La Lettre de l’Hépato-gastroentérologue • Vol. XVI - n° 3 - mai-juin 2013 | 113
Points forts
»
La dépendance à l’alcool est une pathologie fréquente qui s’associe dans la moitié des cas à une
autre comorbidité psychiatrique.
»
Jusqu’à 40 % des patients dépendants qui consomment de l’alcool ont des symptômes dépressifs,
mais seuls 4 % d’entre eux présentent les critères de dépression majeure après 1 mois d’abstinence.
»
La dépendance à l’alcool augmente le risque de passage à l’acte suicidaire, surtout en cas de troubles
psychiatriques associés.
»
Les comorbidités psychiatriques et la dépendance à l’alcool doivent idéalement être prises en charge
par une même équipe, de manière à améliorer la cohérence (programmes intégrés).
Mots-clés
Alcoolodépendance
Dépression
Troubles anxieux
Schizophrénie
Comorbidités
Highlights
»
Alcohol dependence is a
common disorder, associated
with psychiatric comorbidity in
half of the cases.
»
Up to 40% of alcohol addict
patients are depressed. After a
month of abstinence, only 4%
of them remain depressed.
»
Alcohol dependence
increases suicidal risk, partic-
ularly in case of psychiatric
comorbidity.
»
Psychiatric comorbidity and
alcohol dependence should be
managed by a single medical
team to increase coherence
(integrated programs).
Keywords
Alcohol dependence
Depression
Anxiety disorders
Schizophrenia
Dual diagnosis
De même, des troubles anxieux sont retrouvés chez
environ 1 patient alcoolodépendant sur 10 sur la vie
entière. Parmi ces troubles, le trouble panique et la
phobie sociale sont ceux le plus souvent associés
au diagnostic de dépendance à l’alcool, puisqu’ils
sont retrouvés respectivement 4,2 et 2,6 fois plus
fréquemment chez ces patients que dans la popula-
tion générale (3). L’état de stress post-traumatique
est lui aussi associé de façon fréquente à l’alcoolo-
dépendance, en particulier chez l’homme. Enfin, les
troubles bipolaires ont une prévalence 4 fois plus
importante chez les sujets alcoolodépendants (7).
Personnalité prémorbide
Selon les études, il a été estimé que 11 à 78 % des
patients alcoolodépendants présentent un trouble de
la personnalité associé (8). Parmi les personnalités
pathologiques retrouvées, on constate une forte
représentation de personnalités anxieuses (person-
nalité évitante, dépendante ou obsessionnelle) et de
personnalités du groupe B (personnalité borderline,
antisociale, histrionique ou narcissique). Ainsi, 15 %
des patients alcoolodépendants ont une personna-
lité antisociale ou psychopathique, alors que cette
personnalité est rare dans la population générale (2 à
3 %) [8]. Les traits de personnalité antisociale sont
plus fréquemment associés à une alcoolodépendance
primaire, commençant précocement (avant 25 ans).
Mais plus qu’une catégorie diagnostique spécifique
de personnalité pathologique, ce sont plutôt certains
traits de personnalité qui constituent des facteurs de
vulnérabilité à l’addiction. Il s’agit principalement
des dimensions de dépendance, de sentiment de
vide et de recherche de sensations.
La dépendance est à envisager ici comme un mode
global de fonctionnement. Il existe certes une dépen-
dance à certaines substances ou comportements, mais
également une dépendance relationnelle, interperson-
nelle, se traduisant par une difficulté à faire face à la
solitude. Lorsque le cadre de vie rassurant (environ-
nement professionnel et personnel) de ces individus
disparaît ou se fragilise, leurs faibles capacités d’auto-
nomie rendent alors moins opérantes leurs stratégies
adaptatives, une consommation d’alcool pouvant s’y
substituer comme une réponse compensatoire.
Le sentiment de vide et d’abandon que les patients
dépendants peuvent avoir se retrouve aussi chez les
patients borderline. Chez ces derniers, la dépendance
à l’alcool s’instaure par des consommations régu-
lières dont l’objectif est généralement double : la lutte
contre l’anxiété et la recherche de sensations (3).
Celle-ci est un des traits principaux chez les patients
ayant un trouble de personnalité antisociale. Outre la
satisfaction de ce besoin, l’alcoolisation est respon-
sable d’une désinhibition qui renforce les aspects
de dépassement des limites et d’intolérance à la
frustration qui caractérisent ces patients.
Bien que ces traits précèdent la dépendance et soient
donc largement fixés, une prise en charge adaptée
peut permettre aux patients, par le biais de l’appren-
tissage de la gestion des émotions et des impulsions,
de modifier leur consommation.
Comorbidités psychiatriques
et alcool
Bien que la pertinence de la distinction classique
entre alcoolisme primaire et alcoolisme secondaire
ait été mise en cause, il s’agit néanmoins d’une
question pratique que le psychiatre est souvent
amené à se poser lorsqu’il est confronté à un
patient dépendant à l’alcool et présentant d’autres
troubles psychiatriques. En effet, la consomma-
tion d’alcool peut s’inscrire comme une réponse à
des symptômes préexistants (alcoolisme “secon-
daire”), qu’elle aggrave et dont une prise en charge
adaptée constituera une étape-clé dans la pers-
pective de l’abstinence. Chez d’autres patients,
les troubles psychiatriques prennent leur source
dans la consommation chronique d’alcool (alcoo-
lisme “primaire”), le sevrage permettant alors leur
amélioration, voire leur disparition, sans prise en
charge spécifique.
Dans un grand nombre de cas, toutefois, les
2 dimensions sont intriquées et il est alors très
difficile de faire la part entre alcoolisme primaire
et alcoolisme secondaire. L’obtention d’une absti-
nence pendant au moins 1 mois doit alors constituer
l’objectif premier, son maintien passant ensuite par
le traitement des autres pathologies psychiatriques
si elles perdurent.