DOSSIER THÉMATIQUE Antiangiogéniques Antiangiogéniques et cancer du poumon Antiangiogenic therapy and lung cancer S. Marco-Roucayrol*, L. Greillier*, **, P. Tomasini*, **, F. Barlesi*, ** A u cours des dernières années, le développement des thérapies ciblées a conduit à des progrès thérapeutiques significatifs dans le domaine de l’oncologie thoracique. Parmi ces traitements, on retiendra essentiellement les inhibiteurs de tyrosine kinase de l’EGFR (Epidermal Growth Factor Receptor), à savoir le géfitinib et l’erlotinib, ainsi que les antiangiogéniques. Nous avons réalisé une revue de la littérature sur les traitements antiangiogéniques évalués dans le carcinome bronchique non à petites cellules (CBNPC) et le carcinome bronchique à petites cellules (CBPC). Nous nous sommes particulièrement intéressés à l’efficacité des antiangiogéniques, en termes de survie sans progression (SSP) et/ou de survie globale (SG), mais également à leur toxicité. Efficacité des antiangiogéniques CBNPC de stade IV en première ligne, en association avec un doublet de chimiothérapie comportant un sel de platine (tableau◆II,◆p.◆602) [2-6]. La première étude, publiée par D.H. Johnson et al. (2) en 2004, a mis en évidence une augmentation significative de la SSP chez les patients recevant 15 mg/kg de bévacizumab comparativement à ceux du groupe placebo (7,4 versus 4,2 mois ; p = 0,023). Cet essai a toutefois entraîné une restriction d’indication en faveur des CBNPC non épidermoïdes devant le ◆◆ Dans◆les◆CBNPC Cinq études de phase II/III ont démontré l’efficacité du bévacizumab chez des patients traités pour un ** Centre de recherche en oncologie biologique et oncopharmacologie, INSERM U911, faculté de médecine, université de la Méditerranée, Marseille. Tableau I. Cibles biologiques et indications validées des antiangiogéniques actuellement en cours d’étude en oncologie thoracique. Anticorps monoclonaux Inhibiteurs de tyrosine kinase Actuellement, une seule molécule antiangiogénique a une autorisation de mise sur le marché (AMM) en oncologie thoracique : le bévacizumab. Il s’agit d’un anticorps monoclonal empêchant la fixation du VEGF (Vascular Endothelial Growth Factor) sur son récepteur (VEGFR), présent à la surface des cellules endothéliales. D’autres molécules sont en cours d’étude, certaines d’entre elles ayant déjà une autorisation de mise sur le marché dans une autre néoplasie◆(tableau◆I). La molécule ayant déjà une AMM en oncologie thoracique : le bévacizumab * Service d’oncologie multidisciplinaire et innovations thérapeutiques, université de la Méditerranée - Assistance Publique-Hôpitaux de Marseille. Agents perturbant la vascularisation tumorale Molécule Cibles Indication Aflibercept (1) VEGF Sorafénib VEGFR-1, VEGFR-2, PDGFR et certains facteurs de croissance Cancer rénal et hépatocellulaire Sunitinib Mêmes cibles que sorafénib Cancer rénal, leucémie myéloïde chronique et tumeurs stromales gastro-intestinales Vandétanib VEGFR-2, EGFR et RET kinases Pazopanib VEGFR, PDGFR et récepteur Kit Vatalanib VEGFR-1, VEGFR-2, VEGFR-3, PDGFR-β et c-Kit Thalidomide Cellules endothéliales via le TNFα Myélome multiple (personnes âgées de plus de 65 ans) ASA404 Cellules endothéliales ou tumorales 5,6-diméthylxanthénoneacetic acid EGFR : Epidermal Growth Factor Receptor ; PDGFR : Platelet-Derived Growth Factor Receptor ; VEGFR : Vascular Endothelial Growth Factor Receptor. La Lettre du Cancérologue • Vol. XIX - n° 10 - décembre 2010 | 601 Mots-clés Résumé Carcinomes bronchiques non à petites cellules Carcinomes bronchiques à petites cellules Thérapies ciblées Bévacizumab Sunitinib Sorafénib Aflibercept Les facteurs de croissance impliquant l’angiogénèse sont une cible thérapeutique potentielle dans le cancer bronchique. Ce travail est une revue de la littérature sur l’efficacité et les complications liées aux traitements antiangiogéniques dans les cancers bronchiques : les carcinomes bronchiques non à petites cellules (CBNPC) et les carcinomes bronchiques à petites cellules (CBPC). Le bévacizumab a déjà une autorisation de mise sur le marché (AMM) dans le CBNPC non épidermoïde de stade IV en association avec un doublet à base de sels de platine en première ligne puis en maintenance. L’étude IFCT 08-02 en cours évalue sa place dans le CBPC disséminé. D’autres molécules ont fait l’objet d’essais (sunitinib, sorafénib, aflibercept, vandétanib, pazopanib, thalidomide) dont les résultats sont commentés ici. Enfin, les toxicités sont acceptables et leur gestion simples si les contre-indications sont respectées. En conclusion, Le bévacizumab est la seule molécule antiangiogénique qui a une AMM en oncologie thoracique. Des études de phase III sont en cours pour valider la place des autres thérapies antiangiogéniques. Abstract Tableau II. Études évaluant l’association chimiothérapie et bévacizumab. Growth factors involving angiogenesis is a potential therapeutic target in lung cancer. This work is a review of the literature on the efficacy and safety profile related to antiangiogenesic drugs in lung cancer: non-small cell lung cancer (NSCLC) and small cell lung cencer (SCLC). Bevacizumab is indicated in nonsquamous stage IV NSCLC in combination with a platinumbased chemotherapy in firstline. The IFCT 08-02 study evaluate its place in disseminated SCLC. Sevreal drugs have been investigated (sunitinib, sorafenib, aflibercept, vandetanib, pazopanib, thalidomide) and the results are discussed here. Finally, the toxicities are acceptable and their management is simple if contraindications are respected. In conclusion, Bevacizumab is the only antiangiogenic agent that has an indication in thoracic oncology. Phase III studies are underway to validate the role of other antiangiogenic therapies. Auteurs Keywords Non-small-cell lung cancer Small-cell lung cencer Antiangiogenic Targed therapy Bevacizumab Sunitinib Sorafenib Aflibercept Association de chimiothérapie Dose Survie de bévacizumab sans progression (mg/kg) (mois) Survie globale (mois) D.H. Johnson et al. (1) Carboplatine + paclitaxel avec ou sans bévacizumab (6 cycles) puis avec ou sans bévacizumab en maintenance Placebo 7,5 15 4,2 4,3 7,4 (p = 0,023) 14,9 11,6 17,7 (p = 0,63) A. Sandler et al. (2) Carboplatine + paclitaxel avec ou sans bévacizumab (6 cycles) puis avec ou sans bévacizumab en maintenance Placebo 15 4,5 6,2 (p < 0,001) 10,3 12,3 (p = 0,03) M. Reck et al. (3) Cisplatine + gemcitabine avec ou sans bévacizumab (6 cycles) puis avec ou sans bévacizumab en maintenance Placebo 7,5 15 6,1 6,7 (p = 0,003) 6,5 (p = 0,03) 13,1 13,6 (p = 0,42) 13,4 (p = 0,76) J.D. Patel et al. (4) Carboplatine + pémétrexed + bévacizumab (6 cycles) puis bévacizumab + pémétrexed en maintenance 15 7,8 14,1 Carboplatine + docétaxel + bévacizumab (6 cycles) puis bévacizumab en maintenance 15 7,9 16,5 W.N. William et al. (5) taux plus élevé d’hémorragies pulmonaires chez les patients traités pour un carcinome épidermoïde. Dans tous ces essais, le bévacizumab était poursuivi en monothérapie chez les patients répondeurs ou stables à l’issue des 6 cycles de chimiothérapie, en traitement de maintenance. C’est donc ce schéma qu’il est recommandé d’utiliser en pratique courante. Concernant les essais en cours, les inclusions dans l’étude AVAPERL1 (NCT00961415), qui compare une maintenance par bévacizumab seul à une association bévacizumab + pémétrexed, sont terminées, et les résultats attendus pour 2011 (7). L’étude BeTa Lung s’est adressée à des patients suivis pour un CBNPC en progression après une première ligne de chimiothérapie. Un groupe de patients recevait 150 mg/j d’erlotinib + 7,5 mg/kg de bévacizumab toutes les 3 semaines et le second, 150 mg/j d’erlotinib + un placebo. Cette étude a montré que l’ajout du bévacizumab améliorait la SSP (HR = 0,62 ; p = 0,0001), mais aucune différence significative sur la SG n’a été retrouvée (8). ◆◆ Dans les CBPC En 2009, L. Horn et al. (9) ont publié les résultats d’une étude de phase II sur l’utilisation concomitante du bévacizumab en première ligne et d’une association de chimiothérapie par cisplatine et étoposide, chez 63 patients atteints de CBPC disséminé. 602 | La Lettre du Cancérologue • Vol. XIX - n° 10 - décembre 2010 La SSP moyenne a été de 4,7 mois, et la SG de 10,9 mois. L’Intergroupe francophone de cancérologie thoracique a ouvert une étude de phase II/­III sur l’association séquentielle du bévacizumab avec une chimiothérapie à base de sels de platine en première ligne (IFCT 08-02 ou NCT00930891). Les molécules ayant une AMM dans d’autres néoplasies Malgré l’intérêt qu’aurait pu avoir le sorafénib dans le CBNPC de stade IV en association avec un doublet à base de sels de platine, aucun bénéfice en termes de SG n’a été observé dans l’étude de G. Scagliotti et al. (10). Les résultats d’un traitement de deuxième ligne par sunitinib en monothérapie chez des patients métastatiques au niveau cérébral sont encourageants. L’étude de S. Novello et al. (11) a rapporté une SSP de 11,9 mois (IC 95 : 8,6-14,1) et une SG de 37,1 mois (IC95 : 31,1-69,7). Le sunitinib est d’ailleurs actuellement étudié dans des essais de phase III en maintenance après 4 cycles de chimiothérapie à base de sels de platine (NCT00693992) ainsi qu’en association avec l’erlotinib en deuxième ou troisième ligne thérapeutique (NCT00457392). DOSSIER THÉMATIQUE Le thalidomide ne semble pas avoir de place dans le traitement du CBNPC : il n’améliore pas la SG et augmente le risque thrombo-embolique chez les patients métastatiques (12). Ce risque a aussi été mis en évidence chez des patients recevant du thalidomide pour un CBPC diffus ou localisé (13). Les molécules en cours d’étude L’aflibercept a une plus grande affinité pour le VEGF que le bévacizumab, et pourrait donc avoir les mêmes indications. Son administration en association avec le cisplatine et le pémétrexed chez des patients atteints de CBNPC métastatique est en cours d’évaluation (NCT00794417). L’étude de phase II de M.J. McKeage et al. (14) a comparé 2 bras : carboplatine (ASC 6) + paclitaxel (175 mg/m²) + ASA404 (1 200 mg/m²) et carboplatine + paclitaxel. Aucune différence significative n’a été mise en évidence entre les 2 groupes en termes de survie, mais le taux de réponse était plus élevé dans le groupe ASA404. Une étude s’intéressant à l’association docétaxel + ASA404 en deuxième ligne thérapeutique pour CBNPC est en cours de recrutement (NCT00738387). Le vandétanib a été étudié dans plusieurs études randomisées. Le tableau III résume les essais les plus pertinents (15-18). Le pazopanib a fait l’objet d’une étude de phase II chez des patients porteurs d’un CBNPC résécable de stade I/II (19). Son administration par voie orale avant la chirurgie a entraîné une diminution de la tumeur de plus de 50 % chez 2 patients et une réponse partielle chez 3 patients, parmi les 42 inclus dans l’étude. Il existe de nombreux essais en cours avec le pazopanib, soit en situation adjuvante dans les CBNPC de stade précoce (NCT00775307, phase II/III), soit en association avec des molécules de troisième génération (pémétrexed : NCT00871403 ; paclitaxel : NCT00866528 ; vinorelbine : NCT01060514) ou avec l’erlotinib (NCT01027598) dans les CBNPC de stade IV. Complications liées aux traitements antiangiogéniques Le risque hémorragique En cas de carcinome non épidermoïde de stade IV, le risque hémorragique est compris entre 1,9 et 13 %, et le risque d’hémorragie pulmonaire fatale est de l’ordre de 0,6 à 1,5 % (2-7). Les carcinomes épidermoïdes sont actuellement une contreindication au bévacizumab, à la suite de l’étude de D.H. Johnson et al. (2). Cette étude a en effet rapporté un taux d’hémorragies pulmonaires de 31 % dans ce type histologique, contre 4 % en cas d’adénocarcinome. Ce risque serait principalement lié à la présence d’une cavitation au sein de la tumeur, présentation radiologique fréquente des carcinomes épidermoïdes (20). Toutefois, une étude récente a montré que, parmi des patients ayant un CBNPC non épidermoïde, la présence d’une cavitation ou d’une lésion centrale ne serait pas forcément prédictive d’un risque élevé d’hémorragie pulmonaire sévère (21). Depuis 2009, la présence de métastases cérébrales n’est plus une contre-indication au bévacizumab, car le risque hémorragique paraît indépendant d’un tel traitement (22). Les risques cardio-vasculaires En cas de traitement par bévacizumab, le taux de thrombose artérielle semble être significativement augmenté, passant de 1,7 à 3,8 % d’après la métaanalyse de F.A. Scappaticci et al. (23). Le nombre d’embolies pulmonaires est augmenté en cas de traitement par thalidomide (13). Le risque d’hypertension artérielle de grade 3-4 est de 5 à 9 % en cas de traitement par bévacizumab (2, 4-7). Il serait prédictif d’une meilleure SSP et d’une meilleure SG (24). Le risque de protéinurie serait de l’ordre de 1 à 3 % en cas de traitement par bévacizumab (2, 4-7). En cas de traitement par vandétanib, un allongement du QT peut survenir en l’absence de tout symptôme, ce qui rend nécessaire la pratique d’un électro­ cardiogramme avant et pendant le traitement. Tableau III. Études s’intéressant au vandétanib en cas de CBNPC de stade IV. Études Populations Molécules Survie sans progression ZEST (phase II) [15] Après échec sels de platine (≥ deuxième ligne) Vandétanib versus géfitinib HR = 0,69 ; IC95 : 0,50-0,96 ; p = 0,025 ZEPHYR (phase III) [16] Après échec d’un traitement par EGFR-ITK Vandétanib versus placebo HR = 0,63 ; IC95,2 : 0,54-0,74 ; p < 0,0001 ZODIAC (phase III) [17] En deuxième ligne thérapeutique Docétaxel + vandétanib versus docétaxel + placebo HR = 0,79 ; IC97,58 : 0,70-0,90 ; p < 0,001 ZEAL (phase III) [18] En deuxième ligne thérapeutique Pémétrexed + vandétanib versus pémétrexed + placebo HR = 0,86 ; IC97,58 : 0,69-1,06 ; p = 0,108 EGFR : Epithelial Growth Factor Receptor ; HR : hazard-ratio ; ITK : inhibiteur de tyrosine kinase. La Lettre du Cancérologue • Vol. XIX - n° 10 - décembre 2010 | 603 DOSSIER THÉMATIQUE Antiangiogéniques Antiangiogéniques et cancer du poumon Tableau IV. Principales toxicités du bévacizumab. Auteurs A. Sandler et al. (3) Nombre de patients Dose de bévacizumab (mg/kg) Taux d’hémorragies Taux d’hypertension artérielle, pulmonaires, dont fatales (%) dont grade 3-4 (%) Taux de protéinurie (%) 440 – 0 0 0 427 + (15) 1,9 (1,2) 2,8 2,1 327 – 2 (0,6) 2 0 330 + (7,5) 4 (1,5) 6 <1 329 + (15) 4 (0,9) 9 (0,3) 1 J.D. Patel et al. (5) 50 + (15) 0 0 2 W.N. William et al. (6) 40 + (15) 13 5 3 F. Barlesi et al. (7) 128 +(7,5) 1,5 (0) 13 0 M. Reck et al. (4) Le risque de fistule œso-trachéale De par son action antiangiogénique, le bévacizumab augmente le risque de fistule œso-trachéale s’il est associé à une radiothérapie thoracique. L’étude de D.R. Spigel et al. (25) a d’ailleurs été précocement interrompue du fait de cette complication chez des patients traités par radio-chimiothérapie concomitante et bévacizumab pour un CBPC localisé. Les autres complications Lorsqu’il est utilisé en association avec une chimiothérapie par carboplatine + paclitaxel, l’ASA404 pourrait augmenter les neutropénies de grade 3-4 (62,2 versus 38,9 %) et les événements indésirables sévères d’origine cardiaque (8,3 versus 2,8 %) [14]. Les inhibiteurs de tyrosine kinase du VEGFR ont une toxicité cutanée à type de syndrome main-pied (SMP) et d’éruption cutanée, en particulier en cas de traitement par sorafénib (risque de SMP de grade 3-4 de 10 % et de rash cutané de 60 %). Ils entraînent une toxicité digestive non négligeable à type de nausées et de diarrhées, dont la prise en charge précoce est nécessaire pour éviter un arrêt temporaire ou définitif de ces traitements. Cette toxicité est comparable à celles de l’erlotinib et du géfitinib. Conclusion D’après les travaux précliniques, les tumeurs malignes bronchiques sont de bonnes candidates pour un traitement antiangiogénique systémique. Le bévacizumab dispose aujourd’hui d’une AMM pour le traitement du CBNPC non épidermoïde de stade IV. Les études actuellement en cours détermineront si cette molécule est également efficace dans le CBPC. Les résultats obtenus à ce jour avec les inhibiteurs de tyrosine kinase du VEGFR sont encourageants, mais nécessitent pour la plupart d’être confirmés dans des essais randomisés de phase III. ■ Références bibliographiques 1.◆Riely GJ, Miller VA. Vascular endothelial growth factor trap in non-small-cell lung cancer. Clin Cancer Res 2007;13(15 pt 2):4623-7. 2.◆Johnson DH, Fehrenbacher L, Novotny WF et al. Randomized phase II trial comparing bevacizumab plus carboplatin and paclitaxel with carboplatin and paclitaxel alone in previously untreated locally advanced or metastatic nonsmall-cell lung cancer. J Clin Oncol 2004;22(11):2184-91. 3.◆Sandler A, Gray R, Perry MC et al. Paclitaxel-carboplatin alone or with bevacizumab for non-small-cell lung cancer. 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