Médecine & enfance Le syndrome dysexécutif : de l’Alzheimer à l’enfant POINT PSY M. Boublil, J. Bianchi, Centre de référence des troubles des apprentissages (CERTA), CHU Lenval, Nice Ayant travaillé pendant vingt ans à la fois en psychiatrie de liaison dans un service évaluant le déclin cognitif des personnes âgées et en pédopsychiatrie, j’ai été frappé par la similitude du désarroi de seniors n’arrivant plus à réfléchir efficacement et d’enfants intelligents n’arrivant pas à réussir en classe. Ils possédaient ces caractéristiques communes : ils ne comprenaient pas ce qui ne fonctionnait pas ; ils n’arrivaient pas à répondre à des problèmes dont la solution aurait dû aller de soi ; ils avaient des problèmes de concentration, de planification, de stratégie. Les neuropsychologues qui les examinaient employaient dans les deux cas le même terme de syndrome dysexécutif. Les difficultés de ces seniors et de ces enfants étaient invisibles, et on attendait donc d’eux une efficience normale, étant donné leur bon langage et la vivacité de leur regard. Quand réfléchir ne va pas ou plus de soi au point que votre entourage s’en rend compte, un bilan spécialisé s’impose. Pour les sujets âgés, il s’agit de consultations mémoire, alors que la mémoire n’est pas l’élément déterminant du déclin cognitif. Pour les enfants, c’est la consultation dans un centre référent des troubles des apprentissages (CERTA), puisque aujourd’hui l’échec scolaire est considéré comme une forme de maladie. « L’adaptation à des situations nouvelles ou suffisamment complexes nous oblige à établir des comportements régis par la mise en jeu de stratégies inédites et planifiées, se dégageant des comportements automatiques, réflexifs et routiniers. La flexibilité mentale, la résistance aux interférences, le partage des ressources attentionnelles, la découverte et l’apprentissage de nouvelles règles, la planification, le raisonnement, les stratégies pour réactiver les traces mnésiques, la conceptualisation et l’abstraction sont quelques-unes des fonctions mentales engagées dans les processus adaptatifs. Elles appartiennent classiquement aux fonctions exécutives. » R. Lévy [1] I Rubrique dirigée par M. Boublil l a été démontré que, dans la maladie d’Alzheimer, la présence d’un syndrome dysexécutif (qui s’écrit aussi dys-exécutif) est un facteur aggravant retentissant sur le plan fonctionnel et de l’autonomie [2]. Chez le sujet âgé, le syndrome dysexécutif correspond à une perte de capacités, qui est généralement ressentie puisque le patient est confronté à la perte de quelque janvier-février 2017 page 33 chose qui existait, alors que, chez l’enfant, il correspond à une non-acquisition, d’où des troubles plus difficiles à repérer et à diagnostiquer. Chez le sujet âgé comme chez l’enfant, c’est un constat qui permet de mettre en place des mesures et une forme de traitement (remédiation cognitive), qui sera d’autant plus utile que l’on aura repéré avec précision ce qui ne va pas. On voit la souffrance des patients âgés détériorés qui se désespèrent de ne plus pouvoir faire ce qu’ils faisaient avant sans effort. On voit la souffrance des enfants qui constatent que, dans leur classe, tout le monde comprend et qu’eux, qui se savent pourtant normalement intelligents (ils parlent bien, ont une bonne compréhension et une bonne logique de la vie), sont perdus quand ils doivent se concentrer, mettre en place une organisation, une stratégie, une planification. La notion de syndrome dysexécutif, terme issu de la neuropsychologie, sousentend que l’on accepte l’idée que notre esprit est organisé selon un schéma Médecine & enfance fonctionnel comportant une hiérarchisation des tâches dans notre raisonnement, avec au sommet de cette hiérarchie le système exécutif qui commanderait à diverses actions mentales : planification, contrôle attentionnel et inhibition des distracteurs, mémoire de travail (celle qui permet de garder présents les éléments utiles à notre réflexion), flexibilité cognitive (souplesse d’esprit, capacité de faire plusieurs choses à la fois). Cette notion sous-entend également que ce système est très vulnérable aux agressions, périnatales par exemple, ou bien vasculaires, liées au vieillissement cérébral, et que son altération est responsable des difficultés scolaires des grands prématurés (28-33 semaines), des enfants porteurs d’un syndrome d’alcoolisation fœtale (SAF) ou d’enfants ayant subi des carences éducatives et/ou psychoaffectives importantes. On le retrouve aussi chez des enfants cérébrolésés, des enfants porteurs de troubles du spectre autistique (TSA) ou de schizophrénie très précoce (STP). Certains tableaux que l’on nommait « psychose infantile » associaient des troubles du langage oral et un syndrome dysexécutif. Il est à noter que les jeunes collègues pédopsychiatres sont nombreux à n’avoir jamais abordé la notion de psychose infantile [3]. On peut trouver que l’association des éléments atteints n’est pas très spécifique et que de tels tableaux peuvent être observés dans le cadre du trouble déficitaire de l’attention avec hyperactivité (TDAH), des dyspraxies ou des déficits intellectuels légers. Les interrogations sur ce qu’avaient ces enfants [4] sont restées sans réponse jusqu’aux progrès de la neuropsychologie. On peut estimer que cette manière mécaniciste de voir le fonctionnement de la pensée est réductrice, marquée par l’œil neuropsychologique. Cependant, elle correspond à ce que l’on observe : des enfants en échec scolaire (surtout lorsque les exercices se compliquent et demandent une plus grande réflexion, on parle alors d’épuisement cognitif) qui ont cette association de distractibilité et de manque de concentration. Ces enfants ont le sentiment d’être perdus, et personne, ni eux, ni leur entourage, ne comprend pourquoi ils sont ainsi. C’est un handicap qui ne se voit pas… L’éducation nationale française, constatant que le cas n’est pas rare, a mis en place des cours de méthodologie [5] ; elle a aussi, dans certaines académies, produit des fiches utiles aux enseignants. Mais pour ces enfants, cela ne suffit pas, et les parents passent des heures à les faire travailler, sans grand résultat, une leçon sue la veille ne permettant pas de réussir le contrôle du lendemain. Ces enfants-là sont incompris ; on considère qu’ils sont paresseux, ne voulant pas faire d’efforts, ne travaillant que pour ce qu’ils aiment et quand ils aiment le professeur, ce professeur dont justement la méthode leur convient mieux. Le bilan neuropsychologique peut servir d’arbitre, et l’avis du neuropsychologue va nous éclairer. Toutefois, certaines questions demeurent : existe-t-il des éléments diagnostiques pathognomoniques du syndrome dysexécutif chez l’enfant ? y a-t-il divers degrés ? peut-il se résoudre spontanément ou en vieillissant ? quelles sont les comorbidités ? quels sont les diagnostics différentiels ? ce syndrome est-il toujours invalidant ? Le problème difficilement soluble est également celui de savoir si le syndrome dysexécutif est primaire ou secondaire, d’origine organique, développementale ou psychogène ; les avis sont partagés et les hypothèses nombreuses. en perpétuelle évolution constitue les fondements de l’intelligence ? Non pas l’intelligence cristallisée, celle des données et savoirs que nous accumulons en mémoire à long terme au fur et à mesure de notre existence… mais cette fluidité cognitive nécessaire à notre propre évolution. Nous regroupons sous le terme de fonctionnement exécutif un ensemble hétérogène de petits « outils cognitifs » permettant à l’être humain de prendre en compte des données nécessaires pour établir un raisonnement construit, planifier, hiérarchiser ses pensées, mais également s’empêcher de produire une action (motrice, verbale, mentale) inadaptée au contexte. Fonctions exécutives et capacités attentionnelles sont étroitement liées. Aussi, lorsque l’on reconnaît leur caractère « global », leur implication dans chaque action de l’individu au cours de son existence, on comprend aisément qu’un trouble ciblé sur ces aptitudes pourra totalement entraver l’adaptation au monde… ce qui nous renvoie donc directement à la notion de handicap. Le syndrome dysexécutif peut revêtir différentes formes cliniques. La pluralité des composantes cognitives impliquées en fait un trouble parfois difficile à diagnostiquer et pouvant souvent se confondre avec d’autres problématiques (cognitives et/ou psychologiques). L’ÉCLAIRAGE DU NEUROPSYCHOLOGUE Cliniquement, le trouble de l’inhibition se traduit par une impossibilité à inhiber une action, un comportement ou une réponse, et il peut parfois s’associer à une forte impulsivité. Les répercussions sur le raisonnement sont bien entendu très importantes : ce trouble entrave totalement les aptitudes d’analyse et d’abstraction. Nous observons ainsi des enfants présentant des profils comportant une certaine instabilité attentionnelle (et parfois motrice), qui sont comme « aimantés » par l’environnement proche [6] . Ces enfants sont attirés par le moindre LE FONCTIONNEMENT EXÉCUTIF : L’ADAPTATION EN LIGNE DE MIRE Qu’y a-t-il de plus valorisant pour l’être humain que de savoir se sortir seul d’une situation problématique ? Cela renforce le sentiment de progression, l’impression de pouvoir surpasser les contraintes et développe l’idée d’une autonomie face à un environnement en constant changement. Ne pourrait-on pas penser que l’adaptation à ce monde janvier-février 2017 page 34 LE TROUBLE DE L’INHIBITION, PILIER CENTRAL DU SYNDROME DYSEXÉCUTIF Médecine & enfance stimulus externe : ils ne peuvent s’empêcher de toucher les objets présents sur la table, ils sont incapables de faire abstraction des images d’une affiche collée au mur, etc. Ce trouble de l’inhibition peut également provoquer de nombreuses « digressions », perceptibles dans, entre autres, certaines tâches de fluence verbale. Ainsi, quand on demande à l’enfant de dénommer le plus rapidement possible des mots phonologiquement ou sémantiquement liés, l’analyse des productions montre une tendance à dévier du thème principal (ex. les animaux) pour rapidement s’engouffrer dans une toute autre catégorie sémantique (ex. les signes astrologiques) : « girafe… serpent… mouton… lion… Bélier… Capricorne… Balance… ». Cette tendance se retrouve également dans le discours lors des échanges avec l’enfant, qui peut par ailleurs se montrer logorrhéique ou alors totalement hypospontané. Sur ce trouble se greffent d’autres problématiques touchant différentes compétences cognitives, comme la mémoire de travail, les capacités de planification et de flexibilité mentale, ce qui impacte parallèlement la qualité de la mobilisation attentionnelle. La mémoire de travail, véritable pilier des apprentissages, est fortement entravée dans ce syndrome. Cela pénalise l’enfant dans la compréhension en lecture, la mémorisation des consignes orales, la manipulation d’informations en mémoire, le calcul mental, la hiérarchisation des idées et concepts, etc. Lors de l’activité de prise de notes par exemple, l’enfant devra distribuer justement ses ressources attentionnelles et cognitives entre deux tâches de nature différente. Il devra basculer de l’écoute du discours à la récupération des mots correspondant en mémoire à long terme, tout en veillant à ne pas détériorer la qualité graphique de son écriture. Voilà comment une tâche qui nous paraît habituelle et automatisée peut prendre la forme d’un véritable parcours du combattant pour ces enfants dysexécutifs. Le caractère hétérogène du syndrome rend parfois difficile l’analyse neuropsy- chologique, dans le sens où les épreuves utilisées dans nos tests sont le plus souvent multidéterminées (c’est-à-dire qu’elles impliquent simultanément de nombreux processus cognitifs). Cela oriente souvent le thérapeute vers des diagnostics de multi-dys, voire parfois de déficience intellectuelle (alors que ce n’est en réalité pas le cas pour ces enfants, même si leur bilan semble parfois l’indiquer). Seules certaines épreuves (ex. le subtest « similitudes » du WISC 4) moins sous-tendues par les fonctions exécutives nous permettent de toucher du doigt le potentiel de l’enfant. Il y a enfin les manifestations psychologiques secondaires à ce syndrome. Elles peuvent engendrer une forte baisse de l’estime de soi, une appréhension de la difficulté ainsi qu’une crainte de l’échec pouvant évoluer en phobie scolaire (nombre de phobies scolaires sont liées à ce syndrome). Cette constellation est la plupart du temps alimentée par une incompréhension de la part de la famille, des équipes enseignantes et des enfants eux-mêmes. VIGNETTE CLINIQUE : LIONEL En avril 2016, nous recevions en hôpital de jour le jeune Lionel, âgé de 12 ans et 9 mois, dans le cadre de difficultés scolaires liées à un trouble spécifique du langage écrit (dyslexie/dysorthographie mixte sévère). Il était en sixième après avoir redoublé le CM2. Lionel a été adopté en Lettonie à l’âge de quatre ans. Aucune information n’a été transmise concernant les premiers développements, si ce n’est l’indication d’une alcoolisation fœtale. Lionel est en échec depuis toujours concernant les mathématiques, se montre en décalage lors du passage à l’écrit et rencontre des difficultés pour déchiffrer et comprendre les consignes. Aucune prise en charge n’a été mise en place, mais un projet d’aide personnalisé (PAP) permet à l’adolescent de pouvoir utiliser en classe une calculatrice ainsi qu’une règle scanner. Evaluation par le WISC 4 L’évaluation intellectuelle par le WISC 4, datée de mars 2015, laissait enjanvier-février 2017 page 35 trevoir un potentiel intellectuel dans la norme des enfants de son âge : indice de compréhension verbale (ICV) à 106. Les scores intra-domaine, malgré leur hétérogénéité (7-15), démontraient un raisonnement abstrait et catégoriel fonctionnel sur cette sphère. Le profil de Lionel se démarquait en revanche par un indice de raisonnement perceptif (IRP) se situant à un niveau limite : 77. Ce type de profil laisse généralement suspecter des difficultés d’ordre visuopraxique ou bien attentionnelles, et nécessite des évaluations complémentaires poussées sur ces domaines pour savoir s’il existe un syndrome dysexécutif, un TDA ou des troubles praxiques (parfois associés). Le subtest « cubes » pouvait laisser entrevoir une problématique visuoconstructive ou visuo-spatiale primaire, mais, étant donné le rôle prépondérant des fonctions exécutives dans ces épreuves constructives, ce résultat ne permettait pas d’affirmer la présence d’un tel trouble. Le subtest « matrices » est une épreuve à choix multiples et reste donc très sensible à l’impulsivité ou, dans le cas de notre syndrome, révélateur de persévérations ou de décisions paraissant être le fait du hasard, l’enfant pouvant même désigner simultanément l’ensemble des choix mis à sa disposition. Les capacités en mémoire de travail et en vitesse de traitement étaient quant à elles déficitaires (indice de mémoire de travail (IMT) : 62 ; indice de vitesse de traitement (IVT) : 50), ce qui pouvait corroborer l’hypothèse d’un TDA ou d’une dyspraxie dont le type serait à spécifier. N’oublions pas que l’IVT est très sensible aux déficits visuo-spatiaux, aux troubles de la sélectivité visuelle ou même à l’impulsivité. Les subtests « codes » et « symboles » mettent également en jeu la mémoire de travail visuelle et visuo-spatiale (déficitaire chez Lionel), ce qui n’est pas le cas du subtest « barrage » (normalisé dans son cas). Bilan complémentaire en hôpital de jour Après analyse des données anamnestiques et neuropsychologiques, nous nous sommes rapidement orientés vers Médecine & enfance une hypothèse de TDA/H et/ou d’un trouble exécutif primaire ou associé. L’ensemble des évaluations complémentaires nous a tout d’abord permis d’écarter la présence d’un trouble visuo-spatial/constructif primaire, qui aurait pu être à l’origine de l’hétérogénéité du profil intellectuel. Par contre, le test de la figure de Rey a objectivé un défaut de planification primaire entravant totalement les capacités d’assemblage et donnant à l’étape de copie un aspect grandement déstructuré. Ce qui nous a permis ici d’éliminer la présence d’un trouble visuo-spatial/constructif sous-jacent, c’est bien la normalisation de la performance à « l’étape de planification »*. Quant aux épreuves exécutives, elles pointèrent la présence d’un important trouble de l’inhibition engendrant de régulières digressions, que ce soit dans le discours ou dans les performances. Le subtest « inhibition » de la NEPSY 2 mit en avant des scores pathologiques sur les étapes mettant en jeu les aptitudes d’inhibition et de flexibilité mentale, un important coût cognitif s’y associant. Lionel se montra très concentré face à la tâche, mais les pertes de consignes étaient récurrentes (sensibilité à l’interférence secondaire au trouble de la mémoire de travail), ce qui lui faisait commettre de nombreuses erreurs. Les difficultés de flexibilité mentale ont été une nouvelle fois révélées par le subtest « catégorisation » de la NEPSY 2. Sur cette épreuve, Lionel s’est montré très concentré et volontaire. Il a réalisé d’emblée une catégorie « incohérente », ne prenant appui sur aucun indice visuel. Nous n’avons relevé aucune stratégie d’extraction des données, l’adolescent procédant la plupart du temps par tâtonnement. Ne trouvant plus aucun critère, il finit par s’écarter de la consigne initiale pour réaliser un cercle avec les cartes mises à sa disposition. Lionel s’est montré également très distractible par son environnement proche, sans que cela semble rendre compte d’un trouble attentionnel primaire. Durant la consultation, il est resté constamment attiré par les affiches murales et ne parvenait pas à s’empê- cher de toucher les divers objets à proximité. Son attitude nous a semblé paradoxale : une attention à la fois totalement mobilisable sur les tâches en cours et grandement friable lors des temps sans activité. D’autre part, les parents adoptifs de Lionel, au travers d’un questionnaire préalablement rempli, avaient pointé que les difficultés attentionnelles ne concernaient que la sphère scolaire, ce qui appuyait l’hypothèse d’une manifestation secondaire. Conclusion du bilan En conclusion, nous évoquons la présence d’un trouble dysexécutif primaire, certainement impliqué dans les aptitudes de déchiffrage et de compréhension en lecture. En revanche, nous ne concluons pas à la présence d’un TDA, même si l’ensemble des difficultés liées au trouble exécutif de Lionel ne permettent pas une mobilisation optimale de ses ressources au niveau écologique. Le bilan permet donc de différencier un TDA, que Lionel n’a pas, d’un syndrome dysexécutif, ce qui est important pour la stratégie thérapeutique. LE TRAITEMENT : UNE RÉHABILITATION POUR UNE RÉADAPTATION AU MONDE La prise en charge de ces enfants est d’autant plus nécessaire que l’impact de ce syndrome ne se limite pas à la sphère scolaire : c’est toute la vie de l’adulte en devenir, avec tout ce que cela comprend, qui est en jeu (autonomie, relations sociales, vie professionnelle et familiale). Des séances régulières auprès d’un neuropsychologue (idéalement 2 fois par semaine) sont nécessaires dans ce cadre, afin de donner à l’enfant des stratégies de contournement et de tenter de renforcer certaines composantes (ex. mémoire de travail). Un suivi psychothérapeutique peut y être associé, selon l’impact psychologique manifesté, ainsi que d’autres prises en charge (orthophonique, ergothérapeutique, etc.) s’il existe des comorbidités. La dimension psychoaffective de ce trouble est complexe à déterminer : on peut imaginer qu’un enfant préoccupé, janvier-février 2017 page 36 soucieux, anxieux, dépressif, pris par des conflits entre ses parents, va perdre ses moyens, avoir la tête pleine de soucis, n’arrivera pas à se concentrer, et que si la situation dure parce qu’il est instrumentalisé, les troubles finiront par s’installer et le mettre en échec scolaire. Un tel tableau ressemble beaucoup à un syndrome dysexécutif : la vignette clinique suivante en est un exemple. VIGNETTE CLINIQUE : ALEXANDRA Alexandra est une jeune fille de treize ans. Elle vient toujours accompagnée de sa mère. Elle ne peut pas la quitter un instant, se tournant vers elle quand je lui pose une question. Elle n’a pas d’amis, est très angoissée par le collège, passe sa vie, soirées et week-ends compris, à travailler pour des résultats médiocres, voire très mauvais en mathématiques. Je suis très prudent car elle a déjà vu plusieurs psys avec qui elle a rompu quand ils ont voulu la voir seule. La mère me dit qu’Alexandra a subi, petite, des attouchements de la part d’un ami de la famille, ce dont elle n’a parlé que récemment. En outre, son père est depuis plusieurs années à l’étranger en situation difficile, à la limite de la légalité. Il lui écrit à son anniversaire et communique avec elle par Skype, mais elle en souffre car il a l’air amaigri et semble avoir beaucoup vieilli. J’apprends également qu’elle est née prématurée à 34 semaines d’aménorrhée (poids de naissance : 2,1 kg, périmètre crânien : 32 cm, taille : 47 cm, Apgar : 10-10). Elle a parlé tard (sans précision) et, en CP, a débuté une rééducation orthophonique, qui se poursuit davantage comme une aide à la compréhension des textes et un soutien psychologique qu’autre chose. Elle a passé petite une WPPSI 3 avec la conclusion qu’elle était déficiente (sans plus de détails). * Epreuve extraite du Projet FEE (fonctions exécutives chez l’enfant), étude nationale multicentrique sous la coordination d’Arnaud Roy, laboratoires de psychologie des universités d’Angers et de Chambéry. Médecine & enfance Alexandra est en classe de quatrième, en échec total en maths et à un moindre degré dans toutes les autres matières. La mère dit qu’elle ne comprend pas pourquoi sa fille ne comprend pas, qu’elle n’a pas de logique, pas de mémoire, qu’elle travaille des heures avec elle pour un résultat minime : les leçons sont toujours à réapprendre et les notions à revoir en permanence, comme si Alexandra « n’imprimait pas ». Un bilan cognitif plus fin montre au WISC 4 une dissociation ICV/IRP (103/69). Le suivi est compliqué, car la jeune fille a déjà essayé des séances de remédiation cognitive, mais elle n’a confiance qu’en sa mère et n’a pas adhéré aux conseils et exercices du neuropsychologue. Nos entretiens, toujours avec sa mère comme interprète des mouvements de tête et des regards, tourne autour de ses difficultés scolaires, et elle s’impatiente quand nous évoquons ses relations (inexistantes) avec ses camarades ou la situation de son père. Malgré tout, elle vient volontiers, et la mère me dit que ça l’aide à mieux comprendre sa fille. Alexandra a tous les symptômes d’un syndrome dysexécutif et en est terriblement gênée dans ses apprentissages. Ses échecs ont entraîné une mauvaise Références [1] LÉVY R. : « Syndrome dysexécutif cognitif : un déficit de l’administrateur de la mémoire de travail ? », Rev. Neuropsychol., 2009 ; 1 : 34-41. [2] FRYER-MORAND M., DELSOL R., NGUYEN D.B., RABUS M.T. : « Le syndrome dysexécutif dans la maladie d’Alzheimer : à propos estime d’elle-même, un retrait et un isolement majoré par son histoire, laquelle ne peut expliquer à elle seule ses problèmes cognitifs. Les troubles relationnels, l’angoisse, la dépression et l’isolement social demeurent malgré tout au premier plan, ainsi que le lien fusionnel à la mère. On pourrait parfaitement évoquer un tableau purement psychiatrique [7]. Que ce soit chez le patient atteint de maladie d’Alzheimer ou chez l’enfant, c’est toujours ce mélange et cette articulation entre éléments cognitifs et psycho-affectifs qui font la difficulté et la richesse de notre travail, le problème étant d’essayer de comprendre comment se mêlent et s’articulent les symptômes. POUR CONCLURE Le syndrome dysexécutif chez l’enfant est paradoxal, puisqu’il touche de plein fouet les fondations de l’intelligence chez des jeunes par ailleurs intelligents mais sur un mode atypique. Beaucoup moins médiatisé que les autres troubles faisant partie de la constellation dys, il n’en demeure pas moins handicapant. Il est parfois difficilement identifiable, de 95 cas », Neurologie - Psychiatrie - Gériatrie, 2008 ; 8 : 23-9. [3] BOUBLIL M. : « Que reste-t-il de la psychose infantile ? », Pédiatrie pratique, 2004 ; 159 : 7-10. [4] GIBELLO B. : L’enfant à l’intelligence troublée, Dunod, Paris, 2009. [5] A titre d’exemple, ce cours aux enseignants du collège pour promouvoir des méthodes pédagogiques pour les syndromes janvier-février 2017 page 37 malgré l’évaluation neuropsychologique et l’analyse clinique, et constitue pour le thérapeute en charge de la rééducation un enjeu de taille de par le caractère multiple de la plainte. Pour un médecin, ce qui est à retenir, c’est qu’un enfant qui semble tout à fait intelligent mais se trouve en échec scolaire n’est pas un paresseux mais un enfant qui souffre peut-être d’un trouble qu’il est intéressant de reconnaître pour l’aider. Un bilan de niveau (type WPPSI 4 ou WISC 4 et bientôt 5) peut déjà montrer une différence entre un ICV normal ou élevé et un IRP déficitaire, ce qui est une piste (comme une hyperleucocytose l’est pour une infection bactérienne), le reste nécessitant une synthèse d’équipe multidisciplinaire pour un diagnostic précis. L’existence d’une grande prématurité, d’un SAF, de carences précoces (longs placements en pouponnière), d'une cérébro-lésion ou d'un trouble psychiatrique peut orienter, mais ce diagnostic demeure difficile à faire et à expliquer aux parents comme aux enseignants, qui sont souvent excédés par cet enfant 첸 « intelligent qui est en échec » ! Les auteurs déclarent ne pas avoir de liens d’intérêts. dysexécutifs dans l’académie de Limoges : www.clg-eymoutiers. ac-limoges.fr/sites/www.clg-eymoutiers.ac-limoges.fr/IMG/ pdf/Methodologie.pdf. [6] MORET A., MAZEAU M. : Le syndrome dys-exécutif chez l’enfant et l’adolescent, Elsevier Masson, Paris, 2013. [7] BOIMARE S. : Ces enfants empêchés de penser, Dunod, Paris, 2016 (2e édition).