Quand l`image se fait publicitaire

publicité
Quand l'image se fait publicitaire
(Ç)
L' Harmattan, 2001
ISBN: 2-7475-0136-1
Françoise MINOT
Quand l'image se fait publicitaire
Approche théorique, méthodologique et pratique
L'Harmattan
5-7, rue de l'École-Polytechnique
75005 Paris
France
L'Harmattan Inc.
55, me Saint-Jacques
Montréal (Qc) CANADA
H2Y 1K9
L'Harmattan Hongrie
Hargita u. 3
1026 Budapest
HONGRIE
L'Harmattan Italia
Via Bava, 37
10214 Torino
ITALIE
Ouvrage du même auteur
Etude sémio-psychanalytique
éditions Argul11ents, 1993.
de quelques films publicitaires,
Paris,
Mes relnerciements à François Jost pour ses conseils, à Patrick
Charaudeau auquel je dois en grande partie mon intérêt pour les
lnessages publicitaires, à Jean-Louis Leutrat qui m'autorise à utiliser
deux documents extraits de l'ouvrage Nosferatu qu'il publia avec
Michel Bouvier.
Merci aussi à Christian Metz qui n'est plus et qui sut si bien
communiquer sa passion pour l'image à ceux qu'il côtoyait.
PREMIERE
PARTIE
PUBLICITE, IMAGE ET
IMAGES DANS lA PUBLICITE
CHAPITRE
I
DE lA PUBLICITE AUX MESSAGES PUBLICITAIRES
- INFORMATIONS ET IllUSTRATION
-
I. Pour une définition de la publicité
Les définitions classiques
Un ouvrage qui se donne pour objectif de réfléchir sur les images
publicitaires doit, fût-ce brièvement, définir l'objet de son étude et en
envisager les particularités lorsqu'elles sont susceptibles d'infléchir
l'appareillage notionnel et méthodologique sur lequel il s'appuiera et,
en conséquence, l'orientation et le contenu des analyses qu'il présentera. La tâche n'est pas simple. Plusieurs auteurs dont les travaux font
référence dans le domaine de l'image comme de la publicité n'ont pas
manqué de le signaler.
Si l'on s'accorde ainsi assez volontiers sur le sens original du terme
« publicité» - «état de ce qui est rendu public », - l'accord se fait
beaucoup plus difficilement sur le sens moderne du terme. Bernard
Brochand et Jacques Lendrevie, au début de leur ouvrage Le
Publicitorl, passent ainsi en revue plusieurs définitions pour
finalement n'en trouver aucune qui les satisfasse pleinement. Ceci,
1
BROCHAND
et LENDREVIE,
1993 (p. 1).
même si deux d'entre elles, sans être exemptes de critiques, leur
paraissent plus convaincantes.
Il paraît en tout cas difficile de retenir la définition attribuée à
Salacrou dont les auteurs cités se déclarent pourtant les plus proches:
« La publicité est une technique facilitant soit la propagation de
certaines idées soit les rapports d'ordre économique entre certains
hommes qui ont une marchandise ou un service à offrir et d'autres
hommes susceptibles d'utiliser cette marchandise ou ce service ».
Certes, on peut apprécier que la publicité soit désignée comme
facilitant aussi « la propagation de certaines idées». Et l'on peut se
soucier de savoir si elle ne le fait pas au-delà des idées proposées
concernant le produit, le service, la marque ou l'entreprise qu'elle est
supposée vanter, au-delà même des idées relatives aux causes
officiellement défendues telle la lutte contre le sida ou bien relatives
aux hommes et idéologies politiques qu'elle est, dans certains pays,
autorisée à soutenirI. Mais évoquer la publicité sous son seul aspect
technique est fort réducteur et ne saurait suffire à rendre compte de ce
qui importe ici: la publicité dans sa dimension de construction
langagière.
On retiendra plus volontiers l'autre définition remarquée par les
auteurs, initialement proposée par Aaker et Myers dans leur ouvrage
Advertising management et reprise telle quelle par Laurence Cornu2
dans un ouvrage sur la sémiologie de l'image publicitaire: « Une
communication de masse, faite pour le compte d'intérêts qui sont
identifiés. Ce sont ceux d'un annonceur qui paie un média pour
diffuser un message qui est généralement créé par une agence de
publicité ». Elle présente, en effet, le mérite de se référer explicitement
aux messages et de le faire par rapport à des caractéristiques
essentielles au processus publicitaire médiatique classique dont se
préoccupera cette étude. On peut aussi apprécier que l'aspect intéressé
et financier, loin d'être évacué « hors champ» de la formulation, soit
signifié d'emblée. Et il est révélateur que le souci d'identification
renvoie au pôle énonciatif « source» des messages, alors que le terme
« masse », simple agglomérat d'individus, renvoie au contraire à
l'anonymat de la cible. Mais cette définition n'est toutefois pas sans
défauts plus ou moins importants que les auteurs du Publicitor, tout en
1
Voir chapitre 7.
2 CORNU, 1990 (p. 35-36).
10
lui reprochant d'être insuffisamment précise et discriminante, ne
pointent pas vraiment.
Il est d'abord notoire que tous les messages publicitaires ne passent
pas par la voie des médias. Sans parler de la publicité sur les lieux de
ventes, il suffit de se promener dans la rue pour voir, ostensiblement
affiché sur les sacs, T-shirts et blousons des personnes que nous
croisons, le logo ou le nom de telle ou telle marque connue grâce
auquel les jeunes, et parfois les moins jeunes, pourront se reconnaître
et se distinguer. Dis-moi quelle marque tu décides d'afficher sur toi, je
te dirai qui tu es ou qui tu voudrais qu'on croie que tu es ! Ce n'est
ainsi par un hasard si, dans son film Assassin(s), Mathieu Kassovitz
fait arborer le logo d'une célèbre marque de chaussures et de
vêtements de sport au moins âgé et au plus dur de ses deux jeunes
tueurs, incarnation terrifiante du « Just do it », compris évidemment à
la manière personnelle du personnage.
Tous les messages publicitaires ne sont pas non plus créés par des
agences de publicité. Il existe même de célèbres contre-exemples.
Interrogé sur le scandale suscité par la campagne publicitaire Benetton,
lancée en 1992, qui détournait certaines images « civiles» à des fins
publicitaires, comme la photographie de reportage d'un jeune sidéen
mourant entouré des siens, Georges Péninou insiste sur le caractère
transgressif de ces messages par rapport aux codes alors convenus de
la publicité. Et il ne manque pas de lier cette transgression au fait que
la campagne en question fut créée «hors tout circuit d'agence de
publicité-conseil» et donc « hors genèse d'une fabrication publicitaire
orthodoxe» 1.
De plus, la publicité clandestine existe depuis fort longtemps, telle
dans le domaine cinématographique la publicité pour le champagne
Mercier figurant dans le célèbre Barbe-Bleue de Méliès réalisé en 1901
(ainsi du moins que l'affirme publiquement la petite fille de ce
dernier). Et derrière des marques différentes se cachent parfois des
intérêts communs non identifiés comme tels.
Enfin, certains partisans d'une communication exigeante, nostalgiques du modèle verbal, éprouveront quelques réticences à utiliser le
terme de communication pour désigner les circuits d'émissionréception dans lesquels prennent place les messages publicitaires. C'est
1
PENINOU
et LIORET,
1993.
Il
qu'en effet la propriété de symétriel, essentielle à la communication
verbale, quand bien même elle ne s'inscrit pas toujours dans les faits,
manque ici cruellement. Le tourniquet linguistique, qui fait que
l'émetteur initial d'un message est susceptible de devenir
ultérieurement l'énonciataire de son propre énonciataire à travers
l'usage du même code, ne fonctionne pas. Ceci même si l'on admet
que les associations de consommateurs peuvent se faire le relais de
diverses doléances du public et si l'existence d'Internet peut, comme
l'affirment certains directeurs de grandes agences publicitaires,
modifier la donne dans un avenir proche. La principale, voire la seule
émission-retour du consommateur actuellement prise en considération
est la présence ou l'absence de comportement d'achat. Or celle-ci, qui
ne saurait être comparée à un fait de langue, s'avère particulièrement
sommaire au regard des ressources communicationnelles rendues
possibles par l'usage combiné non seulement de la langue mais aussi
de l'image, de la musique et des bruits divers sur lesquels peut
s'appuyer la publicité. Et c'est avec quelque raison que Laurence
Cornu, dans l'ouvrage précédemment cité, accuse cette dernière « avec
son cortège de techniques attentives à la psychologie, à la sociologie, à
l'économie» de chercher à « colmater la brèche où s'introduit l'esprit
critique »2. Comment d'ailleurs affirmer que le non-achat constitue
bien une réponse au message publicitaire et au seul message
publicitaire, voire à la campagne publicitaire, quand tant d'autres
facteurs sont susceptibles d'intervenir dans l'absence des réactions
souhaitées par l'annonceur.
Tout registre communicationnel cependant ne saurait être calqué
sur celui autorisé par la langue et le fonctionnement de l'image en
particulier ne saurait être calqué sur celui-ci. Comme par ailleurs
l'objectif des professionnels de la publicité est d'agir sur le
comportement de ceux auxquels ils ont choisi de s'adresser, le fairesavoir - quelle que soit son importance - se trouve, avec elle,
constamment placé, en situation de production des messages, sous la
dépendance du faire-vouloir et du faire-vouloir-faire. Ceci conduit bien
au-delà d'une simple visée de transmission d'informations et renvoie à
un usage courant du mot communication. Nous conserverons donc le
terme sous réserve d'avoir précisé qu'il s'agit là d'une communication
1
2
KERBRAT-ORECCHIONI,
1984 (p. 21).
CORNU, o. C., 1990 (p. 23).
12
« fonctionnelle»1 qui, peu soucieuse d'intercompréhension, entend
s'assujettir aux règles de l'efficacité liées aux intérêts des groupes
sociaux, ici essentiellement économiques, qui en prennent l'initiative,
d'une communication enfin qui se distingue aussi par son caractère
partisan et puissamment vectorisé.
Des objectifs
aux fins de la publicité.
La définition
retenue
Mais qu'en est-il au juste de ce faire-vouloir? La formule est
connue. La finalité de la publicité est de «faire vendre». C'est là
reprendre un peu vite les propos des professionnels. Outre que c'est
oublier la publicité pour les causes (encore peu présente en France il
est vrai) et la publicité
institutionnelle
(corporate
advertising)
- qui
peut aussi bien concerner les institutions publiques que les entreprises
privées et dans laquelle certains voient l'avenir sinon le «terme
historique» de la publicité2 -, pour ne pas parler de la publicité à
orientation politique, présente de manière officielle dans différents
pays, la formule doit également être interrogée lorsqu'il s'agit des
marques, biens et services.
A l'évidence, même si l'on a pu se demander parfois si, prise dans
son ensemble, la publicité marchande faisait réellement vendre et si
certains économistes ironisent en affirmant que le rôle principal de la
publicité est « d'aider les supports à se vendre pour rien ou pas grandchose »3, il est indéniable que c'est bien là l'objectif que les
annonceurs et publicitaires cherchent à atteindre par le moyen de
campagnes publicitaires qui peuvent être fort onéreuses. On ne saurait
toutefois d'emblée assimiler les fins de la publicité - fins définissables
comme «ce pourquoi une chose est faite» mais aussi comme le
« terme» ou le résultat vers lequel elle tend de manière consciente ou
inconsciente4 -, aux seuls objectifs qui s'inscrivent dans la logique
marchande des professionnels. La publicité est l'affaire du public
autant que des annonceurs et publicitaires. Or, dans un article de la
1
2
3
WaLTON, 1997 (pp. 16-17 et 375-376).
LAGNEAU, 1993 (p. 115).
LAGNEAU, o. c. (p. 70).
4 LALANDE, 1926 (1997). Dans son Vocabulaire technique et critique de la
philosophie, André Lalande insiste sur le double sens du mot «fin» qu'il oppose
d'une part à l'idée de « moyen» et d'autre part à celle de « terme».
13
revue Médiascopel, Eliséo Véron montre avec pertinence que non
seulement on ne saurait plaquer le processus et la logique de
production des messages publicitaires sur ceux de leur réception mais
que, bien au contraire, les uns et les autres s'opposent dans les faits. Le
régime de production des messages, déterminé par la logique
commerciale du marketing, relève de « l'idéologie du calage» sur la
cible et, dans la discursivité de tel et tel d'entre eux, on peut chercher à
retrouver la singularité de sa « grammaire de production ». Le régime
de réception des messages, qui témoigne « des multiples facettes d'un
phénomène socioculturel global », relève au contraire de la diversité
plurielle et du décalage. « En reconnaissance, l'univers de la
discursivité publicitaire qui atteint chaque jour un individu donné a,
considéré dans son ensemble, moins de choses à voir avec ses
comportements d'achat qu'on ne l'imagine habituellement »2. Pour ne
prendre qu'un exemple, dans les rues, le métro ou bien devant la
télévision, nous recevons chaque jour un grand nombre de messages
publicitaires qui ne nous sont pas destinés et auxquels nous pouvons
être diversement sensibles sans être le moins du monde concernés par
l'achat des objets proposés. Tous les sujets récepteurs ne disposent
d'ailleurs pas des moyens financiers nécessaires ou du souci de stricte
légalité qui font préférer l'achat à tout autre moyen d'obtention. Et l'on
ne voit jamais que les messages publicitaires soient construits autour
de la volonté d'inculquer un tel souci civique.
C'est ainsi avec raison que l'on a pu insister à la fois sur le rôle de
cohésion sociale de la publicité (qui en gros, par-delà nos différences,
nous pousse à nous ressembler à travers des désirs communs) et sur
son indéniable responsabilité concernant le renforcement des
frustrations et du mal-être social, sources d'affrontements et de
violences diverses. Bref, prétendre que la publicité a pour fin de faire
vendre c'est à la fois trop ou trop peu. C'est trop car il n'entre pas dans
ses seuls moyens propres de pouvoir décider du choix du mode
d'appropriation des objets et services proposés. La plus belle fille du
monde ne peut donner que ce qu'elle a et tout ce à quoi la publicité,
livrée à ses seuls moyens, peut légitimement prétendre, c'est de faire
désirer l'appropriation des produits et services proposés par la marque.
C'est trop peu car se satisfaire d'une telle formulation c'est occulter la
1
2
VERON, 1994 (pp. 120-125).
VERON, ibid. (p. 122), en italique dans le texte.
14
complexité et la variété des modes de reconnaissance des messages
publicitaires et celles des réponses sociales qui leur sont faites,
lesquelles ne se mesurent pas toujours à l'aune du «j'achète ou je
n'achète pas ». Et c'est en conséquence défausser un peu trop vite la
publicité de problèmes sur lesquels nous reviendrons et auxquels elle
n'est pas étrangère.
Pour tenir compte des réserves qui viennent d'être signalées, la
définition sur laquelle nous nous appuierons pour nous référer à la
publicité sera donc la suivante: « Une communication de masse,
partisane et puissamment asymétrique, faite pour le compte d'intérêts
plus ou moins clairement identifiés. Ce sont ceux d'un annonceur qui
paie un média (ou plusieurs médias) ou s'offre tout autre moyen de
transmission, pour diffuser un message (ou plusieurs messages) qui est
en général (mais pas toujours) créé par une agence de publicité. Ce
message vise à agir sur les attitudes et le comportement de ceux
auxquels il s'adresse en les incitant à rechercher eux-mêmes (et / ou à
faire rechercher par d'autres) l'appropriation de certains biens et
services ou à les faire adhérer à certaines valeurs et idées ».
Il. Les messages publicitaires,
communication
particulier
éléments
d'un processus de
Si Pon peut choisir de s'intéresser aux messages publicitaires sans
faire référence à leur contexte de production et de réception, comme
certaines études célèbres ont pu le fairel, posséder quelque information
sur le processus de communication qui les intègre et les conditionne
s'avère d'une grande utilité et permet de prolonger l'analyse dans des
directions autrement interdites. Nous nous sommes déjà orientée dans
cette voie en opposant, avec Eliséo Véron, la logique du calage qui est
celle de la production des messages à celle du décalage qui est celle,
plus générale, de leur réception et en laissant entendre que la réponse
sociale à Pacte publicitaire pouvait aller bien au-delà de l'acte d'achat
et de son refus. C'est en nous référant plus particulièrement aux
travaux d'hommes de métier comme Henri Joannis, Bernard Brochand
1
BARTHES,
1964 (pp. 40-51).
15
et Jacques Lendrevie ainsi qu'à ceux de Jacques Séguéla et Jean-Marie
Dru que nous allons présenter quelques informations relatives à la
production des messages publicitaires dont on pourrait également avoir
à se servir, en situation de réception, pour une meilleure connaissance
de ces derniers. Nous les évoquerons en respectant la progression
classique de la communication publicitaire lorsque l'urgence et les
moyens permettent qu'on y satisfassel et nous nous essaierons ensuite
à l'analyse d'un document publicitaire en l'interrogeant au nom de
quelques-unes des données mentionnées.
La plate-forme créative. Préalables et modèles
Les préalables aux instructions créatives
Les messages publicitaires, loin de naître ex-nihilo, supposent la
collecte préalable d'un certain nombre d'informations qui peuvent
concerner des domaines fort différents: le produit et la marque, le
marché global et sa possible évolution, l'entreprise, ses principaux
concurrents, leurs produits et stratégies publicitaires, les médias
susceptibles d'être sollicités et, bien entendu, le prospect sur lequel on
aura décidé d'axer la campagne, etc.
Ces informations, et d'autres encore qui auront pu aboutir à
diverses modifications concernant le produit ou même présider à sa
conception, servent de base à une réflexion stratégique visant à la mise
au point d'un certain nombre de décisions relatives aux règles de
positionnement de celui-ci dans le contexte du moment2 et à la mise au
point du concept de communication envisagé.
On s'appuie enfin sur les décisions prises pour formuler une sorte
de cahier des charges ou « plate-forme créative» comprenant diverses
instructions formulées de manière concise qui seront remises à
l'équipe chargée de concevoir les messages publicitaires autour
desquels se développera la campagne.
1 Nous nous limiterons aux informations qui concernent directement l'élaboration des
messages publicitaires.
2 Positionnement « psychologique» et fonction imaginaire du produit, positionnement
« objectif» et valeur d'usage du produit, positionnement « symbolique» et fonction
sociale du produit, selon une certaine terminologie en vigueur.
16
La charte de création en 4 points
Au sujet de cette plate-forme créative les avis et les conceptions
diffèrent. Certains, notant son intérêt comme assise ferme sur laquelle
appuyer le « saut créatif» l, souhaitent la conserver tout en l'allégeant
au maximum pour éviter de brider l'imagination et l'intelligence de
ceux qui devront la respecter. C'est ainsi que Henri Joannis, l'un des
pionniers de l'enseignement du marketing en France et ancien viceprésident de l'agence Mac Cann Erickson2, préconise une « charte de
création» en quatre points et indique que, dans un premier temps du
moins, il peut être parfois opportun de se limiter à la divulgation des
deux premières entrées de la charte en précisant seulement ce que l'on
veut atteindre (objectif), auprès de qui (la cible) et en laissant relativement imprécises les deux entrées suivantes.
Les différents points mentionnés dans cette charte de création
concernent la cible visée, les objectifs, la promesse et les contraintes
de communication.
. La cible visée
On spécifie l'ensemble des personnes qui doivent être touchées par
la publicité selon un certain nombre de caractéristiques à la fois
qualitatives et quantitatives (caractéristiques socio-démographiques,
attitudes et motivations supposées).
Lorsqu'on s'attache ainsi à décrire la cible, il peut s'avérer
nécessaire de bien distinguer la cible marketing et la cible de
communication généralement plus large. De même, il importe de
distinguer entre cible prospectée et cible de témoins. La cible
prospectée, qui se subdivise en cible centrale (<<cœur de cible» ou
«cible utile») et des éléments plus périphériques (leur ensemble
constituant la cible générale), peut comprendre aussi bien les
consommateurs que les prescripteurs et acheteurs du produit et
intéresse bien entendu très directement la création. Mais on peut
également, lors de la conception des messages, devoir se soucier des
éventuelles réactions de la cible de témoins (grand public, fidèles de la
marque non intéressés par le produit et éventuellement revendeurs)
dans la mesure où elles sont susceptibles d'influencer le prospect.
1
2
DRU, 1984.
JOANNIS, 1978, nouveau tirage 1991 (p. 8-9).
17
Sous l'influence de travaux du CCA (Centre de Communication
Avancée) et des écrits vulgarisés de Bernard CathelatI, il est devenu
courant de catégoriser le public, d'abord au niveau national puis
international, en flux socioculturels répertoriés ou socio-styles, en
principe périodiquement redéfinis, dont la connaissance, parfois
standardisée sous forme de banques de données, guide le professionnel
dans ses choix de communication.
. Les objectifs de communication
(ou effets visés sur le prospect)
Pour formuler les objectifs de communication, il pourra s'avérer
nécessaire de distinguer entre « objectifs de création », qui importent
plus particulièrement au niveau où nous nous situons, et « objectifs de
type marketing ». Ces derniers s'attachent directement à l'action sur le
marché et aux comportements de masse des consommateurs. Ils ont,
dans la mesure du possible, tout intérêt à être formulés de façon à
pouvoir être par la suite évalués de manière objective et quantifiable. A
cet effet notamment les intentions fixées seront par exemple assorties
de conditions fixant les proportions et délais dans lesquels elles
devront être réalisées.
Les objectifs de création s'attachent, eux, plus particulièrement aux
réactions mentales et subjectives de ces mêmes consommateurs et
concernent «ce que l'on désire voir se passer dans la tête du
prospect », «le résultat à atteindre individuellement auprès d'un
prospect seul devant la page ou l'écran »2. Ils peuvent être variés dans
les effets recherchés, mais aussi grande soit cette variété, si l'on en
croit Henri Joannis, ils souscrivent toujours à l'une des dominantes
suivantes: informer / faire connaître, assurer la présence à l'esprit,
construire ou modifier une image de la marque ou du produit, modifier
des comportements de consommation, déclencher une réaction.
On distingue également les objectifs de communication selon le
niveau de la cible visé en priorité par cette dernière: niveau du
rationnel, niveau de l'affectif ou niveau plus immédiat d'un
comportement plutôt réactif ou moutonnier directement sollicité3.
1
CATHELA T, 1968 (édition revue et augmentée 1992). Cf. également CATHELA T
et EBGUY, 1988.
2 JOANNIS, 1995 (p. 72).
3
Les choix en question sont d'une grande importance relativement à l'organisation et
au contenu des messages publicitaires,
images comprises. Aussi aurons-nous à y
revenir au cours de cette étude.
18
. La « promesse»
ou satisfaction à communiquer
La « promesse », qui est sous-tendue par le message et qui entend
guider la cible prospectée dans ses attentes, peut prendre deux formes
différentes. On peut orienter le message sur les avantages présentés par
le produit (messages « avantages produit ») ou bien sur le bénéfice que
le consommateur pourra en retirer (<<messages bénéfice consommateur »).
Quant au bénéfice consommateur, il peut se présenter comme un
bénéfice concret lié à l'usage de l'objet. Mais il peut également se
présenter sous une forme immatérielle (promesse d'amour, de
reconnaissance) plus ou moins subtile (<<participation à l'univers
symbolique de la marque»). Il peut même parfois, précise Joannis, se
présenter sous une forme à ce point « ouverte» qu'il devient difficile
«de le définir en dehors même de son expression créative dans le
message ». C'est alors sur l'ineffable « plaisir du texte », pour
reprendre le titre d'un ouvrage de Roland Barthes, que l'on mise en
s'efforçant d'orchestrer, dans l'imaginaire de la cible, sa confusion
symbolique avec la satisfaction éprouvée dans la possession et l'usage
des produits de la marque. L'analyse de la publicité effectuée pour le
parfum Égoïstel Platinum de la marque Chanel, proposée dans la suite
de cette étude, permettra de revenir sur les messages mettant en œuvre
de tels processus.
Si avant les années 70, la publicité était fortement tributaire
d'études quantitatives et était majoritairement orientée vers des
promesses concrètes, le changement des mentalités significatif des
années 70, marquées par la crise et les événements de 1968 et
l'émergence de socio-styles orientés vers l'évasion et le décalage, vit
proliférer les « satisfactions à communiquer »2 de type psychologique
et symbolique (contestées par certains) en même temps que l'on se
préoccupa plus volontiers de rendre « les arguments justificatifs de la
promesse de base moralement, socialement ou économiquement
acceptables »3.
1
Nous accentuons, à titre exceptionnel, la majuscule afin de respecter l'orthographe
d'une annonce qui sera l'objet d'une étude approfondie lors du chapitre VI.
2
C'est par précaution que nous évitons le mot promesse. Ceci pour des raisons sur
lesquelles nous nous expliquerons par la suite.
3 BROCHAND et LENDREVIE, o. c. (p. 310).
19
Les instructions concernant cette rubrique sont particulièrement
importantes car l'une des toutes premières tâches de l'équipe de
création, œuvrant de manière classique, sera de trouver « le » concept
susceptible de traduire de la manière la plus « forte» et « pertinente»
possible la promesse ou satisfaction principale mentionnée dans le
cahier des charges. En effet, en raison de la brièveté du temps qui leur
est consacré et de l'attention fluctuante dont ils sont l'objet, on
considère volontiers qu'il n'est guère possible de faire réellement
passer plus d'une ou deux idées maîtresses dans les messages
publicitaires diffusés dans les grands médias de type affichage,
télévision, radio, cinéma 1.
. Les contraintes de communication
Ces contraintes peuvent provenir de considérations diverses:
réglementation à respecter ou à contourner, interdits formulés au
niveau du marketing, respect d'un code déontologique, contraintes
liées aux particularités des médias, du marché, de la cible, éléments à
énoncer de manière prioritaire ou au contraire à occulter, etc.
La charte de création en 6 points. Copy-stratégie classique
Des modèles d'instruction, déjà anciens et plus contraignants que
celui qui vient d'être présenté auquel Henri Joannis accorde la
préférence, ajoutent deux points supplémentaires aux mentions déjà
évoquées:
. Les appuis ou supports
Entendons par là les preuves, les «arguments» puisés auprès du
produit ou de la marque qui viennent soutenir la promesse.
. L'ambiance
ou le ton
On indique ici l'atmosphère dans laquelle la communication doit
plonger la cible.
Le « plan de travail créatif» (PTC)
Une plate-forme créative fort connue, baptisée «plan de travail
créatif» (PTC), plus précise encore, logiquement ordonnée et tout
1 Etant bien entendu que, dans les publicités de presse, le pavé rédactionnel, dont on
sait qu'il ne sera pas lu par le plus grand nombre, peut jouer les compléments
d' informati on.
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