Neurologie.com 2010 ; 2(8) : 215-8
DOI : 10.1684/nro.2010.0227 neurologie.com | vol. 2 n°8 | octobre 2010 215
Revue flash
Le cerveau est-il un muscle ?
Atteinte cérébrale
dans la forme adulte
de dystrophie myotonique de type 1
ou maladie de Steinert
Could the brain be a muscle ? Cerebral involvement in myotonic dystrophy type 1
or Steinert disease
Pour la pratique on retiendra
La dystrophie myotonique de type 1 (DM1) ou maladie de Steinert est une affection génétique multisystémique classée dans les
maladies musculaires et dont la prévalence à l’intérieur de ce groupe est élevée. Caractérisée par une expansion de triplets sur
un gène ayant une expression ubiquitaire, la mutation s’exprime dans les différents organes et systèmes. Les patients DM1
présentent notamment une atteinte du système nerveux central sur le versant cognitif et comportemental.
Cette brève revue présente les différents types d’atteinte rencontrée d’un point de vue clinique, neuropsychologique et neuro-
psychiatrique. Elle développe également les données de l’imagerie cérébrale, notamment de l’IRM qui peut faire soupçonner une
pathologie inflammatoire chez le non-averti. Enfin, elle intègre cette atteinte dans le cadre clinique de la relation médecin/malade
et plus largement dans le cadre du retentissement social qu’elle entraîne.
Abstract
Myotonic Dystrophy type 1 (DM1) is a genetic multisystemic disease belonging to muscle diseases with a relative high prevalence.
The pathogenic mutation is an expanded (CTG) repeat in an ubiquitary expressed gene and leads to different organs ‘involvement.
DM1 patients notably present a central nervous system involvement with cognitive and behavior difficulties. This short review
presents related difficulties from a clinical, neuropsychological and neuropsychiatrical point of view. It provides neuroimaging
data in particular cerebral MRI data. The striking white matter hyperintensities can ask in some cases for multiple sclerosis.
This review underlines the consequences of such difficulties in the patient-physician relationship and less specifically in the
social interaction and integration.
Mots clés
maladie de Steinert,
dystrophie myotonique
de type 1, système nerveux
central, trouble cognitif,
trouble de la personnalité,
hypersignaux de la
substance blanche
Key words
review, Steinert disease,
Myotonic Dystrophy type 1,
central nervous system,
cognitive disorder,
personality disorder,
white matter lesions
LE CERVEAU EST-IL UN MUSCLE ?
ATTEINTE CÉRÉBRALE DANS LA FORME
ADULTE DE DYSTROPHIE MYOTONIQUE
DE TYPE 1 OU MALADIE DE STEINERT
La maladie de Steinert forme
adulte est une maladie primitive
Florian Perez
CHU de Bordeaux,
Hôpital Haut-lévêque,
bâtiment USN, avenue de Magellan,
33604 Pessac cedex
<florian.perez@chu-bordeaux.fr>
PETIT RAPPEL POUR TOUS
La dystrophie myotonique de type 1 ou maladie
de Steinert est une affection musculaire géné-
tique autosomique dominante fréquente
puisqu’elle constitue la première cause de dys-
trophie musculaire de début adulte. Le profil
clinique particulier constitué dans sa forme
classique d’une myotonie distale marquée et
d’un faciès évocateur permet au clinicien
d’orienter aisément la recherche génétique
(expansion de triplets dans la région 3’ non-
codante du gène DMPK (Dystrophy Myotonic Pro-
tein Kinase, chromosome 19q35)). Une des
particularités de cette affection, qu’elle partage
avec la dystrophie myotonique de type 2, est
l’atteinte d’autres organes que les muscles :
cataracte, diabète, troubles de la conduction
cardiaque et atteinte du système nerveux cen-
tral. Nous allons détailler les fonctions cogniti-
ves, les comorbidités psychiatriques, les traits
de personnalité, la somnolence diurne excessive
ainsi que l’imagerie cérébrale des patients DM1
forme adulte.
VICTIME D’UN DÉLIT DE FACIÈS ?
Si l’existence d’un retard mental et de troubles
du comportement dans les formes congénitale
et juvénile est incontestable, la présence d’un
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déficit intellectuel dans les formes adultes de
la maladie ne l’est pas. Tout praticien amené à suivre
plusieurs de ces patients froncera pourtant les sourcils
en lisant ces lignesLa relation patient/trapeute souvent
délicate, les oublis de rendez-vous, la non-compliance
aux traitements amènent le praticien à douter soit de la
clarté de son discours (peu probable), soit des capacités
de compréhension de son interlocuteur (hypothèse nette-
ment plus convaincante). Mais est-ce la réalité ou une
impression subjective ?
CE QUE DISENT LES NEUROPSYCHOLOGUES
L’intelligence globale est préservée. Les scores de QI selon
la WAIS sont dans les valeurs normales bien que discrète-
ment plus bas que des témoins appariés en âge/
niveau d’éducation. Il en est de même pour le MMSE [1].
Certains auteurs avancent toutefois des résultats
contradictoires, et notamment l’existence d’une corrélation
entre la taille de l’expansion, la sévérité de la maladie et
le niveau intellectuel [2, 3]. Mais l’inclusion de formes
congénitales dans ces études peut fausser ce résultat. Les
autres domaines préservés sont le langage et la mémoire.
Cette dernière peut toutefois faire défaut chez les sujets
plus âgés, ayant fait évoquer l’hypothèse d’un processus
dégénératif pouvant conduire vers la démence pour cer-
tains auteurs [2].
Certains domaines sont par contre nettement altérés. Les
capacités visuo-spatiales et visuo-constructives sont défici-
taires, entraînant des difficultés dans la vie quotidienne
(orientation sur une carte, recherche d’itinéraire, brico-
lage). Il existe une diminution des capacités d’attention
ainsi qu’une diminution de la vitesse de traitement de
l’information (nonobstant la lenteur propre à l’atteinte
musculaire). On note enfin un syndrome dysexécutif mar-
qué notamment une altération des capacités de planifica-
tion [1, 2]. Rentrant dans le cadre du dysfonctionnement
frontal, il existe une apathie très fréquente objectivée par
les échelles spécifiques [4].
CE QUE DISENT LES PSYCHIATRES
La prévalence de la dépression dans la DM1 semble plus
élevée que dans la population générale, mais sans diffé-
rence réelle avec des patients contrôles atteints d’autres
affections neuromusculaires [5]. L’apathie et la somnolence
se révèlent être des facteurs confondants. La prévalence de
l’anxiété paraît elle aussi être la même que celle de la
population générale [1].
UNE PERSONNALITÉ À PART
Sans avoir la finesse d’analyse ni les termes affûtés du
psychiatre, le neurologue ressent bien qu’il existe des traits
de personnalité propres aux patients DM1. Habitué pour-
tant aux mécanismes de défense et aux adaptations variées
de ses patients face à la maladie, le neurologue est souvent
déstabilisé face aux réactions des patients DM1. Le refus
des soins, le manque de compliance passif oublie » ses
rendez-vous), les difficultés de communication sont au
premier plan. Steinert dans sa description de la maladie [6]
parlait déjà de ces troubles du comportement social qu’il
jugeait liés à une hyperémotivité. L’analyse complexe de
Delaporte [7] a permis de révéler certains de ces traits :
difficultés de communication, hypersensibilià la critique,
sensation d’inconfort lors de la présence d’autrui, sensation
d’injustice et méfiance à l’égard des autres. Le profil de
personnalité le plus souvent rempli est la personnalité
évitante (selon le DSMIV, cf. annexe 1). Ces éléments peu-
vent être à l’origine de difficultés sociales, relationnelles
et professionnelles (repli sur le noyau familial, emplois
solitaires ne correspondant pas à leur profil de qualifica-
tion …). Ils sont également un défi quant au maintien d’un
suivi médical régulier.
UNE TENDANCE À « PIQUER DU NEZ »
La somnolence diurne excessive est très fréquente chez les
patients DM1. Rapportée par les conjoints ou aidants de
façon presque systématique, elle est souvent minimisée
par les patients. Le score Epworth, standard de l’évaluation
de cette hypersomnie, est d’ailleurs un mauvais outil de
dépistage dans cette population. L’origine de cette hyper-
somnie est complexe car elle n’est pas directement corrélée
à la présence d’apnées ou d’hypopnées du sommeil, pour-
tant particulièrement présentes dans cette affection neuro-
musculaire. Lorsqu’un traitement correctif des apnées
est toutefois mis en place (pour une indication ventila-
toire comme une hypercapnie matinale prolongée par
exemple), la somnolence est peu souvent améliorée.
Certains de ces patients ont un taux d’hypocrétine bas dans
le liquide céphalo-rachidien avec des valeurs pouvant
rejoindre celles des patients narcoleptiques [8] suggérant
un mécanisme central en lien avec l’hypothalamus.
Bien que le Modiodal® soit fréquemment prescrit en prati-
que clinique, les essais thérapeutiques utilisant les psycho-
stimulants chez les DM1 ne sont pas concluants [9]. De façon
non surprenante, l’observance semble médiocre chez ces
patients difficiles.
UN DIAGNOSTIC DIFFÉRENTIEL DE SEP ?
Les anomalies de l’imagerie cérébrale. Outre l’atrophie
cérébrale très variable mais décrite depuis les premiers
scanners (prédominance frontale et corps calleux), il existe
de nombreuses lésions de la substance blanche à l’IRM qui
n’ont pas encore révélé leurs secrets [10]. À l’ère de la multi-
plication des IRM cérébrales et du « syndrome radiologi-
quement isolé » dans la SEP, ces anomalies de découverte
fortuite peuvent être à l’origine d’inquiétudes et de consul-
tations spécialisées. Un neurologue qui n’est pas au fait de
ces descriptions pourrait lui aussi s’inquiéter… Ces ano-
malies présentées dans la figure 1 sont souvent difficiles à
classer dans la catégorie des « hypersignaux aspécifiques
de la substance blanche » !
L’origine de ces hypersignaux est très discutée et les obser-
vations sont parfois contradictoires. Dysplasie embryonnaire
ou processus démlinisant ? L’analyse anatomo pathologique
de ces lésions montre une raréfaction myélinique mais
aussi la présence de neurones ectopiques notamment dans
les pôles temporaux. S’il semble exister une augmentation
de la charge lésionnelle avec l’âge, l’intensité de ces lésions,
contrairement à l’atrophie, n’est pas vraiment corrélée avec
l’âge ou la sévérité de la maladie. Elle n’est pas non plus
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liée aux facteurs de risque vasculaires. Certains auteurs
mettent en avant une corrélation entre les lésions tempo-
rales antérieures et les difficultés relationnelles, notam-
ment la difficulté des patients DM1 à interpréter les
émotions faciales.
FINALEMENT, LE CERVEAU EST-IL UN MUSCLE ?
La physiopathologie de l’atteinte musculaire dans la DM1
est complexe. La protéine DMPK résultant du gène muté,
d’expression musculaire, est effectivement réduite mais
son déficit n’explique pas à lui seul la dystrophie observée.
Sont impliqués la formation d’inclusions ribonucléiques
des transcrits (ARN messagers) DMPK dans les fibroblastes
et les myoblastes induisant des erreurs d’épissage, et
notamment des erreurs d’épissage alternatif spécifique
nécessaire à la différenciation cellulaire, a fortiori muscu-
laire. On retrouve de la même façon des inclusions ribonu-
cléiques dans la plupart des sous-populations neuronales
faites de transcrits de DMPK et d’autres protéines se liant
à l’ARN. Il a été mis en évidence que les altérations d’épis-
sage en découlant touchaient le récepteur NMDA-1, la
protéine APP ou encore la fameuse protéine tau. La relation
de ces phénomènes avec l’atteinte du SNC observée n’est
toutefois pas encore établie.
ET EN PRATIQUE, QUELLE DIFFÉRENCE ?
Cette rapide revue de l’atteinte du système nerveux central
dans la DM1 doit nous faire réfléchir à quelques principes
de prise en charge dans notre pratique quotidienne :
– savoir rechercher une somnolence diurne excessive,
proposer un traitement si elle constitue une plainte ; savoir
rechercher des apnées associées dans certains cas (cépha-
lées, obnubilation matinale) ;
– connaître ces anomalies de la substance blanche qui
peuvent constituer un motif de consultation ;
– reconnaître les difficultés liées au syndrome dysexécutif
ou à l’atteinte musculaire propre ; savoir les expliquer au
patient et à la famille ; aider si nécessaire à la réorientation
professionnelle ;
– travailler la relation patient-thérapeute en tenant compte
des traits de personnalité (manque de confiance en soi,
peur du regard d’autrui, rigidité) et sans sous-estimer les
capacités de compréhension des informations ; parfois
proposer une stratégie de type psychothérapie de soutien
ou cognitivo-comportementale lorsque le patient a
conscience de ces difficultés.
Conflit d’intérêts
aucun
Figure 1. Anomalies de la substance blanche des sujets DM1. Présence de nombreux hypersignaux de la substance blanche en T2 FLAIR : sous-corticaux (A, flèches),
pôles temporaux (B, flèches), périventriculaires (C, flèche), capsule extrême/insula (D, flèche). Présence de zones plus diffuses en hypersignal FLAIR, périventriculaires
(E, cercles). Dilatations des espaces de Wirshow-Robin (F, cercle)
AB C
DEF
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Annexe 1
CRITÈRES DIAGNOSTIQUES DU TROUBLE DE LA PERSONNALITÉ
DE TYPE « ÉVITANTE » SELON LE DSM-IV
La personnalité évitante
Mode général d’inhibition sociale, de sentiments de ne pas être à la hauteur et d’hypersensibilité au jugement négatif
d’autrui qui apparaît au début de l’âge adulte et est présent dans des contextes divers, comme en témoignent au moins
quatre des manifestations suivantes :
– le sujet évite les activités sociales professionnelles qui impliquent des contacts importants avec autrui par crainte
d’être critiqué, désapprouvé ou rejeté ;
– réticence à s’impliquer avec autrui à moins d’être certain d’être aimé ;
– est réservé dans les relations intimes par crainte d’être exposé à la honte et au ridicule ;
– craint d’être critiqué ou rejeté dans les situations sociales ;
– est inhibé dans les situations interpersonnelles nouvelles à cause d’un sentiment de ne pas être à la hauteur ;
– se perçoit comme socialement incompétent, sans attrait ou inférieur aux autres ;
– est particulièrement réticent à prendre des risques personnels ou à s’engager dans de nouvelles activités par crainte
d’éprouver de l’embarras.
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