DOSSIER THÉMATIQUE
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La Lettre du Cancérologue - Volume XV - n° 3 - mai-juin 2006
L’
hormonothérapie des cancers du sein débute en
1896, lorsque Sir G. Beatson, réalisant une ova-
riectomie bilatérale chez cinq patientes ayant un
cancer du sein avancé, obtint trois réponses tumorales. Ce n’est
que 10 ans plus tard, en 1906, que Marshall et Jolly décrivirent
le rôle et la fonction hormonale des ovaires. En 1930, Decour-
melle est le premier à réaliser une irradiation ovarienne permet-
tant d’obtenir aussi une réponse tumorale. Il faut attendre les
années 1960 pour qu’apparaissent les traitements médicamen-
teux. En réalité, les traitements hormonaux (anti-hormonaux,
devrait-on dire) sont les plus anciens traitements “ciblés” utili-
sés en cancérologie. Il est intéressant de remarquer qu’ils ont été
utilisés avant même la découverte des hormones. Leur profil de
toxicité est bien plus favorable que celui de la chimiothérapie, et
leur efficacité est indiscutable.
Nous ferons dans un premier temps le point sur l’épidémiologie
des cancers du sein, en particulier sur les facteurs de risque. Après
un rappel sur les mécanismes d’action des traitements hormonaux,
nous verrons quelles sont les stratégies thérapeutiques de l’utili-
sation de l’hormonothérapie dans les cancers du sein, en situation
adjuvante et métastatique, et comment il est possible d’optimiser
de façon ciblée l’action des traitements hormonaux. Enfin, nous
ferons le point sur le profil de toxicité des traitements hormonaux,
en particulier au niveau osseux et sur la qualité de vie.
ÉPIDÉMIOLOGIE
En France, l’incidence des cancers du sein a doublé en 20 ans,
passant de 20 000 cas environ en 1980 à 40 000 cas environ en
2000. La mortalité quant à elle est restée stable. Ce phénomène
est commun à tous les pays industrialisés. La première hypothèse
pour expliquer cette augmentation d’incidence est une plus grande
exposition aux facteurs de risque du cancer du sein, qui sont
d’ordre hormonal, nutritionnel et environnemental.
Les facteurs de risque hormonaux connus sont un âge précoce des
premières règles, une première grossesse tardive, l’absence d’allai-
tement, un nombre peu élevé de grossesses, une ménopause tar-
dive, la prise d’un traitement œstroprogestatif, un index de masse
corporelle élevé après la ménopause et des antécédents familiaux
de cancer du sein (1). L’intervalle entre la ménarche et la première
grossesse s’est beaucoup accru ces dernières décennies, non seu-
lement du fait de la survenue plus tardive de la première gros-
sesse, mais aussi à cause de l’apparition plus précoce de la
ménarche. En effet, la proportion des femmes ayant une première
grossesse entre 20 et 30 ans a diminué, et, à l’inverse, la propor-
tion de celles ayant une première grossesse entre 30 et 40 ans a
augmenté. L’accroissement de l’intervalle entre la ménarche et la
première grossesse est probablement un premier élément d’expli-
cation de l’augmentation de l’incidence des cancers du sein (2, 3).
Le poids de naissance (4), les taux d’estrone, de E-sulfate,
d’androstènedione et de téstostérone, le métabolisme glucidique,
la résistance à l’insuline et le taux d’IGF seraient aussi des fac-
teurs de risque de cancer du sein (5).
Parmi les facteurs nutritionnels, l’alimentation occidentale (6)
semble être un facteur de risque de cancer du sein, ainsi que l’obé-
sité et la prise de poids (7, 8). En revanche, la moindre consom-
mation de fruits et de légumes est un facteur de risque contro-
versé (2, 9). Il faut cependant noter que, selon l’Institut de veille
sanitaire, les habitudes alimentaires ne semblent pas avoir consi-
dérablement changé ces dernières années.
Enfin, parmi les facteurs de risque environnementaux, la consom-
mation d’alcool, une variation temporelle importante dans l’ali-
mentation comme une obésité récente et une migration vers des
pays occidentaux sont considérés comme des facteurs de risque
de cancer du sein (8, 10, 11). L’isolement et l’hypervigilance
semblent être chez l’animal des facteurs de risque de cancer du
sein. Certains toxiques environnementaux comme les flavonoïdes
seraient protecteurs, tandis que les pesticides seraient aussi un
facteur de risque de cancer du sein.
L’épidémiologie différentielle, qui consiste à distinguer les fac-
teurs de risque des cancers du sein RH+ (présence de récepteurs
hormonaux) de ceux des cancers du sein RH- (absence de récep-
Hormonologie des cancers du sein
Hormone therapy in breast cancer
C. Le Tourneau
1
, V. Diéras
1
, L. Mignot
1
D’après les 3es Entretiens du département d’oncologie médicale de l’Institut Curie
Orateurs : P. Cottu
2
, P. de Crémoux
1
, J. Gligorov
3
, J.Y. Pierga
1
, L. Zelek
4
, V. Diéras
1
, C. Roux
5
, P. This
1
, M. Spielmann
6
.
1.
Institut Curie, Paris ;
2.
hôpital des Diaconesses, Paris ;
3.
hôpital Tenon, Paris ;
4.
CHU Henri-Mondor, Créteil ;
5.
hôpital Cochin, Paris ;
6.
Institut Gustave-
Roussy, Villejuif.
119
La Lettre du Cancérologue - Volume XV - n° 3 - mai-juin 2006
teurs hormonaux), retrouve pour les tumeurs RH+ les facteurs de
risque précédemment décrits, alors que les facteurs de risque des
cancers du sein RH- restent peu connus. Il est à noter que c’est
principalement l’incidence des cancers du sein RH+ qui aug-
mente.
Pour expliquer cette augmentation d’incidence des cancers du
sein, certains ont évoqué la possibilité d’un surdiagnostic de can-
cers du sein dû au dépistage de masse. Cependant, si le dépistage
permet de dépister les cancers à un stade plus précoce, l’inci-
dence n’en est pas pour autant augmentée (12, 13).
Tandis que l’épidémiologie traditionnelle tente d’établir des liens
entre une exposition aux facteurs de risque et un cancer, l’avenir
réside probablement dans l’épidémiologie moléculaire, qui tente
de mettre en évidence des facteurs de susceptibilité à tous les
stades de la carcinogenèse, de l’exposition jusqu’à la découverte
du cancer.
MÉCANISMES D’ACTION DES TRAITEMENTS HORMONAUX
Il existe en réalité trois types d’hormonothérapie dans les can-
cers du sein (figure).
Le premier type est la suppression ovarienne, qu’elle soit phy-
sique – suppression chirurgicale ou par irradiation des ovaires –
ou chimique, fondée sur l’utilisation des agonistes de la LH-RH
(découverts en 1982). Ces traitements sont utilisés chez les
femmes non ménopausées, chez lesquelles les estrogènes sont
produits dans les ovaires.
Le deuxième type d’hormonothérapie repose sur les inhibiteurs
compétitifs de la liaison des estrogènes sur leurs récepteurs. Il
existe deux sortes d’inhibiteurs compétitifs : les SERM (selec-
tive estrogen receptor modulator), comme le tamoxifène, décou-
vert en 1975, qui sont antagonistes forts et agonistes faibles, et
les SERD (selective estrogen receptor degradation), découverts
en 1995, comme le fulvestrant, qui sont des antagonistes purs.
Les SERM se fixent au récepteur des estrogènes, induisant une
modification conformationnelle du récepteur, tandis que les
SERD provoquent une dégradation des récepteurs aux estrogènes.
Enfin, le troisième type d’hormonothérapie concerne les inhibi-
teurs de l’aromatase (découverts en 1981). Il existe deux sortes
d’inhibiteurs de l’aromatase : les inhibiteurs de type 1 (anastro-
zole et létrozole), qui sont des inhibiteurs non stéroïdiens, et les
inhibiteurs de type 2 (exémestane), qui sont des inhibiteurs sté-
roïdiens. Les inhibiteurs de l’aromatase, en inhibant l’aromati-
sation des androgènes en estrogènes, bloquent la synthèse des
estrogènes en périphérie. Il y a ainsi une inhibition de plus de
90 % du taux d’aromatase, rendant les estrogènes circulants indé-
tectables. Ils sont indiqués chez la femme ménopausée, chez
laquelle la synthèse des estrogènes a lieu dans le tissu adipeux,
l’endomètre, l’os, le tissu mammaire sain et tumoral. S.E. Bulun
et al. (14) ont montré que, dans 75 % des cas, les cancers du sein
se situent dans le quadrant dans lequel l’activité de l’aromatase
est la plus élevée.
La surrénalectomie, l’hypophysectomie, les traitements par estro-
gènes ou progestérone à fortes doses et ceux par androgènes sont
des traitements hormonaux qui ne sont plus du tout utilisés, du
fait de leur toxicité majeure.
STRATÉGIES THÉRAPEUTIQUES
Avant de définir toute stratégie thérapeutique, il convient de défi-
nir avec précision ce qu’est un cancer du sein hormonodépendant.
On considère actuellement qu’un cancer du sein est hormonodé-
pendant lorsque les récepteurs hormonaux, que ce soit aux estro-
gènes (RO) ou à la progestérone (RP), sont présents sur plus de
10 % des cellules cancéreuses en immunohistochimie. L’expres-
sion des récepteurs hormonaux augmente avec l’âge (15), et la
survie est statistiquement meilleure chez les patientes dont le can-
cer surexprime soit les RO soit les RP. T. Saphner et al. ont mon-
tré que les patientes qui avaient un cancer hormonodépendant
connaissaient un pic précoce de récidive moins élevé que les
patientes présentant un cancer non hormonodépendant (16).
Cependant, elles connaissaient un risque de récidive persistant à
dix ans, contrairement aux patientes qui avaient un cancer non
hormonodépendant. Par ailleurs, la méta-analyse de l’Early Breast
Cancer Trialists’ Collaborative Group a montré que le bénéfice
en survie sans récidive (SSR) et en survie globale (SG) de l’hor-
monothérapie était identique chez les femmes qui avaient un enva-
hissement ganglionnaire et chez celles qui n’en avaient pas (17).
La présence des récepteurs hormonaux est certes un facteur pro-
nostique, mais il semble que ce soit aussi un facteur prédictif de
moins bonne réponse à la chimiothérapie. L’essai IX de l’Inter-
national Breast Cancer Study Group a comparé trois cycles de
chimiothérapie adjuvante par CMF (cyclophosphamide, métho-
trexate et 5-FU) tous les 28 jours suivis de 5 ans de tamoxifène
versus 5 ans de tamoxifène seul chez 1 715 femmes ménopausées
ayant été opérées d’un cancer du sein et qui n’avaient pas d’enva-
hissement ganglionnaire (18). Le bénéfice en SSR et SG de la chi-
miothérapie était annulé chez les patientes qui avaient un cancer
Figure. Mécanismes d’action des traitements hormonaux dans le can-
cer du sein.
Hypothalamus
Hypophyse
Ovaire
Estrogènes circulants
Androgènes surrénaliens
Aromatase
Cellule épithéliale tumorale mammaire
Surrénales
Estrogènes
RO
Anti-estrogènes
Inhibiteurs de l’aromatase
Analogues du LR-RH
Progestatifs
DOSSIER THÉMATIQUE
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La Lettre du Cancérologue - Volume XV - n° 3 - mai-juin 2006
5 ans d’IA Switch par IA Switch par IA
après 2-3 ans de Tam après 5 ans de Tam
ATAC BIG 1-98 IES ITA ABCSG/ARNO MA 17 ABCSG 6
IA anastrozole létrozole exémestane anastrozole anastrozole létrozole anastrozole
IA (n) 3 215 4 003 2 362 208 1 618 2 575 387
Tam (n) 3 116 4 007 2 372 218 1 606 2 582 409
Âge médian (ans) 64 61 64 63 63 62 63
N+ (%) 39 42 49 100 26 50 32
RO/RP+ (%) 84 100 82 100 100 98 94
Suivi médian (mois) 68 26 37 52 28 29 60
RR de SSR 0,74 0,72 0,70 0,42 0,60 0,57 0,64
IA : inhibiteur de l’aromatase ; Tam : tamoxifène ; N+ : envahissement ganglionnaire ; RR : risque relatif ; SSR : survie sans récidive.
où les récepteurs hormonaux étaient très fortement exprimés. De
même, D.A. Berry et al., qui ont repris de façon rétrospective trois
essais de chimiothérapie adjuvante chez 6 644 patientes ayant un
cancer du sein avec envahissement ganglionnaire, ont montré que
le bénéfice de la chimiothérapie en SSR et en SG était plus impor-
tant chez les patientes dont le cancer ne surexprimait pas les récep-
teurs hormonaux (19). Par ailleurs, G. Arpino et al. ont montré
que les patientes atteintes d’une tumeur RO+RP– répondaient
moins bien à l’hormonothérapie que celles qui avaient une tumeur
RO+/RP+, et que ce phénotype était associé à l’existence de cofac-
teurs de prolifération comme la surexpression du récepteur à l’EGF
(20). Enfin, D.A. Bradley et al. ont montré que non seulement la
positivité des RH de la tumeur primitive mammaire pouvait être
différente de celle des métastases, mais aussi que le pronostic dif-
férait selon l’expression ou non des RH sur la tumeur primitive et
les métastases (21). En revanche, les traitements par chimiothé-
rapie sont efficaces sur les sites métastatiques viscéraux indé-
pendamment du statut des récepteurs hormonaux, comme le
montre par exemple l’essai BCIRG 001 (22). La question qui se
pose alors est de savoir si l’hormonodépendance n’est pas variable
dans le temps. Les stratégies thérapeutiques consistent donc à redé-
finir le degré d’hormonodépendance et de sensibilité aux diffé-
rents traitements, d’individualiser des facteurs biologiques simples
de résistance et de sensibilité aux traitements et enfin de construire
des essais pour valider les hypothèses biologiques émises.
HORMONOTHÉRAPIE ADJUVANTE
En situation adjuvante, la grande majorité des patientes atteintes
d’un cancer du sein RH+ ont une hormonothérapie adjuvante. La
méta-analyse de l’Early Breast Cancer Trialists’ Collaborative
Group a montré qu’un traitement adjuvant par tamoxifène pen-
dant 5 ans améliorait statistiquement la SSR (diminution de 50 %
du risque annuel de récidive) et la SG (diminution de 25 à 30 %
du risque annuel de décès) (17). Le tamoxifène, qui a été le trai-
tement de référence en situation adjuvante (comme en situation
métastatique) pendant 25 ans, est efficace en préménopause et en
postménopause (23). Cinq ans de traitement sont plus efficaces
que 2 ans, et il n’existe pas de bénéfice à poursuivre le traitement
pendant 10 ans. Il n’existe pas de bénéfice non plus à le prescrire
concomitamment à la chimiothérapie. En revanche, le tamoxi-
fène peut être administré ou non pendant la radiothérapie.
La suppression ovarienne chimique apporte un gain en SSR et en
SG (17). Elle est indiquée uniquement chez la femme non méno-
pausée (23). Elle peut être une alternative à la chimiothérapie
pour les cancers à faible risque de récidive. D’ailleurs, on peut
se demander si l’aménorrhée chimio-induite ne contribue pas en
grande partie au bénéfice de la chimiothérapie chez les femmes
non ménopausées. La question de la durée optimale des traite-
ments par agonistes de la LH-RH n’est pas encore résolue. Des
essais d’association avec le tamoxifène ou les inhibiteurs de l’aro-
matase sont en cours.
Pour les patientes ménopausées, les inhibiteurs de l’aromatase
occupent aujourd’hui une place primordiale. Plusieurs modalités
d’administration des antiaromatases ont été étudiées : d’emblée
(études ATAC et BIG 1-98-FEMTA), après 5 ans de tamoxifène
(études MA 17 et ABCSG 6) et le switch après 2 à 3 ans de
tamoxifène (études IES, ITA, ABCSG 8/ARNO et BIG 1-98-
FEMTA) [tableau].
L’essai ATAC a comparé anastrozole versus tamoxifène versus
la combinaison des deux pendant 5 ans en situation adjuvante chez
9 366 femmes ménopausées ayant été opérées d’un cancer du sein
(24). Après un suivi de 68 mois, la survie sans progression (SSP)
était statistiquement meilleure dans le bras anastrozole. La sur-
venue d’un primitif controlatéral était diminuée de 42 %. L’essai
BIG 1-98-FEMTA a comparé 5 ans de tamoxifène versus 5 ans
de létrozole versus 2 ans de tamoxifène suivis de 3 ans de létro-
zole versus 2 ans de létrozole suivis de 3 ans de tamoxifène en
situation adjuvante chez 8 028 patientes ménopausées ayant été
opérées d’un cancer du sein RO+ (25). Une comparaison de l’effi-
cacité en termes de SSR a été réalisée en combinant les patientes
des premier et deuxième bras avec celles des troisième et qua-
trième bras respectivement jusqu’au switch. Après un suivi médian
de 28 mois, le taux de récidive à 5 ans était statistiquement plus
Tableau. Essais de traitements adjuvants par inhibiteurs de l’aromatase dans les cancers du sein.
121
La Lettre du Cancérologue - Volume XV - n° 3 - mai-juin 2006
faible dans le bras avec létrozole. L’analyse de l’intérêt du switch
et de l’ordre d’administration du tamoxifène et du létrozole n’a
pas encore été réalisée, du fait du recul insuffisant.
L’essai MA 17 du NCIC CTG a comparé une hormonothérapie
adjuvante par 5 ans de tamoxifène suivis de 5 ans de létrozole
versus 5 ans de tamoxifène seul chez 5 187 patientes ménopau-
sées ayant été opérées d’un cancer du sein (26). Après un suivi
médian de 30 mois, la SSR était statistiquement meilleure dans
le bras avec létrozole. La SG était statistiquement meilleure dans
le sous-groupe des patientes ayant un envahissement ganglion-
naire. Une seconde randomisation est prévue pour les patientes
du bras létrozole, avec 5 années supplémentaires de létrozole ver-
sus placebo (essai MA 17R). L’essai ABCSG 6 avait comparé
5 ans de tamoxifène versus 5 ans de tamoxifène + 2 ans d’ami-
noglutéthimide en situation adjuvante chez 2 021 patientes opé-
rées d’un cancer du sein. Aucune différence en termes de SSR ni
en termes de SG n’avait été retrouvée. L’étude a été complétée
après les 5 ans de tamoxifène par une seconde randomisation par
3 ans de létrozole versus placebo chez les 856 patientes méno-
pausées RH+ (27). La SSR était statistiquement meilleure dans
le bras létrozole. En revanche, il n’y avait pas de différence en
termes de SG.
L’essai IES a comparé 5 ans de tamoxifène versus 2 à 3 ans de
tamoxifène suivis de 2 à 3 ans d’exémestane pour une durée totale
de 5 ans en situation adjuvante chez 4 742 patientes ménopau-
sées opérées d’un cancer du sein RO+ (28). La SSR, la survie
sans métastase (SSM) et la survie sans cancer controlatéral étaient
statistiquement meilleures dans le bras avec exémestane. L’essai
ITA a comparé 5 ans de tamoxifène versus 2 à 3 ans de tamoxi-
fène suivis de 2 à 3 ans d’anastrozole pour une durée totale de
5 ans en situation adjuvante chez 448 patientes opérées d’un can-
cer du sein avec envahissement ganglionnaire RO+ (29). La sur-
vie sans événement (SSE) était statistiquement meilleure dans le
bras avec anastrozole. Les études ABCSG 8 et ARNO 95 com-
paraient 5 ans de tamoxifène versus 2 ans de tamoxifène suivis
de 3 ans d’anastrozole en situation adjuvante chez des patientes
opérées d’un cancer du sein. L’analyse combinée de ces deux
essais, qui a regroupé 3 224 patientes, a retrouvé, après un suivi
médian de 28 mois, une SSM et une SSE statistiquement
meilleures dans le bras avec anastrozole (30).
La synthèse de ces études montre une supériorité des inhibiteurs
de l’aromatase par rapport au tamoxifène lorsqu’ils sont utilisés
directement après la chirurgie pour l’anastrozole et le létrozole,
après 2 à 3 ans de tamoxifène pour l’anastrozole et l’exémestane,
et après 5 ans de tamoxifène pour l’anastrozole et le létrozole
lorsqu’il existe un envahissement ganglionnaire. Les risques rela-
tifs de récidive dans ces essais varient entre 0,42 (pour ITA) et
0,74 (pour ATAC), ce qui représente une réduction en termes de
récidive de 58 % à 26 %. Ces résultats sont à replacer dans le
contexte de la méta-analyse de l’Early Breast Cancer Trialists’
Collaborative Group, qui retrouvait un risque relatif de récidive
de 0,59 pour le tamoxifène comparé au placebo (17). La ques-
tion cruciale qui se pose alors est de déterminer la séquence opti-
male du traitement hormonal adjuvant. Les essais BIG 1-98 et
TEAM (Tamoxifen Exemestane Adjuvant Multinational)
devraient répondre à cette question, puisqu’ils comparent un trai-
tement adjuvant par 5 ans d’inhibiteur de l’aromatase versus le
switch après 2 à 3 ans de tamoxifène. En attendant, R.S. Punglia
et al. ont utilisé un modèle de Markov pour déterminer la
meilleure séquence d’hormonothérapie adjuvante pour les
femmes ménopausées opérées d’un cancer du sein (31). Les résul-
tats étaient en faveur du switch par inhibiteur de l’aromatase après
2 à 3 ans de tamoxifène pour une durée totale de 5 ans, par rap-
port à 5 ans de tamoxifène ou à 5 ans d’inhibiteur de l’aroma-
tase. À l’inverse, la modélisation de J. Cuzick et al. était en faveur
de l’utilisation d’emblée d’inhibiteurs de l’aromatase, en parti-
culier pour les patientes dont le cancer exprime les RO mais pas
les RP (32). Une aide à la décision thérapeutique peut être d’éva-
luer le rapport bénéfice/toxicité en fonction des patientes.
HORMONOTHÉRAPIE DES CANCERS DU SEIN MÉTASTATIQUE
Chez les patientes non ménopausées, le tamoxifène, la castration
chirurgicale et la castration chimique par analogues de la LH-RH
ont une efficacité équivalente. L’ajout du tamoxifène à un ana-
logue de la LH-RH améliore le taux de réponse, la SSP et la SG
(33). Cependant, cette association n’est pas un standard théra-
peutique chez les patientes non ménopausées ayant un cancer du
sein métastatique ne nécessitant qu’une hormonothérapie, étant
donné sa tolérance médiocre.
Concernant les femmes ménopausées atteintes d’un cancer du
sein métastatique chez lesquelles une hormonothérapie est indi-
quée, tous les essais ont montré une supériorité en SSP des inhi-
biteurs de l’aromatase par rapport au tamoxifène. Les essais 0027
(34) et 0030 (35, 36) ont montré la supériorité de l’anastrozole,
l’essai de l’EORTC (37) celle de l’exémestane et l’étude P025
(38, 39) celle du létrozole. Les patientes traitées par exémestane
peuvent être sensibles au létrozole ou à l’anastrozole (40). Les
essais 0020 (41) et 0021 (42) ont comparé le fulvestrant à l’anas-
trozole en deuxième ligne chez des patientes ménopausées ayant
un cancer du sein avancé. L’analyse combinée de ces deux essais
a montré une équivalence en termes de SSP (43, 44). Il est à noter
que la durée de la réponse était augmentée de 30 % avec le ful-
vestrant. I. Vergote et al. ont comparé de façon rétrospective le
tamoxifène et le fulvestrant en première ligne métastatique. Le
tamoxifène semblait être plus efficace. Par ailleurs, après échec
au fulvestrant, les patientes restaient sensibles au tamoxifène, aux
inhibiteurs de l’aromatase et aux progestatifs (45). En deuxième
ligne, le tamoxifène, l’exémestane, le fulvestrant et les proges-
tatifs sont chez les femmes ménopausées des alternatives théra-
peutiques. Cependant, les patientes étant fréquemment traitées
en situation adjuvante par des inhibiteurs de l’aromatase, il reste
à déterminer la meilleure stratégie d’hormonothérapie lors de la
rechute, et notamment à définir la place des différents anti-estro-
gènes.
OPTIMISATION CIBLÉE DE L’ACTION
DE L’HORMONOTHÉRAPIE
La positivité des récepteurs hormonaux ne représente pas un cri-
tère absolu d’efficacité de l’hormonothérapie, puisque certaines
patientes ne répondent pas au traitement hormonal ou échappent
DOSSIER THÉMATIQUE
122
La Lettre du Cancérologue - Volume XV - n° 3 - mai-juin 2006
après un délai variable. Optimiser de façon ciblée l’action de
l’hormonothérapie revient à étudier les mécanismes de résistance
à l’hormonothérapie. L’étude rétrospective GUN, qui avait com-
paré tamoxifène versus placebo chez 403 patientes opérées d’un
cancer du sein, avait montré que le tamoxifène était délétère chez
les patientes dont les tumeurs surexprimaient HER2 (46). En
revanche, la phase S, la ploïdie, l’expression de l’EGFR et la den-
sité en microvaisseaux n’étaient pas prédictives. M. Dowsett et
al. ont aussi montré que l’expression de HER2 était inversement
proportionnelle à l’expression des RO (47). De la même manière,
G. Arpino et al. ont montré de façon rétrospective que les tumeurs
RO+/RP- exprimaient plus HER2 et l’EGFR et étaient de moins
bon pronostic que les tumeurs RO+/RP+ (20). D’autres mar-
queurs d’efficacité des hormonothérapies ont été recherchés.
AIB1 est un coactivateur des RO qui est surexprimé dans 65 %
des tumeurs de sein et amplifié dans 5 à 10 % des cas. AIB1 aug-
mente l’activité agoniste du tamoxifène. C.K. Osborne et al. ont
montré que, chez les patientes qui ne recevaient pas de tamoxi-
fène en situation adjuvante, une forte expression de AIB1 était
associée à une meilleure SSP (48). En revanche, chez les patientes
qui recevaient du tamoxifène en situation adjuvante, une forte
expression de AIB1 était associée à une moins bonne SSP, témoin
d’une résistance au tamoxifène. Le pronostic était encore moins
bon lorsque AIB1 et HER2 étaient tous les deux surexprimés. Le
modèle néoadjuvant a naturellement été utilisé pour étudier la
résistance à l’hormonothérapie. M.J. Ellis et al. ont ainsi montré
que les patientes dont les tumeurs surexprimaient HER2 et
l’EGFR répondaient statistiquement mieux au létrozole qu’au
tamoxifène (88 % versus 21 %) (49). L’étude IMPACT, qui com-
paraît 3 mois d’hormonothérapie néoadjuvante par tamoxifène,
anastrozole ou l’association des deux a montré que, dans le sous-
groupe des patientes ayant une tumeur surexprimant HER2, le
taux de réponse à l’hormonothérapie était plus élevé avec l’anas-
trozole (58 %) qu’avec le tamoxifène (22 %) ou l’association
(31 %) (50). Finalement, les études précliniques et cliniques sug-
gèrent que les inhibiteurs de l’aromatase sont plus efficaces que
le tamoxifène pour les tumeurs HER2+ ou RO+/RP-. La signa-
lisation par les récepteurs aux estrogènes ne peut plus être consi-
dérée isolément. En effet, les facteurs de croissance peuvent
modifier la réponse ou être modifiés par les hormones.
L’association de l’hormonothérapie aux inhibiteurs des signaux
de transduction, comme les inhibiteurs de facteurs de croissance
anti-HER1/HER2, les inhibiteurs de farnesyltransférases, les inhi-
biteurs de MEK et les inhibiteurs de mTOR, ouvre de nouvelles
perspectives.
J. Shou et al. ont montré en préclinique que la surexpression de
l’EGFR et de HER2 était un facteur de résistance au tamoxifène
et que le trastuzumab et le gefitinib permettent de rétablir l’acti-
vité antitumorale du tamoxifène (51). Dans l’étude HERA, qui a
comparé une chimiothérapie adjuvante à une chimiothérapie adju-
vante suivie de un an de traitement par trastuzumab chez des
patientes opérées d’un cancer du sein surexprimant HER2, la SSR
était améliorée de 50 % dans le bras avec trastuzumab, quel que
soit le sous-groupe de récepteurs hormonaux et quel que soit le
traitement hormonal (52). Or, les deux tiers des patientes ont reçu
une hormonothérapie adjuvante par tamoxifène. L’hypothèse,
déjà émise en préclinique par A. Argiris et al. (53), est que le tras-
tuzumab réverse la résistance au tamoxifène. Des essais étudiant
l’association du tratuzumab à un inhibiteur de l’aromatase sont
en cours. Le lapatinib est un inhibiteur de tyrosine kinase anti-
HER1/HER2 d’administration orale. En préclinique, il a été mon-
tré qu’il restaurait la sensibilité au tamoxifène et entraînait une
régression tumorale (54). Actuellement, un essai de phase III éva-
lue le létrozole avec ou sans lapatinib chez 760 patientes ayant
un cancer du sein métastatique.
Les études précliniques ont montré que les inhibiteurs de farne-
syltransférases avaient une activité cytostatique sur les lignées
tumorales mammaires (55). Par ailleurs, il existe une synergie
avec le tamoxifène et les inhibiteurs de l’aromatase (56). Les
essais cliniques en monothérapie et en association avec les hor-
monothérapies sont en cours.
Enfin, la voie de signalisation PI3K/AKT/mTOR joue aussi mani-
festement un rôle important dans la croissance tumorale. En effet,
l’AKT sérine-thréonine-kinase est activée en réponse à de nom-
breux facteurs de croissance. Le mammalian target of rapamycin
(mTOR) est un effecteur de la voie de signalisation
PI3K/AKT/mTOR. Les approches thérapeutiques reposent sur le
développement d’inhibiteurs de PI3K (LY294002) et d’inhibiteurs
de mTOR comme les analogues de la rapamycine (temserolimus
CCI 779 et everolimus RAD-001). A.S. Clark et al. ont montré en
préclinique que l’activation d’AKT induisait une résistance au
tamoxifène (57). Par ailleurs, l’everolimus a une activité antitu-
morale, et il existe une synergie du létrozole et de l’everolimus.
Les modèles précliniques montrent aussi que le temsirolimus res-
taure la sensibilité au tamoxifène. Les essais cliniques en mono-
thérapie et en association avec les hormonothérapies sont en cours.
Le problème principal des essais cliniques en situation métasta-
tique ou adjuvante est l’hétérogénéité des patientes. Le meilleur
modèle pour évaluer ces nouvelles thérapeutiques est la situation
néoadjuvante. Pour optimiser l’hormonothérapie, il est impéra-
tif de bien comprendre les mécanismes biologiques, de réaliser
des essais précliniques et enfin de sélectionner les patientes pour
les essais cliniques, afin d’établir la preuve du concept.
HORMONOTHÉRAPIE DES CANCERS DU SEIN
ET EFFETS OSSEUX
Presque toutes les études montrent que le risque de fracture est
plus important chez les femmes traitées pour un cancer du sein
(58-60). Selon la définition de la conférence de consensus de 1993,
l’ostéoporose est une maladie diffuse du squelette caractérisée par
une diminution de la masse osseuse et des altérations microar-
chitecturales du tissu osseux, ayant pour conséquence une aug-
mentation de la fragilité osseuse et du risque fracturaire. Le dia-
gnostic d’ostéoporose est fait par ostéodensitométrie. La densité
osseuse est estimée par le T-score, qui correspond en réalité à un
ratio de densité osseuse par rapport à une population du même âge
qui n’a pas d’ostéoporose. Un T-score inférieur à – 1 correspond
à une ostéopénie, tandis qu’un T-score inférieur à – 2,5 signe une
ostéoporose (définition de l’OMS 1997). Les facteurs reconnus
protecteurs vis-à-vis de l’ostéoporose chez les patientes atteintes
d’un cancer du sein sont le surpoids et un traitement par tamoxi-
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