Le syndrome dysexécutif : de l’Alzheimer à l’enfant

Médecine
& enfance
«L’adaptation à des situations nouvelles ou
suffisamment complexes nous oblige à éta-
blir des comportements régis par la mise en
jeu de stratégies inédites et planifiées, se dé-
gageant des comportements automatiques,
réflexifs et routiniers. La flexibilité mentale,
la résistance aux interférences, le partage
des ressources attentionnelles, la découverte
et l’apprentissage de nouvelles règles, la pla-
nification, le raisonnement, les stratégies
pour réactiver les traces mnésiques, la
conceptualisation et l’abstraction sont
quelques-unes des fonctions mentales enga-
gées dans les processus adaptatifs. Elles ap-
partiennent classiquement aux fonctions
exécutives. » R. Lévy [1]
Il a été démontré que, dans la ma-
ladie dAlzheimer, la présence
dun syndrome dysexécutif (qui
s’écrit aussi dys-exécutif) est un facteur
aggravant retentissant sur le plan fonc-
tionnel et de l’autonomie [2]. Chez le su-
jet âgé, le syndrome dysexécutif corres-
pond à une perte de capacités, qui est
généralement ressentie puisque le pa-
tient est confronté à la perte de quelque
chose qui existait, alors que, chez l’en-
fant, il correspond à une non-acquisi-
tion, d’où des troubles plus difficiles à
repérer et à diagnostiquer.
Chez le sujet âgé comme chez l’enfant,
c’est un constat qui permet de mettre en
place des mesures et une forme de trai-
tement (remédiation cognitive), qui
sera dautant plus utile que lon aura
repéré avec précision ce qui ne va pas.
On voit la souffrance des patients âgés
riorés qui se désespèrent de ne plus
pouvoir faire ce qu’ils faisaient avant sans
effort. On voit la souffrance des enfants
qui constatent que, dans leur classe, tout
le monde comprend et qu’eux, qui se sa-
vent pourtant normalement intelligents
(ils parlent bien, ont une bonne compré-
hension et une bonne logique de la vie),
sont perdus quand ils doivent se concen-
trer, mettre en place une organisation,
une stratégie, une planification.
La notion de syndrome dysexécutif, ter-
me issu de la neuropsychologie, sous-
entend que l’on accepte l’idée que notre
esprit est organisé selon un schéma
Ayant travaillé pendant vingt ans à la fois en psychiatrie de liaison dans un ser-
vice évaluant le déclin cognitif des personnes âgées et en pédopsychiatrie, j’ai
été frappé par la similitude du désarroi de seniors n’arrivant plus à réfléchir
efficacement et d’enfants intelligents n’arrivant pas àussir en classe.
Ils possédaient ces caractéristiques communes : ils ne comprenaient pas ce
qui ne fonctionnait pas ; ils n’arrivaient pas à répondre à des problèmes dont la
solution aurait aller de soi ; ils avaient des problèmes de concentration, de
planification, de stratégie. Les neuropsychologues qui les examinaient em-
ployaient dans les deux cas le même terme de syndrome dysexécutif. Les diffi-
cultés de ces seniors et de ces enfants étaient invisibles, et on attendait donc
d’eux une efficience normale, étant donné leur bon langage et la vivacité de
leur regard. Quandfléchir ne va pas ou plus de soi au point que votre entou-
rage s’en rend compte, un bilan spécialisé s’impose. Pour les sujets âgés, il
s’agit de consultationsmoire, alors que la mémoire n’est pas l’élément-
terminant duclin cognitif. Pour les enfants, c’est la consultation dans un
centreférent des troubles des apprentissages (CERTA), puisque aujourd’hui
l’échec scolaire est considéré comme une forme de maladie.
Le syndrome dysexécutif :
de l’Alzheimer à lenfant
M. Boublil, J. Bianchi, Centre de référence
des troubles des apprentissages (CERTA),
CHU Lenval, Nice
POINT PSY
Rubrique dirigée par M. Boublil
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fonctionnel comportant une hiérarchisa-
tion des tâches dans notre raisonnement,
avec au sommet de cette hrarchie le
système exécutif qui commanderait à di-
verses actions mentales : planification,
contrôle attentionnel et inhibition des
distracteurs, mémoire de travail (celle
qui permet de garder présents les é-
ments utiles à notre réflexion), flexibilité
cognitive (souplesse d’esprit, capacité de
faire plusieurs choses à la fois). Cette no-
tion sous-entend également que ce systè-
me est très vulrable aux agressions,
périnatales par exemple, ou bien vascu-
laires, liées au vieillissement cérébral, et
que son altération est responsable des
difficultés scolaires des grands pma-
turés (28-33 semaines), des enfants
porteurs d’un syndrome d’alcoolisation
fœtale (SAF) ou d’enfants ayant subi
des carences éducatives et/ou psy-
choaffectives importantes. On le re-
trouve aussi chez des enfants cérébro-
lésés, des enfants porteurs de troubles
du spectre autistique (TSA) ou de schi-
zophrénie très précoce (STP). Certains
tableaux que lon nommait « psychose
infantile » associaient des troubles du
langage oral et un syndrome dysexécu-
tif. Il est à noter que les jeunes col-
lègues pédopsychiatres sont nombreux
à navoir jamais abordé la notion de
psychose infantile [3].
On peut trouver que l’association des
éléments atteints nest pas ts spéci-
fique et que de tels tableaux peuvent
être observés dans le cadre du trouble
déficitaire de l’attention avec hyperacti-
vité (TDAH), des dyspraxies ou des dé-
ficits intellectuels légers.
Les interrogations sur ce qu’avaient ces
enfants [4] sont reses sans réponse jus-
qu’aux progrès de la neuropsychologie.
On peut estimer que cette manre méca-
niciste de voir le fonctionnement de la
pensée est réductrice, marquée par l’œil
neuropsychologique. Cependant, elle
correspond à ce que l’on observe : des en-
fants en échec scolaire (surtout lorsque
les exercices se compliquent et deman-
dent une plus grande flexion, on parle
alors d’épuisement cognitif) qui ont cette
association de distractibilité et de
manque de concentration. Ces enfants
ont le sentiment d’être perdus, et person-
ne, ni eux, ni leur entourage, ne com-
prend pourquoi ils sont ainsi. C’est un
handicap qui ne se voit pas… L’éducation
nationale française, constatant que le cas
n’est pas rare, a mis en place des cours de
méthodologie [5] ; elle a aussi, dans cer-
taines académies, produit des fiches
utiles aux enseignants. Mais pour ces en-
fants, cela ne suffit pas, et les parents pas-
sent des heures à les faire travailler, sans
grand résultat, une leçon sue la veille ne
permettant pas de réussir le contrôle du
lendemain.
Ces enfants-là sont incompris ; on consi-
re quils sont paresseux, ne voulant
pas faire defforts, ne travaillant que
pour ce quils aiment et quand ils ai-
ment le professeur, ce professeur dont
justement la méthode leur convient
mieux. Le bilan neuropsychologique
peut servir d’arbitre, et l’avis du neuro-
psychologue va nous éclairer.
Toutefois, certaines questions demeu-
rent : existe-t-il des éléments diagnos-
tiques pathognomoniques du syndrome
dysexécutif chez l’enfant ? y a-t-il divers
degrés ? peut-il se résoudre spontané-
ment ou en vieillissant ? quelles sont les
comorbidités ? quels sont les diagnos-
tics différentiels ? ce syndrome est-il
toujours invalidant ? Le problème diffi-
cilement soluble est également celui de
savoir si le syndrome dysexécutif est
primaire ou secondaire, d’origine orga-
nique, développementale ou psychogè-
ne ; les avis sont partagés et les hypo-
thèses nombreuses.
L’ÉCLAIRAGE DU
NEUROPSYCHOLOGUE
LE FONCTIONNEMENT EXÉCUTIF :
LADAPTATION EN LIGNE DE MIRE
Qu’y a-t-il de plus valorisant pour l’être
humain que de savoir se sortir seul
dune situation problématique ? Cela
renforce le sentiment de progression,
limpression de pouvoir surpasser les
contraintes et développe lidée dune
autonomie face à un environnement en
constant changement. Ne pourrait-on
pas penser que l’adaptation à ce monde
en perpétuelle évolution constitue les
fondements de l’intelligence ? Non pas
l’intelligence cristallisée, celle des don-
nées et savoirs que nous accumulons en
mémoire à long terme au fur et à mesu-
re de notre existence… mais cette flui-
dité cognitive nécessaire à notre propre
évolution.
Nous regroupons sous le terme de fonc-
tionnement exécutif un ensemble hété-
rogène de petits « outils cognitifs » per-
mettant à l’être humain de prendre en
compte des données nécessaires pour
établir un raisonnement construit, pla-
nifier, hiérarchiser ses pensées, mais
également s’empêcher de produire une
action (motrice, verbale, mentale)
inadap tée au contexte. Fonctions exécu-
tives et capacis attentionnelles sont
étroitement liées. Aussi, lorsque l’on re-
connaît leur caractère « global », leur
implication dans chaque action de l’in-
dividu au cours de son existence, on
comprend aisément qu’un trouble ciblé
sur ces aptitudes pourra totalement en-
traver l’adaptation au monde… ce qui
nous renvoie donc directement à la no-
tion de handicap.
Le syndrome dysexécutif peut revêtir
différentes formes cliniques. La plurali-
té des composantes cognitives impli-
quées en fait un trouble parfois difficile
à diagnostiquer et pouvant souvent se
confondre avec d’autres problématiques
(cognitives et/ou psychologiques).
LE TROUBLE DE L’INHIBITION,
PILIER CENTRAL DU SYNDROME
DYSEXÉCUTIF
Cliniquement, le trouble de l’inhibition
se traduit par une impossibilià inhi-
ber une action, un comportement ou
une réponse, et il peut parfois s’associer
à une forte impulsivi. Les répercus-
sions sur le raisonnement sont bien en-
tendu très importantes : ce trouble en-
trave totalement les aptitudes d’analyse
et d’abstraction.
Nous observons ainsi des enfants pré-
sentant des profils comportant une cer-
taine instabilité attentionnelle (et par-
fois motrice), qui sont comme « aiman-
tés » par lenvironnement proche [6].
Ces enfants sont attirés par le moindre
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stimulus externe : ils ne peuvent s’em-
cher de toucher les objets présents
sur la table, ils sont incapables de faire
abstraction des images dune affiche
collée au mur, etc.
Ce trouble de l’inhibition peut égale-
ment provoquer de nombreuses « di-
gressions », perceptibles dans, entre
autres, certaines tâches de fluence ver-
bale. Ainsi, quand on demande à l’en-
fant de dénommer le plus rapidement
possible des mots phonologiquement ou
sémantiquement liés, l’analyse des pro-
ductions montre une tendance à dévier
du thème principal (ex. les animaux)
pour rapidement s’engouffrer dans une
toute autre catégorie mantique (ex.
les signes astrologiques) : « girafe… ser-
pent… mouton… lion… Bélier… Capri-
corne… Balance… ». Cette tendance se
retrouve également dans le discours
lors des échanges avec l’enfant, qui peut
par ailleurs se montrer logorrhéique ou
alors totalement hypospontané.
Sur ce trouble se greffent d’autres pro-
blématiques touchant différentes com-
pétences cognitives, comme la mémoire
de travail, les capacités de planification
et de flexibilité mentale, ce qui impacte
parallèlement la qualité de la mobilisa-
tion attentionnelle.
La mémoire de travail, véritable pilier
des apprentissages, est fortement entra-
vée dans ce syndrome. Cela pénalise
l’enfant dans la compréhension en lectu-
re, la mémorisation des consignes orales,
la manipulation d’informations en mé-
moire, le calcul mental, la hiérarchisa-
tion des idées et concepts, etc. Lors de
l’activité de prise de notes par exemple,
l’enfant devra distribuer justement ses
ressources attentionnelles et cognitives
entre deux tâches de nature différente. Il
devra basculer de l’écoute du discours à
la récupération des mots correspondant
en mémoire à long terme, tout en
veillant à ne pas détériorer la qualité gra-
phique de son écriture. Voilà comment
une tâche qui nous paraît habituelle et
automatisée peut prendre la forme d’un
véritable parcours du combattant pour
ces enfants dysexécutifs.
Le caractère rogène du syndrome
rend parfois difficile l’analyse neuropsy-
chologique, dans le sens où les épreuves
utilisées dans nos tests sont le plus sou-
vent multidéterminées (cest-à-dire
quelles impliquent simultanément de
nombreux processus cognitifs). Cela
oriente souvent le thérapeute vers des
diagnostics de multi-dys, voire parfois
de déficience intellectuelle (alors que ce
n’est en alipas le cas pour ces en-
fants, même si leur bilan semble parfois
l’indiquer). Seules certaines épreuves
(ex. le subtest « similitudes » du WISC 4)
moins sous-tendues par les fonctions
exécutives nous permettent de toucher
du doigt le potentiel de l’enfant.
Il y a enfin les manifestations psycholo-
giques secondaires à ce syndrome. Elles
peuvent engendrer une forte baisse de
l’estime de soi, une appréhension de la
difficulté ainsi qu’une crainte de l’échec
pouvant évoluer en phobie scolaire
(nombre de phobies scolaires sont liées
à ce syndrome). Cette constellation est
la plupart du temps alimentée par une
incompréhension de la part de la famil-
le, des équipes enseignantes et des en-
fants eux-mêmes.
VIGNETTE CLINIQUE : LIONEL
En avril 2016, nous recevions en hôpital
de jour le jeune Lionel, âgé de 12 ans et
9 mois, dans le cadre de difficultés sco-
laires les à un trouble scifique du
langage écrit (dyslexie/dysorthogra-
phie mixte re). Il était en sixième
aps avoir redoub le CM2. Lionel a
été adopté en Lettonie à l’âge de quatre
ans. Aucune information n’a été trans-
mise concernant les premiers dévelop-
pements, si ce n’est l’indication d’une al-
coolisation fœtale.
Lionel est en échec depuis toujours
concernant les mathématiques, se
montre en décalage lors du passage à
l’écrit et rencontre des difficultés pour
déchiffrer et comprendre les consignes.
Aucune prise en charge n’a été mise en
place, mais un projet d’aide personnali-
(PAP) permet à l’adolescent de pou-
voir utiliser en classe une calculatrice
ainsi qu’une règle scanner.
Evaluation par le WISC 4
L’évaluation intellectuelle par le
WISC 4, datée de mars 2015, laissait en-
trevoir un potentiel intellectuel dans la
norme des enfants de son âge : indice
de compréhension verbale (ICV) à 106.
Les scores intra-domaine, malgré leur
hétérogénéité (7-15), démontraient un
raisonnement abstrait et catégoriel
fonctionnel sur cette sphère. Le profil
de Lionel se démarquait en revanche
par un indice de raisonnement perceptif
(IRP) se situant à un niveau limite : 77.
Ce type de profil laisse généralement
suspecter des difficultés d’ordre visuo-
praxique ou bien attentionnelles, et né-
cessite des évaluations complémen-
taires poussées sur ces domaines pour
savoir s’il existe un syndrome dysexécu-
tif, un TDA ou des troubles praxiques
(parfois associés).
Le subtest « cubes » pouvait laisser en-
trevoir une problématique visuo-
constructive ou visuo-spatiale primaire,
mais, étant donné le rôle prépondérant
des fonctions exécutives dans ces
épreuves constructives, ce résultat ne
permettait pas daffirmer la présence
d’un tel trouble.
Le subtest « matrices » est une épreuve à
choix multiples et reste donc très sen-
sible à l’impulsivité ou, dans le cas de
notre syndrome, révélateur de persévé-
rations ou de décisions paraissant être
le fait du hasard, l’enfant pouvant mê-
me désigner simultanément l’ensemble
des choix mis à sa disposition.
Les capacités en mémoire de travail et
en vitesse de traitement étaient quant à
elles déficitaires (indice de mémoire de
travail (IMT) : 62 ; indice de vitesse de
traitement (IVT) : 50), ce qui pouvait
corroborer lhypothèse dun TDA ou
dune dyspraxie dont le type serait à
spécifier. Noublions pas que l’IVT est
très sensible aux déficits visuo-spatiaux,
aux troubles de la sélectivité visuelle ou
même à limpulsivité. Les subtests
« codes » et « symboles » mettent égale-
ment en jeu la moire de travail vi-
suelle et visuo-spatiale (déficitaire chez
Lionel), ce qui n’est pas le cas du subtest
« barrage » (normalisé dans son cas).
Bilan complémentaire en hôpital de jour
Après analyse des données anamnes-
tiques et neuropsychologiques, nous
nous sommes rapidement orientés vers
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une hypothèse de TDA/H et/ou dun
trouble exécutif primaire ou associé.
L’ensemble des évaluations complémen-
taires nous a tout d’abord permis d’écar-
ter la présence d’un trouble visuo-spa-
tial/constructif primaire, qui aurait pu
être à lorigine de lhétérogénéité du
profil intellectuel. Par contre, le test de
la figure de Rey a objectivé un défaut de
planification primaire entravant totale-
ment les capacités d’assemblage et don-
nant à l’étape de copie un aspect grande-
ment déstructuré. Ce qui nous a permis
ici d’éliminer la présence d’un trouble vi-
suo-spatial/constructif sous-jacent, c’est
bien la normalisation de la performance
à « l’étape de planification »*.
Quant aux épreuves exécutives, elles
pointèrent la psence d’un important
trouble de l’inhibition engendrant de ré-
gulières digressions, que ce soit dans le
discours ou dans les performances.
Le subtest « inhibition » de la NEPSY 2
mit en avant des scores pathologiques
sur les étapes mettant en jeu les apti-
tudes d’inhibition et de flexibilité men-
tale, un important coût cognitif s’y asso-
ciant. Lionel se montra ts concentré
face à la tâche, mais les pertes de
consignes étaient récurrentes (sensibili-
té à l’interférence secondaire au trouble
de la mémoire de travail), ce qui lui fai-
sait commettre de nombreuses erreurs.
Les difficultés de flexibilité mentale ont
été une nouvelle fois révélées par le
subtest « catégorisation » de la NEPSY 2.
Sur cette épreuve, Lionel s’est montré
très concentré et volontaire. Il a réalisé
d’emblée une catégorie « incohérente »,
ne prenant appui sur aucun indice vi-
suel. Nous n’avons relevé aucune straté-
gie d’extraction des données, l’adoles-
cent procédant la plupart du temps par
tâtonnement. Ne trouvant plus aucun
critère, il finit par s’écarter de la con -
signe initiale pour réaliser un cercle
avec les cartes mises à sa disposition.
Lionel s’est montré également très dis-
tractible par son environnement
proche, sans que cela semble rendre
compte d’un trouble attentionnel pri-
maire. Durant la consultation, il est res-
constamment attiré par les affiches
murales et ne parvenait pas à s’em-
cher de toucher les divers objets à proxi-
mité. Son attitude nous a semblé para-
doxale : une attention à la fois totale-
ment mobilisable sur les tâches en cours
et grandement friable lors des temps
sans activi. D’autre part, les parents
adoptifs de Lionel, au travers d’un ques-
tionnaire préalablement rempli, avaient
pointé que les difficultés attentionnelles
ne concernaient que la sphère scolaire,
ce qui appuyait l’hypothèse d’une mani-
festation secondaire.
Conclusion du bilan
En conclusion, nous évoquons la pré-
sence d’un trouble dysexécutif primaire,
certainement impliqué dans les apti-
tudes de déchiffrage et de compréhen-
sion en lecture. En revanche, nous ne
concluons pas à la présence d’un TDA,
même si l’ensemble des difficultés liées
au trouble exécutif de Lionel ne permet-
tent pas une mobilisation optimale de
ses ressources au niveau écologique.
Le bilan permet donc de différencier un
TDA, que Lionel n’a pas, d’un syndrome
dysexécutif, ce qui est important pour la
stratégie thérapeutique.
LE TRAITEMENT : UNE
RÉHABILITATION POUR UNE
RÉADAPTATION AU MONDE
La prise en charge de ces enfants est
dautant plus cessaire que limpact
de ce syndrome ne se limite pas à la
sphère scolaire : cest toute la vie de
ladulte en devenir, avec tout ce que
cela comprend, qui est en jeu (autono-
mie, relations sociales, vie profession-
nelle et familiale).
Des séances régulières auprès d’un neu-
ropsychologue (idéalement 2 fois par
semaine) sont nécessaires dans ce
cadre, afin de donner à l’enfant des stra-
tégies de contournement et de tenter de
renforcer certaines composantes (ex.
moire de travail). Un suivi psycho-
thérapeutique peut y être associé, selon
l’impact psychologique manifesté, ainsi
que dautres prises en charge (ortho-
phonique, ergothérapeutique, etc.) s’il
existe des comorbidités.
La dimension psychoaffective de ce
trouble est complexe àterminer : on
peut imaginer qu’un enfant préoccupé,
soucieux, anxieux, dépressif, pris par
des conflits entre ses parents, va
perdre ses moyens, avoir la tête pleine
de soucis, narrivera pas à se concen-
trer, et que si la situation dure parce
qu’il est instrumentalisé, les troubles fi-
niront par sinstaller et le mettre en
échec scolaire. Un tel tableau res-
semble beaucoup à un syndrome dys-
exécutif : la vignette clinique suivante
en est un exemple.
VIGNETTE CLINIQUE : ALEXANDRA
Alexandra est une jeune fille de treize
ans. Elle vient toujours accompagnée de
sa mère. Elle ne peut pas la quitter un
instant, se tournant vers elle quand je
lui pose une question. Elle na pas
d’amis, est très angoissée par le collège,
passe sa vie, soirées et week-ends com-
pris, à travailler pour des résultats mé-
diocres, voire très mauvais en mat-
matiques. Je suis très prudent car elle a
jà vu plusieurs psys avec qui elle a
rompu quand ils ont voulu la voir seule.
La mère me dit qu’Alexandra a subi, pe-
tite, des attouchements de la part d’un
ami de la famille, ce dont elle n’a parlé
que récemment.
En outre, son père est depuis plusieurs
années à l’étranger en situation difficile,
à la limite de la légalité. Il lui écrit à son
anniversaire et communique avec elle
par Skype, mais elle en souffre car il a
l’air amaigri et semble avoir beaucoup
vieilli.
Japprends également quelle est née
prématurée à 34 semaines daménor-
rhée (poids de naissance : 2,1 kg, péri-
tre cnien : 32 cm, taille : 47 cm,
Apgar : 10-10). Elle a parlé tard (sans
précision) et, en CP, a débu une ré-
éducation orthophonique, qui se pour-
suit davantage comme une aide à la
compréhension des textes et un soutien
psychologique quautre chose. Elle a
passé petite une WPPSI 3 avec la
conclusion qu’elle était déficiente (sans
plus de détails).
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* Epreuve extraite du Projet FEE (fonctions exécutives chez
l’enfant), étude nationale multicentrique sous la coordination
dArnaud Roy, laboratoires de psychologie des universités
d’Angers et de Chambéry.
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Alexandra est en classe de quatrième,
en échec total en maths et à un moindre
degré dans toutes les autres matres.
La mère dit quelle ne comprend pas
pourquoi sa fille ne comprend pas,
qu’elle n’a pas de logique, pas de mé-
moire, qu’elle travaille des heures avec
elle pour un résultat minime : les leçons
sont toujours à réapprendre et les no-
tions à revoir en permanence, comme si
Alexandra « n’imprimait pas ». Un bilan
cognitif plus fin montre au WISC 4 une
dissociation ICV/IRP (103/69). Le suivi
est compliqué, car la jeune fille a déjà
essades séances de remédiation co-
gnitive, mais elle n’a confiance qu’en sa
mère et n’a pas adhéré aux conseils et
exercices du neuropsychologue.
Nos entretiens, toujours avec sa mère
comme interprète des mouvements de
tête et des regards, tourne autour de ses
difficultés scolaires, et elle s’impatiente
quand nous évoquons ses relations
(inexis tantes) avec ses camarades ou la
situation de son père. Malgré tout, elle
vient volontiers, et la mère me dit que
ça l’aide à mieux comprendre sa fille.
Alexandra a tous les symptômes dun
syndrome dysexécutif et en est terrible-
ment née dans ses apprentissages.
Ses échecs ont entraî une mauvaise
estime d’elle-même, un retrait et un
isolement majo par son histoire, la-
quelle ne peut expliquer à elle seule ses
problèmes cognitifs. Les troubles rela-
tionnels, langoisse, la dépression et
lisolement social demeurent malgré
tout au premier plan, ainsi que le lien
fusionnel à la mère. On pourrait parfai-
tement évoquer un tableau purement
psychiatrique [7].
Que ce soit chez le patient atteint de
maladie d’Alzheimer ou chez l’enfant,
c’est toujours ce mélange et cette arti-
culation entre éléments cognitifs et
psycho-affectifs qui font la difficulté et
la richesse de notre travail, le prob-
me étant dessayer de comprendre
comment se mêlent et s’articulent les
symptômes.
POUR CONCLURE
Le syndrome dysexécutif chez l’enfant
est paradoxal, puisqu’il touche de plein
fouet les fondations de l’intelligence
chez des jeunes par ailleurs intelligents
mais sur un mode atypique. Beaucoup
moins médiatisé que les autres troubles
faisant partie de la constellation dys, il
n’en demeure pas moins handicapant.
Il est parfois difficilement identifiable,
malgré lévaluation neuropsycholo-
gique et l’analyse clinique, et constitue
pour le thérapeute en charge de la ré-
éducation un enjeu de taille de par le
caractère multiple de la plainte. Pour
un decin, ce qui est à retenir, c’est
qu’un enfant qui semble tout à fait in-
telligent mais se trouve en échec scolai-
re n’est pas un paresseux mais un en-
fant qui souffre peut-être d’un trouble
qu’il est intéressant de reconnaître pour
l’aider. Un bilan de niveau (type WPP-
SI 4 ou WISC 4 et bientôt 5) peut déjà
montrer une différence entre un ICV
normal ou éle et un IRP ficitaire,
ce qui est une piste (comme une hyper-
leucocytose lest pour une infection
bactérienne), le reste nécessitant une
synthèse déquipe multidisciplinaire
pour un diagnostic précis.
L’existence d’une grande prématurité,
d’un SAF, de carences précoces (longs
placements en pouponnière), d'une cé-
rébro-lésion ou d'un trouble psychia-
trique peut orienter, mais ce diagnostic
demeure difficile à faire et à expliquer
aux parents comme aux enseignants,
qui sont souvent excédés par cet enfant
« intelligent qui est en échec » !
Les auteurs déclarent ne pas avoir de liens d’intérêts.
Médecine
& enfance
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page 37
Références
[1] LÉVY R. : « Syndrome dysexécutif cognitif : un déficit de l’ad-
ministrateur de la mémoire de travail ? », Rev. Neuropsychol.,
2009 ; 1:34-41.
[2] FRYER-MORAND M., DELSOL R., NGUYEN D.B., RABUS M.T. :
«Le syndrome dysexécutif dans la maladie d’Alzheimer : à propos
de 95 cas», Neurologie - Psychiatrie - Gériatrie, 2008; 8:23-9.
[3] BOUBLIL M. : « Que reste-t-il de la psychose infantile ? », Pé-
diatrie pratique, 2004; 159 : 7-10.
[4] GIBELLO B. : L’enfant à l’intelligence troublée, Dunod, Paris,
2009.
[5] A titre d’exemple, ce cours aux enseignants du collège pour
promouvoir des méthodes pédagogiques pour les syndromes
dysexécutifs dans l’académie de Limoges : www.clg-eymoutiers.
ac-limoges.fr/sites/www.clg-eymoutiers.ac-limoges.fr/IMG/
pdf/Methodologie.pdf.
[6] MORET A., MAZEAU M. : Le syndrome dys-exécutif chez l’en-
fant et l’adolescent, Elsevier Masson, Paris, 2013.
[7] BOIMARE S. : Ces enfants empêchés de penser, Dunod, Pa-
ris, 2016 (2eédition).
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