Le Courrier de la Transplantation - Volume II - n o1 - janvier-février-mars 2002
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DOSSIER
thématique
epuis vingt ans, des progrès sub-
stantiels ont été faits dans la pré-
vention du rejet aigu, dont l’incidence est
actuellement largement inférieure à 25 %
en transplantation rénale, et dans l’amé-
lioration des résultats à court terme
des transplantations d’organes. À titre
d’exemple, la survie des greffons rénaux
un an après la greffe se situe en France
entre 90 et 95 % selon les équipes. Ces
progrès ont été obtenus essentiellement
par la mise à disposition et une utilisation
optimale d’immunosuppresseurs puis-
sants. Malheureusement, ces progrès à
court terme ont un impact relativement
limité sur la survie à long terme des gref-
fons, la demi-vie des greffons à garder
n’ayant pas augmenté de façon similaire
ces vingt dernières années (1,2). La cause
principale de ces pertes tardives du gref-
fon est le rejet chronique, associé à une
vasculopathie oblitérante et à d’autres
manifestations structurales. Les caracté-
D
Le rejet
chronique
!Le rejet chronique - Introduction -
C. Legendre
!Transplantation pulmonaire et bronchiolite oblitérante
M. Stern
!La dysfonction chronique du greffon rénal -
J. Dantal
!Le rejet chronique en transplantation hépatique
O. Farges, M. Sebagh
"Mécanismes immunologiques de la dysfonction chronique
du greffon - Y. Lebranchu
!La vasculopathie du greffon après transplantation cardiaque
R. Dorent
Le rejet chronique semble lié à une réponse immunitaire
chronique à prédominance Th2, induite par une présen-
tation indirecte permanente, à bas bruit, par les cellules
dendritiques du receveur. Cette réponse immunitaire a pour cible essentielle l’endothé-
lium du greffon qu’elle active, entraînant la synthèse de facteurs de croissance, de
cytokines... et un remodelage vasculaire. De nombreux éléments, indépendants des
alloantigènes, sont aussi capables d’amplifier et/ou d’induire cette activation endo-
théliale et la vasculopathie du greffon.
En transplantation rénale, les mécanismes du rejet chronique et de la réduction néphro-
nique se rejoignent dans la genèse de la dysfonction chronique du greffon. Ces éléments
doivent nous amener à repenser nos stratégies immunosuppressives en privilégiant, dans
les premiers mois, les traitements permettant de diminuer l’incidence des rejets aigus
et, ensuite, ceux qui pourraient s’opposer à l’activation endothéliale chronique et au
remodelage vasculaire.
Mots-clés :
Rejet chronique - Activation endothéliale - TGFß - Th2 - Facteurs de
progression - Tolérance.
su
su
*Service néphrologie et immunologie clinique,
CHU Tours, 37044 Tours.
Mécanismes immunologiques
de la dysfonction chronique du greffon
!
Y. Lebranchu*
Coordinateur : E. Morelon,
hôpital Necker, 75015 Paris.
Le Courrier de la Transplantation - Volume II - n o1 - janvier-février-mars 2002
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ristiques de ce rejet chronique sont une
inflammation périvasculaire, une fibrose
et une artériosclérose avec un épaississe-
ment diffus et concentrique de l’intima
conduisant au rétrécissement et à l’oc-
clusion de la lumière des artères et des
artérioles de l’organe transplanté. Ce
rétrécissement vasculaire est principale-
ment dû à une prolifération intimale des
cellules musculaires lisses (3).
Les mécanismes moléculaires et cellu-
laires de cette détérioration fonctionnelle
progressive ne sont qu’imparfaitement
compris. Aussi, en plus de l’activation
immunitaire liée à la réponse allogénique
(“facteurs dépendants des alloanti-
gènes”), un certain nombre de facteurs
de progression du rejet chronique ont été
identifiés, les “facteurs indépendants des
alloantigènes” (4) :réanimation du don-
neur, qualité du greffon, incompatibilités
morphologiques, lésions d’ischémie
reperfusion, infections virales, en parti-
culier à cytomégalovirus (CMV), néphro-
toxicité médicamenteuse, hypertension
artérielle, hyperlipidémie. L’implication
dans le rejet chronique de certains de ces
facteurs, parfois appelés non immunolo-
giques, est d’ailleurs souvent liée à une
activation immunitaire. Tel est le cas des
lésions d’ischémie-reperfusion qui, dans
certains modèles animaux, peuvent être
prévenues par le blocage de l’activation
lymphocytaire T (5). La mise en évidence
de ces différents facteurs “indépendants
des alloantigènes”, associée à l’absence
de progrès décisifs apportés par la
meilleure utilisation des traitements
immunosuppresseurs, a souvent conduit
à occulter la nature avant tout immuno-
logique du rejet chronique, et a placé sur
le devant de la scène les facteurs de pro-
gression. Cela s’est traduit par la multi-
plication des termes employés pour
dénommer ce processus : dysfonction
chronique du greffon, destruction chro-
nique du greffon, néphropathie chronique
du transplant, vasculopathie chronique de
l’allogreffe, etc. Il est peut-être néces-
saire d’appeler un chat un chat, et la
détérioration chronique du greffon...
un rejet chronique. En effet, outre le fait
que ces lésions s’observent essentielle-
ment lorsqu’il y a une disparité entre les
antigènes d’histocompatibilité du don-
neur et du receveur, il existe actuellement
des arguments suggérant que la dysfonc-
tion chronique du greffon pourrait être
liée avant tout à une immunosuppression
insuffisante et/ou inadéquate.
ARGUMENTS EN FAVEUR
D’UNE IMMUNOSUPPRESSION
INSUFFISANTE ET/OU INADÉQUATE
Ce sont surtout :
#l’observation selon laquelle le rejet
aigu constitue le principal facteur de
risque d’une dysfonction chronique ulté-
rieure, principalement lorsqu’il n’y a pas
de normalisation de la fonction rénale
sous traitement ;
#la possibilité, dans les modèles expé-
rimentaux, de prévenir la vasculopathie
des greffons par l’induction d’une tolé-
rance ou par le blocage du second signal
de costimulation des lymphocytes T.
S’agissant d’un rejet aigu, plusieurs
études concordent pour en faire le prin-
cipal facteur de risque d’une dysfonction
chronique du greffon, avec un risque rela-
tif multiplié par 7,7 (6), une incidence
plus élevée quand il existe plus d’un rejet
aigu dans les suites d’une transplantation
(7), un risque majoré pour une créatini-
némie dépassant 130 mmol/l à un an (8)
et, enfin, des arguments expérimentaux
dans un modèle de transplantation d’aorte
chez le rat (9), dans lequel ont été étudiés
les effets du rejet aigu sur le développe-
ment de l’hyperplasie intimale. En effet,
le rejet aigu dans les quatre premières
semaines de la greffe chez un receveur
allogénique est suffisant pour induire une
hyperplasie intimale, même quand le
greffon est replacé ultérieurement chez
un receveur syngénique.
La possibilité de prévenir la vasculopa-
thie du greffon par l’induction d’une tolé-
rance a été étudiée dans des modèles
expérimentaux. Il est possible, chez des
miniporcs incompatibles au niveau du
complexe majeur d’histocompatibilité
(CMH) de classe I, d’induire une tolé-
rance de greffe rénale. La réalisation ulté-
rieure d’une greffe de cœur sans immu-
nosuppression permet une survie
prolongée de ce greffon sans signe de
rejet chronique (10). De même, chez le
rat tolérant une greffe de cœur, il est pos-
sible de réaliser, cent jours plus tard, une
greffe d’aorte allogénique sans qu’il soit
observé aucun signe de vasculopathie,
malgré l’absence de traitement immuno-
suppresseur (11).
Le blocage du second signal de costimu-
lation B7-CD 28 par CTLA 4-Ig et anti-
CD 40 L (figure 1) a également montré
son efficacité à prévenir le rejet chronique
dans différents modèles de transplantation
animale : rein et cœur chez le rat par blo-
cage précoce (12, 13) ; cœur chez la sou-
ris par blocage chronique (14), et même
rein chez le rat par blocage tardif (15). Il
en est de même quand on associe CTLA 4-
Ig et anti-CD 40 L dans différents modèles
murins de transplantation de cœur ou
d’aorte (16-18). Les travaux récents de
Kirk et al. montrent que, chez le primate,
l’administration prolongée (jusqu’à la
12esemaine) d’un anticorps anti-CD 40 L
humanisé induit une survie prolongée
(supérieure à un an) de la greffe de rein
allogénique en l’absence de tout traite-
ment ultérieur (19). Les premiers résultats
ont montré l’absence de signes de vascu-
lopathie du transplant, du moins à court
terme, un an après l’arrêt du traitement.
En conclusion, tous ces arguments sem-
blent démontrer qu’un meilleur contrôle
de la réponse immunitaire allogénique
pourrait empêcher, ou du moins retarder
et/ou diminuer, la survenue du rejet chro-
nique. Cela soulève le problème de l’im-
munosuppression à long terme : est-elle
insuffisante ou inadéquate ?
IMMUNOSUPPRESSION
À LONG TERME INADÉQUATE
PLUTÔT QU’INSUFFISANTE
Il est peu probable qu’on puisse envisa-
ger de prévenir la dysfonction chronique
des greffons par une augmentation de
l’immunosuppression, d’autant qu’un
accroissement des doses, au moins des
inhibiteurs de la calcineurine (ciclospo-
rine A et tacrolimus), augmenterait les
effets néphrotoxiques et aggraverait les
résultats à long terme. Il faut néanmoins
noter qu’une dose d’entretien trop basse
de ciclosporine (inférieure à 5 mg/kg à
un an) a été statistiquement corrélée à un
risque accru de rejet chronique (20).
Il est beaucoup plus vraisemblable que le
rejet chronique des organes greffés soit lié
à une certaine inadéquation des traite-
ments immunosuppresseurs. En effet, les
mécanismes du rejet aigu et du rejet chro-
nique des greffons apparaissent comme
deux entités distinctes, avec des méca-
nismes essentiellement inflammatoires
et cytolytiques dans le premier cas, modé-
rément inflammatoires, mais surtout
prolifératifs, dans le second (figure 2).
Par ailleurs, le mode d’activation princi-
pal des lymphocytes T par les peptides
allogéniques est vraisemblablement dif-
férent dans les deux cas : à la présenta-
tion directe des alloantigènes par les cel-
lules dendritiques du donneur qui
caractérise le rejet aigu pourrait en effet
se substituer, au cours du rejet chronique,
une présentation indirecte, chronique, de
ces alloantigènes par les cellules dendri-
tiques du receveur, à l’origine de l’acti-
vation endothéliale.
Ces éléments ont conduit certains auteurs
à émettre l’hypothèse d’une activation
préférentielle des lymphocytes T de type
Th2 par présentation indirecte au cours
du rejet chronique (21). Les lympho-
cytes T helper peuvent être en effet
schématiquement divisés en deux sous-
populations distinctes (Th1 et Th2), selon
les cytokines qu’ils synthétisent préfé-
rentiellement et leurs fonctions effec-
trices (22). Les lymphocytes T Th1 syn-
thétisent préférentiellement l’IL-2,
l’IFNγ,le TNFα,et régulent les fonctions
de cytotoxicité et d’hypersensibilité retar-
dée. Ils pourraient être préférentiellement
activés par voie directe, et être respon-
sables des lésions de rejet aigu cellulaire.
Les lymphocytes T Th2, eux, synthéti-
sent préférentiellement l’IL-4, l’IL-5,
l’IL-10 et l’IL-13, et sont impliqués
dans les réponses humorales. Il existe
plusieurs arguments en faveur d’une
réponse préférentielle Th2 au cours du
rejet chronique (21).
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thématique
Figure 1. Coopération CD 40 L-CD 28 dans l’activation T.
Le deuxième signal, dit de costimulation, est induit par la liaison des molécules B 7 (CD 80
et CD 86) de la cellule dendritique présentatrice et des molécules CD 28 du lymphocyte T (1c).
Le deuxième signal s’associe au premier signal induit par la reconnaissance du complexe
CMH-peptide par le récepteur T (TCR) pour induire la transcription et la synthèse de l’inter-
leukine 2.
Ce premier signal induit l’expression du ligand de CD 40 (CD 40 L) à la membrane des lym-
phocytes T (1a).
Le ligand de CD 40 peut alors se lier à CD 40 et activer la cellule présentatrice (1b). Cette der-
nière, ainsi activée, voit augmenter l’expression membranaire des molécules d’adhérence
(ICAM-1,VCAM-1...), mais aussi de costimulation (CD 80, CD 86...). Il existe donc une véri-
table coopération des molécules CD 40 L-CD 40 et B7-CD 28 dans l’activation T.
T
T
CPA
CPA
CPA
B7-1
B7-2
CD 40
CD 28
CM Signal 1
TCR
a
b
c
T
Signal 2
! Peu inflammatoire
! Prolifératif
! Présentation
indirecte
! Th2
Immunosuppression
inadéquate ?
Probablement oui
Rejet aigu et rejet chronique
sont des entités différentes
Rejet aigu Rejet chronique
! Inflammatoire
! Cytolytique
! Présentation
directe
! Th1
Figure 2. Caractéristiques des rejets aigus et
chroniques.
Le Courrier de la Transplantation - Volume II - n o1 - janvier-février-mars 2002
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DOSSIER
thématique
$La majorité des travaux montre une
expression prédominante de cytokines
Th2 et la présence de lymphocytes T
CD4+ Th2 dans les greffons atteints de
rejet chronique.
%Les cytokines de type Th2 jouent un
rôle critique dans la régulation des méca-
nismes effecteurs du rejet chronique,
comme la production d’alloanticorps,
l’activation endothéliale, la migration et
la prolifération des cellules musculaires
lisses. En effet, il a été rapporté par plu-
sieurs auteurs que l’apparition et/ou la
majoration d’anticorps anti-HLA après la
greffe est un facteur de dégradation chro-
nique du greffon (23). Les anticorps anti-
HLA et/ou endothélium peuvent, en effet,
se fixer sur l’endothélium et entraîner son
activation (24-26). Une évidence directe
de l’implication des anticorps anti-HLA
a été apportée récemment avec l’utilisa-
tion de souris ayant un déficit congénital
en immunoglobulines ou dont certains
gènes des immunoglobulines ont été
inactivés. En effet, ces souris ne déve-
loppent pas, ou peu, de rejet chronique
lorsqu’elles reçoivent un greffon allogé-
nique, alors que le transfert d’anticorps
alloréactifs induit des lésions de vascu-
lopathie du transplant (18).
Enfin, le fait que les immunosuppresseurs
les plus utilisés ces dernières années (en
particulier les anticalcineuriniques) inhi-
bent modérément, d’une part, la réponse
lymphocytaire induite par la présentation
indirecte (27) et, d’autre part, la synthèse
de cytokines Th2 et d’anticorps (28-30)
expliquerait leur relative inefficacité dans
la prévention du rejet chronique.
En conclusion, beaucoup d’arguments
laissent à penser que le rejet chronique
est lié à une réponse immunitaire chro-
nique à bas bruit, induite par une présen-
tation indirecte des alloantigènes par les
cellules dendritiques du receveur, dont la
maturation s’effectue peut-être à partir
des monocytes sanguins du receveur au
contact de l’endothélium du donneur
(31), qui active préférentiellement des
lymphocytes Th2, et semble imparfaite-
ment contrôlée par les immunosuppres-
seurs actuels. Cette réponse immunitaire,
dont les éléments tant cellulaires qu’hu-
moraux ne sont actuellement qu’impar-
faitement caractérisés, a pour cible l’en-
dothélium du greffon qu’elle active.
ACTIVATION ENDOTHÉLIALE
CHRONIQUE : POINT CLÉ
DE LA DYSFONCTION CHRONIQUE
DU GREFFON
L’activation endothéliale se traduit
par l’induction de multiples gènes de
molécules d’adhérence, de cytokines, de
chimiokines et de molécules prothrom-
botiques, dont l’expression est essentiel-
lement contrôlée par le facteur de trans-
cription NF-κB. L’activation endothéliale
est, en outre, à l’origine de la synthèse
d’eicosanoïdes, de facteurs de croissance
et d’inhibiteurs de protéase (figure 3), qui
entraînent un remodelage vasculaire dont
les principales caractéristiques sont la
migration et la prolifération des cellules
musculaires lisses et l’augmentation de
la synthèse des protéines de la matrice
extracellulaire, aboutissant à une hyper-
trophie de l’intima et à une oblitération
progressive “centripète” de la lumière
vasculaire. L’inhibition de l’activation
endothéliale par l’induction de “gènes
protecteurs” tels que les gènes antiapop-
totiques Bcl-2 et Bcl-xl, A 20 et A 1
ou des antioxydants comme l’hémo-
oxygénase 1 ou HO-1 prévient, chez la
souris, la survenue d’athérosclérose du
transplant (18).
La part respective et le site cellulaire pré-
cis de synthèse des différents facteurs de
croissance en cause (PDGF A et B, TGF,
IGF-1, eGF, β-FGF, endothéline) ne sont
pas parfaitement définis. Néanmoins, un
certain nombre de travaux récents ont
souligné le rôle critique du TGF-βdans
la genèse et l’amplification des proces-
sus de fibrose vasculaire : on a, en effet,
pu établir une relation entre son niveau
d’expression tubulo-interstitielle (32) et
glomérulaire (33) et l’existence de lésions
de rejet chronique, de même qu’entre
l’augmentation de son taux d’ARNm et
la présence de fibrose rénale (34, 35).
Figure 3. Conséquences de l’activation endothéliale.
! Sélectine P
! Sélectine E
! ICAM-1
! VCAM-1
Activation endothéliale
Molécules
procoagulantes
Molécules
d'adhérence
! Facteur tissulaire
! PAI-1
! IL-1
! IL-6
! IL-8
! MCP-1
Cytokines et chimiokines
NF-κB contrôle l'expression de la plupart de ces gènes
Endothéline
Facteurs de croissance
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