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LE TRAITEMENT DE L’HÉPATITE C
Interactions
entre les médicaments
contre l’hépatite C,
les antirétroviraux
et les immunosuppresseurs
Interactions between HCV drugs, antiretrovirals
and immunosuppressive drugs
B. Chauvin*, S. Drouot*, P. Eloy*, A. Barrail-Tran*, **, A.M. Taburet*
S
ur les 33 millions de personnes infectées par
le VIH dans le monde, 4 à 5 millions seraient
également infectées par le VHC (1). La prise en
charge de cette co-infection a connu une nouvelle
avancée thérapeutique avec la mise à disposition
récente de 2 inhibiteurs de protéase (IP) du VHC, le
bocéprévir et le télaprévir. Ces traitements exposent
à un risque élevé d’interactions médicamenteuses,
que ce soit avec les antirétroviraux lors du traitement des patients co-infectés par le VIH et le VHC,
ou avec les immunosuppresseurs chez les patients
transplantés, qu’ils soient infectés par un seul de
ces virus ou par les 2.
L’objectif de cet article est de faire le point sur les
interactions médicamenteuses décrites entre antirétroviraux, immunosuppresseurs et traitements
de l’hépatite C.
Résumé des caractéristiques
pharmacocinétiques
de ces médicaments
Les principales caractéristiques pharmacocinétiques
des médicaments contre l’hépatite C et le VIH et
des immunosuppresseurs sont résumées dans le
tableau, p. 17.
Médicaments de l’hépatite C
Les 2 traitements majeurs de l’hépatite C, la ribavirine et l’interféron, présentent peu d’interactions
d’ordre pharmacocinétique, c’est-à-dire influençant les concentrations des médicaments associés.
L’interféron (pégylé ou non) est principalement
éliminé dans les urines sous forme inchangée. La
ribavirine n’influence pas l’activité des cytochromes
P 450 (CYP450). Son élimination passe par 2 voies
métaboliques : une phosphorylation intracellulaire
réversible et une voie impliquant une déribosylation
et une hydrolyse de la liaison amide. L’élimination
est essentiellement urinaire (2).
Les 2 IP du VHC actuellement commercialisés, le
bocéprévir et le télaprévir, présentent un métabolisme
complexe, associant la voie classique par les CYP3A et
par d’autres voies métaboliques plus ou moins bien
identifiées, notamment les aldokétoréductases pour
le bocéprévir. De plus, ils sont inhibiteurs du CYP3A4
et des transporteurs, que ce soit la P-glycoprotéine
(P-gp), transporteur d’efflux facilitant la sortie du
substrat de la cellule, ou les OATP (Organic AnionTransporting Polypeptide) 1B1 et 1B3, transporteurs
d’influx facilitant l’entrée du substrat dans la cellule.
L’élimination sous forme inchangée et sous forme de
métabolites est essentiellement fécale. La demi-vie
est plus longue pour le télaprévir (9 à 11 heures) que
pour le bocéprévir (3 à 4 heures) [3, 4].
B. Chauvin
© La Lettre de l’Infectiologue
2013;28(6):234-9.
Antirétroviraux
Le profil pharmacocinétique des inhibiteurs nucléosidiques et nucléotidiques (ténofovir) de la transcriptase inverse limite leur implication dans des
interactions d’ordre pharmacocinétique. C’est leur
forme intracellulaire triphosphorylée qui est active,
* Service de pharmacie, hôpital
Bicêtre, Le Kremlin-Bicêtre.
** Département de pharmacie
clinique et de pharmacocinétique,
université Paris-Sud, EA4123,
Châtenay-Malabry.
La Lettre du Pharmacologue • Vol. 28 - n° 1 - janvier-février-mars 2014 |
15
Mots-clés
Points forts
Immunosuppresseurs
Antirétroviraux
Médicaments
de l’hépatite C
Cytochrome
Interaction
médicamenteuse
» Le télaprévir et le bocéprévir ont un métabolisme complexe et sont substrats et inhibiteurs du cytochrome P450-3A (CYP3A), ce qui entraîne de nombreuses interactions médicamenteuses.
» L’association avec la majorité des inhibiteurs de la protéase du VIH n’est pas recommandée. Mais l’association est possible avec l’atazanavir, renforcée par le ritonavir, ou avec le raltégravir, dont l’élimination
ne dépend pas des CYP, ce qui permet le traitement des patients co-infectés.
» L’administration du télaprévir et du bocéprévir après une transplantation est possible, sous réserve
d’une diminution souvent importante de posologie des immunosuppresseurs métabolisés par le CYP3A
(ciclosporine, tacrolimus, évérolimus et sirolimus) et sous réserve d’un suivi thérapeutique quotidien, du
début du traitement jusqu’à l’équilibre des concentrations sanguines.
Highlights
et ces composés sont principalement éliminés par
voie urinaire sous forme inchangée (ténofovir, emtricitabine et lamivudine), même si certains sont métabolisés au niveau hépatique sans implication des
CYP450 (l’abacavir et la zidovudine sont éliminés
par glucuronoconjugaison par les UDP-glucuronosyltransférases, et la moitié de la dose de didanosine
est éliminée par la voie des xanthines) [5].
Les inhibiteurs non nucléosidiques de la transcriptase
inverse (INNTI) [névirapine, éfavirenz, étravirine
et rilpivirine] ont une demi-vie longue permettant théoriquement une administration en 1 prise
quotidienne (5), et un métabolisme hépatique par
les CYP : CYP2B6 pour la névirapine et l’éfavirenz,
CYP2C pour l’étravirine, et CYP3A pour la rilpivirine.
La névirapine, l’étravirine et l’éfavirenz présentent
un effet inducteur enzymatique modéré (5).
Les IP du VIH actuellement prescrits (lopinavir et,
surtout, atazanavir et darunavir associés au ritonavir)
sont tous métabolisés par le CYP3A4, dont ils sont
également inhibiteurs – en particulier le ritonavir,
inhibiteur très puissant –, particularité qui a conduit à
associer cette molécule à un autre IP afin d’améliorer
ses propriétés pharmacocinétiques (5).
Parmi les inhibiteurs d’entrée, le maraviroc,
antagoniste du récepteur CCR5, est substrat du
CYP3A4, mais n’a pas d’effet inhibiteur ou inducteur
notable (5). La nature peptidique de l’enfuvirtide
explique que son métabolisme se fasse essentiellement par hydrolyse, limitant ses interactions
potentielles. Parmi les inhibiteurs de l’intégrase, le
raltégravir et le dolutégravir (commercialisé prochainement) sont principalement éliminés par glucuronoconjugaison par l’UGT1A1 ; peu d’interactions
médicamenteuses sont donc attendues et ont été
décrites, si ce n’est une inhibition par l’atazanavir et
une induction par la rifampicine (6, 7). L’elvitégravir
vient d’obtenir l’AMM européenne associé à un inhibiteur puissant du CYP3A, le cobicistat ; le potentiel
d’interaction avec les substrats du CYP3A est donc
important, comme pour les IP associés au ritonavir.
» Direct Acting Antivirals (DAA), telaprevir and
boceprevir have complex
metabolic pathways. They are
substrate and inhibitors of
CYP3A and a number of drugdrug interactions have been
reported.
» Treatment of HIV and HCV
coinfected patients is possible,
however antiretrovirals should
be selected cautiously. Coadministration with ritonavirboosted atazanavir and
raltegravir is possible without
dose adjustment. A decrease
in concentrations of other
ritonavir-boosted HIV-protease
inhibitors has been reported
when combined with telaprevir
or boceprevir.
» An important increase in
concentrations of calcineurine inhibitors (tacrolimus and
ciclosporine) or mTOR inhibitors (sirolimus and everolimus)
which are CYP3A substrates,
has been reported in healthy
volunteers when coadministered with telaprevir or
boceprevir. Treatment of HCVinfected transplant recipients is
feasible, but daily therapeutic
drug monitoring of immunosuppressive therapy must be
performed to optimize dosing
regimen and avoid high
concentrations of immunosuppressive drugs.
Keywords
Immunosuppressive drugs
Antiretrovirals
Hepatitis C drugs
Cytochrome
Drug-drug interaction
Immunosuppresseurs
Les immunosuppresseurs prescrits en prévention du
rejet du greffon présentent un index thérapeutique
16 | La Lettre du Pharmacologue • Vol. 28 - n° 1 - janvier-février-mars 2014
étroit. Les inhibiteurs de la calcineurine (tacrolimus
et ciclosporine), les inhibiteurs de la mTOR (sirolimus
et évérolimus) et la prednisone sont substrats à la
fois de la P-gp et des CYP3A. En outre, la ciclosporine
a une activité inhibitrice sur la P-gp et l’OATP1B1.
Les autres immunosuppresseurs, acide mycophénolique (MPA, forme active du mycophénolate mofétil
ou du mycophénolate sodique) et azathioprine, sont
métabolisés par des voies métaboliques autres que
les CYP. Le MPA est glucuronoconjugué par les UGT
hépatiques. L’azathioprine est une prodrogue métabolisée en 6-mercaptopurine active par réaction non
enzymatique. L’élimination est rapide, essentiellement par voie rénale.
Interactions
entre les médicaments
de l’hépatite C
et les antirétroviraux
Coadministrée avec certains inhibiteurs nucléosidiques de la transcriptase inverse (INTI) [didanosine
et zidovudine], la ribavirine augmente le risque de
toxicité mitochondriale et donc de pancréatite et
d’acidose lactique (8). Une augmentation du risque
d’anémie a été décrite en cas de coadministration de
ribavirine et de zidovudine, risque accru en présence
d’IP du VHC (9). L’association est donc déconseillée.
En revanche, la coadministration avec l’abacavir,
l’emtricitabine, la lamivudine et le ténofovir est
possible (10).
Les interactions du bocéprévir ou du télaprévir avec
les principaux médicaments antirétroviraux sont
résumées dans la figure 1, p. 19. Les concentrations
du télaprévir et du bocéprévir sont diminuées par
l’éfavirenz : lors de la coadministration de bocéprévir
et d’éfavirenz, la diminution de l’aire sous la courbe
(ASC) du bocéprévir s’accompagne d’une augmentation de l’ASC de l’éfavirenz ; cette association n’est
donc pas recommandée. La coadministration de
télaprévir et d’éfavirenz se traduit par une baisse
de l’exposition aux 2 molécules. Un essai clinique a
montré la possibilité de compenser la diminution de
l’exposition au télaprévir en présence d’éfavirenz par
une augmentation de posologie (passage de 800 mg
à 1 125 mg toutes les 8 heures) [9].
Actualités dans
LE TRAITEMENT DE L’HÉPATITE C
Tableau. Principales caractéristiques pharmacocinétiques des antiviraux (VHC et VIH) et immunosuppresseurs.
Molécule
Biodisponibilité
(%)
Métabolisme
Élimination
rénale sous forme
inchangée (%)
Demi-vie
Commentaires
Réf.
Interféron α
> 60 s.c.
Protéolyse tubulaire
Négligeable
160 h (pégylé)
4 h sinon
Ribavirine
45-65
Phosphorylation/déribosylation puis
hydrolyse de la fonction amide
30
300 h
Activation par phosphorylation
(2)
Bocéprévir
–
Aldokétoréductase
CYP3A4, 3A5
Négligeable
3,4 h
Inhibiteur CYP3A4/5
Inhibiteur P-gp
Inhibiteur OATP1B1/3
(3)
Télaprévir
–
CYP3A4, 3A5
Négligeable
9 à 11 h
Inhibiteur CYP3A4/5
Inhibiteur P-gp
Inhibiteur OATP1B1/3
(3)
Médicaments de l’hépatite C
Autres
IP
Antirétroviraux
Abacavir
75
–
Négligeable
0,8 à 1,5 h
Activation par phosphorylation
(5)
Didanosine
40
–
50
1à2h
Activation par phosphorylation
(5)
Emtricitabine
90
–
80
9h
Activation par phosphorylation
(5)
INTI
INNTI
IP
Inhibiteur
d’entrée
Inhibiteur
de l’intégrase
Lamivudine
80
–
80
2à3h
Activation par phosphorylation
(5)
Ténofovir
40
–
80
14 h
Activation par phosphorylation
(5)
Zidovudine
60
Glucuronoconjugaison
20
1 à 1,5 h
Activation par phosphorylation
(5)
Névirapine
90
CYP2B6 et autres CYP minoritaires
< 15
25 à 30 h
Inducteur CYP3A4, 2B6
(5)
Éfavirenz
50
CYP2B6 et autres CYP minoritaires
Négligeable
50 h
Inducteur CYP3A4
Inhibiteur CYP2C9, 2C19
(5)
Étravirine
–
CYP3A4, 3A5, 2C9, 2C19
Négligeable
30 à 40 h
Inducteur CYP3A4 (modéré)
Inhibiteur CYP2C9, 2C19
(modéré)
(5)
Rilpivirine
–
CYP3A4 et autres CYP minoritaires
–
35 à 50 h
Inhibiteur P-gp
(12)
Atazanavir/ritonavir
–
CYP3A
Négligeable
8à9h
Inhibiteur puissant du CYP3A
(5)
Darunavir/ritonavir
–
CYP3A
Négligeable
15 h
Inhibiteur puissant du CYP3A
(5)
Fosamprénavir/
ritonavir
–
CYP3A
Négligeable
12 à 15 h
Inhibiteur puissant du CYP3A
Lopinavir/ritonavir
–
CYP3A
Négligeable
5à6h
Inhibiteur puissant du CYP3A
(5)
Maraviroc
25-35
CYP3A
Négligeable
17 h
Substrat P-gp
(5)
Enfuvirtide
70
Peptidases, protéinases
Négligeable
3à8h
–
(5)
Raltégravir
–
Glucuronoconjugaison
–
9h
–
Dolutégravir
–
UGT
–
12 h
Elvitégravir
–
CYP3A4
–
–
(7)
Associé au cobicistat
(inhibiteur puissant du CYP 3A)
Immunosuppresseurs
Inhibiteurs
de la calcineurine
Inhibiteurs
de la mTOR
Autres
Tacrolimus
25
CYP3A4, 3A5
Négligeable
10 à 12 h
Substrat P-gp
Ciclosporine
30
CYP3A4, 3A5
Négligeable
10 à 12 h
Inhibiteur OATP1B1
Substrat P-gp
CYP3A4, 3A5
Négligeable
60 h
Substrat P-gp
Sirolimus
Évérolimus
CYP3A4, 3A5
Négligeable
25 h
Substrat P-gp
MPA1
Prodrogue 94
UGT
Négligeable
17 h
–
6-mercaptopurine2
Prodrogue 83
Xanthine oxydase
Négligeable
2h
–
1 Administré
sous forme de mycophénolate mofétil ou de mycophénolate sodique. 2 Administré sous forme d’azathioprine.
IP : inhibiteurs de protéase ; CYP : cytochrome ; P-gp : glycoprotéine ; OATP : Organic Anion-Transporting Polypeptide.
La Lettre du Pharmacologue • Vol. 28 - n° 1 - janvier-février-mars 2014 |
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Actualités dans
LE TRAITEMENT DE L’HÉPATITE C
Interactions entre les médicaments contre l’hépatite C,
les antirétroviraux et les immunosuppresseurs
1,5
VIH
VHC
AUC association/AUC seuil
1,25
1
0,75
0,5
0,25
0
+ EFV
+ LPV
+ DRV
+ ATV
Télaprévir
+ TDF
+ RGV
+ EFV
+ LPV
+ DRV
+ ATV
Bocéprévir
+ TDF
+ RGV
EFV : éfavirenz ; LPV : lopinavir ; DRV : darunavir ; ATV : atorvastatine ; TDF : ténofovir ; RGV : raltégravir.
Figure 1. Interactions entre les IP du VHC et les antirétroviraux.
Les interactions lors de la coadministration avec les
IP du VIH sont complexes, difficilement prévisibles et
bidirectionnelles, affectant les concentrations des IP du
VIH et du VHC, comme le montre le rapport des ASC
de chaque médicament associé, par rapport à chaque
médicament administré seul (figure 1). L’association au
télaprévir entraîne une réduction de l’exposition (quantifiée par l’ASC) au darunavir, alors que le lopinavir
reste inchangé ; en revanche, l’exposition à l’atazanavir
est légèrement augmentée. Le bocéprévir entraîne
une réduction des concentrations du darunavir, du
lopinavir et de l’atazanavir. Le ténofovir ne modifie pas
la pharmacocinétique du bocéprévir ni du télaprévir.
En revanche, le darunavir, le lopinavir et l’atazanavir
réduisent significativement les concentrations de télaprévir et de bocéprévir : ces associations ne sont pas
conseillées. Par contre, l’interaction moins importante
avec l’atazanavir associé au ritonavir permet de privilégier, si nécessaire, cette association.
Aucune interaction significative n’a été décrite
entre le bocéprévir ou le télaprévir et le raltégravir ;
cette association doit donc être privilégiée chez les
patients co-infectés par le VIH et le VHC lorsque le
génotype du VIH le permet (3, 11). Les IP du VHC
augmentent l’exposition au ténofovir. Cette augmentation modérée requiert une vigilance accrue concernant la toxicité rénale du ténofovir (4).
Le maraviroc et la rilpivirine étant métabolisés par le
CYP3A, mais n’étant ni inhibiteurs ni inducteurs, une
augmentation de leur concentration est attendue
lors de la coadministration avec le bocéprévir et le
télaprévir. La surveillance de la tolérance (en particulier pour la rilpivirine) sera renforcée (12).
18 | La Lettre du Pharmacologue • Vol. 28 - n° 1 - janvier-février-mars 2014
Ces études d’interactions, nécessaires pour les
dossiers d’enregistrement, permettent d’identifier les interactions à risque, mais elles sont
réalisées chez des volontaires sains, avec des
objectifs pharmacocinétiques et de tolérance.
L’efficacité de telle ou telle association devra
être vérifiée par des essais cliniques incluant les
malades auxquels ces médicaments sont destinés.
Interactions
entre antirétroviraux
et immunosuppresseurs
L’effet inducteur enzymatique des INNTI est susceptible de diminuer l’exposition aux inhibiteurs de la
mTOR et de la calcineurine. Cette interaction est
cependant minime dans la majorité des cas et se
gère facilement par un suivi thérapeutique régulier
de ces immunosuppresseurs. Cela a notamment été
mis en évidence lorsque l’éfavirenz est associé à la
ciclosporine ou au tacrolimus (13, 14).
L’effet inhibiteur enzymatique des IP (CYP3A4,
CYP3A5 et P-gp notamment) conduit à une augmentation très importante des concentrations de certains
immunosuppresseurs. Les posologies d’immunosuppresseurs doivent être drastiquement réduites, avec
un suivi très régulier, voire quotidien, de leurs concentrations sanguines, notamment si l’IP est boosté
par le ritonavir. Ainsi, la posologie de tacrolimus est
réduite de 99 % chez le patient transplanté traité par
l’association lopinavir-ritonavir. Pour obtenir de telles
Actualités dans
LE TRAITEMENT DE L’HÉPATITE C
25 mg pour la ciclosporine) simplifie l’adaptation
des doses d’immunosuppresseur.
Les corticoïdes étant également métabolisés par le
CYP3A, il est probable que les interactions seront
similaires à celles décrites ci-dessus, avec notamment une augmentation des concentrations en
présence d’IP/r. La plus petite dose de corticoïdes
sera privilégiée et le suivi clinique sera renforcé.
L’intérêt du raltégravir chez le patient transplanté
hépatique a été démontré dans l’essai clinique ANRS
148 Liveral. En effet, en plus d’un bon profil d’efficacité et de tolérance, cette molécule n’est pas métabolisée par le CYP 3A et sa pharmacocinétique n’est
pas affectée par l’altération de la fonction hépatique
due à l’hépatite C.
Interactions entre
médicaments de l’hépatite C
et immunosuppresseurs
Le bocéprévir et le télaprévir augmentent de façon
importante les concentrations de tacrolimus et,
dans une moindre mesure, celles de la ciclosporine,
comme le montre la figure 2 (4). Ainsi, l’ASC de
la ciclosporine est multiplié en moyenne par 3 en
présence de bocéprévir (15) et par 4 en présence de
télaprévir chez les volontaires sains (9). L’ampleur de
ces interactions est encore plus grande pour le tacrolimus, avec une multiplication de l’ASC de l’immunosuppresseur par 17 en présence de bocéprévir (15) et
par 70 en présence de télaprévir (9). Ces interactions
doivent être gérées par des équipes pluridisciplinaires associant des pharmacologues et des cliniciens experts. Les adaptations de posologie suivront
les mêmes règles que celles proposées avec les IP
du VIH renforcés par le ritonavir, telles que résumées précédemment. Des expériences ponctuelles
montrent la faisabilité de la coadministration du
bocéprévir, voire du télaprévir avec la ciclosporine
ou le tacrolimus (16, 17).
Compte tenu de ces interactions importantes, la
prise en charge après une transplantation de patients
co-infectés par le VIH et le VHC est complexe. Dans
ce contexte, un traitement antirétroviral à base de
raltégravir évitera les interactions avec les immunosuppresseurs et le télaprévir ou le bocéprévir.
De même, les taux d’hémoglobine doivent être
contrôlés très régulièrement dans le but de
rechercher une éventuelle anémie, toxicité la plus
fréquemment observée (17). Outre ces interactions
médicamenteuses pharmacocinétiques, qui peuvent
être gérées par des équipes expérimentées, il faut
considérer également certaines interactions d’ordre
pharmacodynamique. Ainsi, la coadministration
d’azathioprine et de ribavirine, myélotoxiques, doit
être évitée (18).
Conclusion
Les interactions entre les médicaments contre
l’hépa tite C, les antirétroviraux et les immunosuppresseurs sont donc nombreuses. L’effet des
traitements anti-infectieux sur les inhibiteurs de la
calcineurine et sur les inhibiteurs de la mTOR est
aujourd’hui bien connu. Des précautions simples
lors de la mise en place du traitement immunosuppresseur (doses faibles en cas de coadministration
de ritonavir notamment) et un suivi régulier des
concentrations sanguines doivent en assurer l’efficacité et l’absence de toxicité. La ribavirine doit être
utilisée avec précaution, que ce soit avec certains
INTI ou avec l’azathioprine. Mais le problème le plus
complexe à gérer réside dans les interactions des
IP du VHC avec les IP du VIH et les INNTI dans le
cadre de la prise en charge des patients co-infectés
par le VIH et le VHC. À cet égard, par son métabo-
70
AUC association/AUC seuil
réductions de posologies, la diminution de la dose par
prise doit s’accompagner d’un espacement des doses :
des intervalles de 7 à 25 jours ont été décrits dans la
littérature (14). Un intervalle de 1 semaine entre les
prises a également été appliqué avec succès pour le
sirolimus lors de la coadministration avec le fosamprénavir boosté par le ritonavir. Dans cette optique,
la mise à disposition de formes faiblement dosées
(Modigraf® 0,2 mg pour le tacrolimus et Néoral®
60
50
40
Bocéprévir
30
Télaprévir
20
10
0
Ciclosporine
Tacrolimus
Figure 2. Ratio des ASC des inhibiteurs de la calcineurine avec ou sans inhibiteurs de
protéase du VHC.
La Lettre du Pharmacologue • Vol. 28 - n° 1 - janvier-février-mars 2014 |
19
Actualités dans
LE TRAITEMENT DE L’HÉPATITE C
Les auteurs déclarent
ne pas avoir de liens d’intérêts.
Interactions entre les médicaments contre l’hépatite C,
les antirétroviraux et les immunosuppresseurs
lisme particulier qui réduit le risque d’interactions,
le raltégravir constitue une alternative prometteuse
dans la prise en charge du patient co-infecté par le
VIH et le VHC. De nombreux médicaments actifs sur
le VHC sont en cours de développement ; espérons
que leur profil pharmacocinétique limitera les interactions et facilitera la prise en charge des patients
co-infectés par le VIH et le VHC ou la prise en charge
complexe des patients transplantés pour éviter la
récidive virale C.
■
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“HIPPOCAMPE” de Régis Bordet - Théâtre des Cinq continents - Pièce de théâtre
Que se passe-t-il dans le cerveau de ce jeune professeur de littérature comparée dont le comportement
change progressivement au point que sa compagne et ses amis ne le reconnaissent plus ?
À quelles expériences se livrent des médecins pour transformer cet intellectuel à son insu ?
Quels sont ces êtres étranges qui semblent influencer ce changement comportemental ?
Et si tout cela n’était que le résultat d’une grande manipulation…
“TARPEIA” de Régis Bordet
Théâtre des Cinq continents - Pièce de théâtre EUROPE EUROPE OCCIDENTALE France
Que se passe-t-il dans le cerveau de cet homme qu’on a enfermé sans un mot, sans
un cri, sans un sourire, sans violence ? Déni, révolte, résignation. Puis analyse, introspection,
autocritique mettant au grand jour les blessures intimes et mensonges qui conduisent
à commettre l’acte irréparable mais salvateur. Une pièce de réflexion sur le pouvoir
et surtout l’ivresse et l’addiction qu’il provoque en l’absence de garde-fou.
Éditions
20 | La Lettre du Pharmacologue • Vol. 28 - n° 1 - janvier-février-mars 2014
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