Re v u e f la sh N e urol og i e . com 20 1 0 ; 2(8) : 215- 8 Le cerveau est-il un muscle ? Atteinte cérébrale dans la forme adulte de dystrophie myotonique de type 1 ou maladie de Steinert Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 25/05/2017. Could the brain be a muscle ? Cerebral involvement in myotonic dystrophy type 1 or Steinert disease Florian Perez CHU de Bordeaux, Hôpital Haut-lévêque, bâtiment USN, avenue de Magellan, 33604 Pessac cedex <[email protected]> Mo ts c l é s maladie de Steinert, dystrophie myotonique de type 1, système nerveux central, trouble cognitif, trouble de la personnalité, hypersignaux de la substance blanche Ke y w o r d s review, Steinert disease, Myotonic Dystrophy type 1, central nervous system, cognitive disorder, personality disorder, white matter lesions Pour la pratique on retiendra La dystrophie myotonique de type 1 (DM1) ou maladie de Steinert est une affection génétique multisystémique classée dans les maladies musculaires et dont la prévalence à l’intérieur de ce groupe est élevée. Caractérisée par une expansion de triplets sur un gène ayant une expression ubiquitaire, la mutation s’exprime dans les différents organes et systèmes. Les patients DM1 présentent notamment une atteinte du système nerveux central sur le versant cognitif et comportemental. Cette brève revue présente les différents types d’atteinte rencontrée d’un point de vue clinique, neuropsychologique et neuro­ psychiatrique. Elle développe également les données de l’imagerie cérébrale, notamment de l’IRM qui peut faire soupçonner une pathologie inflammatoire chez le non-averti. Enfin, elle intègre cette atteinte dans le cadre clinique de la relation médecin/malade et plus largement dans le cadre du retentissement social qu’elle entraîne. Abstract Myotonic Dystrophy type 1 (DM1) is a genetic multisystemic disease belonging to muscle diseases with a relative high prevalence. The pathogenic mutation is an expanded (CTG) repeat in an ubiquitary expressed gene and leads to different organs ‘involvement. DM1 patients notably present a central nervous system involvement with cognitive and behavior difficulties. This short review presents related difficulties from a clinical, neuropsychological and neuropsychiatrical point of view. It provides neuroimaging data in particular cerebral MRI data. The striking white matter hyperintensities can ask in some cases for multiple sclerosis. This review underlines the consequences of such difficulties in the patient-physician relationship and less specifically in the social interaction and integration. Petit rappel pour tous La dystrophie myotonique de type 1 ou maladie de Steinert est une affection musculaire génétique autosomique dominante fréquente puisqu’elle constitue la première cause de dystrophie musculaire de début adulte. Le profil clinique particulier constitué dans sa forme classique d’une myotonie distale marquée et Le cerveau est-il un muscle ? Atteinte cérébrale dans la forme adulte de dystrophie myotonique de type 1 ou maladie de Steinert La maladie de Steinert forme adulte est une maladie primitive DOI : 10.1684/nro.2010.0227 d’un faciès évocateur permet au clinicien d’orienter aisément la recherche génétique (expansion de triplets dans la région 3’ noncodante du gène DMPK (Dystrophy Myotonic Protein Kinase, chromosome 19q35)). Une des particularités de cette affection, qu’elle partage avec la dystrophie myotonique de type 2, est l’atteinte d’autres organes que les muscles : cataracte, diabète, troubles de la conduction cardiaque et atteinte du système nerveux central. Nous allons détailler les fonctions cognitives, les comorbidités psychiatriques, les traits de personnalité, la somnolence diurne excessive ainsi que l’imagerie cérébrale des patients DM1 forme adulte. Victime d’un délit de faciès ? Si l’existence d’un retard mental et de troubles du comportement dans les formes congénitale et juvénile est incontestable, la présence d’un neurologie.com | vol. 2 n°8 | octobre 2010 215 déficit intellectuel dans les formes adultes de la maladie ne l’est pas. Tout praticien amené à suivre plusieurs de ces patients froncera pourtant les sourcils en lisant ces lignes… La relation patient/thérapeute souvent délicate, les oublis de rendez-vous, la non-compliance aux traitements amènent le praticien à douter soit de la clarté de son discours (peu probable), soit des capacités de compréhension de son interlocuteur (hypothèse nettement plus convaincante). Mais est-ce la réalité ou une impression subjective ? Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 25/05/2017. Ce que disent les neuropsychologues L’intelligence globale est préservée. Les scores de QI selon la WAIS sont dans les valeurs normales bien que discrètement plus bas que des témoins appariés en âge/ niveau d’éducation. Il en est de même pour le MMSE [1]. Certains auteurs avancent toutefois des résultats contradictoires, et notamment l’existence d’une corrélation entre la taille de l’expansion, la sévérité de la maladie et le niveau intellectuel [2, 3]. Mais l’inclusion de formes congénitales dans ces études peut fausser ce résultat. Les autres domaines préservés sont le langage et la mémoire. Cette dernière peut toutefois faire défaut chez les sujets plus âgés, ayant fait évoquer l’hypothèse d’un processus dégénératif pouvant conduire vers la démence pour certains auteurs [2]. Certains domaines sont par contre nettement altérés. Les capacités visuo-spatiales et visuo-constructives sont déficitaires, entraînant des difficultés dans la vie quotidienne (orientation sur une carte, recherche d’itinéraire, bricolage). Il existe une diminution des capacités d’attention ainsi qu’une diminution de la vitesse de traitement de l’information (nonobstant la lenteur propre à l’atteinte musculaire). On note enfin un syndrome dysexécutif marqué notamment une altération des capacités de planification [1, 2]. Rentrant dans le cadre du dysfonctionnement frontal, il existe une apathie très fréquente objectivée par les échelles spécifiques [4]. Ce que disent les psychiatres La prévalence de la dépression dans la DM1 semble plus élevée que dans la population générale, mais sans différence réelle avec des patients contrôles atteints d’autres affections neuromusculaires [5]. L’apathie et la somnolence se révèlent être des facteurs confondants. La prévalence de l’anxiété paraît elle aussi être la même que celle de la population générale [1]. Une personnalité à part Sans avoir la finesse d’analyse ni les termes affûtés du psychiatre, le neurologue ressent bien qu’il existe des traits de personnalité propres aux patients DM1. Habitué pourtant aux mécanismes de défense et aux adaptations variées de ses patients face à la maladie, le neurologue est souvent déstabilisé face aux réactions des patients DM1. Le refus des soins, le manque de compliance passif (« oublie » ses rendez-vous), les difficultés de communication sont au premier plan. Steinert dans sa description de la maladie [6] parlait déjà de ces troubles du comportement social qu’il 216 neurologie.com | vol. 2 n°8 | octobre 2010 jugeait liés à une hyperémotivité. L’analyse complexe de Delaporte [7] a permis de révéler certains de ces traits : difficultés de communication, hypersensibilité à la critique, sensation d’inconfort lors de la présence d’autrui, sensation d’injustice et méfiance à l’égard des autres. Le profil de personnalité le plus souvent rempli est la personnalité évitante (selon le DSMIV, cf. annexe 1). Ces éléments peuvent être à l’origine de difficultés sociales, relationnelles et professionnelles (repli sur le noyau familial, emplois solitaires ne correspondant pas à leur profil de qualification …). Ils sont également un défi quant au maintien d’un suivi médical régulier. Une tendance à « piquer du nez » La somnolence diurne excessive est très fréquente chez les patients DM1. Rapportée par les conjoints ou aidants de façon presque systématique, elle est souvent minimisée par les patients. Le score Epworth, standard de l’évaluation de cette hypersomnie, est d’ailleurs un mauvais outil de dépistage dans cette population. L’origine de cette hypersomnie est complexe car elle n’est pas directement corrélée à la présence d’apnées ou d’hypopnées du sommeil, pourtant particulièrement présentes dans cette affection neuro­ musculaire. Lorsqu’un traitement correctif des apnées est toutefois mis en place (pour une indication ventilatoire comme une hypercapnie matinale prolongée par exemple), la somnolence est peu souvent améliorée. Certains de ces patients ont un taux d’hypocrétine bas dans le liquide céphalo-rachidien avec des valeurs pouvant rejoindre celles des patients narcoleptiques [8] suggérant un mécanisme central en lien avec l’hypothalamus. Bien que le Modiodal® soit fréquemment prescrit en pratique clinique, les essais thérapeutiques utilisant les psycho­ stimulants chez les DM1 ne sont pas concluants [9]. De façon non surprenante, l’observance semble médiocre chez ces patients difficiles. Un diagnostic différentiel de SEP ? Les anomalies de l’imagerie cérébrale. Outre l’atrophie cérébrale très variable mais décrite depuis les premiers scanners (prédominance frontale et corps calleux), il existe de nombreuses lésions de la substance blanche à l’IRM qui n’ont pas encore révélé leurs secrets [10]. À l’ère de la multi­ plication des IRM cérébrales et du « syndrome radiologiquement isolé » dans la SEP, ces anomalies de découverte fortuite peuvent être à l’origine d’inquiétudes et de consultations spécialisées. Un neurologue qui n’est pas au fait de ces descriptions pourrait lui aussi s’inquiéter… Ces anomalies présentées dans la figure 1 sont souvent difficiles à classer dans la catégorie des « hypersignaux aspécifiques de la substance blanche » ! L’origine de ces hypersignaux est très discutée et les observations sont parfois contradictoires. Dysplasie embryonnaire ou processus démyélinisant ? L’analyse anatomo­pathologique de ces lésions montre une raréfaction myélinique mais aussi la présence de neurones ectopiques notamment dans les pôles temporaux. S’il semble exister une augmentation de la charge lésionnelle avec l’âge, l’intensité de ces lésions, contrairement à l’atrophie, n’est pas vraiment corrélée avec l’âge ou la sévérité de la maladie. Elle n’est pas non plus Figure 1. Anomalies de la substance blanche des sujets DM1. Présence de nombreux hypersignaux de la substance blanche en T2 FLAIR : sous-corticaux (A, flèches), pôles temporaux (B, flèches), périventriculaires (C, flèche), capsule extrême/insula (D, flèche). Présence de zones plus diffuses en hypersignal FLAIR, périventriculaires (E, cercles). Dilatations des espaces de Wirshow-Robin (F, cercle) Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 25/05/2017. A D B C liée aux facteurs de risque vasculaires. Certains auteurs mettent en avant une corrélation entre les lésions temporales antérieures et les difficultés relationnelles, notamment la difficulté des patients DM1 à interpréter les émotions faciales. Finalement, le cerveau est-il un muscle ? La physiopathologie de l’atteinte musculaire dans la DM1 est complexe. La protéine DMPK résultant du gène muté, d’expression musculaire, est effectivement réduite mais son déficit n’explique pas à lui seul la dystrophie observée. Sont impliqués la formation d’inclusions ribonucléiques des transcrits (ARN messagers) DMPK dans les fibroblastes et les myoblastes induisant des erreurs d’épissage, et notamment des erreurs d’épissage alternatif spécifique nécessaire à la différenciation cellulaire, a fortiori musculaire. On retrouve de la même façon des inclusions ribonucléiques dans la plupart des sous-populations neuronales faites de transcrits de DMPK et d’autres protéines se liant à l’ARN. Il a été mis en évidence que les altérations d’épissage en découlant touchaient le récepteur NMDA-1, la protéine APP ou encore la fameuse protéine tau. La relation de ces phénomènes avec l’atteinte du SNC observée n’est toutefois pas encore établie. F E Et en pratique, quelle différence ? Cette rapide revue de l’atteinte du système nerveux central dans la DM1 doit nous faire réfléchir à quelques principes de prise en charge dans notre pratique quotidienne : – savoir rechercher une somnolence diurne excessive, proposer un traitement si elle constitue une plainte ; savoir rechercher des apnées associées dans certains cas (céphalées, obnubilation matinale) ; – connaître ces anomalies de la substance blanche qui peuvent constituer un motif de consultation ; – reconnaître les difficultés liées au syndrome dysexécutif ou à l’atteinte musculaire propre ; savoir les expliquer au patient et à la famille ; aider si nécessaire à la réorientation professionnelle ; – travailler la relation patient-thérapeute en tenant compte des traits de personnalité (manque de confiance en soi, peur du regard d’autrui, rigidité) et sans sous-estimer les capacités de compréhension des informations ; parfois proposer une stratégie de type psychothérapie de soutien ou cognitivo-comportementale lorsque le patient a conscience de ces difficultés. Conflit d’intérêts aucun neurologie.com | vol. 2 n°8 | octobre 2010 217 Références 1. Meola G, Sansone V. Cerebral involvement in myotonic dystrophies. Muscle & Nerve 2007 ; 36 : 294-306. 2. Modoni A, Silvestri G, Pomponi MG, Mangiola F, Tonali PA, Marra C. Characterization of the pattern of cognitive impairment in myotonic dystrophy type 1. Arch Neurol 2004 ; 61 : 1943-7. Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 25/05/2017. 3. Kuo HC, Hsieh YC, Wang HM, Chuang WL, Huang CC. Correlation among subcortical white matter lesions, intelligence and CTG repeat expansion in classic myotonic dystrophy type 1. Acta neurologica Scandinavica 2008 ; 117 : 101-7. 4. Rubinsztein JS, Rubinsztein DC, Goodburn S, Holland AJ. Apathy and hypersomnia are common features of myotonic dystrophy. J Neurol Neurosurg Psychiatry 1998 ; 64 : 510-5. 5. Winblad S, Jensen C, Mansson JE, Samuelsson L, Lindberg C. Depression in Myotonic Dystrophy type 1 : clinical and neuronal correlates. Behav Brain Funct 2010 ; 6 : 25. 6. Steinert H. Myopathologische Beitrage : über das Klinische und Anatomische Bild des Muschelschwunds der Myotoniker. Dtsch Z Nervenheilkd 1909 ; 37 : 58-104. 7. Delaporte C. Personality patterns in patients with myotonic dystrophy. Arch Neurol 1998 ; 55 : 635-40. 8. Martinez-Rodriguez JE, Lin L, Iranzo A, Genis D, Marti MJ, Santamaria J, et al. Decreased hypocretin-1 (Orexin-A) levels in the cerebrospinal fluid of patients with myotonic dystrophy and excessive daytime sleepiness. Sleep 2003 ; 26 : 287-90. double-blind, placebo-controlled, 4-week trial. Clinical Therapeut 2009 ; 31 : 1765-73. 10. Di Costanzo A, Di Salle F, Santoro L, Tessitore A, Bonavita V, Tedeschi G. Pattern and significance of white matter abnormalities in myotonic dystrophy type 1: an MRI study. J Neurol 2002 ; 249 : 1175-82. 9. Orlikowski D, Chevret S, Quera-Salva MA, Laforet P, Lofaso F, Verschueren A, et al. Modafinil for the treatment of hypersomnia associated with myotonic muscular dystrophy in adults: a multicenter, prospective, randomized, Annexe 1 cRitèReS DiAgnoStiqueS Du tRoubLe De LA peRSonnALité De type « évitAnte » SeLon Le DSM-iv La personnalité évitante Mode général d’inhibition sociale, de sentiments de ne pas être à la hauteur et d’hypersensibilité au jugement négatif d’autrui qui apparaît au début de l’âge adulte et est présent dans des contextes divers, comme en témoignent au moins quatre des manifestations suivantes : – le sujet évite les activités sociales professionnelles qui impliquent des contacts importants avec autrui par crainte d’être critiqué, désapprouvé ou rejeté ; – réticence à s’impliquer avec autrui à moins d’être certain d’être aimé ; – est réservé dans les relations intimes par crainte d’être exposé à la honte et au ridicule ; – craint d’être critiqué ou rejeté dans les situations sociales ; – est inhibé dans les situations interpersonnelles nouvelles à cause d’un sentiment de ne pas être à la hauteur ; – se perçoit comme socialement incompétent, sans attrait ou inférieur aux autres ; – est particulièrement réticent à prendre des risques personnels ou à s’engager dans de nouvelles activités par crainte d’éprouver de l’embarras. 218 neurologie.com | vol. 2 n°8 | octobre 2010