Cancer et thrombose - chu

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Cancer et thrombose : questions sur une dualité infernale
Bulletin infirmier du Cancer. Volume 11, Numéro 2, 31-5, Avril - Mai - Juin 2011, Symposium des 14es RIO « Cancer et thrombose »
Auteur(s) : I. Elalamy, Symposium organisé par les laboratoires LEO Pharma Ismail Elalamy Service
d’Hématologie biologique, Hôpital Tenon, Paris .
ARTICLE
Pourquoi un individu développe-t-il une thrombose ?
La thrombose est responsable de l’occlusion du flux sanguin au sein d’un vaisseau engendrant une phlébite,
par exemple s’il s’agit d’une veine des membres inférieurs, ou d’un infarctus du myocarde s’il s’agit d’une
coronaire. Elle ne survient pas de façon inopinée, mais elle est généralement le résultat d’un phénomène
plurifactoriel combinant trois types de facteurs. On pourrait ainsi parler d’un « drame en trois dimensions ».
Tout d’abord, le terrain prédisposant, avec la notion d’antécédents familiaux soulignant le caractère
héréditaire de cette thrombophilie avec des particularités génétiques transmises de génération en
génération. Puis, l’existence de conditions acquises par notre mode de vie, telles un diabète, un surpoids,
des varices ou le tabagisme qui vont majorer ce risque. Un individu qui fume s’expose non seulement au
risque de développer une thrombose artérielle mais il double aussi la probabilité de faire une phlébite. Ajouté
à cela, il y a enfin les conditions dites environnementales, comme la grossesse (une femme enceinte a dix
fois plus de malchance de faire une thrombose qu’une femme qui ne l’est pas), l’existence d’un cancer, le fait
de subir une chirurgie (la chirurgie orthopédique est particulièrement thrombogène), ou l’immobilisation par
un plâtre « sans appui » constituent des circonstances précipitantes et des contextes pourvoyeurs de
thrombose. Voilà pourquoi, la prise en charge des patients doit d’abord passer par une prise de conscience
de ces dimensions multiples et l’évaluation d’un terrain familial particulier, d’éventuelles circonstances
favorisantes acquises et/ou en rapport avec un contexte « à risque ». On parle donc de « facteurs
intrinsèques » liés au patient et de « facteurs extrinsèques » liés à ce qui est autour du patient pour
déterminer un niveau de risque vasculaire plus ou moins élevé. A partir de là, le praticien pourra opposer à
cette menace potentielle une stratégie préventive adaptée.
La relation entre le cancer et la thrombose est-elle établie depuis longtemps
?
La notion de ce lien entre le cancer et la thrombose est ancienne. Dès la moitié du XIXe siècle, un brillant
sémiologue français, Armand Trousseau, a été le premier à relater à ses élèves que la survenue de
thromboses veineuses, idiopathiques, récidivantes ou bilatérales signaient la nature néoplasique chez un
patient se plaignant d’épigastralgies et que dans ce cas, la lésion gastrique traduisait la présence d’un
cancer. Ironie du sort, deux ans après cette communication, Trousseau est décédé d’un cancer de l’estomac
alors qu’il avait luimême présenté des phlébites à répétition. Il a donc ainsi confirmé et validé sa constatation
de médecin : c’était un homme d’expérience ! La relation entre le cancer et la thrombose, c’est, par analogie,
le phénomène de l’iceberg. On ne voit que ce qui dépasse au-dessus du niveau de la mer, qui semble
évident mais en fait le plus gros du problème est caché au fond, sous l’eau. La thrombose contribue au
développement du cancer et le cancer profite de la thrombose pour progresser. Le risque vasculaire associé
au cancer est tout aussi sournois et l’embolie pulmonaire peut survenir brutalement avec des conséquences
dramatiques : on parle de la « mort silencieuse ». Ce traitement anti-thrombotique permet aussi d’éviter au
patient la survenue d’une embolie pulmonaire qui est mortelle une fois sur deux. Le traitement antithrombotique pourrait d’une part limiter la prolifération tumorale en inhibant la génération du caillot qui
protégeait la tumeur de l’action cytotoxique des lymphocytes, tueurs naturels de cellules étrangères, et,
d’autre part, favoriser l’impact du traitement carcinologique.
Pourquoi un patient atteint de cancer développe-t-il une thrombose ?
Tumeur et cancer sont un pléonasme. La tumeur génère et libère naturellement des facteurs pro-coagulants
qui « mettent le feu » dans le compartiment vasculaire et qui favorisent la fabrication de thrombine, enzyme
clé de la coagulation à l’origine de la constitution du caillot. En effet, le patient cancéreux a déjà un important
syndrome inflammatoire qui exacerbe les relations intercellulaires. C’est comme si l’inflammation rajoutait du
bois sur ce « feu ». La paroi vasculaire est de plus en plus adhésive et toutes les cellules interagissent pour
que le sang du patient atteint de cancer soit hypercoagulable, moins fluide et plus prompt à former des
caillots. Il faut donc prendre conscience du risque encouru par un malade atteint de cancer qui serait
également diabétique, en surpoids et grand consommateur de tabac. Il a alors quatre-vingts fois voire plus
de probabilité de développer une thrombose. Si, par malheur, c’est le cas, alors ses chances de survie
seront considérablement réduites.
Quelle est la prévalence de la thrombose chez la personne atteinte de
cancer
La thrombose est intimement associée au développement tumoral. Le cancer profite de la thrombose pour
grossir, croître et se disséminer. C’est véritablement un « Janus », un phénomène à deux faces. Le risque
thrombotique est en général associé au type de tumeur et à son stade évolutif. C’est pourquoi en pratique,
on dit que 20 % des patients atteints de cancer (tous cancers confondus) développent une thrombose. Chez
le patient cancéreux, le risque de récidive thrombotique est trois à quatre fois supérieur par rapport à un
patient non-cancéreux. En cas de chirurgie, le sujet atteint de cancer a trois à quatre fois plus de risque de
faire une thrombose postopératoire qu’un individu non cancéreux.
Estimez-vous que les praticiens prennent suffisamment en considération le
risque thrombotique chez un patient cancéreux ?
Malheureusement, en dépit de l’amélioration de nos connaissances physiopathologiques sur ce lien entre le cancer et la thrombos
le monde médical est particulièrement limitée. Par opposition aux patients chirurgicaux qui sont protégés par la prescription
plus de 85 % des cas, les études révèlent que moins de la moi tié des patients médicaux à risque de thrombose reçoivent une
recommandations internationales et les avis concordants d’experts, près de 70 % des patients atteints de cancer et hospitalisés n
anti-thrombotique.
Certains cancers sont-ils plus thrombogènes que d’autres ?
Comme je l’ai précisé, le risque thrombotique est associé au type histologique et au degré d’évolutivité du
cancer. On sait que les tumeurs dites solides (poumon, pancréas, côlon, estomac et les adénocarcinomes en
général) sont particulièrement pourvoyeuses de pathologies vasculaires ainsi que les glioblastomes (tumeurs
cérébrales). En revanche, le cancer qui est réputé pour être le moins thrombogène de tous, est le cancer du
sein ou le cancer de la prostate sauf s’il est métastatique. Dans ce cas, le risque thrombotique est 4 à 6 fois
supérieur.
Ce risque thrombotique peut-il être aussi lié aux différents traitements anticancéreux ?
En dehors des facteurs liés au patient, génétiques ou acquis qui favorisent le développement d’une
thrombose, il faut souligner l’importance des facteurs environnementaux, et notamment des agents antitumoraux proposés pour la prise en charge thérapeutique. Il s’agit des facteurs extrinsèques comme la
chirurgie, la radiothérapie, la chimiothérapie, l’hormonothérapie, etc. En agressant et en détruisant les
cellules tumorales, la paroi vasculaire et les autres cellules circulantes, puis en stimulant la coagulation, ces
traitements vont logiquement majorer le risque thrombotique. C’est pour cette raison qu’il existe des
recommandations internationales pour les patients atteints de cancer traités en ambulatoire par
chimiothérapie. Le myélome, hémopathie lymphoïde sévère, a vu son pronostic nettement amélioré par les
traitements dits anti-angiogéniques mais qui, couplés à la chimiothérapie et à la corticothérapie à forte dose,
majorent significativement le risque thrombotique. Les patients bénéficiant de cette combinaison
thérapeutique doivent alors recevoir systématiquement une prévention anti-thrombotique adaptée pour
limiter ce risque.
Chez le patient atteint de cancer, le traitement oral par anti-vitamines K
(AVK) a-t-il encore sa place au vu des dernières recommandations ?
Les anti-vitamines K sont des médicaments qui ont rendu de grands services aux patients vasculaires et qui
ont été les premiers anti-thrombotiques oraux utilisés dès 1945. Tout n’est qu’une question de dose !
Effectivement, les AVK à un dosage adapté, avec une surveillance régulière du niveau d’activité
anticoagulante ont rendu un grand service aux patients. Le souci majeur est que ces médicaments ont une
fenêtre thérapeutique très étroite. Ils ont des interférences médicamenteuses très nombreuses et des
interférences alimentaires multiples. Aussi les patients oscillent continuellement entre un niveau
d’hypocoagulation très élevé, donc un risque d’hémorragie grave et une hypercoagulation responsable d'un
risque de récidive thrombotique majeur. De plus, les dernières recommandations de l’Afssaps parues en
2009, précisent que le traitement sous AVK chez un patient atteint de cancer est moins efficace et moins
bien toléré que chez les patients indemnes de cancer. En présence d’un cancer, le traitement prolongé par
héparines de bas poids moléculaire (HBPM) permet une réduction significative et importante du risque de
récidive sans réduction de tolérance. C’est pourquoi l’on préfère des thérapeutiques dont l’effet est plus
prédictible, indépendamment de l’âge, du poids, de la taille et de l’environnement thérapeutique du patient :
les HBPM qui sont des molécules tout aussi anciennes, injectables par voie sous-cutanée.
Pourquoi les HBPM sont-elles les anti-thrombotiques de choix au cours du
cancer ?
Les recommandations nord-américaines, françaises et italiennes proposent les HBPM comme outil
thérapeutique de première ligne pour le traitement anti-throm botique chez le patient atteint de cancer avec
le grade d’évidence de niveau le plus élevé (1A). Il faut prévenir la thrombose chez ces malades aussi
longtemps que le risque persiste. Si elle survient au cours d’un cancer, on doit la traiter durant trois à six
mois par HBPM à dose curative. Le niveau de risque n’étant plus aussi important au cours de l’évolution, il
est nécessaire d’adapter le bouclier à l’agression qu’il y a en face, tout comme un chasseur adapterait le
calibre de ses munitions au gibier qu’il espère rapporter. De plus, on reconnaît aujourd’hui que les HBPM ont
d’autres avantages. Ce sont des anticoagulants multicibles. En plus de leur prédictibilité fiable et de leur
bénéfice anti-thrombotique prouvé et mieux toléré que les AVK, elles ont des effets connexes, anti-tumoraux
selon des premières données cliniques. Ces sucres (les HBPM étant des polysaccharides) auraient des
effets biologiques in vivo qui influenceraient la prolifération tumorale. Par ailleurs, les HBPM, en agissant sur
les cytokines, véritables médiateurs de la relation intercellulaire, ont également un effet anti-inflammatoire.
Diverses enzymes facilitent la dégradation de la matrice extra-cellulaire et la pénétration des cellules
tumorales dans l’espace extra-cellulaire. Les HBPM sont capables d’inhiber à des degrés différents ces «
héparanases » qui facilitent l’effraction vasculaire et la dissémination métastatique. Enfin, des études sont en
cours pour démontrer que l’utilisation précoce des HBPM chez les patients atteints de cancer améliore le
pronostic de ces malades et accroît significativement leur survie. Les HBPM, anticoagulants aux propriétés
multiples, sont les véritables « couteaux suisses » de la stratégie anti-thrombotique. Leurs propriétés
renforcent tout particulièrement leur usage prolongé chez les patients atteints de cancer car elles pourraient
ainsi influencer l’évolution voire même le pronostic de certains cancers.
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