SOINS ONCOLOGIQUES DE SUPPORT Congrès de la MASCC 2012 : les soins oncologiques de support sur la scène internationale MASCC meeting 2012: supportive care on stage F. Scotté1, M. Di Palma2, S. Richard1, P. Bory3, I. Krakowski4 ette année, le congrès de la MASCC (Multinational Association for Supportive Care in Cancer) s’est tenu aux États-Unis, sous la présidence de R. Gralla, la présidence de l’association étant assurée par S. Grunberg. Ce congrès regroupe un nombre croissant de participants, venant des 5 continents, dont 124 Français, qui font de la France la seconde nation représentée. Le thème des nausées et vomissements y a été largement développé, en plus des différentes avancées dans le domaine des soins oncologiques de support (SOS). Plusieurs centaines d’abstracts ont été présentés durant les 3 jours du congrès, preuve que les soins de support prennent une place prépondérante dans l’exercice des soignants engagés auprès des patients dans la lutte contre le cancer. C Les différentes évolutions qui ont permis cette amélioration ont porté sur : ➤ la mise en place du système de score de la MASCC permettant d’évaluer le risque de NF : ainsi, un score d’au moins 21 correspond, par exemple, à un risque de complication de plus de 5 % (échelle disponible sur le site www.mascc.org) ; ➤ la publication de recommandations d’utilisation prophylactique des G-CSF (Granulocyte ColonyStimulating Factor) ; ➤ le développement des alternatives ambulatoires plutôt que des hospitalisations conventionnelles (antibiothérapie orale plutôt qu’injectable) ; ➤ la proposition d’une prophylaxie orale par fluoroquinolone dans certains cas ; ➤ la mise à disposition de G-CSF à libération standard, puis à libération pégylée. Trente années de soins de support Les critères de recours aux G-CSF sont à évaluer en fonction du coût (ce qui fait poser la question de la place des biosimilaires), des protocoles d’administration (à adapter en fonction du risque de chaque patient), de la prescription ou non d’une antibiothérapie prophylactique. À l’issue de sa présentation et de sa réflexion sur 30 années d’une carrière dédiée aux soins de support, J. Klastersky a proposé un nouvel algorithme décisionnel permettant de guider le choix d’utiliser ou non un G-CSF, pégylé ou non, avec antibioprophylaxie ou non (figure 1). Il démontrait ainsi que l’expérience d’un maître permet d’avoir encore des perspectives de développement d’un thème. Par la suite, J. Holland a présenté un point de vue sur l’histoire de la psycho-oncologie. Son propos a été Le congrès a débuté par une revue de l’évolution des progrès dans le domaine des SOS sur les 30 dernières années. J. Klastersky (fondateur de la MASCC) a rappelé l’histoire de la lutte contre la neutropénie fébrile (NF). En 1962, 91 % des patients en hématologie avaient une évolution rapidement fatale par NF dans le cadre des traitements de la leucémie aiguë. Ce chiffre s’est nettement amélioré, puisqu’on estimait, en 2007, à 13 % le taux de décès imputables à une NF dans le cadre d’une tumeur solide et à 9 % en cas d’hémopathies malignes. Ce chiffre, à mettre en regard du volume important de patients traités pour cancer, reste donc très alarmant. 1 Service d’oncologie médicale et de soins de support, hôpital européen Georges-Pompidou, Paris. 2 Institut Gustave-Roussy, Villejuif. 3 Centre hospitalier de Bastia. 4 Centre Alexis-Vautrin, Vandœuvre- lès-Nancy. La Lettre du Cancérologue • Vol. XXI - n° 9 - novembre 2012 | 469 SOINS ONCOLOGIQUES DE SUPPORT Risque de NF > 20 % Risque de NF entre 10 et 20 % Risque de NF < 10 % Évaluation des facteurs de risque individuels Oui Non G-CSF pégylé (pegfilgrastim) (avec ou sans antibiothérapie prophylactique ?) G-CSF action rapide (filgrastim) (avec ou sans antibiothérapie prophylactique ?) G-CSF : facteur de croissance granulocytaire ; NF : neutropénie fébrile. Figure 1. 30 ans de neutropénies fébriles (NF) [d’après Klastersky J et al., MASCC 2012]. Contrôle complet des nausées et vomissements chimio-induits (%) 100 85 Cisplatine (chimiothérapie hautement émétique) Protocole “AC” 80 60 50 50 75 60 50 40 20 10 0 0 1978 1988 HD-MCP + Dex 1998 Sétron + Dex 2008 Tous + NK1 Dex : déxaméthasone ; HD-MCP : métoclopramide haute dose. Figure 2. 30 ans de lutte antiémétique (d’après Gralla R et al., MASCC 2012). introduit par une citation de F. Peabody : “The secret of the care of the patient is in caring for the patient” (“Le secret, pour soigner un patient, c’est de se soucier de ce patient”) [1]. En 1973, le terme cancer était systématiquement associé à la mort, et l’annonce (ou plutôt la révélation) du diagnostic était considérée comme cruelle et inhumaine. Des recherches menées sur animaux par le mouvement psychosomatique ont, par la suite, mis en évidence un lien entre stress et progression tumorale. Considérer l’impact du stress sur la maladie a occasionné un changement dans les attitudes face au patient atteint de cancer. Il fallait alors “se battre” contre le cancer, dont la cause pouvait trouver son origine dans un contexte de “faiblesse psychologique”. Le tabou autour du cancer était alors plus ou moins levé, tout au moins grâce à plusieurs personnalités 470 | La Lettre du Cancérologue • Vol. XXI - n° 9 - novembre 2012 qui révélèrent leur maladie cancéreuse. Le message d’E. Kübler Ross sur l’importance du travail de parole avec le mourant ainsi que les études menées en biopsychologie a, par la suite, fait évoluer la société. La prise de conscience de l’importance de l’accompagnement du patient sur le plan psychologique a été ainsi progressivement intégrée au soin. C’est alors que la psycho-oncologie a été définie. Des échelles d’évaluation et de repérage des situations psychopathologiques ont de même été développées. Le terme “souffrance” (distress) a progressivement remplacé le terme “psycho-”, afin d’intégrer l’ensemble des souffrances psychologiques, sociales et spirituelles. J. Holland a, pour conclure, insisté devant un auditoire international, hétérogène face à l’accès aux soins, sur la nécessité de repérer les situations pathologiques et de développer l’écoute du patient en intégrant l’évaluation des causes de souffrance et la mesure de la qualité des soins sur le plan psychologique. R. Gralla a, quant à lui, repris l’évolution de la lutte contre les nausées et vomissements chimio-induits (NVCI) sur les 30 dernières années. Le constat est simple. Avant 1980 et la mise sur le marché des antidopaminergiques, dont les neuroleptiques, 100 % des patients souffraient de nausées et vomissements sous chimiothérapies hautement et modérément émétisantes. Le développement du métoclopramide puis des sétrons et, enfin, des inhibiteurs de la neurokinine de type 1, dont le chef de file actuel est l’aprépitant, a permis d’atteindre un taux de contrôle des NVCI de l’ordre de 85 % (figure 2). Cet expert du domaine antiémétique, président de cette édition de la MASCC et habitant de New York, a rappelé les avancées récentes : ➤ l’équivalence entre les voies orales et intraveineuses des antiémétiques, dont l’impact est important tant pour le temps passé par le soignant au lit du malade que pour la limitation des contaminations infectieuses des lignes de perfusions ; ➤ le développement du palonosétron, sétron de nouvelle génération, dont l’efficacité sur la phase retardée (liée à son affinité pour le récepteur 5HT3) lui prodigue un intérêt certain dans la gamme des agents antiémétiques ; ➤ la publication de recommandations sur la prophylaxie antiémétique, menée par un groupe d’experts internationaux, dont la dernière mise à jour a été publiée en 2010 (2). Ces recommandations ont été rappelées, et R. Gralla a insisté sur l’importance de l’evidencebased medicine, mais également, pour les équipes, SOINS ONCOLOGIQUES DE SUPPORT de s’approprier ces recommandations afin de les adapter aux habitudes locales pour mieux accompagner les patients (tableau). Survivorship : les patients “après le cancer” sont l’autre défi de la cancérologie du XXIe siècle (MASCC 2012, Hobie W session survivorship: Transitioning survivors of childhood cancer to adult medical care ; MASCC 2012, Einhorn L session survivorship: Medical issues of long term suvivors of germ cell malignancies) Tableau. Recommandations antiémétiques de la MASCC, ESMO 2010 (2). Nausées et vomissements Chimiothérapies Aigus Retardés Hautement émétisantes Aprépitant + sétron + dexaméthasone Aprépitant à J2 et J3 + dexaméthasone à J2-J4 Moyennement émétisantes AC Aprépitant + sétron + dexaméthasone Aprépitant à J2 et J3 Moyennement émétisantes Non AC Palonosétron (sétron) + dexaméthasone Dexaméthasone à J2 et J3 Dexaméthasone ou sétron ou dopamine Rien Rien Rien Faiblement émétisantes Peu émétisantes Le congrès de la MASCC est l’occasion de conférences magistrales. Ce fut à nouveau le cas cette année au cours d’une session sur la vie des patients après un cancer (survivorship). La survie à 5 ans aux États-Unis des adultes traités pour un cancer est actuellement de plus de 65 % tous cancers et tous stades confondus. Elle est de plus de 80 % en pédiatrie, et on estime à plus de 12 millions de personnes la population de ceux qui ont survécu au cancer. Or, le cancer lui-même et ses traitements laissent des séquelles, parfois graves, mais souvent invisibles : physiques, neuropsychiques, douleurs, fatigue, problèmes cardiovasculaires, troubles métaboliques (diabète, cholestérol), etc. À tout cela s’ajoute le risque de rechute et de second cancer. Si ces questions commencent à être bien identifiées et prises en compte en pédiatrie, on est encore loin du compte chez les adultes. Or, les problèmes et les risques évoqués ici sont bien réels et altèrent la qualité de vie, voire la survie des patients. Les expériences développées en oncologie de l’enfant et de l’adolescent sont riches d’enseignements, et les enjeux, majeurs : jusqu’où aller, comment identifier les risques, comment intégrer les (ex-)patients et leur entourage, comment impliquer les médecins traitants, comment accompagner sans stigmatiser, etc. La question du survivorship est particulièrement importante lorsqu’on s’intéresse à la population pédiatrique et aux séquelles tardives des traitements. Le taux de guérison élevé obtenu chez les enfants atteints de cancer a amené l’équipe d’oncopédiatres de l’hôpital Saint-Jude Cancer Center (États-Unis) à s’intéresser à la survie à long terme de ces patients (MASCC 2012, Hudson M: Optimizing health of childhood cancer survivors through risk-based health care ; MASCC 2012, Hollen V: Risk factors in adolescent survivors of childhood cancer). AC : anthracycline/cyclophosphamide. Les études de cohortes montrent que, 30 ans après le traitement du cancer, 73 % des patients ont au moins 1 séquelle (figure 3, p. 472), qui, pour 42 % d’entre eux, est “sérieuse”. De plus, la survie de ces “patients guéris” est inférieure à celle de la population générale, du fait d’un second cancer ou de problèmes cardio pulmonaires (figure 4, p. 472). Cette équipe du Saint-Jude a développé un programme de suivi fondé sur l’évaluation individuelle du risque et prenant en compte un certain nombre de facteurs liés à la tumeur elle-même, au terrain, mais aussi aux traitements réalisés et aux aspects comportementaux (consommation d’alcool, tabac, drogue, activité physique, etc.). Un programme personnalisé est alors défini et expliqué au patient, à son entourage ainsi qu’à son médecin traitant. L’accès et la transmission des informations sont des enjeux majeurs pour réduire la surmortalité, dans ce contexte, et s’appuient sur des programmes nationaux et des ressources comme le site www. survivorshipguidelines.org. Organisation des soins de support L’intérêt et l’impact de consultations infirmières de groupe pour des patients traités par radiothérapie pour un cancer de la prostate localisé (en radiothérapie exclusive ou postopératoire) ont été évalués dans le cadre d’une étude prospective (MASCC 2012, Schofield P et al.: A nurse-led group consultation intervention to reduce psychological morbidity and unmet needs in men with prostate cancer during radiotherapy: a randomised controlled trial). La Lettre du Cancérologue • Vol. XXI - n° 9 - novembre 2012 | 471 SOINS ONCOLOGIQUES DE SUPPORT Suivi longitudinal d’une cohorte de 10 397 patients 0,8 73 % des patients ont au moins 1 séquelle liée au traitement Incidence cumulée 0,6 0,4 0,2 42 % des patients présentent des séquelles modérées, sévères ou à risque vital 0 5 10 15 20 25 30 Années depuis le diagnostic Figure 3. Séquelles après cancer pédiatrique aux États-Unis (3). Survie des adultes traités pour un cancer dans l’enfance (versus population générale) Incidence cumulée 1,0 Femmes Hommes Population générale 0,9 Patients traités pour un cancer dans l’enfance 0,8 SMR (%) 15,2 7,0 8,8 Second cancer Cardiaque Pulmonaire Femmes IC95 13,9-16,6 5,9-8,2 6,8-11,2 Hommes 0 5 SMR : Severe Morbidity Related. 10 15 20 25 30 35 Années depuis le diagnostic Figure 4. Survie des adultes traités dans l’enfance pour un cancer aux États-Unis. Au total, 315 patients ont été randomisés entre une prise en charge standard seule ou associée à 4 consultations de groupe, d’une durée de 1 heure chacune (au début du traitement, au milieu, en fin de traitement et 6 semaines après la complétion de ce dernier). Chaque consultation abordait un aspect particulier (déroulement de la radiothérapie, effets indésirables, séquelles possibles, etc.). L’observance à ces consultations a été très élevée, montrant l’intérêt des patients. En termes de bénéfice “objectif”, seul le score de dépression a été amélioré de façon significative dans le groupe intervention, surtout chez les patients recevant une hormonothérapie associée. Aucune différence significative n’a, en revanche, été retrouvée sur les autres paramètres étudiés (anxiété, symptômes urinaires ou digestifs, qualité de vie). 472 | La Lettre du Cancérologue • Vol. XXI - n° 9 - novembre 2012 Cela peut être lié au fait que la prise en charge de base est d’un niveau assez élevé (livret d’information, accès à des consultations infirmières, etc.). L’impact sur les consultations médicales et l’existence d’une réduction du recours aux consultations infirmières dites “classiques” restent des questions en suspens. Le baromètre AFSOS est une étude observationnelle menée sur le territoire français dans le but d’évaluer la mise en place des SOS sur le territoire, leur organisation, et l’iatrogénie des traitements de support à travers le regard des prescripteurs médicaux (MASCC 2012, Scotté F et al., abstr. A-4450024-00803: Inpatient unit for supportive care in cancer: is it possible?). Un questionnaire en 32 items a été adressé à 1 621 médecins oncologues, radiothérapeutes, oncopneumologues et oncologues digestifs. Les résultats montrent que la perception de l’importance des SOS est plus importante lors des phases avancées de la prise en charge ; le dispositif d’annonce, notamment, n’est considéré comme faisant partie des SOS que par 52,7 % des répondeurs. La présentation des SOS est faite en priorité par le médecin (selon son point de vue) ; elle est réalisée par l’infirmière d’annonce dans seulement 52 % des cas. L’organisation optimale est celle des centres de lutte contre le cancer, qui permet une meilleure prise en charge des patients, notamment dans le cadre du bon usage des traitements de support évalués (érythropoïétine, antalgiques et bisphosphonates). Les oncologues médicaux et les adhérents de l’AFSOS semblent avoir une meilleure connaissance de l’iatrogénie et de la gestion de ces traitements. Une affaire à suivre dans le cadre de l’enquête PARTICIPE 2, développée par l’AFSOS actuellement. Le recours aux médecines alternatives et complémentaires (MAC) est l’une des questions très médiatiques dans le domaine des SOS et fait d’ailleurs l’objet d’un groupe de travail spécifique (GTS) nouvellement créé par l’AFSOS. M. Rodrigues a présenté les résultats de l’étude menée en collaboration avec l’Association d’enseignement et de recherche des internes en oncologie (AERIO) lors de l’incontournable session francophone de l’AFSOS lors de ce congrès. Dans cette étude intitulée MACAERIO, menée entre les mois de janvier et de mars 2010 sur 18 centres prenant en charge le cancer, 844 patients ont été inclus et ont complété un autoquestionnaire. Les objectifs de cette étude étaient d’évaluer le recours des malades traités pour un cancer aux MAC. Une majorité de femmes a répondu au questionnaire (64 %), dont 38 % étaient traitées dans SOINS ONCOLOGIQUES DE SUPPORT le cadre d’un cancer du sein et présentaient une maladie métastatique dans 58 % des situations. Vingt pour cent des patients avaient été ou étaient inclus dans un essai thérapeutique, et 39 % recevaient des thérapies ciblées. L’analyse des résultats de cette étude rapporte que 60 % des patients ont recours aux MAC, et 46 % n’en parlent pas à leurs soignants. Il est intéressant de remarquer que 48 % des patients avaient recours aux MAC avant le diagnostic de cancer. Les objectifs recherchés par les patients à travers ces accompagnements étaient la lutte contre le cancer, l’atténuation des effets indésirables du cancer et de ses traitements et, enfin, le bien-être global. la protéine Dkk1 (Dickkopf-related protein 1) et la voie de signalisation Wnt. Les SRE pouvant survenir chez un patient souffrant d’un cancer ne se limitent pas aux métastases osseuses. De nombreux traitements antitumoraux interfèrent avec le métabolisme osseux et peuvent induire une ostéoporose (C. Van Poznak: Risks and benefits of bisphosphonates). La castration (chimique ou chirurgicale), chez la femme atteinte d’un cancer du sein ou chez l’homme présentant un cancer de la prostate, est connue comme facteur étiologique d’ostéoporose, mais certains traitements ciblés, comme les anti-VEGF (Vascular Endothelial Growth Factor), le G-CSF ou encore la radiothérapie, modifient aussi le métabolisme osseux. Session ostéoarticulaire Les conséquences de l’ostéoporose sont potentiellement graves : fractures, tassements vertébraux, douleurs et perte d’autonomie. La mortalité à 1 an après fracture de la hanche est de l’ordre de 20 % aux États-Unis. La surveillance et l’éducation de ces patients sont des enjeux fondamentaux : ➤ réalisation d’une ostéodensitométrie lors de l’instauration d’un traitement hormonal ; ➤ dosage régulier du calcium et de la vitamine D ; ➤ promotion de l’activité physique. Physiopathologie des métastases osseuses : point actuel et perspectives (MASCC 2012, Guise T: Mecanism of skeletal complications of cancer and cancer therapies) Le tissu osseux est en constant renouvellement, avec un équilibre fragile entre destruction osseuse par les ostéoclastes et construction par les ostéoblastes, dans lequel le rôle central est joué par le système RANK/RANK ligand/ostéoprotégérine contrôlé par divers facteurs, en particulier hormonaux. Les cellules tumorales libèrent des facteurs d’activation des ostéoclastes (par exemple, PTHrP [ParaThyroid Hormone-related Protein]), et la lyse osseuse induite va à son tour libérer des facteurs de croissance tumorale (en particulier, du TGFβ [Transforming Growth Factor Beta]). Pour les patients, la progression des métastases osseuses se traduit par des douleurs, parfois révélatrices du cancer, et par des événements osseux (SRE [skeletal-related events]) : fracture pathologique, compression médullaire, recours à la chirurgie, recours à la radiothérapie et hypercalcémie. Les bisphosphonates, en particulier l’acide zolédronique, diminuent l’incidence des SRE et prolongent leur délai de survenue. Plus récemment, le dénosumab, anticorps monoclonal anti-RANK-ligand, a montré une efficacité supérieure avec l’avantage d’une utilisation plus simple (voie sous-cutanée, sans toxicité rénale). Ces traitements sont utiles mais n’améliorent pas la survie globale et ne sont pas dénués d’effets indésirables (ostéonécrose de la mâchoire). De nouvelles pistes sont donc envisagées, comme le ciblage du récepteur du TGFβ, le récepteur de l’endothéline A, 474 | La Lettre du Cancérologue • Vol. XXI - n° 9 - novembre 2012 Les bisphosphonates et le dénosumab ont montré leur intérêt dans la prévention et le traitement de l’ostéoporose. Se posent maintenant la question de la durée de ces traitements (limitation à 5 ans pour les bisphosphonates par la Food and Drug Administration) et celles de leurs effets indésirables éventuels à long terme ou du rythme idéal de la surveillance de la densité osseuse. Autour des événements thromboemboliques La question des événements thromboemboliques veineux (ETV) fait actuellement couler beaucoup d’encre, et à juste titre, car la prise en charge n’est pas optimale, comme l’a démontré l’étude CARMEN, présentée par F. Cajfinger lors du congrès américain en oncologie clinique de 2012 (4). L’adhésion aux recommandations a d’ailleurs été évaluée auprès des membres de la MASCC (MASCC 2012, Tancabelic J et al., abstr. 1069) sur la prise en charge des ETV par le biais d’un questionnaire en 9 points. Parmi le groupe très hétérogène de participants de 34 pays différents, 21,8 % ont répondu : 74 % étaient informés SOINS ONCOLOGIQUES DE SUPPORT de l’existence des recommandations ; 66 répondeurs s’estimaient prendre fréquemment en charge les ETV, parmi lesquels 56 (85 %) étaient informés des recommandations. Le suivi des recommandations était systématique pour 31 % des 56 prescripteurs, fréquent pour 54 % ou occasionnel pour 10 % ; 5 % ont déclaré ne jamais les suivre. Dans ce dernier cas, les raisons avancées étaient : ➤ le manque d’information (38,3 %) ; ➤ la mauvaise observance du traitement par le patient (25 %) ; ➤ le mauvais remboursement des traitements (15 %) ; ➤ le faible niveau d’éducation du patient (10 %) ; ➤ le coût jugé trop élevé des produits (10 %). Cinq situations ont été mises en évidence, au cours desquelles les recommandations n’apportent pas d’aide : ➤ un risque hémorragique tumoral élevé ; ➤ un traitement antiagrégant plaquettaire concomitant ; ➤ l’attente d’un transfert en unité de soins palliatifs ; ➤ un échec au traitement par héparine de bas poids moléculaire ; ➤ un taux de plaquettes inférieur à 50 000. Une autre étude prospective a été réalisée sur une cohorte de 1 160 patients atteints de cancer, afin d’évaluer la prévalence et le contexte de survenue d’ETV découverts de façon fortuite sur l’imagerie (MASCC 2012, Escalante CP et al., abstr. 786). Une comparaison a été menée entre un bras contrôle composé des patients ayant une imagerie (par scanner) normale et le bras d’étude constitué de ceux ayant un ETV au scanner. La prévalence des ETV fortuits a été de 1,8 % (IC95 : 0,98-2,63) ; elle était plus élevée chez les femmes. Dyspnée et anxiété n’ont pas été significativement discriminants entre les 2 groupes de patients. Les signes cliniques significativement évocateurs d’ETV ont été : ➤ la fatigue, évaluée suivant le score BFI (Brief Fatigue Inventory) [p < 0,01] ; ➤ la dépression (p = 0,01) ; ➤ le stress (p = 0,01), suivant le score DASS-21 ; ➤ une mauvaise qualité de vie (p = 0,01) suivant le FACT-G (Functional Assessment of Cancer Therapy – General). Les facteurs de risque retrouvés ont été : ➤ une chimiothérapie en cours (p < 0,05) ; ➤ un accident vasculaire cérébral (p = 0,04) ; ➤ un passé dépressif (p < 0,01) ; ➤ l’existence de comorbidités (p = 0,02). Une chirurgie récente, une voie d’abord centrale, une maladie étendue et la réponse au traitement n’ont pas été identifiées comme des facteurs de risque significatifs. Aucun des 21 ETV diagnostiqués fortuitement n’a récidivé à 3 ni à 6 mois ; 24 % ont récidivé après 8 mois. Cette question des ETV est majeure ; de nouvelles molécules sont en cours de développement, et il nous a semblé que ces 2 résumés ne seront pas les derniers. Traitements antiémétiques Cette édition 2012 du congrès de la MASCC a été l’occasion d’une mise au point très complète autour des antiémétiques. Si l’on croyait tout connaître sur le sujet, les multiples sessions ont montré l’importance de la recherche clinique dans le domaine et l’arrivée de nombreux principes actifs qui devraient aider à lutter contre un symptôme craint par les patients et encore mal accompagné, à savoir les nausées (MASCC 2012, Grunberg S : session nouveaux antiémétiques). S. Grunberg a développé les nouveaux inhibiteurs de la neurokinine de type 1. Après avoir repris les études phares qui ont permis à l’aprépitant de trouver une place prépondérante dans les recommandations, il a rappelé l’intérêt du fosaprépitant (aprépitant injectable en dose unique, non disponible en France) et la triste histoire du casopitant, dont le développement a été arrêté en raison de cas de cardiotoxicité rapportés. Deux nouveaux agents intéressants ont été mis en lumière. ➤ Le rolapitant en dose unique à 200 mg, intéressant par sa demie-vie très longue de 180 heures et son absence d’interaction avec la voie du cytochrome P450 3A4. Une étude a d’ailleurs été présentée dans cette même session dans les chimiothérapies à base de cisplatine avec un taux de réponse complète sur la phase aiguë de NVCI de 91 % après administration unique de 200 mg du produit (MASCC 2012, Chua D et al., abstr. 427). Le principal défaut de l’étude était son bras comparateur associant placebo, dexaméthasone et ondansétron (sans aprépitant, qui est pourtant la référence). La Lettre du Cancérologue • Vol. XXI - n° 9 - novembre 2012 | 475 SOINS ONCOLOGIQUES DE SUPPORT ➤ Le nétupitant, dont le développement se fait dans une combinaison associant le produit au palonosétron. Deux études sont actuellement en cours dans les chimiothérapies modérément émétisantes en association avec la dexaméthasone versus dexaméthasone + palonosétron, et dans les chimiothérapies modérément et hautement émétisantes en étude de safety, avec la même association versus dexaméthasone + palonosétron + aprépitant. Encore faudrait-il que nous ayons accès au palonosétron, comme tous les autres pays du monde… Citons également l’étude présentée par R.M. Navarri et al., déjà présentée lors du congrès américain en oncologie clinique de 2012, sur l’intérêt de l’olanzapine dans le traitement des nausées réfractaires (5). L’olanzapine est un antipsychotique utilisé dans la schizophrénie et les troubles bipolaires. C’est un antagoniste des récepteurs dopaminergiques (D1, D2, D3, D4), sérotoninergiques (5HT2, 5HT3, 5HT6), muscariniques et histaminique H1. Les récepteurs D2, 5HT2 et 5HT3 interviennent dans le mécanisme des NVCI. Cette étude randomisée en double aveugle a été menée auprès de 80 patients ayant présenté des nausées et des vomissements réfractaires après une prophylaxie complète (dexaméthasone 12 mg i.v. à J1 puis 8 mg p.o. de J2 à J4 + palonosétron 0,25 mg i.v. à J1 + fosaprépitant 150 mg i.v. à J1) dans le cadre d’une chimiothérapie hautement émétisante. L’évaluation a consisté en un suivi des NVCI les 3 jours suivant la randomisation entre olanzapine p.o. 10 mg/j et métoclopramide p.o. 10 mg × 3/j. Les résultats sont significativement en faveur de l’olanzapine, avec un taux de protection de 71 % sur les vomissements et de 67 % sur les nausées (p < 0,01). Le traitement a été correctement toléré, sans toxicité de grade 3 ou 4. Quelques brèves marquantes Toxicité à long terme dans le cancer de la prostate : impact de l’obésité, de l’isolement et du tabagisme actif (MASCC 2012, Dieperink KB et al., abstr. 110). L’équipe danoise de K.B. Dieperink a étudié de manière rétrospective la fréquence et la sévérité des effets indésirables après traitement chez 317 patients traités par radiothérapie et hormonothérapie, entre 2006 et 2008. Les questionnaires utilisés étaient le SF-12 et l’EPIC-26. Ils ont également essayé d’identifier d’autres facteurs pouvant influencer leur qualité de 476 | La Lettre du Cancérologue • Vol. XXI - n° 9 - novembre 2012 vie : l’isolement au domicile, l’obésité, le tabagisme et la dose de radiothérapie reçue (78 versus 70 Gy). Les patients avaient un âge moyen de 67 ans (extrêmes : 49-77), 33 % étaient obèses et 59,1 % présentaient un cancer au stade T3. Quatre ans après la fin de la radiothérapie, 15 % des patients déclaraient avoir des problèmes urinaires (incontinence) et digestifs, 80 % d’entre eux présentaient une dysfonction érectile. Le tabagisme actif a eu un effet négatif significatif sur la condition physique, la sexualité et la fonction digestive. L’obésité sévère a eu également un retentissement sur la condition physique et la fonction urinaire. L’isolement au domicile a été associé à une dégradation significative de la condition physique et psychologique. Il est intéressant de noter que la dose de radiothérapie n’a eu aucun impact sur la qualité de vie. Dénutrition La dénutrition est sous-diagnostiquée et touche 30 à 60 % des patients au cours de leur maladie cancéreuse (MASCC 2012, Aktas A et al., abstr. 97). C’est le constat rapporté par l’équipe de soins palliatifs de Cleveland dans le cadre d’une évaluation nutritionnelle rétrospective depuis 2009. Les consultations diététiciennes et médicales de 116 patients ont été passées en revue. Six critères étaient utilisés par les diététiciens pour le diagnostic de dénutrition : perte de poids, diminution des ingesta, hypoalbuminémie, diminution de la préalbumine, fonte musculaire et présence d’escarres. L’âge moyen des patients était de 60 ans ; 57 % étaient des hommes. Soixante-dix-huit pour cent des patients étaient au stade métastatique, principalement osseux. La plupart des cancers étaient d’origine gastro-intestinale, génito-urinaire, bronchique ou hématologique. Les médecins ont sous-évalué l’état nutritionnel des patients par rapport aux diététiciens. En effet, pour ces derniers, 99 patients étaient dénutris (67,3 %), dont 30 % et 24 %, respectivement, de façon modérée ou sévère. En suivant l’évaluation médicale (par reprise des notes de consultation) pour ces mêmes 99 patients, on notait que 60 % d’entres eux n’avaient pas été évalués, et que seuls 4 % étaient considérés comme modérément dénutris et 4 %, sévèrement dénutris. Cette étude montre clairement l’importance, dans le cadre des SOS, d’une évaluation pluridisciplinaire des patients et du travail en équipe. SOINS ONCOLOGIQUES DE SUPPORT Au-delà de l’évaluation de l’état nutritionnel des patients, il est difficile de trouver des solutions thérapeutiques dans le cadre de la cachexie. Le développement d’une nouvelle molécule, l’énobosarm, a été présenté au cours de ce congrès (MASCC 2012, Dalton J et al., abstr. 557). Il s’agit d’un modulateur sélectif des récepteurs aux androgènes testé en phase II dans le cadre des sarcopénies liées au cancer. Cette étude randomisée en double aveugle versus placebo avait pour objectif principal d’évaluer la masse musculaire maigre et, parmi les objectifs secondaires, l’activité fonctionnelle. C’est ce dernier item qui a été mis en avant au cours d’une session orale du congrès, avec un effet significativement positif versus placebo. Les patients ayant une perte de poids inférieure à 5 %, comme ceux ayant une perte de poids supérieure à 5 %, ont eu une amélioration largement significative (respectivement, p = 0,002 et p < 0,001) avec une bonne tolérance au traitement. ■ Références bibliographiques 1. Peabody FW. A medical classic: the care of the patient by Francis W Peabody. JAMA 1927;88:877. Med Times 1973;101(10):62-4. 2. Roila F, Herrstedt J, Aapro M et al. Guideline update for MASCC and ESMO in the prevention of chemotherapy- and radiotherapy-induced nausea and vomiting: results of the Perugia consensus conference. Ann Oncol 2010;21(Suppl.5):v232-43. 3. Œffinger KC, Mertens AC, Sklar CA et al. Chronic health conditions in adult survivors of childhood cancer. N Engl J Med 2006;355(15):1572-82. 4. Sevestre MA, Belizna C, Durant C et al. Compliance of recommendations with French clinical practice in the management of thromboembolism in patients with cancer: The CARMEN study. Congrès américain en oncologie clinique 2012 ; abstr. 1580. 5. Navarri RM, Nagy CK, Gray SE et al. The use of olanzapine versus metoclopramide for the treatment of breakthrough chemotherapy-induced nausea and vomiting (CINV) in patients receiving highly emetogenic chemotherapy. Congrès américain en oncologie clinique 2012 ; abstr. 9064. PUBLIRÉDAC T IO NNE L Avec le soutien institutionnel de E-santé et patients sous chimiothérapie : un usage faible, appelant à des mesures d’accompagnement spécifiques Une étude, dont les résultats définitifs seront publiés l’an prochain, a observé l’usage qu’ont fait des patients atteints de cancer et traités par chimiothérapie d’un outil français de “carnet de santé en ligne” en autogestion : sanoia.com. Cet outil d’e-santé permet aux patients de stocker leurs données santé essentielles et de consigner les événements médicaux ou symptômes entre les consultations. Ainsi, ils prennent un rôle actif en alimentant la prise de décision thérapeutique du médecin oncologue. Le premier centre (1) ayant fourni des résultats définitifs a ainsi observé, sur un groupe pilote de patients recrutés de manière consécutive dans sa file active (n = 20 ; 70 % de femmes ; 56,5 ans d’âge moyen), des tendances très différentes des données connues sur les comportements et usages des patients vis-à-vis de cet outil. En effet, cette plateforme avait fait l’objet en 2010 et 2011 de 2 études observationnelles, l’une en rhumatologie (2) et l’autre en médecine interne (3) ; en oncologie, elle est utilisée à l’institut Gustave-Roussy (Villejuif) dans le cadre de la consultation de suivi des enfants guéris. Les patients recrutés se sont vu proposer l’outil par leur médecin oncologue. Un rappel téléphonique par une ARC a été effectué 15 jours après l’inclusion, puis encore 15 jours après pour suivre et motiver leur usage. L’adhésion initiale à l’outil n’a été que de 55 versus 73,3 % dans les pathologies inflammatoires (PR), à distribution d’âge et accompagnement identiques, et 74 % dans les maladies rares (PTI). L’utilisation ensuite en routine a été très en deçà des données déjà connues : 18 % des personnes ayant adhéré ont continué à utiliser l’outil à 1 mois, alors que ce taux est de 66 % dans les pathologies inflammatoires et de 68 % dans les maladies rares. L’âge ayant été démontré comme non influent par les autres études, il conviendra donc de rechercher les autres causes possibles conduisant à un usage aussi faible afin de mettre en place des mesures d’accompagnement spécifiques à même de permettre à ces patients de bénéficier eux aussi des avantages de l’e-santé, notamment le suivi serré en dehors des consultations. Il convient de constater que la mortalité est un phénomène singulier par rapport aux autres études menées sur cet outil : à 3 mois, 20 % des patients recrutés ont eu une aggravation critique de leur état de santé ou sont décédés. Il conviendrait donc peut-être de focaliser les efforts d’observation sur une étude ayant comme critère principal l’adhésion à un outil e-santé, selon le niveau d’anxiété initial et la gravité (objective ou perçue) de la maladie. Dr Philippe COLLERY ([email protected]) et Hervé SERVY ([email protected]) Références bibliographiques 1. P. Collery, V. Andreani, T. Collery. Service de cancérologie, polyclinique Maymard, Bastia. 2. S. Trijau, H. Servy, A. Selamnia, V. Pradel, P. Lafforgue, T. Pham. Carnet de santé informatisé chez les patients atteints de polyarthrite rhumatoïde : évaluation de la qualité et des facteurs d’adhésion. Étude présentée en poster lors du congrès 2011 de l’American College of Rheumatology. 3. Patient Preference and Adherence, Chiche L et al., “Evaluation of a prototype electronic personal health record (Sanoia) for patients with idiopathic thrombocytopenic purpura” (2012). Étude présentée en communication orale lors du congrès SNFMI 2011. La Lettre du Cancérologue • Vol. XXI - n° 9 - novembre 2012 | 477