromale ni inflammation associées. Cette dystrophie épithéliale est à différencier des dystrophies épithéliales de Cogan et surtout de celles de Meesmann (5), qui forment également de petits kystes intraépithéliaux. Cependant, à l’inverse des kystes de la dystrophie de Lisch, les microkystes de la dystrophie de Meesmann peuvent entraîner des érosions épithéliales cornéennes souvent douloureuses, une inflammation locale, et aboutir à la formation de cicatrices cornéennes et d’un astigmatisme irrégulier. En outre, les patients avec une dystrophie de Meesmann sont intolérants au port de lentilles de contact souples, qui endommagent d’autant plus leur épithélium. Les traitements proposés pour la dystrophie de Lisch sont initialement la prescription de larmes artificielles, le port de lentilles de contact rigides, puis, à visée optique, un débridement épithélial mécanique, voire une photokératectomie thérapeutique avec mitomycine C (6). Les stades évolués avec opacité cornéenne dense nécessitent parfois une kératoplastie lamellaire ou transfixiante. Les patients doivent être avertis du risque de récidive malgré le traitement chirurgical. La cause des récidives reste mal expliquée ; l’hypothèse retenue est que les cellules dystrophiques conservent une capacité de réplication (7). Dans l’avenir, la thérapie génique aura probablement une place dans le traitement de ces dystrophies génétiques. II Références bibliographiques Les auteurs déclarent ne pas avoir de liens d’intérêts. 144 1. Creisson G, Kantelip B, Delbosc B, Montard M. Dystrophies cornéennes. Elsevier-Masson 2008, Encycl Med Chir 21-200-D-30. 2. Weiss JS, Møller HU, Lish W et al. The IC3D classification of the corneal dystrophies. Cornea 2008; 27(Suppl.):S1-S42. 3. Lisch W, Steuhl KP, Lisch C et al. A new, band-shaped and whorled microcystic dystrophy of the corneal epithelium. Am J Ophthalmol 1992;114(1):35-44. 4. Rousseau A, Labbe A, Baudouin C, Cochereau I, D’Hermies F, Gabison E, Doan S. Microscopie confocale dans la dystrophie épithéliale de Lisch. SFO 2011, abstract no 7628. 5. Lisch W, Büttner A, Oeffner F et al. Lisch corneal dystrophy is genetically distinct from Meesmann corneal dystrophy and maps to xp22.3. Am J Ophthalmol 2000;130(4):461-8. 6. Wessel MM, Sarkar JS, Jakobiec FA et al. Treatment of Lisch corneal dystrophy with photorefractive keratectomy and mitomycin C. Cornea 2011;30(4):481-5. 7. Charles NC, Young JA, Kumar A et al. Band-shaped and whorled microcystic dystrophy of the corneal epithelium. Ophthalmology 2000;107(9):1761-4. Images en Ophtalmologie • Vol. VII • no 5 • septembre-octobre 2013