ONCOLOGIE TRANSLATIONNELLE Coordonné par S. Faivre (hôpital Beaujon, Clichy) C. Tournigand (hôpital Saint-Antoine, Paris) // Cancer Research // Oncogene Traitement des cancers colorectaux métastatiques avec mutation de KRAS : un espoir du côté des inhibiteurs de MEK et de Src ? > Yoon J, Koo KH, Choi KY. MEK1/2 inhibitors AS703026 and AZD6244 may be potential therapies for KRAS mutated colorectal cancer that is resistant to EGFR monoclonal antibody therapy. Cancer Res 2011;71(2):445-53. > Dunn EF, Iida M, Myers RA et al. Dasatinib sensitizes KRAS mutant colorectal tumors to cetuximab. Oncogene 2011;30(5): 561-74. L es mutations du gène KRAS constituent désormais un facteur bien démontré de résistance aux anticorps anti-EGFR (Epidermal Growth Factor Receptor) dans les cancers colorectaux métastatiques. Les tumeurs colorectales mutées pour KRAS étant, pour cette raison, privées de cétuximab et de panitumumab, de nouvelles thérapies efficaces dans ce sous-groupe de tumeurs sont donc fortement attendues. Deux récentes études précliniques nous offrent des pistes thérapeutiques intéressantes. Dans la première étude, publiée dans Cancer Research, J. Yoon et al. ont évalué in vitro et sur xénogreffes tumorales l’impact thérapeutique potentiel de 2 inhibiteurs spécifiques de MEK, AS703026 et AZD6244, actuellement étudiés dans des essais cliniques de phases I-II, en présence d’une mutation de KRAS. En effet, le mécanisme moléculaire qui sous-tend la résistance aux anticorps anti-EGFR des tumeurs colorectales avec KRAS muté est une activation acquise de la voie Ras/MAPK en aval de la protéine Ras, elle-même activée par la présence d’une mutation au niveau des codons 12 ou 13. L’idée était donc, dans cette étude, d’inhiber directement la voie Ras/MAPK en aval de Ras en ciblant spécifiquement MEK qui est un effecteur de cette voie située juste en aval de BRAF (figure). Pour cela, les auteurs ont utilisé les lignées isogéniques de cancer colorectal DLD-1 sans mutation de KRAS (D-WT) et avec une mutation de KRAS au niveau du codon 13 (D-MUT). Après avoir vérifié que la lignée D-WT était sensible au cétuximab et que la lignée D-MUT était bien résistante à cet anticorps anti-EGFR par l’intermédiaire d’une activation de la voie des MAPK (surexpression de phospho-ERK), J. Yoon et al. ont montré que les 2 inhibiteurs de MEK ont un effet thérapeutique in vitro et sur le modèle murin xénogreffé par la lignée mutée pour KRAS. En effet, alors qu’ils n’avaient aucun effet sur la lignée non mutée, AS703026 et AZD6244 étaient, 166 | La Lettre du Cancérologue • Vol. XX - n° 3 - mars 2011 chacun, capables d’inhiber de plus de 60 % la prolifération de la lignée cellulaire D-MUT ainsi que l’activité de phospho-ERK (reflet de l’activation de la voie des MAPK) au sein de cette lignée, sans modifier l’activité de AKT (reflet de l’activation de la voie PI3K/AKT). Ces 2 inhibiteurs de MEK étaient également capables de réduire le volume et le poids tumoral dans des proportions identiques (réduction supérieure à 60 %) chez les souris xénogreffées par la lignée KRAS muté avec, là aussi, une réduction significative de l’expression immunohistochimique de phospho-ERK traduisant l’inhibition de la voie des MAPK induite par ces thérapies ciblées. Après des premiers résultats décevants obtenus avec des inhibiteurs de MEK peu spécifiques, cette étude apporte enfin un rationnel préclinique à l’évaluation de ces nouveaux inhibiteurs de MEK beaucoup plus spécifiques dans le traitement des cancers colorectaux avec mutation de KRAS. Cependant, compte tenu du possible échappement thérapeutique aux inhibiteurs de MEK lié à une activation parallèle de la voie de signalisation PI3K/ AKT dans ces tumeurs mutées pour KRAS (activation directe de PI3K par Ras muté) [figure], il semble logique, pour plus d’efficacité, d’évaluer à l’avenir l’association d’un inhibiteur de MEK et d’un inhibiteur de PI3K plutôt qu’un inhibiteur de MEK uniquement. Un récent travail a, en effet, montré que la combinaison d’inhibiteurs de MEK et de PI3K avait un effet synergique dans des cellules de cancer pulmonaire mutées pour KRAS (1). L’autre étude, publiée par E.F. Dunn et al. dans Oncogene a, quant à elle, évalué in vitro, dans des lignées de cancer colorectal KRAS muté, le dasatinib, un inhibiteur de tyrosine kinase ciblant notamment les kinases de la famille Src (SFK pour Src Family Kinases), déjà utilisé dans le traitement de la leucémie myéloïde chronique. En effet, en plus des voies majeures Ras/MAPK et PI3K/AKT, la voie Src, tout comme la voie STAT et la voie de la phospholipase C-γ/protéine kinase C, est une voie de signalisation stimulée à la suite de l’activation de l’EGFR au cours de la carcinogenèse de différents types de tumeurs solides, dont la carcinogenèse colorectale (figure). Les auteurs ont sélectionné 3 lignées cellulaires de cancer colorectal mutées pour KRAS (LS180 mutée au niveau du codon 12, LoVo et HCT116 mutées au niveau du codon 13) et 2 lignées KRAS sauvage (SW48 et CaCo2), toutes exprimant les SFK. Après avoir vérifié que les lignées KRAS sauvage étaient sensibles au cétuximab et que les lignées KRAS EGFR PIP2 PI3K PLCγ Grb hSOS PIP3 PTEN PDK1/2 LKB1 PKC AMPK AKT1/2 Ras STAT mTOR Raf Src MEK1 MEK2 p21 p27 GSK3 FAK TSC1 TSC2 HIFα 4EBP1 VEGF BAD p70S6K Survie Traduction Synthèse proétique eIF4E ERK1/2 Survie Migration Survie cellulaire Prolifération Angiogenèse Migration noyau Transcrition Angiogenèse c-Jun c-Fos c-Myc ADN Figure.Voiesdesignalisationimpliquéesdanslacarcinogenèsecolorectale. muté étaient bien résistantes à l’anticorps antiEGFR, les auteurs ont montré in vitro, mais aussi sur modèles murins xénogreffes, que la combinaison de dasatinib et de cétuximab entraînait, dans les lignées KRAS muté, une diminution de la prolifération ainsi qu’une inhibition de la croissance tumorale significatives, non observées avec les 2 molécules testées séparemment. Ces données suggèrent qu’une transduction du signal via l’EGFR et les SFK est nécessaire à la prolifération et à la survie des tumeurs colorectales KRAS muté. L’analyse du taux de phosphorylation de 39 protéines intracellulaires dans les 3 lignées KRAS muté, d’abord non traitées puis traitées par cétuximab, dasatinib ou la combinaison des 2 molécules, a montré que le traitement combiné entraînait une inactivation d’un même spectre de voies de signalisation (MAPK, PI3K/AKT, β-caténine et STAT) dans les 3 lignées, ce qui n’était pas observé dans les lignées non traitées ou traitées par monothérapie. Enfin, l’inhibition de la croissance tumorale observée avec la combinaison de dasatinib et du cétuximab dans les lignées KRAS mutées était associée à une diminution de la prolifération et à une augmentation de l’apoptose dans ces cellules. L’ensemble de ces résultats suggèrent que le dasatinib, bien qu’inefficace en monothérapie, pourrait être capable de rendre les tumeurs colorectales KRAS muté sensibles au cétuximab en altérant l’activité de plusieurs voies de signalisation intracellulaire, qui sont des voies clés de la voie de l’EGFR. Ces données offrent un rationnel à de nouveaux essais cliniques précoces, déjà en cours, évaluant la combinaison de dasatinib et du cétuximab chez des patients ayant un cancer colorectal métastatique KRAS muté. Ces 2 études reflètent l’intérêt porté à l’identification de nouvelles cibles thérapeutiques dans les cancers colorectaux avec mutation de KRAS. Il s’agit là, en effet, d’une proportion encore importante de patients (35 à 40 % des patients ayant un cancer colorectal métastatique) auxquels le clinicien aimerait pouvoir offrir plus de possibilités thérapeutiques, mais aussi, d’une importante part de marché potentielle qui ne manque pas d’intéresser l’industrie pharmaceutique… Astrid Lièvre Hôpital Ambroise-Paré, Boulogne-Billancourt Référence bibliographique 1. Sos ML, Fischer S, Ullrich R et al. Identifying genotypedependent efficacy of single and combined PI3K- and MAPK-pathway inhibition in cancer. Proc Natl Acad Sci USA 2009;106(43):18351-6. La Lettre du Cancérologue • Vol. XX - n° 3 - mars 2011 | 167