Innervation du fascia recto-vésical de Denonvilliers

ARTICLE ORIGINAL Progrès en Urologie (2000), 10, 53-57
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Innervation du fascia recto-vésical de Denonvilliers
Etude anatomique
Olivier DUMONCEAU
(1)
, Vincent DELMAS
(1, 3)
, Marianne TOUBLANC
(2)
, Laurent BOCCON-GIBOD
(1)
(1) Service d’Urologie, Hôpital Bichat, Paris, France, (2) Service d’Anatomo-Pathologie, Hôpital Bichat, Paris, France
(3) Institut d’Anatomie, Université René Descartes, Paris, France
Dans la prostatectomie radicale et la cystoprostatecto-
mie [2, 4], la dissection doit passer en arrière du feuillet
postérieur du fascia recto-vésical décrit par
DENONVILLIERS [5], pour permettre un clivage prostato-
rectal sans risque de blesser la paroi antérieure du rec-
tum; de même, le clivage entre face postérieure de la
vessie et uretères en avant, et bloc prostato-vésiculaire
en arrière, se fera dans le plan situé en avant du feuillet
antérieur de ce fascia. Sa limite latérale au contact des
pédicules vasculo-nerveux situés contre le bord posté-
ro-latéral de la prostate justifie, pour VILLERS et al., son
exérèse lors des prostatectomies radicales du fait du
tropisme particulier des cellules cancéreuses pour les
espaces péri-nerveux [10, 11].
L'objet de cette étude est de rechercher des filets ner-
veux issus du plexus hypogastrique et à destinée pros-
tatique, traversant le fascia recto-vésical, et représen-
tant ainsi un moyen d'extension loco-régionale du can-
cer de prostate sans effraction décelable de la capsule.
MATERIEL ET METHODES
L’étude a été anatomique et histologique.
Etude anatomique
Un sujet de sexe masculin, âgé de 76 ans, non formolé,
a fait l’objet d’une dissection par voie hypogastrique.
Après injection préalable de latex coloré en rouge dans
les artères iliaques communes, les artères iliaques
interne et externe ont été disséquées, puis les rameaux
antérieurs de l’artère iliaque interne (ombilicale, vési-
cale inférieure, vésiculo-déférentielle et rectale moyen-
ne). L’artère pudendale, et dans le même temps, le nerf
pudendal ont été isolés à leur origine. A partir de là le
Manuscrit reçu : juillet 1999, accepté : novembre 1999.
Adresse pour correspondance : Pr. V. Delmas, Service d’Urologie, Hôpital Bichat,
46, rue Henri Huchard, 75018 Paris.
RESUME
Objectif : La dissection du fascia recto-vésical de Denonvilliers permet un clivage aisé
des espaces inter-prostato-rectal et inter-prostato-vésical. Sa limite latérale dans les
«bandelettes neurovasculaires» justifierait son exérèse lors des prostatectomies radi-
cales.
Notre objectif est de préciser le trajet et d’observer la structure des nerfs traversant
le fascia recto-vésical de Denonvilliers, les gaines de ces nerfs étant susceptibles d’être
envahies par des cellules tumorales dans les adénocarcinomes prostatiques.
Matériel et Méthodes : Dissection d’un sujet frais pour préciser les rapports de ce fas-
cia avec les pédicules vasculo-nerveux . Des coupes transversales de fascias recto-
vésicaux, prélevés lors de prostatectomies radicales, ont été réalisées et examinées sur
le plan histologique après colorations classiques et en immunohistochimie.
Résultats : Il existe des nerfs, provenant par la bandelette neurovasculaire du plexus
hypogastrique inférieur, et traversant le fascia recto-vésical pour aller se terminer
dans la prostate.
Conclusion : Ceci confirme l’importance de l’exérèse complète du fascia recto-vési-
cal lors des prostatectomies radicales pour cancer, non seulement pour des raisons de
technique chirurgicale, mais aussi afin d’obtenir une chirurgie carcinologiquement
satisfaisante.
Mots clés : Innervation, Denonvilliers, fascia recto-vésical, cancer, prostate.
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plexus hypogastrique inférieur a été disséqué jusqu’à
ses rameaux terminaux prostatiques. L’espace pelvien
antérieur avec ses différents éléments vasculo-nerveux
et la face antérieure de la vessie et de la prostate sont
ainsi exposés.
Après dissection de la face latérale de la vessie puis du
rectum, le fascia pelvien a été incisé au point de
réflexion avec le fascia vésico-prostatique, ce qui a per-
mis de disséquer l’espace latéro-prostatique et de visua-
liser en arrière le fascia recto-vésical. Ensuite la dissec-
tion a été prolongée en arrière de ce fascia, le long de la
face antérieure du rectum, pour mettre en évidence la
face postérieure du fascia recto-vésical qui recouvre la
prostate. De même, on a séparé la face antérieure du
fascia recto-vésical de la vessie et des uretères, mais
seule la dissection dans l’épaisseur du fascia permet de
libérer les faces antérieure et postérieure des vésicules
séminales.
On a ainsi isolé prostate et vésicules séminales, enve-
loppées dans le fascia recto-vésical.
Etude histologique
Sur des pièces opératoires de prostatectomie radicale,
le fascia de Denonvilliers a été disséqué et prélevé pour
être étudié histologiquement. Après fixation au formol
et inclusion en paraffine, des coupes verticales de 4 µm
d’épaisseur ont été réalisées, puis colorées à l’HPS
(Hematéine Phloxine Safran) et au Luxol fast blue qui
colore la myéline en bleu, les nerfs en rose.
Une étude immunohistochimique a utilisé la méthode
ABP (Avidine Biotine Peroxydase).Deux anticorps ont
été utilisés à la Protéine S100, polyclonale, marquant
les cellules de Schwann et anticorps aux
Neurofilaments, monoclonaux, marquant les axones.
Le révélateur utilisé est la DiAmino Benzidine.
RESULTATS
Données anatomiques
Les filets du plexus hypogastrique inférieur ont été iso-
lés sur la face latérale du rectum suivis à la face inter-
ne du fascia péri-viscéral (lame sacro-recto-génito-
pubienne de Farabeuf). Ils se dirigeaient obliquement
en bas, en avant et en dehors, pour longer à distance le
bord externe des vésicules séminales, entre la face
postéro-latérale de la vessie en avant et la face antéro-
latérale du rectum en arrière. Au niveau de la jonction
vésico-prostatique, s’isolent le nerf caverneux à desti-
née pénienne, et plusieurs filets nerveux à destinée
prostatique.
• Le nerf caverneux descend en arrière et en dehors du
bord externe du fascia recto-vésical, au sein du pédicu-
le vasculo-nerveux latéro-prostatique, bandelette neu-
rovasculaire redécrite par WALSH [6, 12]. Il existe un
plan de clivage entre le pédicule et le fascia, et donc le
bloc vésiculo-prostatique, ce qui doit permettre de pré-
server ce pédicule dans les prostatectomies radicales,
limitant ainsi les risques d’impuissance, principale
complication de cette chirurgie, avec l’incontinence
urinaire.
• Les nerfs prostatiques, après s’être séparés du nerf
caverneux, se portent obliquement vers le bas, en avant
et en dedans, traversent le fascia recto-vésical en direc-
tion du col vésical, et pénètrent dans la prostate au
niveau de ses faces latérales.
Données histologiques
Les colorations standard type HPS (Figure 1), ou plus
spécifiques au luxol fast blue, ont mis en évidence des
structures nerveuses au sein du tissu cellulofibreux qui
constitue le fascia rectovésical de Denonvilliers.
Les études immunohistochimiques permettent de préci-
ser qu’il s’agit de nerfs myélinisés. En effet, l’immu-
nomarquage à la Protéine S100 (Figures 2A et 2B)
individualise de façon sélective la gaine de Schwann,
tandis que l’immunomarquage aux Neurofilaments
(Figures 3A et 3B) montre les axones.
DISCUSSION
En 1836, après dissection de la région périnéale de 12
cadavres d’hommes, D
ENONVILLIERS
décrit «entre le
rectum et les vésicules séminales... une couche mem-
braneuse dont la texture ressemble à celle du Dartos...
cette couche enferme les vésicules séminales et l’extré-
mité inférieure des uretères et des conduits déférents,
dans une poche complète; car elle se confond sur les
côtés avec le tissu cellulaire serré qui entoure les plexus
veineux du bas-fond de la vessie; par son bord anté-
rieur, elle se perd sur l’extrémité la plus reculée de la
prostate, et par son bord postérieur, adhère intimement
à cette portion du péritoine qui descend entre la vessie
et le rectum, pour former un cul-de-sac dont la forme en
demi-lune est constante» [5].Ainsi débutaient plus de
160 années de controverse [9] tant sur l’existence même
de ce fascia recto-vésical, que sur sa constitution par un
ou deux feuillets mais aussi sur son origine embryolo-
gique péritonéale, mésothéliale ou mésenchymateuse.
Notre dissection retrouve le fascia de Denonvilliers tel
qu’il a été décrit par BENOÎT et al. [1].
Alors que cette «aponévrose» a le plus souvent été
décrite comme membraneuse et musculaire lisse, il faut
ajouter, d’après nos constatations anatomiques et histo-
logiques, qu’elle est traversée par des nerfs, rameaux
du plexus hypogastrique inférieur.
O.Dumonceau et coll., Progrès en Urologie (2000), 10, 53-57
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Figure 1. Fascia recto-vésical : coloration HPS - agrandisse -
ment 10.
a. Tissu fibreux et musculaire lisse
b. Filets nerveux
Figure 3A. Fascia recto-vésical : immunomarquage aux neu -
rofilaments - agrandissement 10.
a. Tissu fibreux.
b. Filets nerveux.
Figure 3B. Fascia recto-vésical : immunomarquage aux neu -
rofilaments. Agrandissement 25.
c. Marquage des axones.
Figure 2A. Fascia recto-vésical : immunomarquage à la
protéine S100 - agrandissement 10.
a. Filets nerveux.
b. Marquage des gaines de Schwann.
Figure 2B. Fascia recto-vésical : immunomarquage à la pro -
téine S100. Agrandissement 25.
c. Cellules de Schwann
O.Dumonceau et coll., Progrès en Urologie (2000), 10, 53-57
Ces données viennent compléter l’étude anatomo-histo-
logique de G
IL
V
ERNET
sur la dissection des colonnes
nerveuses issues du plexus hypogastrique inférieur [6].
Cet auteur a isolé une colonne verticale, cheminant le
long du bord postérolatéral de la prostate, en avant du
rectum, jusqu’à l’urètre membraneux et une colonne
horizontale avançant dans le sillon vésico-prostatique
jusqu’à la partie antérieure du col vésical, pour des-
cendre ensuite dans la paroi antérolatérale de l’urètre
membraneux (Figure 4). Nous arrivons aux mes
conclusions anatomiques, et nous pouvons ajouter que
la colonne nerveuse verticale donne des rameaux qui
traversent le fascia recto-vésical de Denonvilliers de
dehors en dedans et de haut en bas.
En 1994, B
ENOÎT
[3] a recherché les nerfs présents sur
la prostate d’un enfant de 10 ans. Il a retrouvé une inner-
vation prostatique et uréthrale très riche, se faisant à
partir du plexus hypogastrique et du plexus pelvien, et
cheminant le long du fascia recto-vésical de
Denonvilliers pour former autour de la capsule prosta-
tique un «véritable réseau nerveux péri prostatique»
dont les terminaisons pénètrent la capsule prostatique et
toute la circonférence de la prostate caudale.
En 1989, V
ILLERS
et al. [10] mettent en évidence le rôle
des espaces périnerveux dans l’extension locorégionale
de l’adénocarcinome prostatique. La présence de filets
nerveux au sein du fascia recto-vésical représente donc
un mode d’extension microscopique extraprostatique du
cancer.Mais dans une étude plus récente [11], ces
mêmes auteurs observent, dans les cancers prostatiques
inférieurs à 12 cc, un envahissement du fascia recto-
vésical dans 13% des cas; il ne s’agit dans aucun de ces
cas d’un envahissement des structures nerveuses du fas-
cia, et il n’y a pas d’effraction jusqu’au rectum.
Après autopsie de 6 sujets masculins décédés de patho-
logies cérébrales ou cardiaques et en l’absence de
pathologies abdomino-pelviennes connues, TAGUCHI a
pu isoler des nerfs provenant du plexus hypogastrique
et traversant l’espace recto-vésical à destination du rec-
tum [8].
Ces nerfs communiquent entre eux par l’inter
-
médiaire de ganglions constituant «le plexus pelvien».
L’envahissement tumoral de ces nerfs dans l’adénocar-
cinome prostatique pourrait alors s’étendre par conti-
guïté jusqu’au rectum, alors qu’aucune constatation
per-opératoire n’avait fait craindre une extension loco-
régionale extra-capsulaire de la tumeur.
CONCLUSION
L’extension loco-régionale du cancer prostatique peut
se faire par envahissement des nerfs traversant le fas-
cia recto-vésical, allant ou venant du plexus pelvien ou
hypogastrique inférieur, et destinés aux différents vis-
cères du petit bassin, en particulier au rectum. Il est
probable que les «récidives» loco-régionales obser-
vées après prostatectomie radicale pour cancer sont
dues à une chirurgie carcinologiquement insuffisante;
des cellules tumorales laissées en place le long des
nerfs pourraient être l’une des causes possibles de ces
récidives.
Ainsi, l’exérèse complète du fascia recto-vésical de
Denonvilliers lors des prostatectomies radicales pour
cancer s’impose, non seulement pour des raisons de
clivage aisé et sans risque du bloc prostato-vésiculaire,
mais aussi pour obtenir des marges d’exérèse saines,
limitant ainsi les risques de récidive loco-régionale.
REFERENCES
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Figure 4. Représentation schématique du trajet des nerfs issus
du plexus hypogastrique inférieur dans la région pelvienne
(d’après Gil Vernet [6]).
1. Plexus hypogastrique inférieur, 2. Colonne horizontale, 3.
Colonne verticale, 4.Nerf caverneux, 5. Nerf prostatique,
6. Fascia recto-vésical.
____________________
6. GIL VERNET S. Innervation de la vessie urinaire et de l’urètre pos-
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12. WALSH P.C., LEPOR H., EGGLESTON J.C. Radical prostatectomy
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considerations. Prostate, 1983, 4, 473.
Commentaire de Gérard Benoît, Service d’Urologie, Hôpital
de Bicêtre, Le Kremlin Bicêtre.
Les auteurs ont tout à fait raison de montrer que le fascia de
Denonvilliers est richement innervé. Ils n’ont pas démontré que
ces nerfs allaient dans la prostate, c’est cependant probable. Il me
paraît donc tout à fait juste de dire que c’est une des raisons sup-
plémentaires de faire l’exérèse de ce fascia au cours des prosta-
tectomies radicales.
La description d’un nerf latéro-vésical qui se divise en un nerf
caverneux, un nerf prostatique est schématique car il existe en
fait plus un plexus latéro vésical qui donne différentes branches
à la prostate et un pédicule vasculo-nerveux qui innerve et vas-
cularise les corps caverneux.
____________________
SUMMARY
Innervation of Denonvilliers' rectovesical fascia. Anatomical
study.
Objective : Dissection of Denonvilliers' rectovesical fascia
allows easy cleavage of the prostatorectal and prostatovesical
spaces. Its lateral limit in the "neurovascular pedicles" justifies
its resection during radical prostatectomy. The objective of this
study was to define the course and to observe the structure of
nerves crossing the rectovesical fascia, as the sheaths of these
nerves may be invaded by prostatic adenocarcinoma tumour
cells.
Material and Methods : After dissection of a fresh cadavre to defi -
ne the relations of this fascia with the pedicles, rectovesical fascia
biopsies were taken during radical prostatectomies. Tr a n s v e r s e
sections were performed and examined histologically.
Results : Certain nerves, derived from the neurovascular pedicle
of the inferior hypogastric plexus, cross the rectovesical fascia
to innervate the prostate.
Conclusion : This confirms the importance of complete resec -
tion of the rectovesical fascia during radical prostatectomy for
cancer, not only for surgical reasons, but also to ensure oncolo -
gically satisfactory surgery, i.e. with healthy resection margins.
Key words : Innervation, Denonvilliers, rectovesocal fascia,
cancer, prostate.
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