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Médecine
& enfance
L’anxiété chez l’enfant
POINT PSY
M. Boublil, Fondation Lenval, Nice
Parce que l’anxiété est sans doute, dans sa forme mineure, le symptôme psychique le plus fréquent chez l’enfant, elle constitue un sujet qui concerne avant
tout les pédiatres. En pratique pédiatrique, les quatre situations anxieuses pathologiques les plus fréquentes sont la phobie scolaire, l’angoisse de dépersonnalisation, l’angoisse réactionnelle, l’attaque de panique.
l importe de différencier l’anxiété
(qui est sans objet) de la peur, ou
de la crainte (éprouvée à l’égard
d’une personne, d’une situation ou d’un
objet) ; mais aussi de distinguer l’anxiété (qui est un phénomène psychique) de
l’angoisse (qui est son versant somatique, avec des manifestations neurovégétatives).
Il faut aussi faire la différence entre une
anxiété « normale », qui correspond à
certaines périodes de la vie, lorsque surviennent des modifications dans le
cours du développement de l’enfant (séparation d’avec les parents, puberté,
changement de statut à l’adolescence)
et une anxiété pathologique, qui invalide, donne mal au ventre, à la tête, et qui
empêche d’aller à l’école.
Ou encore entre l’anxiété flottante et
celle qui s’attache à des objets (les phobies), ou celle qui atteint tout l’équilibre
psychique de l’enfant (cette anxiété de
néantisation ou de dépersonnalisation
que l’on rencontre dans la psychose).
Ce n’est pas tout : il faut aussi distinguer entre la situation où l’angoisse est
évidente et s’exprime, comme dans les
phobies, et les manifestations liées à
l’angoisse, sans que cette dernière soit
nécessairement visible, comme dans les
obsessions, l’hystérie ou les somatisations (fonctionnelles et psychosomatiques).
Notons en outre que nombre d’enfants
développent des angoisses associées à
une mauvaise estime de soi lorsqu’ils
sont confrontés à l’échec ou à l’inadaptation scolaires pour diverses raisons
(dyslexie, dyscalculie, dyspraxies, capacités intellectuelles déficitaires ou dys-
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harmonie de leurs capacités intellectuelles).
Certains auteurs soutiennent avec de
bons arguments que l’école peut durablement rendre malade d’angoisse certains enfants qui ne parviennent pas à
entrer dans le « moule » exigé par l’Education nationale.
LA RÉFLEXION
PSYCHOPATHOLOGIQUE
EST INDISPENSABLE
La réflexion psychopathologique est indispensable chez l’enfant, qui est un
être en développement, en transformation et en interaction. Il existe des
échelles d’anxiété (comme la Revised
Children’s Manifest Anxiety Scale, ou
RCMAS, éditée en français par les éditions du Centre de psychologie appliquée, Catro, 1999) qui évaluent les
symptômes dans un objectif chimiothérapique, mais le traitement exclusif du
symptôme chez l’enfant est insuffisant
et parfois est un non-sens.
C’est ainsi que la CIM 10 distingue l’angoisse de séparation, le trouble anxieux
phobique, l’anxiété sociale, l’anxiété généralisée ; chacun correspond à un ensemble de symptômes requis pour poser
le diagnostic. Mais comment imaginer
un clinicien qui ne tiendrait pas compte
de l’ensemble de la personne qui se
trouve devant lui, et, notamment lorsqu’il s’agit d’un enfant, de sa situation
familiale ?
Otto Rank, disciple de Freud, théorise
l’idée que la première angoisse ressentie est le moment de la naissance. Plus
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tard, Kubie considère que la seconde
source d’angoisse réside dans le défaut
de maternage. R. Spitz, lui, distingue
trois stades dans le développement de
l’angoisse au cours de la première année de vie :
dès la naissance, la tension liée à la
faim, à la soif, au malaise physique, à la
colique, aux mauvaises positions, au
chaud ou au froid ;
après trois mois, la réactivation d’une
sensation déplaisante ;
puis entre six et huit mois, la réaction
à l’absence de la mère ou à la présence
d’un étranger (angoisse dite de l’étranger).
Après l’âge de un an, puis dans toute la
petite enfance, c’est la séparation qui va
provoquer l’angoisse.
A trois ou quatre ans, l’angoisse est exprimée par la peur de personnages ou
d’animaux qui apparaissent dans les
rêves, au cours des terreurs nocturnes
ou dans l’imaginaire (c’est souvent la
peur d’être dévoré).
A cinq ou six ans, c’est la peur d’être pris,
d’être enlevé, qui se mêle à des angoisses
de mort : c’est un âge en effet où l’enfant
prend conscience de la mort. Cette angoisse se manifeste parfois sous la forme
de la crainte de la maladie (hypocondrie), et notamment du cancer, du sida,
des microbes. Elle peut donner lieu à des
rites de lavage sans que ceux-ci soient
nécessairement pathologiques s’ils demeurent intermittents et tendent à s’atténuer avec le temps grâce à la réassurance et aux explications des parents.
QUATRE SITUATIONS
ANXIEUSES
PATHOLOGIQUES
LA PHOBIE SCOLAIRE
Dans notre pratique, la situation
anxieuse pathologique la plus fréquente
est ce que l’on appelle la phobie scolaire. Après de nombreux signes d’alerte
(douleurs abdominales, céphalées du
matin, pollakiuries), un enfant est pris
d’angoisses très intenses au moment de
partir pour l’école. Il est fréquent que
les choses s’améliorent lorsqu’il est en
classe. Il désire d’ailleurs s’y rendre
mais il n’y parvient pas car il est submergé par son angoisse.
Le tableau peut se révéler grave, l’enfant étant empêché d’aller en classe
pendant des mois, voire des années.
Une grande mobilisation sociale se déclenche (signalement, visite d’assistante
sociale ou d’éducateur). Dans les cas sévères, un refus de soins de la part de
l’enfant va même conduire à une hospitalisation en pédopsychiatrie. Ces enfants sont souvent pris dans une situation complexe, non apparente au premier abord, génératrice d’une angoisse
importante qui est « déplacée » inconsciemment par eux sur l’espace scolaire
et est justifiée par des raisons plausibles : « la maîtresse crie, les camarades
se moquent de moi ».
Dans de nombreux cas, ces angoisses
sont liées à la crainte de l’enfant de laisser seul un parent (surtout la mère) ;
parfois, elles expriment la pathogénicité
d’un secret ou d’un non-dit (paternité,
etc.), ou encore mettent en scène la séparation impossible d’avec la mère.
La première démarche doit être de chercher à comprendre le sens des symptômes. Le recours à des traitements
symptomatiques, parfois nécessaire, ne
peut être qu’une première étape de la
prise en charge, obligatoirement suivie
d’autres approfondissements.
L’ANGOISSE DE
DÉPERSONNALISATION
La seconde situation, heureusement
plus rare, est l’angoisse de dépersonnalisation. L’enfant est paniqué. Il cherche
à fuir ce qui se passe en lui en frappant,
en cassant, en se mettant en danger (il
peut par exemple vouloir se jeter par
une fenêtre). C’est une angoisse qui le
déborde et dont il veut à tout prix fuir
les sensations.
Souvent, chez de jeunes enfants, il s’agit
soit de manifestations de désorganisation psychique aiguës et temporaires,
liées à une situation de stress, agissant
sur une personnalité fragile (névrose ou
pathologie limite, en période de décompensation), soit d’épisodes qui signent
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l’entrée dans un processus psychotique
parfois schizophrénique : dans ce cas, la
simple excitation liée à une présence
trop nombreuse ou trop proche peut suffire à déclencher des angoisses massives
et difficilement « compréhensibles ».
L’apaisement peut revenir grâce à un
isolement vécu comme protecteur.
L’ANGOISSE RÉACTIONNELLE
Le troisième type d’anxiété pathologique que nous rencontrons est celui de
l’angoisse réactionnelle à une situation,
ou qui survient en liaison avec elle. La
plus fréquente est la menace de séparation des parents, la naissance d’un puîné, l’entrée à l’école maternelle (c’est
rare) ou élémentaire, ou au collège.
Ce type d’anxiété est accessible et guérissable par des entretiens et/ou une
psychothérapie de soutien ou de type
psychanalytique, mais il faut de la disponibilité, du temps et un temps de guidance parentale, qui ne peut pas ici être
exclu du traitement.
L’ATTAQUE DE PANIQUE
Le quatrième situation rencontrée (plus
souvent chez l’adolescent) est l’attaque
de panique. Prise au départ pour une
maladie somatique, un malaise vagal ou
un problème neurologique, son diagnostic est précédé de multiples examens somatiques, qui vont souvent jusqu’à l’IRM. Le bilan somatique négatif
et la répétition des crises conduisant à
une forme de phobie sociale (le patient
finit par ne plus sortir de chez lui) signent souvent le diagnostic.
L’ANXIÉTÉ À LA MANIÈRE
NORD-AMÉRICAINE
Après avoir exposé la « manière » française de penser l’anxiété de l’enfant, je
ne résiste pas à l’envie de vous présenter la « manière » nord-américaine,
scientifique, moderne et indiscutable,
organisée en étapes. L’étude a été publiée dans un numéro récent du New
England Journal of Medecine.
1. L’anxiété est très fréquente et invalidante chez l’enfant, sur le plan social,
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relationnel, familial et scolaire (ce dont
personne ne doute).
2. On prend 488 enfants entre sept et
dix-sept ans, qui viennent de six Etats
différents des Etats-Unis, qui sont traités pendant douze semaines, qui souffrent tous d’une anxiété modérée à sévère de type anxiété de séparation,
anxiété généralisée ou phobie sociale.
Beaucoup
souffrent
d’une
« comorbidité », avec une anxiété liée à
un THADA ou à des problèmes d’apprentissage.
On constitue quatre groupes que l’on va
traiter différemment : le premier groupe reçoit une thérapie comportementale et cognitive (x séances) [CBT] ; le second reçoit un traitement par Zoloft®,
seul IRSS (inhibiteur de recaptage spécifique de la sérotonine) qui a l’AMM
chez l’enfant, grâce notamment à sa forme 25 mg. C’est usuellement un antidépresseur, mais le laboratoire veut le positionner pour son action anxiolytique
chez l’enfant, l’anxiété de l’enfant ayant
peut-être (dans certains cas) une origine dépressive ; le troisième groupe reçoit un CBT et du Zoloft® ; le quatrième
reçoit un placebo (du sucre).
Résultats : 60 % de réussite dans le premier groupe, 55 % dans le deuxième,
81 % dans le troisième, 24 % dans le
quatrième.
Les auteurs constatent également que le
Zoloft® ne donne pas davantage d’effets
secondaires que le placebo.
L’option d’emblée médicamenteuse
n’est pas dans les habitudes françaises.
Chez l’enfant, le traitement médicamenteux sera instauré en cas d’échec
des autres modes d’abord ; il est considéré comme visant à atténuer une douleur psychique invalidante, pour le
temps où l’abord psychothérapique se
met en place.
Après avoir lu cette étude, qui résistera
à la prescription qui donnerait au patient les meilleures chances de guérir ?
A court terme, avouons-le, ce type de
démarche de soins est très efficace.
Mais il faut toujours chez l’enfant penser à long terme, sauf si l’on recherche
une efficacité immédiate et symptomatique.
ORIENTATIONS
THÉRAPEUTIQUES
L’ANXIÉTÉ RÉACTIONNELLE
Elle relève du domaine du pédiatre, qui
connaît la famille et prend du temps,
car la parole, la réassurance, la mise en
liens (« C’est parce que vous venez
d’avoir un bébé, que votre mari ne vous
aide pas suffisamment et que vous avez
moins de temps à consacrer à votre enfant qu’il ressent cette angoisse de séparation qui augmente »), l’explication
provenant d’un tiers, médecin qui ne
fait pas partie de la famille, mais en qui
elle a confiance, sont d’une grande aide.
L’ANXIÉTÉ DE SÉPARATION
PERSISTANTE
Elle nécessite souvent qu’on aborde de
manière plus globale le fonctionnement
familial et les dysfonctionnements, qui
quelquefois sont insolubles : absence de
père ou père absent ; enfant en fusion
avec la mère depuis la petite enfance
(cet enfant reste pour elle un soutien,
un consolateur, un petit défenseur
« contre le père »). Un suivi individuel
est à associer au suivi familial.
LES PHOBIES SCOLAIRES
La difficulté est plus grande, car soit la
phobie est brève et correspond à des
difficultés réactionnelles, soit elle est
plus forte, plus tenace, au premier
abord incompréhensible, et l’hospitalisation est alors parfois nécessaire, afin
que l’hôpital prenne une place terceisante dans le lien fusionnel mère-enfant
(l’enfant ne veut pas aller à l’école pour
ne pas quitter sa mère) et impose à l’enfant la loi manquante du père. C’est cette configuration qui permet à l’enfant
(qui craint une réhospitalisation qui
mettrait un terme à sa toute-puissance)
de reprendre l’école.
L’ANGOISSE DE
DÉPERSONNALISATION
Elle est d’un autre ordre. Il s’agit d’un moment où les parents parlent de « disjonctage », de « possession », d’impression de
« deux personnes ». Ces épisodes sont
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considérés aujourd’hui comme comportant un risque d’être un mode d’entrée
dans la schizophrénie infantile très précoce, car l’enfant manifeste une dissociation de ses contenus psychiques, dont il
ne parvient plus dans ces moments-là à
maintenir l’unité. Un suivi pédopsychiatrique est nécessaire, et le consensus se
dirige aujourd’hui vers la mise en place
d’un traitement précoce psychothérapique et/ou médicamenteux. On estime
que la prolongation d’un vécu altérant
son rapport à la réalité est un élément
pronostique négatif, d’où l’importance de
ne pas banaliser ces épisodes.
LES ATTAQUES DE PANIQUE
Dans ces manifestations, la symptomatologie disparaît au bout de quelques
semaines de traitement avec un antidépresseur de type IRSS (la paroxétine est
le traitement de choix, mais il n’a pas
l’AMM chez l’enfant, et le Zoloft® à 25,
50 ou 75 mg est le traitement le plus
souvent prescrit). Cela ne dispense pas
d’un suivi psychothérapique, mais ce
sont généralement des patients qui ont
du mal à parler, sauf de leurs crises. On
retrouve souvent, à l’origine de ces attaques (sans que le patient lui-même
fasse le lien), un événement traumatique de type deuil, perte, rupture,
contrariété refoulée.
CONCLUSION
L’angoisse est, chez l’enfant, un symptôme à la fois fréquent et polysémique. Il
vaut toujours mieux en rechercher le
sens que de masquer la souffrance par
un médicament dont l’effet ne va durer
que le temps de sa prise.
L’angoisse prend des formes différentes
selon les problèmes sous-jacents de personnalité. Mais elle peut aussi évoluer
dans sa symptomatologie au cours de la
vie de l’enfant. Chez le même enfant, on
peut voir des phobies succéder à des attaques de panique, puis être suivies,
quelques années plus tard, de somatisations ou d’angoisses de dépersonnalisation. L’important est toujours d’aider le
patient à établir des liens au long cours,
à avoir, plutôt qu’un médicament, des
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clés lui donnant accès au sens de ses
symptômes, lesquels en ont toujours un,
même s’il est parfois inaccessible dans
l’immédiat.
L’anxiété parentale projetée sur l’enfant
n’était pas le sujet du présent article,
mais elle constitue un chapitre important des perturbations interactives parent-enfant. En effet, certaines pathomimies, la répétition de demandes
d’examens médicaux ou d’examens
complémentaires, les fausses croyances
concernant des pathologies infantiles
menant à une surprotection ne sont pas
rares. Au maximum, on trouve le syndrome de Münchhausen par procuration, qui est considéré comme une forme de maltraitance.
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