Correspondances en Onco-Hématologie - Vol. IX - n° 2 - mars-avril 2014
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La thrombose dans le myélome multiple
hémopathies malignes (4). Les thromboses sont alors liées
à l’hémopathie elle-même (fréquemment les syndromes
myéloprolifératifs [SMP] ou le myélome multiple [MM])
ou à ses traitements (tels que la L-asparaginase ou les
IMiD, molécules immunomodulatrices).
Sur le plan physiopathologique, les événements
thrombo emboliques veineux sont déclenchés par l’asso-
ciation de 3 éléments présents dans tous les cancers,
à des degrés divers :
✓une stase veineuse ;
✓une hypercoagulabilité ;
✓des lésions endothéliales.
On parle de triade de Virchow. Aujourd’hui, l’estimation
du risque thrombotique conditionne la prise en charge
des patients atteints d’un cancer, et cela s’applique tout
particulièrement à la prise en charge thérapeutique
du MM. Cette estimation doit prendre en compte les
facteurs de risque liés au patient, à sa maladie, ainsi
qu’à son traitement afi n de déterminer la meilleure
approche prophylactique, l’évaluation du risque partici-
pant également pleinement à la décision et à l’éducation
thérapeutique des patients (5).
Dans cet article vont être abordées les caractéristiques
ainsi que la prise en charge des thromboses dans le cas
particulier du MM, et plus spécifi quement de celles liées
à l’utilisation de la classe thérapeutique des IMiD, tels
que le lénalidomide, le thalidomide et plus récemment
le pomalidomide.
Épidémiologie et physiopathologie
Incidence des thromboses
Les patients atteints de MM présentent un risque accru
de thromboses par rapport à la population générale.
L’incidence des événements thromboemboliques vei-
neux se rapproche en eff et de 10 % depuis l’introduction
des IMiD (6), allant même jusqu’à 30 à 50 % en l’absence
de prophylaxie adaptée. Une partie de ce risque semble
intrinsèquement lié à la pathologie plasmocytaire,
puisque l’on retrouve également une augmentation
du risque thromboembolique dans les gammapathies
monoclonales de signifi cation indéterminée (Monoclonal
Gammopathy of Undetermined Signifi cance [MGUS]) avec
une incidence pouvant aller jusqu’à 7,5 % (7, 8), ce qui
suggère un rôle indépendant de l’isotype de l’immuno-
globuline monoclonale (IgG ou IgA). Cette incidence est
donc équivalente à celle rapportée dans le MM, tradui-
sant que la survenue d’un événement thrombotique n’est
pas uniquement associée à la progression en MM (9).
Depuis l’avènement du thalidomide dans le MM, une
augmentation franche de l’incidence des compli-
cations thromboemboliques veineuses, et dans une
moindre mesure artérielles, a été constatée (10). Cela
s’est confi rmé avec le développement des autres IMiD,
ce qui suggère un eff et de classe, et a contribué à placer
le MM traité par IMiD en tête de liste des situations à
risque thrombotique en hématologie.
Physiopathologie des thromboses
La physiopathologie de ces événements est multi-
factorielle et résulte de mécanismes complexes.
Le composant monoclonal, d’une part, est responsable
d’une dysfonction plaquettaire qualitative, avec en
particulier une majoration des capacités d’adhésion
et d’agrégation (11), ainsi qu’une altération de l’assem-
blage de la fi brine via l’augmentation des protofi brilles
de fi brine (12). Cette thrombopathie peut être majo-
rée par les IMiD, en raison du relargage d’enzymes
contenues dans les granulations azurophiles des pro-
myélocytes, ces derniers s’accumulant en raison du
blocage de maturation granulocytaire induit par le
lénalidomide (13). Par ailleurs, on observe dans le MM
un taux élevé de microparticules transportant le facteur
tissulaire, et l’absence de normalisation de ce taux sous
traitement favorise la survenue d’une thrombose (14).
D’autre part, la cellule tumorale elle-même joue un
rôle néfaste, par son interaction avec les cellules du
micro environnement et notamment avec les cellules
endothéliales (6, 15). Cette interaction entraîne le relar-
gage de cytokines pro-infl ammatoires (TNF, IL-1, IL-6),
et participe à l’instauration d’un état d’hypercoagu-
labilité via l’augmentation de facteurs procoagulants
tels que le facteur VIII et le facteur de von Willebrand −
dans un contexte de néovascularisation induite par la
tumeur, à laquelle participe également l’élévation du
VEGF − et via des phénomènes de résistance acquise
à la protéine C activée (15). Ces phénomènes sont
majorés par le thalidomide et le lénalidomide, en par-
ticulier dans les 2 premiers mois de traitement (16).
Les IMiD entraînent également une diminution de
la thrombomoduline soluble (17) et une augmenta-
tion de l’expression de protéines prothrombotiques
à la surface des cellules endothéliales (notamment
PAR-1 [Protease-Activated Receptor 1], récepteur à la
thrombine responsable de l’activation des plaquettes)
[18]. Par ailleurs, la dexaméthasone et la doxorubicine
favorisent l’expression de molécules d’adhésion (ICAM-
1, VCAM-1, E-sélectine), altérant par ce biais la voie
de coagulation intrinsèque (19). Les fortes doses de
dexaméthasone sont également responsables d’un
eff et antifi brinolytique (20), une altération de la fi bri-
nolyse étant également constatée dans les premiers
mois d’un traitement par IMiD (21).