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LE TRAITEMENT DE L’HÉPATITE C
Interactions
entre les médicaments
contre l’hépatite C,
les antirétroviraux
et les immunosuppresseurs
Interactions between HCV drugs, antiretrovirals and
immunosuppressive drugs
B. Chauvin*, S. Drouot*, P. Eloy*, A. Barrail-Tran*, **, A.M. Taburet*
B. Chauvin
S
ur les 33 millions de personnes infectées par
le VIH dans le monde, 4 à 5 millions seraient
également infectées par le VHC (1). La prise en
charge de cette co-infection a connu une nouvelle
avancée thérapeutique avec la mise à disposition
récente de 2 inhibiteurs de protéase (IP) du VHC, le
bocéprévir et le télaprévir. Ces traitements exposent
à un risque élevé d’interactions médicamenteuses,
que ce soit avec les antirétroviraux lors du traitement des patients co-infectés par le VIH et le VHC,
ou avec les immunosuppresseurs chez les patients
transplantés, qu’ils soient infectés par un seul de
ces virus ou par les 2.
L’objectif de cet article est de faire le point sur les
interactions médicamenteuses décrites entre antirétroviraux, immunosuppresseurs et traitements
de l’hépatite C.
Résumé des caractéristiques
pharmacocinétiques
de ces médicaments
* Service de pharmacie, hôpital
Bicêtre, Le Kremlin-Bicêtre.
** Département de pharmacie
clinique et de pharmacocinétique,
université Paris-Sud, EA4123,
Châtenay-Malabry.
Les principales caractéristiques pharmacocinétiques
des médicaments contre l’hépatite C et le VIH et
des immunosuppresseurs sont résumées dans le
tableau, p. 236.
234 | La Lettre de l’Infectiologue • Tome XXVIII - no 6 - novembre-décembre 2013
Médicaments de l’hépatite C
Les 2 traitements majeurs de l’hépatite C, la ribavirine et l’interféron, présentent peu d’interactions
d’ordre pharmacocinétique, c’est-à-dire influençant les concentrations des médicaments associés.
L’interféron (pégylé ou non) est principalement
éliminé dans les urines sous forme inchangée. La
ribavirine n’influence pas l’activité des cytochromes
P 450 (CYP450). Son élimination passe par 2 voies
métaboliques : une phosphorylation intracellulaire
réversible et une voie impliquant une déribosylation
et une hydrolyse de la liaison amide. L’élimination
est essentiellement urinaire (2).
Les 2 IP du VHC actuellement commercialisés, le
bocéprévir et le télaprévir, présentent un métabolisme complexe, associant la voie classique par
les CYP3A et par d’autres voies métaboliques plus
ou moins bien identifiées, notamment les aldokétoréductases pour le bocéprévir. De plus, ils sont
inhibiteurs du CYP3A4 et des transporteurs, que ce
soit la P-glycoprotéine (P-gp), transporteur d’efflux
facilitant la sortie du substrat de la cellule, ou les
OATP (Organic Anion-Transporting Polypeptide) 1B1
et 1B3, transporteurs d’influx facilitant l’entrée du
substrat dans la cellule. L’élimination sous forme
inchangée et sous forme de métabolites est essentiellement fécale. La demi-vie est plus longue pour
Points forts
Mots-clés
» Le télaprévir et le bocéprévir ont un métabolisme complexe et sont substrats et inhibiteurs du cytochrome P450-3A (CYP3A), ce qui entraîne de nombreuses interactions médicamenteuses.
» L’association avec la majorité des inhibiteurs de la protéase du VIH n’est pas recommandée. Mais l’association est possible avec l’atazanavir, renforcée par le ritonavir, ou avec le raltégravir, dont l’élimination
ne dépend pas des CYP, ce qui permet le traitement des patients co-infectés.
» L’administration du télaprévir et du bocéprévir après une transplantation est possible, sous réserve
d’une diminution souvent importante de posologie des immunosuppresseurs métabolisés par le CYP3A
(ciclosporine, tacrolimus, évérolimus et sirolimus) et sous réserve d’un suivi thérapeutique quotidien, du
début du traitement jusqu’à l’équilibre des concentrations sanguines.
Immunosuppresseurs
le télaprévir (9 à 11 heures) que pour le bocéprévir
(3 à 4 heures) [3, 4].
Antirétroviraux
Le profil pharmacocinétique des inhibiteurs nucléosidiques et nucléotidiques (ténofovir) de la transcriptase inverse limite leur implication dans des
interactions d’ordre pharmacocinétique. C’est leur
forme intracellulaire triphosphorylée qui est active,
et ces composés sont principalement éliminés par
voie urinaire sous forme inchangée (ténofovir, emtricitabine et lamivudine), même si certains sont métabolisés au niveau hépatique sans implication des
CYP450 (l’abacavir et la zidovudine sont éliminés
par glucuronoconjugaison par les UDP-glucuronosyltransférases, et la moitié de la dose de didanosine
est éliminée par la voie des xanthines) [5].
Les inhibiteurs non nucléosidiques de la transcriptase
inverse (INNTI) [névirapine, éfavirenz, étravirine
et rilpivirine] ont une demi-vie longue permettant théoriquement une administration en 1 prise
quotidienne (5), et un métabolisme hépatique par
les CYP : CYP2B6 pour la névirapine et l’éfavirenz,
CYP2C pour l’étravirine, et CYP3A pour la rilpivirine.
La névirapine, l’étravirine et l’éfavirenz présentent
un effet inducteur enzymatique modéré (5).
Les IP du VIH actuellement prescrits (lopinavir et,
surtout, atazanavir et darunavir associés au ritonavir)
sont tous métabolisés par le CYP3A4, dont ils sont
également inhibiteurs – en particulier le ritonavir,
inhibiteur très puissant –, particularité qui a conduit à
associer cette molécule à un autre IP afin d’améliorer
ses propriétés pharmacocinétiques (5).
Parmi les inhibiteurs d’entrée, le maraviroc, antagoniste du récepteur CCR5, est substrat du CYP3A4,
mais n’a pas d’effet inhibiteur ou inducteur
notable (5). La nature peptidique de l’enfuvirtide
explique que son métabolisme se fasse essentiellement par hydrolyse, limitant ses interactions
potentielles. Parmi les inhibiteurs de l’intégrase, le
raltégravir et le dolutégravir (commercialisé prochainement) sont principalement éliminés par glucuronoconjugaison par l’UGT1A1 ; peu d’interactions
médicamenteuses sont donc attendues et ont été
décrites, si ce n’est une inhibition par l’atazanavir et
une induction par la rifampicine (6, 7). L’elvitégravir
vient d’obtenir l’AMM européenne associé à un inhibiteur puissant du CYP3A, le cobicistat ; le potentiel
d’interaction avec les substrats du CYP3A est donc
important, comme pour les IP associés au ritonavir.
Immunosuppresseurs
Les immunosuppresseurs prescrits en prévention du
rejet du greffon présentent un index thérapeutique
étroit. Les inhibiteurs de la calcineurine (tacrolimus
et ciclosporine), les inhibiteurs de la mTOR (sirolimus
et évérolimus) et la prednisone sont substrats à la
fois de la P-gp et des CYP3A. En outre, la ciclosporine
a une activité inhibitrice sur la P-gp et l’OATP1B1.
Les autres immunosuppresseurs, acide mycophénolique (MPA, forme active du mycophénolate mofétil
ou du mycophénolate sodique) et azathioprine, sont
métabolisés par des voies métaboliques autres que
les CYP. Le MPA est glucuronoconjugué par les UGT
hépatiques. L’azathioprine est une prodrogue métabolisée en 6-mercaptopurine active par réaction non
enzymatique. L’élimination est rapide, essentiellement par voie rénale.
Interactions
entre les médicaments
de l’hépatite C
et les antirétroviraux
Coadministrée avec certains inhibiteurs nucléosidiques de la transcriptase inverse (INTI) [didanosine
et zidovudine], la ribavirine augmente le risque de
toxicité mitochondriale et donc de pancréatite et
d’acidose lactique (8). Une augmentation du risque
d’anémie a été décrite en cas de coadministration de
ribavirine et de zidovudine, risque accru en présence
d’IP du VHC (9). L’association est donc déconseillée.
En revanche, la coadministration avec l’abacavir,
l’emtricitabine, la lamivudine et le ténofovir est
possible (10).
Les interactions du bocéprévir ou du télaprévir avec
les principaux médicaments antirétroviraux sont
résumées dans la figure 1, p. 237. Les concentrations
Antirétroviraux
Médicaments
de l’hépatite C
Cytochrome
Interaction
médicamenteuse
Highlights
» Direct Acting Antivirals (DAA), telaprevir and
boceprevir have complex
metabolic pathways. They are
substrate and inhibitors of
CYP3A and a number of drugdrug interactions have been
reported.
» Treatment of HIV and HCV
coinfected patients is possible,
however antiretrovirals should
be selected cautiously. Coadministration with ritonavirboosted atazanavir and
raltegravir is possible without
dose adjustment. A decrease
in concentrations of other
ritonavir-boosted HIV-protease
inhibitors has been reported
when combined with telaprevir
or boceprevir.
» An important increase in
concentrations of calcineurine inhibitors (tacrolimus and
ciclosporine) or mTOR inhibitors (sirolimus and everolimus)
which are CYP3A substrates,
has been reported in healthy
volunteers when coadministered with telaprevir or
boceprevir. Treatment of HCVinfected transplant recipients is
feasible, but daily therapeutic
drug monitoring of immunosuppressive therapy must be
performed to optimize dosing
regimen and avoid high
concentrations of immunosuppressive drugs.
Keywords
Immunosuppressive drugs
Antiretrovirals
Hepatitis C drugs
Cytochrome
Drug-drug interaction
La Lettre de l’Infectiologue • Tome XXVIII - no 6 - novembre-décembre 2013 |
235
Actualités dans
LE TRAITEMENT DE L’HÉPATITE C
Interactions entre les médicaments contre l’hépatite C,
les antirétroviraux et les immunosuppresseurs
Tableau. Principales caractéristiques pharmacocinétiques des antiviraux (VHC et VIH) et immunosuppresseurs.
Molécule
Biodisponibilité
(%)
Métabolisme
Élimination
rénale sous forme
inchangée (%)
Demi-vie
Commentaires
Réf.
Interféron α
> 60 s.c.
Protéolyse tubulaire
Négligeable
160 h (pégylé)
4 h sinon
Ribavirine
45-65
Phosphorylation/déribosylation puis
hydrolyse de la fonction amide
30
300 h
Activation par phosphorylation
(2)
Bocéprévir
–
Aldokétoréductase
CYP3A4, 3A5
Négligeable
3,4 h
Inhibiteur CYP3A4/5
Inhibiteur P-gp
Inhibiteur OATP1B1/3
(3)
Télaprévir
–
CYP3A4, 3A5
Négligeable
9 à 11 h
Inhibiteur CYP3A4/5
Inhibiteur P-gp
Inhibiteur OATP1B1/3
(3)
Médicaments de l’hépatite C
Autres
IP
Antirétroviraux
Abacavir
75
–
Négligeable
0,8 à 1,5 h
Activation par phosphorylation
(5)
Didanosine
40
–
50
1à2h
Activation par phosphorylation
(5)
Emtricitabine
90
–
80
9h
Activation par phosphorylation
(5)
INTI
INNTI
IP
Inhibiteur
d’entrée
Inhibiteur
de l’intégrase
Lamivudine
80
–
80
2à3h
Activation par phosphorylation
(5)
Ténofovir
40
–
80
14 h
Activation par phosphorylation
(5)
Zidovudine
60
Glucuronoconjugaison
20
1 à 1,5 h
Activation par phosphorylation
(5)
Névirapine
90
CYP2B6 et autres CYP minoritaires
< 15
25 à 30 h
Inducteur CYP3A4, 2B6
(5)
Éfavirenz
50
CYP2B6 et autres CYP minoritaires
Négligeable
50 h
Inducteur CYP3A4
Inhibiteur CYP2C9, 2C19
(5)
Étravirine
–
CYP3A4, 3A5, 2C9, 2C19
Négligeable
30 à 40 h
Inducteur CYP3A4 (modéré)
Inhibiteur CYP2C9, 2C19
(modéré)
(5)
Rilpivirine
–
CYP3A4 et autres CYP minoritaires
–
35 à 50 h
Inhibiteur P-gp
(12)
Atazanavir/ritonavir
–
CYP3A
Négligeable
8à9h
Inhibiteur puissant du CYP3A
(5)
(5)
Darunavir/ritonavir
–
CYP3A
Négligeable
15 h
Inhibiteur puissant du CYP3A
Fosamprénavir/
ritonavir
–
CYP3A
Négligeable
12 à 15 h
Inhibiteur puissant du CYP3A
Lopinavir/ritonavir
–
CYP3A
Négligeable
5à6h
Inhibiteur puissant du CYP3A
(5)
Maraviroc
25-35
CYP3A
Négligeable
17 h
Substrat P-gp
(5)
Enfuvirtide
70
Peptidases, protéinases
Négligeable
3à8h
–
(5)
Raltégravir
–
Glucuronoconjugaison
–
9h
–
12 h
Dolutégravir
–
UGT
–
Elvitégravir
–
CYP3A4
–
–
Tacrolimus
25
CYP3A4, 3A5
Négligeable
10 à 12 h
Substrat P-gp
Ciclosporine
30
CYP3A4, 3A5
Négligeable
10 à 12 h
Inhibiteur OATP1B1
Substrat P-gp
Associé au cobicistat
(inhibiteur puissant du CYP 3A)
Immunosuppresseurs
Inhibiteurs
de la calcineurine
Inhibiteurs
de la mTOR
Autres
Sirolimus
CYP3A4, 3A5
Négligeable
60 h
Substrat P-gp
Évérolimus
CYP3A4, 3A5
Négligeable
25 h
Substrat P-gp
MPA1
Prodrogue 94
UGT
Négligeable
17 h
–
6-mercaptopurine2
Prodrogue 83
Xanthine oxydase
Négligeable
2h
–
1 Administré
sous forme de mycophénolate mofétil ou de mycophénolate sodique. 2 Administré sous forme d’azathioprine.
IP : inhibiteurs de protéase ; CYP : cytochrome ; P-gp : glycoprotéine ; OATP : Organic Anion-Transporting Polypeptide.
236 | La Lettre de l’Infectiologue • Tome XXVIII - no 6 - novembre-décembre 2013
(7)
Actualités dans
LE TRAITEMENT DE L’HÉPATITE C
1,5
VHC
VIH
1,25
AUC association/AUC seuil
du télaprévir et du bocéprévir sont diminuées par
l’éfavirenz : lors de la coadministration de bocéprévir
et d’éfavirenz, la diminution de l’aire sous la courbe
(ASC) du bocéprévir s’accompagne d’une augmentation de l’ASC de l’éfavirenz ; cette association n’est
donc pas recommandée. La coadministration de
télaprévir et d’éfavirenz se traduit par une baisse
de l’exposition aux 2 molécules. Un essai clinique a
montré la possibilité de compenser la diminution de
l’exposition au télaprévir en présence d’éfavirenz par
une augmentation de posologie (passage de 800 mg
à 1 125 mg toutes les 8 heures) [9].
Les interactions lors de la coadministration avec les
IP du VIH sont complexes, difficilement prévisibles
et bidirectionnelles, affectant les concentrations des
IP du VIH et du VHC, comme le montre le rapport
des ASC de chaque médicament associé, par rapport
à chaque médicament administré seul (figure 1).
L’association au télaprévir entraîne une réduction
de l’exposition (quantifiée par l’ASC) au darunavir,
alors que le lopinavir reste inchangé ; en revanche,
l’exposition à l’atazanavir est légèrement augmentée.
Le bocéprévir entraîne une réduction des concentrations du darunavir, du lopinavir et de l’atazanavir.
Le ténofovir ne modifie pas la pharmacocinétique
du bocéprévir ni du télaprévir. En revanche, le darunavir, le lopinavir et l’atazanavir réduisent significativement les concentrations de télaprévir et de
bocéprévir : ces associations ne sont pas conseillées.
Par contre, l’interaction moins importante avec l’atazanavir associé au ritonavir permet de privilégier, si
nécessaire, cette association.
Aucune interaction significative n’a été décrite
entre le bocéprévir ou le télaprévir et le raltégravir ;
cette association doit donc être privilégiée chez les
patients co-infectés par le VIH et le VHC lorsque le
génotype du VIH le permet (3, 11). Les IP du VHC
augmentent l’exposition au ténofovir. Cette augmentation modérée requiert une vigilance accrue concernant la toxicité rénale du ténofovir (4).
Le maraviroc et la rilpivirine étant métabolisés par le
CYP3A, mais n’étant ni inhibiteurs ni inducteurs, une
augmentation de leur concentration est attendue
lors de la coadministration avec le bocéprévir et le
télaprévir. La surveillance de la tolérance (en particulier pour la rilpivirine) sera renforcée (12).
Ces études d’interactions, nécessaires pour les dossiers
d’enregistrement, permettent d’identifier les interactions à risque, mais elles sont réalisées chez des volontaires sains, avec des objectifs pharmacocinétiques et
de tolérance. L’efficacité de telle ou telle association
devra être vérifiée par des essais cliniques incluant les
malades auxquels ces médicaments sont destinés.
1
0,75
0,5
0,25
0
+ EFV + LPV + DRV + ATV + TDF + RGV + EFV + LPV + DRV + ATV + TDF + RGV
Télaprévir
Bocéprévir
EFV : éfavirenz ; LPV : lopinavir ; DRV : darunavir ; ATV : atorvastatine ; TDF : ténofovir ; RGV : raltégravir.
Figure 1. Interactions entre les IP du VHC et les antirétroviraux.
Interactions
entre antirétroviraux
et immunosuppresseurs
L’effet inducteur enzymatique des INNTI est susceptible de diminuer l’exposition aux inhibiteurs de la
mTOR et de la calcineurine. Cette interaction est
cependant minime dans la majorité des cas et se
gère facilement par un suivi thérapeutique régulier
de ces immunosuppresseurs. Cela a notamment été
mis en évidence lorsque l’éfavirenz est associé à la
ciclosporine ou au tacrolimus (13, 14).
L’effet inhibiteur enzymatique des IP (CYP3A4,
CYP3A5 et P-gp notamment) conduit à une augmentation très importante des concentrations de certains
immunosuppresseurs. Les posologies d’immunosuppresseurs doivent être drastiquement réduites, avec
un suivi très régulier, voire quotidien, de leurs concentrations sanguines, notamment si l’IP est boosté
par le ritonavir. Ainsi, la posologie de tacrolimus est
réduite de 99 % chez le patient transplanté traité par
l’association lopinavir-ritonavir. Pour obtenir de telles
réductions de posologies, la diminution de la dose par
prise doit s’accompagner d’un espacement des doses :
des intervalles de 7 à 25 jours ont été décrits dans la
littérature (14). Un intervalle de 1 semaine entre les
prises a également été appliqué avec succès pour le
sirolimus lors de la coadministration avec le fosamprénavir boosté par le ritonavir. Dans cette optique,
la mise à disposition de formes faiblement dosées
(Modigraf® 0,2 mg pour le tacrolimus et Néoral®
La Lettre de l’Infectiologue • Tome XXVIII - no 6 - novembre-décembre 2013 |
237
Actualités dans
LE TRAITEMENT DE L’HÉPATITE C
Interactions entre les médicaments contre l’hépatite C,
les antirétroviraux et les immunosuppresseurs
25 mg pour la ciclosporine) simplifie l’adaptation
des doses d’immunosuppresseur.
Les corticoïdes étant également métabolisés par le
CYP3A, il est probable que les interactions seront
similaires à celles décrites ci-dessus, avec notamment
une augmentation des concentrations en présence
d’IP/r. La plus petite dose de corticoïdes sera privilégiée et le suivi clinique sera renforcé.
L’intérêt du raltégravir chez le patient transplanté
hépatique a été démontré dans l’essai clinique ANRS
148 Liveral. En effet, en plus d’un bon profil d’efficacité et de tolérance, cette molécule n’est pas métabolisée par le CYP 3A et sa pharmacocinétique n’est
pas affectée par l’altération de la fonction hépatique
due à l’hépatite C.
Interactions entre
médicaments de l’hépatite C
et immunosuppresseurs
Les auteurs déclarent
ne pas avoir de liens d’intérêts.
Le bocéprévir et le télaprévir augmentent de façon
importante les concentrations de tacrolimus et,
dans une moindre mesure, celles de la ciclosporine,
comme le montre la figure 2 (4). Ainsi, l’ASC de
la ciclosporine est multiplié en moyenne par 3 en
présence de bocéprévir (15) et par 4 en présence de
télaprévir chez les volontaires sains (9). L’ampleur de
ces interactions est encore plus grande pour le tacrolimus, avec une multiplication de l’ASC de l’immunosuppresseur par 17 en présence de bocéprévir (15) et
par 70 en présence de télaprévir (9). Ces interactions
doivent être gérées par des équipes pluridisciplinaires associant des pharmacologues et des clini-
AUC association/AUC seuil
70
60
50
40
Bocéprévir
30
Télaprévir
20
10
0
Ciclosporine
Tacrolimus
Figure 2. Ratio des ASC des inhibiteurs de la calcineurine avec ou sans inhibiteurs de
protéase du VHC.
238 | La Lettre de l’Infectiologue • Tome XXVIII - no 6 - novembre-décembre 2013
ciens experts. Les adaptations de posologie suivront
les mêmes règles que celles proposées avec les IP
du VIH renforcés par le ritonavir, telles que résumées précédemment. Des expériences ponctuelles
montrent la faisabilité de la coadministration du
bocéprévir, voire du télaprévir avec la ciclosporine
ou le tacrolimus (16, 17).
Compte tenu de ces interactions importantes, la
prise en charge après une transplantation de patients
co-infectés par le VIH et le VHC est complexe. Dans
ce contexte, un traitement antirétroviral à base de
raltégravir évitera les interactions avec les immunosuppresseurs et le télaprévir ou le bocéprévir.
De même, les taux d’hémoglobine doivent être
contrôlés très régulièrement dans le but de rechercher
une éventuelle anémie, toxicité la plus fréquemment
observée (17). Outre ces interactions médicamenteuses pharmacocinétiques, qui peuvent être gérées
par des équipes expérimentées, il faut considérer
également certaines interactions d’ordre pharmacodynamique. Ainsi, la coadministration d’azathioprine
et de ribavirine, myélotoxiques, doit être évitée (18).
Conclusion
Les interactions entre les médicaments contre
l’hépa tite C, les antirétroviraux et les immunosuppresseurs sont donc nombreuses. L’effet des
traitements anti-infectieux sur les inhibiteurs de la
calcineurine et sur les inhibiteurs de la mTOR est
aujourd’hui bien connu. Des précautions simples
lors de la mise en place du traitement immunosuppresseur (doses faibles en cas de coadministration
de ritonavir notamment) et un suivi régulier des
concentrations sanguines doivent en assurer l’efficacité et l’absence de toxicité. La ribavirine doit être
utilisée avec précaution, que ce soit avec certains
INTI ou avec l’azathioprine. Mais le problème le plus
complexe à gérer réside dans les interactions des
IP du VHC avec les IP du VIH et les INNTI dans le
cadre de la prise en charge des patients co-infectés
par le VIH et le VHC. À cet égard, par son métabolisme particulier qui réduit le risque d’interactions,
le raltégravir constitue une alternative prometteuse
dans la prise en charge du patient co-infecté par le
VIH et le VHC. De nombreux médicaments actifs sur
le VHC sont en cours de développement ; espérons
que leur profil pharmacocinétique limitera les interactions et facilitera la prise en charge des patients
co-infectés par le VIH et le VHC ou la prise en charge
complexe des patients transplantés pour éviter la
récidive virale C.
■
Actualités dans
LE TRAITEMENT DE L’HÉPATITE C
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NUMÉÉRO
BIB IO
BEST OF BIBL
NUMÉRO
BEST OF BIBLIO
INFECTIOLOGIE
S VIH
CLINIQUE HOR
À retrouver sur
ine
versus vancomyc
Fidaxomicine
des infections
dans le traitementcile
à Clostridium diffi
Méthode
r
urrie
a démontré sa
la fidaxomicine
aux États-Unis,
n des récurIII au Canada et
termes de préventio
essai de phase
er,
un bénéfice en
Au cours d’un
vancomycine et
(1) était de démontr
par rapport à la
Infectious Diseases
de la
non-infériorité
dans The Lancet
la non-infériorité
de l’étude publiée
aux États-Unis,
ive,
rences. Le but
au Canada et
d’une étude prospect
ble à celui réalisé
s’agissait
compara
Il
dans un essai
cine en Europe.
avril 2007 et
patients entre
rapport à la vancomy
ayant inclus les
tive 2).
fidaxomicine par
aveugle,
(diaposi
s
double
États-Uni
randomisée en
au Canada et aux
multicentrique,
Europe et 41 sites
cile (présence d’une
dans 45 sites en
diarrhée à C. diffi
2009,
e
d’une
décembr
être atteints
1 épisode antérieur
les patients devaient
y avoir plus de
Il ne devait pas
Pour être inclus,
ts, et les patients
e de toxine positive).
les 3 mois précéden
sur
diarrhée et recherch
d diarrhea) dans
était stratifiée
um difficile associate
n. La randomisation
de CDAD (Clostridi
de gravité à l’inclusio
présenter de signe
à la
ne devaient pas
de CDAD.
la vancomycine
200 mg × 2/j ou
épisode antérieur
la posologie de
l’existence d’un
la guérison clinique
fidaxomicine à
de jugement était
utilisés étaient la
Les traitements
Le critère principal
traitement.
10 jours.
recours à un autre
x 4/j pendant
la diarrhée sans
posologie de 125 mg
la résolution de
à J12), définie par
(évaluée
précoce
Pierre Tattevin et Jean-Luc Meynard
Diapositive 2.
Diapositive 1.
aphique
Référence bibliogr
in
R et al. Fidaxomic
Crook DW, Exposito with Clostridium
1. Cornely OA,
ind,
in for infection
versus vancomyc Canada, and the USA: a double-bl
trial. Lancet Infect
difficile in Europe,
randomised controlled
non-inferiority,
Dis 2012;12:281-9.
Diapositive 4.
Résultats
fidaxodans les groupes
et randomisés
nts ont été inclus
ents.
t que 535 patie
portait sur 509 pati
Les résultats montren
(n = 265), et l’analyse
daxomicine versus
nts du groupe fi
) et vancomycine
%) des 216 patie
clinique
micine (n = 270
montre que 198 (91,7
les critères de guérison
cine remplissent
étaient
L’analyse per protocole
groupe vancomy
3). Les résultats
235 patients du
ne (diapositive
213 (90,6 %) des
de la fidaxomici
d’inclusion
que soit la région
r la non-infériorité
quelle
démontre
de
(ITTm),
ée
de
permettant
de traiter modifi
upes en fonction
l’analyse en intention
plusieurs sous-gro
difficile,
similaires dans
été comparée dans
d’infection à C.
n a également
, d’antécédents
des patients. L’évolutio
ial de l’infection
dans ces sousétaient similaires
du caractère nosocom
résultats
Les
patients,
des
ues.
l’âge
concomitante.
d’autres antibiotiq
ues de manière
concomitante à
de l’exposition
recevant des antibiotiq
les patients n’ayant
n de celui des patients
fidaxomicine pour
groupes, à l’exceptio
dans le groupe
p = 0,0004). Pour
ce était plus faible
versus 25,7 %,
ces
difficile (11,4 %
Le taux de récurren
récurren
C.
à
des
n
e
récent d’infectio
difficile, la fréquenc
groupe
pas d’antécédent
d’infection à C.
34,4 % dans le
déjà fait 1 épisode
fidaxomicine versus
les patients ayant
nombre de
% dans le groupe
raison du faible
ement de 18,9
II
(p = 0,145), en
était respectiv
e significative
mais sans différenc
vancomycine,
chaque groupe.
dans
patients
rier 2013
18 | La Lettre
de l’Infectiologue
• Tome XXVIII -
n° 1 - janvier-fév
à paraître en février 2014
Coordination :
Commentaire
riorité
donc sa non-infé
les
ine démontre
La fidaxomic
confirmant ainsi
la vancomycine,
is et au
par rapport à
aux États-Un
et al.
l’étude réalisée
résultats de
Mullane KM
TJ, Miller MA,
ium
Canada (Louie
ycin for Clostrid ).
versus vancom
2011;364:422-31
Fidaxomicin
n. N Engl J Med
prévendifficile infectio
cine pour la
daxomi
fi
la
de
u démontrée,
La supériorité
nces est à nouvea % dans les
de 39
tion des récurre
on du risque
avec une réducti la fin du traitement (diapone concernent
4 semaines suivant
que ces études
et
sitive 4). À noter
signe de gravité,
adultes, sans
au cours des
que des patients
épisode
d’un
plus
n’ayant pas présentéOn ne peut donc pas conclure
nts.
formes
3 mois précéde
cine dans les
de la fidaxomi
idivistes.
sur le bénéfice
les patients multiréc
graves, ou chez
Prochain numéro
“Best of Biblio”
dimark.fr
le site www.e
e
versus vancomycin
Fidaxomicine
des infections
dans le traitement
cile
à Clostridium diffi
Contexte
après l’expole plus souvent
m difficile survient
que tout
L’infection à Clostridiu
mais il est établi
érapie à large spectre,
la flore digestive
sition à une antibioth
déséquilibre de
le d’entraîner un
ive 1). Les
antibiotique susceptib
Jean-Luc Meynard
cette infection (diaposit
de survenue de
graves avec
(Service des maladies
augmente le risque
, mais des formes
en être modérées
infectieuses, hôpital
t rapportées.
Paris)
conséquences peuvent
décès sont égalemen
Saint-Antoine,
parfois
et
bles
n toxique
iléus, mégacôlo
d’épidémies responsa
a été à l’origine
activité in
(ribotype 027)
daxomicine a une
rement virulente
États-Unis. La fi
re
Une souche particuliè
au Canada et aux
et permet d’atteind
particulièrement
que peu absorbée
de formes sévères,
cine ; elle n’est
biotique ainsi qu’une
e à celle de la vancomy
long effet post-anti
vitro 8 fois supérieur
elle possède un
sur C. difficile.
dans les selles ;
sélective
ation
très
une forte concentr
et, ainsi, une activité
sur la flore digestive
activité minimale
»
Diapositive 3.
logue • Tome XXVIII
La Lettre de l’Infectio
rier 2013
- n° 1 - janvier-fév
|
19
Les meilleures publications de 2013 sélectionnées
par le comité de rédaction de La Lettre.
Retrouvez la synthèse commentée et illustrée des
articles qui ont fait l’actualité dans les domaines
de la mycologie, de la réanimation, du VIH, de
la bactériologie, de la pharmacologie et de
l’infectiologie hors VIH.
C
La Lettre de l’Infectiologue • Tome XXVIII - no 6 - novembre-décembre 2013 |
239
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