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Retard diagnostique dans la maladie de Steinert
● B. Eymard*
Résumé
La dystrophie myotonique de Steinert (DM) est la myopathie génétique la plus fréquente à l’âge adulte, affectant
environ un sujet sur 8 000. Elle se transmet selon un
mode autosomique dominant. Entre le premier symptôme
de la maladie et le diagnostic, un délai de plus d’une
dizaine d’années est habituel. Les causes de ce retard
sont les suivantes : négligence des patients vis-à-vis de
leurs troubles, ignorance de la maladie de la part des
médecins, ce d’autant que les signes musculaires sont
souvent occultés par l’atteinte plurisystémique. Dans notre
expérience, le diagnostic de la maladie n’est malencontreusement pas posé chez 60 % des patients recourant à
une consultation médicale, soit pour une symptomatologie
propre à la maladie (myotonie, cataracte, arythmie, faiblesse musculaire, Steinert néonatal, dysphonie, infertilité, retard scolaire, dysmorphie buccale, troubles digestifs
sévères), soit lors du suivi d’une grossesse, du bilan d’une
mort néonatale incomprise ou d’une fausse couche tardive. Dans la plupart des cas, le diagnostic était pourtant
aisé : présence de signes ou de symptômes typiques de
l’affection (myotonie, cataracte juvénile, faiblesse musculaire distale, Steinert néonatal et/ou infantile) et/ou
contexte familial connu de DM. Si les médecins généralistes sont les plus nombreux à ne pas reconnaître la maladie, de nombreux spécialistes sont pris en défaut : ophtalmologiste (cataracte du sujet jeune), cardiologue
(arythmie, troubles de conduction), pédiatre (Steinert néonatal, retard scolaire, dysphonie), gynécologue-obstétricien
(fausses couches, infertilité). Pour le neurologue, l’erreur
est plus rare : DM confondue avec une myotonie congénitale ou avec une myopathie proximale avec myotonie
(PROMM). La méconnaissance du diagnostic prive le
patient d’une surveillance cardiologique permettant de prévenir le risque de mort subite, et du conseil génétique
débouchant sur le diagnostic prénatal. Le diagnostic de
DM doit toujours être confirmé par la biologie moléculaire
(mise en évidence d’un expansion du triplet CTG, au-delà
de 50 répétitions dans le gène de la myotonine-kinase).
a dystrophie myotonique de Steinert est l’une des
myopathies génétiques les plus fréquentes, touchant
environ un sujet sur 8 000 et se transmettant selon un
mode autosomique dominant. Débutant habituellement chez
l’adulte jeune, l’affection se caractérise par l’association d’une
atteinte musculaire combinant myotonie, déficit amyotrophiant
et symétrique de la face, du cou, du tronc et des extrémités
(mains, releveurs du pied), et une atteinte plurisystémique : cataracte, troubles cardiaques et endocriniens, troubles des fonctions
supérieures (tableau I) (1, 2). L’implication de la musculature
lisse est à l’origine de douleurs abdominales, de troubles du
transit, d’une lithiase vésiculaire et de troubles sphinctériens. Si,
dans les cas les plus légers, le tableau se résume à une cataracte
tardive isolée, le pronostic de la maladie de Steinert est souvent
sérieux, dépendant de plusieurs facteurs de gravité :
– intensité du déficit des membres, qui peut aller jusqu’à une
tétraplégie ;
– gravité de l’insuffisance respiratoire ;
– troubles de la déglutition avec fausses routes ;
– complications cardiaques (troubles conductifs et rythmiques,
plus rarement insuffisance cardiaque) (3).
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Tableau I. Diagnostic de dystrophie myotonique.
☛ Histoire familiale dominante : myopathie, cataracte,
mort subite, pacemaker
☛ Aspect du visage : atone avec ptosis bilatéral, déficit
des obiculaires, atrophie des temporaux, calvitie chez l’homme,
fonte des muscles du cou, voix nasonnée
☛ Myotonie des mains
☛ Déficit atrophiant et symétrique prédominant sur les
muscles distaux (mains et releveurs des pieds)
☛ Atteinte plurisystémique (cataracte, troubles de conduction
et du rythme cardiaque, troubles intellectuels, somnolence,
diabète, infertilité)
☛ Confirmation génétique indispensable : expansion du
nombre de triplets CTG (> 50) dans le gène de la myotoninekinase. Si négative, diagnostic de Steinert éliminé,
mais penser à une PROMM, ou à une myotonie congénitale.
* Unité de pathologie musculaire, hôpital de la Salpêtrière, Paris.
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Ces différents paramètres sont souvent intriqués, mais ils peuvent être dissociés : ainsi une atteinte cardiaque grave peut-elle
survenir chez un patient non ou peu déficitaire. Dans l’ensemble, la mortalité est précoce, avant 60 ans (4). Lorsque la
mère est transmettrice, l’enfant développera, dans 10 % des cas,
une forme particulièrement sévère et précoce de la maladie, le
Steinert néonatal, se manifestant par une hypotonie sévère, des
troubles de succion et de déglutition, conduisant, dans les cas les
plus sévères, à un décès par insuffisance respiratoire. Si l’enfant
survit, sa condition motrice s’améliorera, mais il présentera
constamment un retard intellectuel. Des formes infantiles de
Steinert sont rapportées, dont le retard des acquisitions intellectuelles est le signe majeur, se distinguant de la forme néonatale
par une absence de troubles néonatals et une transmission qui
n’est pas exclusivement maternelle. L’aggravation de la maladie
d’une génération à l’autre est classique : cataracte tardive à la
première génération, forme classique à la seconde, forme néonatale à la troisième.
Une expansion du nombre de triplets CTG du gène de la myotonine-kinase est à l’origine de la maladie. L’expansion (comprise entre 50 et plusieurs milliers de triplets) est dans l’ensemble corrélée à la gravité, et s’accentue à chaque génération
(5). Les plus grandes valeurs sont détectées dans les formes néonatales. Ce phénomène explique l’anticipation.
L’ERRANCE DIAGNOSTIQUE EST TRÈS FRÉQUENTE
DANS LA MALADIE DE STEINERT
Entre le premier symptôme de la maladie et le diagnostic, un
délai de plus d’une dizaine d’années est habituel. La négligence
des patients vis-à-vis de leurs troubles et la méconnaissance de
la DM dans la communauté médicale sont deux causes majeures
de ce retard (tableau II). Dans notre expérience, le diagnostic de
DM n’est malencontreusement pas posé chez 60 % des patients
recourant à une consultation médicale, soit pour une symptomatologie propre à la maladie (myotonie, cataracte, arythmie, faiblesse musculaire, Steinert néonatal, dysphonie/dysarthrie,
infertilité, retard scolaire, dysmorphie buccale), soit lors du suivi
d’une grossesse, du bilan d’une mort néonatale incomprise ou
d’une fausse couche tardive. Dans toutes ces circonstances, le
diagnostic était pourtant aisé : présence de signes ou de symptômes typiques de l’affection (myotonie, cataracte juvénile, faiblesse musculaire distale, Steinert néonatal et/ou infantile) et/ou
contexte familial connu de dystrophie myotonique. Cette ignorance médicale retarde le diagnostic de plusieurs années.
Si le médecin généraliste est le plus souvent en cause dans cette
errance, de nombreux spécialistes sont également concernés :
l’ophtalmologiste qui ne pense pas à la maladie devant une cataracte de l’adulte jeune, le pédiatre confronté à un retard scolaire,
le cardiologue face à une arythmie trop vite considérée comme
idiopathique, le gynécologue-obstétricien impliqué dans la surveillance de la grossesse ou dans le bilan d’une stérilité, l’otorhino-laryngologiste consulté pour une dysphonie, le chirurgien
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Tableau II. Raisons du retard diagnostique dans la dystrophie myotonique de Steinert.
☛ Négligence et passivité du patient vis-à-vis de
ses symptômes
☛ Méconnaissance du diagnostic tant au niveau
du généraliste que du spécialiste
Diagnostic non évoqué dans les circonstances suivantes :
– cataracte de l’adulte jeune (ophtalmologiste)
– trouble de conduction ou arythmie chez l’adulte jeune
(cardiologue)
– surveillance de grossesse, stérilité, fausse couche tardive,
mort néonatale (gynécologue-obstétricien)
– retard scolaire, dysphonie (pédiatre)
– dysphonie (ORL)
– anomalies de l’articulé dentaire (chirurgien maxillo-facial,
stomatologiste)
☛ Symptomatologie musculaire au second plan derrière
l’atteinte plurisystémique
– pas de recours au neurologue
☛ Patient peu, voire non symptomatique
maxillo-facial pour un prognathisme. La relative discrétion des
symptômes musculaires explique que l’éventualité d’une affection myopathique ne soit pas envisagée. La faible part donnée à
l’étude des maladies neuromusculaires lors du cursus médical
universitaire et dans le cadre de la formation continue est l’autre
explication de ce retard diagnostique. Le neurologue est moins
pris en défaut ; néanmoins, il peut confondre une dystrophie
myotonique avec d’autres affections comportant une myotonie
(voir infra).
LA MÉCONNAISSANCE DU DIAGNOSTIC A DES
CONSÉQUENCES GRAVES
Le patient est privé du dépistage des complications cardiaques
(voir supra). De nombreux cas de mort subite, dus à des troubles
sévères de conduction ou à une arythmie ventriculaire, auraient
pu être évités si le diagnostic de maladie de Steinert avait été
posé et si un bilan cardiologique avait été organisé.
Ne pas reconnaître la maladie prive le patient du conseil génétique, et plus particulièrement du dépistage prénatal d’une forme
néonatale de Steinert, lorsque la mère est transmettrice.
LE RÔLE DU NEUROLOGUE EST FONDAMENTAL TANT POUR
ASSURER LE DIAGNOSTIC QUE POUR ORGANISER
LA PRISE EN CHARGE DU PATIENT ATTEINT DE MALADIE
DE STEINERT
Le neurologue devra parfaitement connaître les critères diagnostiques, qui sont présentés dans le tableau I. La formule clinique est très suggestive : myotonie, déficit amyotrophiant distal et axial, faciès caractéristique, déficit atrophiant des
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extrémités et des muscles axiaux, atteinte plurisystémique, antécédents familiaux. La myotonie, non corrélée à l’intensité du
déficit musculaire, peut manquer, et sera alors, si nécessaire,
recherchée à l’électromyogramme. Un test génétique sanguin
avec mise en évidence d’une expansion du triplet CTG dans le
gène de la myotonine kinase est toujours indispensable pour
confirmer le diagnostic. Il permettra de dépister un sujet peu ou
non symptomatique et d’éliminer, si le patient présente une
symptomatologie myotonique, une autre affection (6) : myotonies congénitales (dominante = Thomsen, récessive = Becker),
paramyotonie de Von Eulenburg, qui est une chanellopathie du
canal sodium de transmission dominante, myopathie proximale
avec myotonie (PROMM). Les deux premières affections débutent tôt dans l’enfance et ne s’accompagnent pas de déficit,
d’atrophie ou d’atteinte plurisystémique. Dans la paramyotonie,
le phénomène myotonique s’aggrave à la répétition du mouvement, alors qu’il s’améliore après échauffement dans la maladie
de Steinert. Ce phénomène est particulièrement net aux paupières, et le froid est très aggravant. La détection d’une mutation
du canal sodium confirmera le diagnostic. La PROMM pose un
problème diagnostique plus difficile, car elle partage avec la
maladie de Steinert la transmission dominante, la survenue à
l’âge adulte, la présence d’un déficit musculaire, l’atteinte plurisystémique avec cataracte et atteinte cardiaque (7). Le diagnostic repose sur l’absence de la mutation Steinert. Le gène a
été caractérisé récemment : présence d’une expansion d’un quadruplet CCTG, situé en 3q21 (8).
Comme on l’a vu plus haut, la maladie est méconnue par la plupart des médecins généralistes ou spécialistes. Le neurologue a
un rôle pédagogique auprès de ses collègues, en particulier les
ophtalmologistes et les gynécologues-obstétriciens, pour les
aider à reconnaître la maladie.
en plus de l’étude de la capacité vitale, des gaz du sang. Une
hypercapnie franche (PCO2 > 45 mmHg) est fréquente.
Lorsqu’elle est disproportionnée par rapport à la réduction de la
capacité vitale, une participation centrale affectant la commande respiratoire est en cause. Si le bilan respiratoire est anormal, un enregistrement nocturne sera pratiqué, mesurant la
saturation d’oxygène, si possible complété par une polysomnographie permettant de détecter des apnées du sommeil.
L’hypersomnie, très fréquente, sera grossièrement appréciée
par un score d’Epworth. Si celui-ci est perturbé, une polysomnographie et un test d’endormissement seront demandés. Chez
l’enfant ou l’adolescent, les difficultés scolaires seront dépistées et conduiront à des tests d’efficience.
En cas d’anesthésie générale, des complications sévères peuvent
survenir (9), qui justifient des mesures préventives : bilan cardio-respiratoire (voir supra), contre-indication des opiacés, du
suxaméthonium, suivi postopératoire suffisamment prolongé en
unité de réveil.
CONCLUSION
La maladie de Steinert est une affection musculaire fréquente
que tout praticien, quelle que soit sa spécialité, rencontrera, du
fait de sa richesse symptomatique, bien au-delà du champ neuromusculaire. Non formé à reconnaître cette maladie, le médecin (généraliste et spécialiste) ne pose pas le diagnostic et prive
le patient d’un dépistage de complications très sérieuses (en particulier, troubles cardiaques) et d’un conseil génétique qui peut
déboucher sur un diagnostic prénatal. Il y a là un vrai problème
de santé publique.
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Organiser la prise en charge est le second impératif. Par l’interrogatoire, des symptômes cardiologiques seront recherchés :
palpitations, syncopes, lipothymies, douleurs précordiales.
L’absence de signes fonctionnels cardiaques n’élimine aucunement la possibilité d’une cardiopathie. Le patient sera systématiquement adressé à un cardiologue pour un ECG (bi-annuel), un
holter ECG annuel, une échographie cardiaque. En présence de
symptômes cardiologiques ou d’anomalies franches de la
conduction ou du rythme, ou en cas d’intervention chirurgicale
lourde nécessitant une anesthésie prolongée, une exploration du
faisceau de His est habituellement effectuée, au terme de
laquelle un pacemaker et/ou un traitement arythmique seront
indiqués.
L’atteinte respiratoire sera dépistée dès l’interrogatoire : dyspnée, dont la majoration en position couchée signera une déficience diaphragmatique, signes d’hypercapnie (céphalées matinales, cauchemars, sueurs nocturnes et matinales). Les
épreuves fonctionnelles respiratoires seront toujours demandées, même en l’absence de tout symptôme, et comporteront,
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É F É R E N C E S
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I B L I O G R A P H I Q U E S
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