SOINS ONCOLOGIQUES DE SUPPORT Prévention du risque thromboembolique au cours du cancer : mieux informés, les patients pourraient nous aider How to improve thromboembolism care with patient support? F. Scotté*, D. Mayeur** L * Hôpital européen Georges Pompidou, service d’oncologie médicale et unité fonctionnelle de soins de support, Paris. ** Hôpital André-Mignot, service d’oncohématologie, Le Chesnay. a thrombose est une pathologie qui complique de nombreuses situations cliniques, notamment les cancers, mais dont la prévention a fait la preuve de son efficacité. Pourtant, l’insuffisance de prise en charge du risque thromboembolique, notamment chez les patients cancéreux, est démontrée par de nombreuses études. Qu’il s’agisse de patients hospitalisés ou ambulatoires, moins de 1 malade sur 2 en moyenne est correctement protégé vis-à-vis de la thrombose, alors que de (trop ?) nombreuses recommandations ont été publiées et que les facteurs de risque sont bien connus. Quels sont donc les freins à cette prescription préventive ? La crainte de la iatrogénie ? L’attention portée au traitement de la pathologie première qui fait oublier le reste ? Le poids des habitudes ? Il semble en tout cas difficile de modifier nos comportements médicaux. À l’instar d’autres pathologies, le changement pourrait venir des patients eux-mêmes, de plus en plus acteurs de leur prise en charge. Dans le domaine de la thrombose, ils sont encore très peu informés, comme le montrent des enquêtes récentes. Cependant, dans les pays anglo-saxons, des structures d’information ont été créées et des programmes ambitieux sont mis en place pour sensibiliser le grand public. Dans quelle mesure ces programmes pourraientils être appliqués chez nous ? Le but de cet article est de faire un rapide état des lieux des pratiques et d’approfondir la réflexion sur le rôle du patient dans l’amélioration de la prise en charge du risque thromboembolique. 172 | La Lettre du Cancérologue • Vol. XXI - n° 3 - mars 2012 Prise en charge de la maladie thromboembolique chez les patients cancéreux : un besoin médical non satisfait Les liens entre cancer et thrombose sont maintenant bien connus. On sait tout d’abord que la présence d’une pathologie cancéreuse augmente l’incidence des événements thromboemboliques (ETE), et il suffit pour s’en convaincre de citer quelques chiffres : l’incidence globale des thromboses veineuses profondes et embolies pulmonaires serait de 1 pour 200 patients cancéreux, soit environ 5 fois plus élevée que dans la population générale (1) ; près de 10 % des patients cancéreux décèdent d’ETE, ce qui en fait la deuxième cause de mortalité dans cette population (2) ; la survenue d’une thrombose “idiopathique” révèle en fait l’existence d’un cancer dans 10 à 20 % des cas (3) ; la survenue d’un ETE multiplie par 2,2 le risque de décès chez un patient cancéreux (4) ; enfin, les thromboses associées au cancer sont de plus en plus fréquentes : le pourcentage d’hospitalisations qui se compliquent de thrombose veineuse serait passé de 3,6 % à 4,6 % entre 1995 et 2003 (5). La physiopathologie de la thrombose au cours de la maladie cancéreuse est aujourd’hui mieux connue. Elle est complexe, multifactorielle et comporte un cercle vicieux : les cellules cancéreuses libèrent des facteurs procoagulants alors que les différents acteurs de l’hémostase contribuent à la diffusion SOINS ONCOLOGIQUES DE SUPPORT tumorale (figure 1). De plus, de nombreuses conditions liées au cancer sont directement ou indirectement prothrombogènes (inflammation, hospitalisation, contexte chirurgical, traitement par chimiothérapie, présence de dispositifs intravasculaires) [3]. Des recommandations ont été publiées pour guider la conduite à tenir. Si elles ne sont pas parfaitement identiques (tableau I), elles s’accordent sur le fait que tout patient hospitalisé doit faire l’objet d’une évaluation soigneuse du risque thromboembolique et que les patients ainsi identifiés (patients alités le plus fréquemment) doivent recevoir une thromboprophylaxie adaptée. Pourtant, en dépit de l’amélioration des connaissances dans ce domaine, de nombreuses études montrent un écart important entre recommandations et pratique courante. Les médecins et les équipes soignantes sont sensibilisés à la problématique de la thrombose, mais, concrètement, ils ne respectent pas toujours les procédures et les recommandations publiées (13). Même chez les patients hospitalisés, la prévention des thromboses est sous-utilisée. Aux États-Unis, l’analyse des dossiers de 350 patients traités pour pathologie médicale dans un hôpital universitaire et présentant des facteurs de risque avérés de thrombose a montré que seulement 51 % de ces patients avaient reçu une prophylaxie pour les ETE, les patients cancéreux faisant partie des moins bien protégés dans ce domaine (14). Une très grande étude internationale, ENDORSE, a analysé le profil des patients hospitalisés dans 32 pays et leur degré de couverture antithrombotique. La moitié environ des patients étaient considérés comme à risque de thrombose (critères de l’American College of Chest Physicians [ACCP]), et, parmi ceux-ci, les patients “médicaux”, par opposition aux patients “chirurgicaux”, n’étaient que 39,5 % à recevoir une prophylaxie des ETE (15). Nos voisins suisses ont réalisé un gros travail d’évaluation des pratiques au travers de plusieurs études cliniques dont la synthèse a été publiée récemment (16). On y apprend que, même si les recommandations sont globalement mieux suivies que dans d’autres pays, 56 % des patients cancéreux hospitalisés et à risque de thrombose ne reçoivent aucune prophylaxie. Une autre de leurs enquêtes a montré que, parmi les patients cancéreux ayant présenté un ETE, 40 % n’avaient reçu aucune prophylaxie et que le statut ambulatoire était associé à une moindre prescription d’anticoagulants. La prophylaxie est souvent mieux respectée en cas d’intervention chirurgicale ; mais l’extension Activités procoagulantes Activités fibrinolytiques Cellules tumorales Cytokines et facteurs de croissance Modification de la matrice extracellulaire Activation de la coagulation Activation des cellules endothéliales Angiogenèse Figure 1. Physiopathologie des thromboses associées au cancer (6). Tableau I. Recommandations pour la prophylaxie de la thrombose chez les patients cancéreux : ASCO® (17), NCCN (18), AIOM (19), IUA (10), ACCP (11), ESMO (12). Patient hospitalisé/alité ASCO® : HNF, HBPM ou fondaparinux en l’absence de CI ou saignement NCCN : anticoagulants ou prophylaxie mécanique si contre-indication aux anticoagulants AIOM : HBPM en cas de complication médicale aiguë IUA : HNF à faible dose ou HBPM ACCP : HNF à faible dose ou HBPM ou fondaparinux. Pas d’aspirine ESMO : HNF, HBPM ou fondaparinux en cas de complication médicale aiguë Patient ambulatoire traité par chimiothérapie ASCO® : pas de prophylaxie systématique NCCN : prophylaxie à envisager dans les situations à haut risque AIOM : pas de prophylaxie systématique ESMO : pas de prophylaxie systématique Patient ambulatoire porteur d’un myélome traité par thalidomide ou lénalidomide plus chimiothérapie ou dexaméthasone ASCO® : HBPM ou warfarine (INR ≈ 1,5) ESMO : HBPM ou warfarine (INR ≈ 1,5) Cancer du sein avancé sous chimiothérapie IUA : AVK (INR entre 1,3 et 1,9) CI : contre-indication ; HBPM : héparine de bas poids moléculaire ; HNF : héparine non fractionnée. de la prévention après l’opération lors du retour à domicile n’est mise en place que chez 23 % des patients ayant subi une chirurgie carcinologique, contre 77 % de ceux qui ont subi une intervention orthopédique (p < 0,001). Ainsi, seuls 7 % des patients opérés d’un cancer bronchique ont eu une prescription d’anticoagulants à la sortie de l’hôpital (16). La Lettre du Cancérologue • Vol. XXI - n° 3 - mars 2012 | 173 SOINS ONCOLOGIQUES DE SUPPORT Le traitement d’une thrombose avérée n’est pas non plus totalement en phase avec les recommandations de l’ACCP (17), puisque l’anticoagulation à long terme (au moins 12 mois) n’a été prescrite que chez 47 % des patients cancéreux (16). Bien évidemment, l’absence de traitement anticoagulant peut être justifiée médicalement. Dans le cadre d’un cancer notamment, le risque accru de saignement rend la prise en charge antithrombotique plus délicate (3, 5). En dépit de ces réserves, il convient de reconnaître clairement la sous-utilisation de l’anticoagulation, aussi bien pour la prévention que pour le traitement. Les patients hospitalisés sont peu nombreux à recevoir une prophylaxie correcte ; la situation est encore plus mauvaise pour les patients ambulatoires, et les patients cancéreux paraissent souvent figurer parmi les plus mal lotis (16). Risque thromboembolique : les patients cancéreux sont sous-informés Le rôle des patients dans la prise en charge de leur maladie est de plus en plus mis en avant, du moins en théorie : patient informé, patient acteur, patient responsable… Qu’en est-il en réalité ? Dans le domaine de la thrombose, il semblerait que l’on soit encore bien éloigné de ces objectifs louables. Nous n’avons pas trouvé de données françaises sur 100 Information des patients (%) 80 Hospitalisés (n = 206) Ambulatoires (n = 294) * p < 0,05 60 45 %* 40 37 %* 24 %* 20 15 % 9% 14 % 0 Thrombose veineuse profonde Embolie pulmonaire Risque de caillot Figure 2. Connaissance par les patients des termes de thrombose veineuse profonde ou d’embolie pulmonaire et du risque de caillot associé au cancer (18). 174 | La Lettre du Cancérologue • Vol. XXI - n° 3 - mars 2012 le niveau de connaissance des patients, mais les Américains ont réalisé depuis quelques années des travaux intéressants. Une enquête, dont les résultats ont été présentés au congrès de l’ASCO® en 2011, a été menée chez 500 patients cancéreux hospitalisés (206 patients) ou ambulatoires (294) [18]. Les trois quarts (76 %) des participants n’avaient jamais entendu parler de thrombose veineuse profonde, et ce pourcentage s’élevait à 85 % pour l’embolie pulmonaire (figure 2). L’ignorance de ces termes était significativement plus marquée pour les patients ambulatoires (85 % et 91 % respectivement). Alors que 27 % de l’ensemble des patients se rappelaient avoir entendu leur médecin parler d’un risque de formation de caillots sanguins à cause du cancer, ce n’était le cas que de 14 % des patients ambulatoires. La moitié seulement (48 %) des patients s’étaient vu recommander de se lever et de marcher. Une autre étude américaine publiée récemment ne concernait que des patients ambulatoires traités pour cancer dans un centre spécialisé (19). Parmi les 190 individus ayant répondu au questionnaire, 53 % n’étaient pas conscients d’un risque augmenté de thrombose en lien avec leur pathologie cancéreuse. Pourtant, plus de la moitié des patients interrogés recevaient un traitement par chimiothérapie, et 20 % avaient une maladie métastatique. En revanche, 74 % des sujets savaient que la thrombose était évitable. Chez ceux qui avaient reçu une information sur le risque de thrombose, celle-ci venait du médecin dans la majorité des cas (73 %), les autres sources d’information étant l’Internet et d’autres médias (8 %) ou des documents spécifiquement destinés aux patients (8 %). On citera une dernière étude, plus générale, conduite sur 48 patients hospitalisés recevant un traitement anticoagulant par héparine de bas poids moléculaire (HBPM) [20]. Les 7 patients cancéreux représentaient 15 % de l’ensemble de cette petite cohorte. Dans cette population particulière, la connaissance des termes “thrombose veineuse profonde” et “embolie pulmonaire” était bien sûr plus importante, encore qu’incomplète (81 %). Mais la compréhension de ces pathologies et de leur présentation clinique était très mauvaise (tableau II). Pour la thrombose veineuse profonde, 42 % des patients savaient qu’elle était liée à la présence d’un caillot sanguin, 42 % pouvaient citer des signes cliniques comme la douleur et le gonflement du membre inférieur, 32 % pouvaient citer des facteurs de risque (transport aérien, accouchement, alitement) et 26 % connaissaient quelques complications associées, SOINS ONCOLOGIQUES DE SUPPORT Tableau II. Niveau de connaissance sur les thromboses veineuses profondes et les embolies pulmonaires chez des patients hospitalisés traités par injections d’HBPM (20). Thrombose veineuse profonde Embolie pulmonaire Sait que la pathologie est liée à l’existence d’un caillot sanguin 41,9 % 41,9 % Sait décrire quelques signes cliniques et symptômes 41,9 % 22,6 % Sait citer quelques facteurs de risque 32,2 % Pas de données Peut citer une ou plusieurs complications 25,8 % Pas de données Pas de données 13,0 % A entendu parler de la pathologie mais est incapable de donner la moindre information à son sujet 22,6 % 51,6 % N’a jamais entendu parler de thrombose veineuse profonde ni d’embolie pulmonaire 18,8 % Pas de données Sait que la pathologie engage le pronostic vital mais seulement 10 % avaient compris le mécanisme de migration du caillot vers les poumons. Quant à l’embolie pulmonaire, 42 % savaient qu’elle était liée à la présence d’un caillot sanguin, mais 52 % n’étaient pas capables de décrire correctement la pathologie et 26 % n’en connaissaient pas les symptômes. Le cancer n’était identifié comme un facteur favorisant que par 19 % des patients. D’une façon générale, il apparaît que les patients, même ceux traités par HBPM, ont des connaissances très limitées sur la maladie thromboembolique et ses manifestations cliniques. Parmi ceux qui souffrent de cancer, entre la moitié et les trois quarts ne connaissent pas l’existence d’un lien entre cette pathologie et le risque de thrombose. Comment réduire la morbimortalité par événement thromboembolique chez les patients cancéreux ? Une thromboprophylaxie bien conduite a prouvé son efficacité dans la réduction de la morbi-mortalité ; elle fait même partie des interventions les plus efficaces pour améliorer la sécurité des patients (tableau III). Une bonne application des recommandations devrait donc conduire à une diminution des ETE dans les populations à risque. Identifier les patients cancéreux à risque particulièrement élevé Si, globalement, le cancer est reconnu comme un facteur favorisant de la thrombose, le degré de risque varie sensiblement en fonction du type de cancer, Tableau III. Facteurs expliquant la morbimortalité par événement thromboembolique (21). • Insuffisance de thromboprophylaxie ou prophylaxie inadaptée chez les patients à risque • Diagnostic tardif des thromboses distales • Manque d’information et de connaissances des patients et du public au sujet de la pathologie thromboembolique et de ses conséquences • Utilisation inappropriée ou insuffisante des anticoagulants en cas de thrombose constituée du stade de la maladie et du traitement reçu. Schématiquement, parmi les tumeurs solides, les plus thrombogènes sont les cancers du pancréas, du côlon, de l’ovaire, du cerveau et du poumon (3). Cependant, en raison de leur fréquence élevée, des tumeurs associées à un moindre risque, comme celles du sein ou de la prostate, sont responsables d’une grande partie des ETE liés au cancer. D’autre part, pour un type de cancer donné, le risque d’ETE augmente entre le stade localisé et le stade métastatique, qui est beaucoup plus thrombogène (3). L’incidence des ETE est ainsi multipliée par 2 selon certaines études (22) et jusqu’à plus de 6 pour d’autres (23). Enfin, le traitement du cancer peut lui-même augmenter le risque de thrombose : la chirurgie, la chimiothérapie et l’hormonothérapie, certains antiangiogéniques, la présence d’un cathéter intravasculaire, ou même des molécules utilisées dans les soins de support, comme l’érythropoïétine recombinante, sont associés à une augmentation de l’incidence des ETE (6). Il apparaît donc que le risque d’ETE est augmenté, pour diverses raisons, chez quasiment tous les patients cancéreux, qui devraient en théorie bénéficier de mesures prophylactiques, pharmacologiques ou non, et d’un dépistage attentif des complications thromboemboliques. Ce dépistage doit s’appuyer La Lettre du Cancérologue • Vol. XXI - n° 3 - mars 2012 | 175 SOINS ONCOLOGIQUES DE SUPPORT sur plusieurs éléments : un examen clinique attentif, l’interprétation de marqueurs biologiques et le dialogue avec le patient. Parmi les marqueurs, certains sont utilisés de longue date mais n’ont rien perdu de leur intérêt, comme la numération plaquettaire (l’hyperthrombocytose étant un indicateur de risque), la protéine C réactive (CRP) ou le dosage des D-dimères. Le score de Khorana peut être utilisé en routine (24) [tableau IV]. D’autres éléments, plus modernes, ne sont pas forcément utilisés en routine mais doivent être connus par les cliniciens : P-sélectine (25), facteur tissulaire, anticorps antiphospholipides et microparticules (26). Tableau IV. Modèle prédictif de Khorana. Critères Score Site du cancer primitif : – estomac, pancréas – poumon, lymphome, gynécologique, vessie, testicule 2 1 Taux de plaquettes ≥ 350 000/mm3 avant chimiothérapie 1 Hémoglobine < 10 g/dl ou utilisation d’agent stimulant de l’érythropoïèse (ASE) 1 Taux de leucocytes > 11 000/mm3 1 Indice de masse corporelle ≥ 35 kg/m2 1 Incidence (sur une durée médiane de 2,5 mois) Risque Score Incidence des ETE (%) 0 0,3 Intermédiaire 1-2 2,0 Élevé ≥3 6,7 Bas Éduquer les soignants De nombreuses actions sont mises en place dans les hôpitaux pour améliorer la prescription d’une prophylaxie antithrombotique et favoriser le respect des recommandations. On sait que, comme dans d’autres domaines, la simple diffusion passive des recommandations ne modifie pas les comportements et que des stratégies actives doivent être imaginées (27). Par exemple, les rappels de prescription d’une prophylaxie par des alertes, transmises directement par voie électronique sur les dossiers informatisés des patients, améliorent significativement la thromboprophylaxie, au niveau quantitatif et qualitatif, surtout lorsque ces alertes se produisent de façon répétée (28). Ainsi, une étude récente a montré que les médecins qui recevaient 2 nouvelles alertes électroniques lorsqu’ils déclinaient la première proposition prescrivaient fina- 176 | La Lettre du Cancérologue • Vol. XXI - n° 3 - mars 2012 lement une thromboprophylaxie chez 58 % des patients, alors que ceux qui ne recevaient qu’une seule alerte ne prescrivaient que dans 51 % des cas (28). Dans une autre étude, la mise en place d’alertes électroniques régulières a fait passer le pourcentage de patients recevant une prophylaxie appropriée de 44 % à 76 % (29). Un programme mis en place par des pharmaciens hospitaliers et destiné aux médecins et aux infirmières, comportant des lettres d’information, des présentations dans les services et des formations sur la qualité des soins, a permis d’augmenter la prescription de la prophylaxie antithrombotique de 43 % avant l’intervention à 58 % après (30). Ce programme a également amélioré la qualité de la prescription, qui était appropriée dans 38 % des cas avant intervention et 49 % après (p = 0,006) et optimale dans 11 % des cas avant intervention et 44 % après (p < 0,001). Le résultat de chacune de ces actions pédagogiques est parfois modeste, mais chaque progrès est important, et, surtout, c’est la combinaison de plusieurs interventions actives qui donne les meilleurs résultats et peut assurer l’optimisation de la mise en œuvre d’une thromboprophylaxie adéquate (figure 3) [31]. De même, la multiplicité des intervenants est importante, et, à cet égard, infirmières et pharmaciens peuvent être des acteurs de premier plan. Les infirmières peuvent procéder à l’estimation du niveau de risque de thrombose à l’aide d’outils adaptés (grilles d’évaluation), elles sont en première ligne lors de la réalisation des injections pour délivrer des messages sur les complications possibles des thromboses veineuses profondes et l’importance du traitement. Enfin, elles doivent être alertées sur les risques hémorragiques des patients sous anticoagulants et doivent savoir dépister ce type de complications. Les pharmaciens ont un rôle clé pour l’information des patients ambulatoires et pour la surveillance des prescriptions à l’hôpital. Il faut enfin profiter de l’existence des réseaux en oncologie qui font le lien entre la ville et l’hôpital et entre les différents soignants. On peut regretter à cet égard que les médecins vasculaires ne soient pas plus intégrés dans ces réseaux, car ils jouent un rôle majeur dans la prévention, le diagnostic et le traitement des complications thromboemboliques (3). Quant aux réseaux régionaux et territoriaux, ils devraient veiller à l’implémentation du référentiel thrombose proposé par l’Association francophone pour les soins oncologiques de support (Afsos) lors des journées de mise en commun des référentiels interrégionaux des soins de support qui se sont tenues en décembre 2011 à Reims, disponible sur le site de l’Afsos (afsos.org). SOINS ONCOLOGIQUES DE SUPPORT Informer les patients Pré Post 100 Patterson McEleny Durieux McCarthy Taylor Ryskamp Birks Aouizerate 80 Hall Harianth Oghoetuoma Huang Frankel Stratton Macdonald 60 Devlin (%) Très faiblement informés des pathologies et du risque thromboemboliques, les patients n’ont aujourd’hui pas les moyens d’influencer positivement les pratiques médicales et ne sont pas forcément motivés pour suivre des recommandations qu’ils comprennent mal. Or, la sensibilisation au risque peut les inciter à mieux respecter les règles de mobilisation ou de contention. La connaissance des signes cliniques de phlébite et d’embolie pulmonaire permet d’alerter un médecin ou une infirmière qui n’aura pas pu mener un interrogatoire suffisamment précis. Enfin, une perception adéquate du risque d’embolie pulmonaire à partir d’une thrombose veineuse profonde ne peut que favoriser l’observance du traitement anticoagulant. Un patient informé se prend mieux en charge et observe davantage son traitement. L’information donnée au patient doit donc être la plus complète possible. Sachant que la répétition des messages accroît la mémorisation, chaque professionnel de santé au contact du patient doit lui rappeler régulièrement les notions élémentaires concernant l’accroissement général du risque thromboembolique en cas de cancer, l’augmentation du risque dû à un contexte particulier comme l’alitement ou certains types de traitement, les premiers signes de thrombose veineuse profonde ou d’embolie pulmonaire, l’importance du respect des règles de prophylaxie. D’autres vecteurs d’information peuvent être utilisés pour améliorer la connaissance du risque thromboembolique chez les patients : plaquettes et brochures mises à disposition dans les salles d’attente ou remises par le médecin aux patients les plus concernés, explications délivrées par les pharmaciens pour les patients ambulatoires mais aussi, en dehors de tout contexte médical, opérations de communication diffusées par les grands médias tels que télévision, radio ou Internet. Ces médias permettent d’élargir l’audience à des individus qui ne sont peut-être pas directement concernés mais qui peuvent l’être dans le futur ou qui sont en contact avec des malades. C’est tout le sens des campagnes de sensibilisation destinées au grand public, encore peu développées en France mais déjà ancrées dans la culture anglosaxonne. Dans ces pays, à la suite de quelques événements emblématiques, comme le décès par ETE de personnes jeunes ou célèbres, des initiatives ont été prises pour faire connaître la thrombose. Aux ÉtatsUnis, le Sénat a déclaré en 2005 que mars serait le mois de la thrombose. Plusieurs associations de patients (Thrombophilia Awareness Project, National Burns Ageno 40 Bratzler Ahmad Arnold 20 0 Stratégie passive Aide à la décision par ordinateur Audit et retour Aide documentaire Assurance qualité Plusieurs stratégies utilisées Figure 3. Principales études évaluant l’efficacité de stratégies destinées à favoriser la thromboprophylaxie : pourcentage de patients recevant une prophylaxie adéquate avant et après intervention (31). Blood Clot Alliance) ou sites Internet d’information (ClotCare) ont été créés (21). Les professionnels de santé soutiennent ces mouvements et organisent des réunions communes. Au Royaume-Uni, où la semaine nationale de la thrombose a lieu chaque année en mai (32), des actions similaires ont été lancées grâce à des initiatives personnelles émanant de médecins ou de patients et de familles touchés par des ETE. Programmes d’éducation, groupes de travail sur la thrombose dans les hôpitaux, stands d’information et recommandations largement diffusées représentent quelques aspects du travail de ces groupes. Avec une telle sensibilisation, on peut imaginer qu’un véritable dialogue entre patient et soignant remplace une communication qui est parfois à sens unique et que ce soit le patient demain qui aborde spontanéLa Lettre du Cancérologue • Vol. XXI - n° 3 - mars 2012 | 177 SOINS ONCOLOGIQUES DE SUPPORT ment la question de la thrombose au cours d’une consultation. Bien informé, celui-ci se sentirait apte à poser des questions et à discuter avec le médecin, obligeant celui-ci à réfléchir à ses pratiques et à justifier sa décision thérapeutique. Conclusion Le pourcentage de patients pour lesquels les recommandations de thromboprophylaxie sont suivies demeure beaucoup trop faible. Pourtant, la prise en charge du risque thromboembolique représente un des enjeux majeurs de la prise en charge des malades cancéreux. Il convient donc de mettre en place des stratégies actives d’information et de sensibilisation tant auprès des équipes médicales que des patients, dont la méconnaissance des risques encourus reflète quelques défaillances dans la communication entre soignants et malades. Les malades porteurs d’un cancer, leur famille et, au-delà, le grand public, devraient donc être mieux informés sur la pathologie thromboembolique en général, cause de tant de décès évitables, et sur son efficace prévention. ■ Références bibliographiques 1. Lee AY, Levine MN. Venous thromboembolism and cancer: risks and outcomes. Circulation 2003;107:I17-21. 2. Khorana AA, Francis CW, Culakova E et al. 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Retrouvez l’intégralité des références bibliographiques sur www.edimark.fr ZY^bVg` LESS EEXPERTS XPERTTS ET LA LA LETTRE LETTR VOUS V LIVRENT LEUR REGARD SUR VOS SPÉCIALITÉS Retrouvez-les sur www.edimark.tv * Nouveau Oncologie ORL Dr SSé D Sébastien ébas éb astti tiien enn A ALBERT, LBER LBE LB BERT BE RT, P Prr R René-J Re René-Jean BENSADOUN, Dr Philippe CÉRUSE, Dr Sylvie CLAUDIN, Pr Sandrine FAIVRE, Pr Joël GUIGAY, Dr Frédéric KOLB, Pr Jean-Louis LEFEBVRE, Dr Frédéric PEYRADE, Dr Patrick SOUSSAN, Dr Stéphane TEMAM, Dr Alain TOLEDANO Sénologie Dr Fl FFlorence Floren rence LER LEREB LEREBOURS, EB BOU Dr Anne LES1UR, Dr Rémy SALMON, Pr Laurent ZELEK Oncologie digestive Nouveau René ADAM, Thomas APARICIO, Pr R enéé A ADAM DAM M, P Prr TThom omas as APA APARIC RICIO, Dr Pascal ARTRU, Dr Frédéric DI FIORE, Pr Michel DUCREUX, Dr Éric FRANÇOIS, Dr Astrid LIÈVRE, Pr Jean-Marc PHELIP, Dr Denis SMITH, Pr Jean-Philippe SPANO, Pr Julien TAÏEB, Dr Christophe TOURNIGAND, Pr Marc YCHOU Oncologie thoracique Dr B D Benjamin enjjamiin BES BESSE BESSE, SE, Pr Pr D Dominique omini i iquee G GR GRUNENWALD, RUN RUNEN Pr Jean-François MORÈRE, Pr Françoise ç MORNEX,, Dr Maurice PÉROL, Dr Gilles ROBINET, Pr Jean TRÉDANIEL Psycho-oncologie Dr Sar SSarah arah ah DAU AUCHY DAUCHY * Inscription immédiate et gratuite résevée aux professionnels de santé. Sous l’égide de Directeur de la publication : Claudie Damour-Terrasson Rédacteur en chef : Pr Jean-François Morère Avec le soutien institutionnel de SOINS DE SUPPORT EN ONCOLOGIE Références bibliographiques (suite de la p. 178) 8. National Comprehensive Cancer Network. Clinical practice guidelines in Oncology. Venous thromboembolic disease v2 2008. In Edition 2008. 9. Mandala M, Falanga A, Piccioli A et al. Venous thromboembolism and cancer: guidelines of the Italian Association of Medical Oncology (AIOM). Critical Rev Oncol Hematol 2006;59(3):194-204. 10. Nicolaides AN, Fareed J, Kakkar AK et al. Prevention and treatment of venous thromboembolism. International Consensus Statement (guidelines according to scientific evidence). Int angiol 2006;25(2):101-61. 11. Geerts WH, Bergqvist D, Pineo GF et al. Prevention of venous thromboembolism: American College of Chest Physicians Evidence-Based Clinical Practice Guidelines (8th Edition). Chest 2008;133:381S-453S. 12. 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