Cancers digestifs : quoi de neuf en 2016 ? RÉTROSPECTIVE PERSPECTIVES

La Lettre du Cancérologue Vol. XXVI - n° 3 - mars 2017 | 111
RÉTROSPECTIVE
PERSPECTIVES
Cancers digestifs :
quoi de neuf en 2016 ?
Digestive cancers: what’s up in 2016?
É. François*
* Centre Antoine-Lacassagne, Nice.
Cancers de l’œsophage
Pour les tumeurs de l’œsophage cT2N0M0, une
étude française (1) a montré l’absence d’intérêt
d’un traitement néo-adjuvant. Ces résultats ont
été confirmés par une étude rétrospective d’une
trentaine de centres européens (2). Globalement,
sur les 2 944 patients opérés à visée curative entre
2000 et 2010, 355 (12,1 %) avaient un cancer cT2N0.
La très grande majorité des patients n’ont eu qu’une
chirurgie (n = 285) et 70 ont reçu un traitement
néo-adjuvant suivi de chirurgie (38 par radiochimio-
thérapie et 32 par chimiothérapie). Comme il est
classique, 48,1 % des patients du groupe chirurgie
exclusive avaient, en fait, une atteinte ganglionnaire,
dont 23,1 % une atteinte N2 ou N3. L’admi nistration
d’un traitement néo-adjuvant était associée de
façon significative à une diminution de stade
(pT0 : 2,8 versus 22,9 % ; pN0 : 51,9 versus 61,4 %),
mais sans amélioration du taux de résection R0
(92,3 versus 92,9 %), ni de la survie sans récidive
ou de la survie globale, et ce quel que soit le type
histologique. Ces résultats sont restés inchangés
après ajustement sur un score de propension et sur
la dénutrition, qui était significativement différente
entre les 2 groupes.
La chirurgie reste donc un pilier du traitement des
cancers de l’œsophage, mais elle est à haut risque.
Il a été démontré que sa centralisation diminue les
complications postopératoires. Toutefois, la question
reste posée pour les patients à faible risque opéra-
toire. Le groupe FREGAT a collecté les données du
programme de médicalisation des systèmes d’infor-
mation (PMSI) français concernant les patients
opérés entre 2010 et 2012 d’un cancer de l’œso-
phage (n = 3 286) ou de l’estomac (n = 7 910) [3]. Les
centres ont été répartis en 4 groupes en fonction du
volume opératoire, de faible (< 20 cas/an) à très haut
volume (≥ 60 cas/ an) ; les comorbidités des patients
ont été évaluées à partir du score de Charlson (0, 1-2,
≥ 3). La mortalité postopératoire à 30 et 90 jours
a été utilisée comme élément d’évaluation. La très
grande majorité des patients ont été opérés dans
des centres à faible volume (7 184/11 196 [64,2 %]),
et seulement 4,6 % des patients (n = 524) dans
des centres à très haut volume. Globalement, les
patients opérés dans les centres à faible volume
étaient plus âgés, présentaient plus de comorbi-
dités mais étaient moins dénutris et ont été opérés
plus fréquemment d’un cancer gastrique. Dans les
centres à très haut volume, ils étaient plus jeunes
mais plus dénutris, même s’ils avaient moins de
comorbidités, et avaient proportionnellement plus
de cancers de l’œsophage. La fréquence de réali-
sation d’un traitement préopératoire augmentait
avec le volume du centre, de 31,2 % pour les
centres à faible volume à 50,8 % pour les très gros
centres (p < 0,001). Il existait une décroissance
régulière de la mortalité postopératoire à 30 et
90 jours avec l’augmentation du volume opéra-
toire (mortalité à 30 jours : 4,9 % pour les centres
à faible volume et 1,7 % pour les centres à très haut
volume, p < 0,001 ; mortalité à 90 jours : 9,0 %
et 3,6 %, respecti vement, p < 0,001). La réduc-
tion du risque de mortalité opératoire à 3 mois
était globalement de 70 % en faveur des très gros
centres par rapport aux petits centres, et ce indépen-
damment du score de comorbidités de Charlson ;
elle était de 86 % en cas de cancer de l’œsophage.
Bien que cette étude comporte des biais – dont sa
nature rétrospective et l’absence d’infor mation
sur le devenir à long terme des patients –, on peut
conclure que la diminution de la mortalité post-
opératoire pour les cancers de l’œsophage et de
l’estomac passe par une centralisation accrue.
Cancers de l’estomac
Les recommandations pour la chirurgie du cancer de
l’estomac sont de pratiquer une gastrectomie distale
avec un curage D2 lors d’une approche “ouverte”.
112 | La Lettre du Cancérologue Vol. XXVI - n° 3 - mars 2017
Points forts
Les études qui ont comparé laparotomie et laparo-
scopie ne sont pas de qualité irréprochable, ce qui a
été noté par plusieurs méta-analyses. Trois grandes
études asiatiques de phase III ont été réalisées afin
de répondre sans ambiguïté à cette question. Le
groupe coopérateur chinois est le premier à publier
ses résultats (4). Entre septembre 2012 et décembre
2014, 1 056 patients ont subi une gastrectomie avec
un curage D2 soit par laparotomie (n = 520) soit
par laparoscopie (n = 519). Dans le groupe laparo-
scopie, une conversion en chirurgie ouverte a été
réalisée dans 33 cas (6,4 %). En dehors d’une durée
opératoire plus longue de 30 minutes et d’une hospi-
talisation plus courte d’une demi-journée pour le
groupe laparoscopie, rien n’a distingué les groupes
laparoscopie et laparotomie :
observance pour le curage D2 : 99,4 versus
99,6 % (p = 0,845) ;
nombre médian de ganglions prélevés :
36,1 versus 36,9 (p = 0,738) ;
taux de complications postopératoires :
15,3 versus 12,9 % ;
taux de décès postopératoires : 0,4 versus 0 %.
La survie sans récidive sera connue en 2017 et
permettra, en l’absence de différence, de valider
définitivement l’approche laparoscopique.
La chimiothérapie néo-adjuvante améliore la prise
en charge des tumeurs localement évoluées : le
choix du schéma est donc de première importance.
Le groupe allemand AIO a réalisé une étude de
phase II/III comparant un schéma de type ECC (épiru-
bicine, cisplatine, capécitabine) ou ECF ( épirubicine,
cisplatine, 5-FU) à l’association 5-FU + acide foli-
nique + oxaliplatine + docétaxel (FLOT) dans le cadre
d’une chimiothérapie périopératoire proposée à des
patients atteints de cancers résécables de l’estomac
ou de la jonction œsogastrique (5). Les données
de la phase I ont été analysées dès que 265 des
300 patients prévus ont été inclus. Le taux de réponse
complète histologique était statistiquement plus
élevé avec le schéma FLOT (16 versus 6 % ; p = 0,02).
De même, le taux de résection (93 versus 81 % ;
p = 0,01) et, surtout, le taux de résection R0 (85 versus
74 % ; p = 0,02) étaient plus élevés avec ce schéma.
En revanche, les effets indésirables de grade 3-4
y étaient plus fréquents, notamment les toxicités
hématologiques (neutropénies : 52 versus 38 % ;
leucopénies : 28 versus 20 %). Les complications
périopératoires étaient également plus fréquentes
avec le schéma FLOT (40 versus 25 %). Ces résultats
intermédiaires suggèrent que le protocole FLOT pour-
rait devenir le schéma de référence dans le traitement
périopératoire des cancers résécables du cardia et de
l’estomac. Les résultats défi nitifs de l’étude permet-
tront de savoir si ces premiers résultats se traduisent
par une amélioration de la survie globale.
La place de la gastrectomie prophylactique chez
des patients asymptomatiques atteints d’un cancer
gastrique métastatique restait indéterminée. Des
résultats issus d’études relativement anciennes
suggéraient que la gastrectomie pouvait avoir un
impact positif en termes de survie globale. Une étude
de phase III nippo-coréenne (6) a inclus des patients
porteurs d’un cancer gastrique évolué, HER2–,
asymptomatiques, avec une maladie métastatique
limitée (≤ 4 métastases hépatiques, de taille ≤ 5 cm,
carcinose péritonéale sans ascite ou occlusion,
atteinte ganglionnaire cœlio -mésentérique).
Une randomisation était faite entre une chimio-
thérapie associant cisplatine et S1 précédée ou
non d’une gastrectomie associée à un curage D1.
Pour démontrer une différence de survie de 10 %
à 2 ans (20 versus 30 %), 330 patients devaient
être inclus. Létude a été arrêtée lors d’une analyse
intermédiaire, après l’inclusion de 175 patients, en
raison de l’absence d’intérêt du bras expérimental
(gastrectomie). La survie à 2 ans était de 31,7 % (IC
95
:
21,7-42,2) dans le bras chimiothérapie seule, contre
25,1 % (IC
95
: 16,2-34,9). La médiane de survie était
respectivement de 16,6 et 14,3 mois (HR = 1,09 ; IC95 :
0,78-1,52 ; p = 0,70). On a noté plus d’effets indé-
sirables sévères de grade 3-4 dans le bras chimio-
thérapie + chirurgie (leucopénie, nausées, anorexie,
hyponatrémie). Cette étude est donc complètement
négative. Cependant, des analyses de sous-groupes
suggèrent que la chirurgie pourrait être indiquée
dans les tumeurs distales alors qu’elle est clairement
délétère dans les tumeurs proximales. Une analyse
post-hoc a montré que l’adhésion à la chimiothérapie
était inversement proportionnelle à la perte de poids
postopératoire, corrélant ainsi l’importance du geste
chirurgical à la dénutrition et, à partir de là, à la
mauvaise adhésion à la chimiothérapie.
»Pour les cancers de l’œsophage, la centralisation de la chirurgie est un gage de sécurité.
»
La laparoscopie est désormais validée pour les tumeurs localisées de l’estomac, mais la chirurgie est
inutile en cas de maladie métastatique.
»
Alors que la place de la radiothérapie dans les cancers pancréatiques reste à trouver, elle peut se subs-
tituer à la chirurgie chez certains patients atteints d’un cancer du rectum.
»
En situation adjuvante dans les cancers coliques, les publications cette année nous ont fait entrer
concrètement dans l’ère de la biologie et du démembrement moléculaire.
Mots-clés
Immunothérapie
Centralisation
chirurgicale
CDX2
MSS-BRAF
Highlights
»
For esophageal cancers, the
centralization of surgery is a
guarantee of safety.
»
Laparoscopy is now vali-
dated for localized gastric
tumors, but surgery is unne-
cessary for metastatic disease.
»
While the role of radiothe-
rapy in pancreatic cancers
remains to be determined, it
can replace surgery for selected
patients with rectal cancer.
»
For colon cancers in the adju-
vant setting, this year’s recent
publications are paradigm-
changing with the advent of
biology and molecular classi-
fication.
Keywords
Immunotherapy
Surgical centralization
CDX2
MSS-BRAF
La Lettre du Cancérologue Vol. XXVI - n° 3 - mars 2017 | 113
RÉTROSPECTIVE
PERSPECTIVES
En dehors du trastuzumab, les thérapies ciblées ont
échoué en première ligne thérapeutique. En revanche,
en deuxième ligne et au-delà, les antiangiogéniques
ont clairement démontré leur intérêt (amélioration
de la survie globale avec le ramucirumab). À partir de
la troisième ligne, l’apatinib, un inhibiteur de tyrosine
kinase du VEGFR2, a été comparé à un placebo dans
le cadre d’une étude de phase III en double aveugle
ayant inclus 267 patients (7). La survie sans progres-
sion (2,6 versus 1,8 mois [HR = 0,44 ; IC
95
: 0,33-0,61 ;
p = 0,001]), la survie globale (6,5 versus 4,7 mois
[HR = 0,71 ; IC95 : 0,54-0,94 ; p = 0,015]) – qui était
l’objectif principal –, ainsi que le taux de contrôle de
la maladie (42 versus 8,8 % ; p < 0,001) ont été signi-
ficativement améliorés, contrairement au taux de
réponse (2,84 versus 0 %). La tolérance de l’apatinib
a été bonne, avec peu d’effets indésirables sévères
de grade 3-4 (syndrome mains-pieds, hypertension
artérielle).
De même, le régorafénib, un autre inhibiteur de tyro-
sine kinase multicible avec de fortes propriétés anti-
angiogéniques, a été évalué à partir de la deuxième
ligne dans le cadre d’une étude de phase II randomisée
ayant inclus 152 patients (8). Là aussi, l’objectif prin-
cipal a été atteint, avec une amélioration significative
de la survie sans progression (2,6 versus 0,9 mois ;
p < 0,0001). La survie globale n’a pas été améliorée,
en raison d’un manque de puissance et parce que
60 % des patients du groupe placebo ont bénéficié
du régorafénib lors de la progression de la maladie.
La tolérance a été satisfaisante, avec comme effets
indésirables principaux, une hypertension artérielle,
des troubles cutanés et une cytolyse.
Concernant l’immunothérapie, 2016 aura été l’année
de la première publication clinique sur les cancers
gastriques (9). Il s’agissait d’une étude de phase Ib
ayant testé le pembrolizumab, un anticorps mono-
clonal anti-PD-1, chez des patients avec une sur -
expression tumorale de PD-1 en immunohistochimie.
Les objectifs de l’étude étaient de déterminer la tolé-
rance du traitement et le taux de réponse RECIST.
Au total, 39 patients ont été inclus, plus de la moitié
d’entre eux ayant reçu au moins 3 lignes de traite-
ment pour leur maladie métastatique. Le pembroli-
zumab a été administré à la dose de 10 mg/kg toutes
les 2 semaines. Finalement, 36 des 39 patients
étaient évaluables. Le taux de réponse a été de 22 %,
avec une durée de réponse de plus de 40 semaines. La
survie médiane sans progression a été de 1,9 mois, et
la survie globale de plus de 11,4 mois. Cinq patients
ont présenté une effet indésirable de grade 3 ou 4
(asthénie, hypothyroïdie, neuropathie périphérique,
pemphigoïde, pneumopathie).
Hépatocarcinomes
Une étude de phase II randomisée a comparé une
radio-embolisation avec de l’yttrium-90 à une
chimio-embolisation (10). Bien que les effectifs
aient été limités (n = 46), elle a atteint son objectif
princi pal : l’amélioration du temps jusqu’à progres-
sion (> 26 versus 6,8 mois ; p = 0,0012). La survie
globale n’a pas été modifiée (18,6 versus 17,7 mois),
mais l’étude n’a pas été conçue pour démontrer une
différence de survie globale. La tolérance semblait
par ailleurs meilleure dans le groupe radio-emboli-
sation. Cette étude est le prélude de résultats à venir
en 2017 (études de phase II et de phase III comparant
la radio-embolisation à la chimio-embolisation ou
au régorafénib).
Cancers du pancréas
La place de la radiochimiothérapie dans les cancers
localement évolués du pancréas était débattue : c’est
pourquoi l’étude LAP-07 a posé la question d’un
traitement combiné en clôture après une chimio-
thérapie “d’induction” ayant permis de contrôler la
maladie (11). Il s’agissait d’une étude de phase III,
avec une randomisation en 2 étapes. La première
a comparé gemcitabine à gemcitabine + erlotinib ;
la deuxième consistait, chez les patients contrôlés
après 4 mois de traitement, à soit poursuivre la
chimiothérapie, soit réaliser une radiochimio-
thérapie (54 Gy + 1 600 mg/m2/j de capécitabine
les jours de la radiothérapie). Globalement, l’ad-
jonction de l’erlo tinib à la gemcitabine n’a amélioré
ni la survie sans progression, ni la survie globale,
mais a augmenté les toxicités sévères (neutro-
pénie fébrile, anémie, éruptions cutanées, diar-
rhées). Sur les 449 patients inclus, 269 ont eu la
deuxième randomisation. Ni la survie globale, avec
un suivi médian de 36,7 mois (16,5 versus 15,2 mois
[HR = 1,03 ; IC
95
: 0,79-1,34 ; p = 0,83]), ni la survie
sans progression (8,4 versus 9,9 mois [HR = 0,78 ;
IC
95
: 0,61-1,01 ; p = 0,06]) n’étaient statistiquement
différentes entre chimiothérapie et radiochimio-
thérapie. Il est à noter que le taux de progression
locale a été plus faible dans le groupe radiochimio-
thérapie (32 versus 46 % ; p = 0,03), mais avec plus
de progressions métastatiques (60 versus 44 % ;
p = 0,04). Concernant la tolérance, aucune diffé-
rence n’a été mise en évidence, en dehors du taux
de nausées de grade 3-4, plus élevé dans le bras
radiochimiothérapie. Cette dernière n’a donc pas
de place systématique dans les cancers du pancréas
114 | La Lettre du Cancérologue Vol. XXVI - n° 3 - mars 2017
Cancers digestifs : quoideneufen 2016 ?
RÉTROSPECTIVE
PERSPECTIVES
localement évolués ; elle peut cependant être envi-
sagée de manière ponctuelle chez des patients
sélectionnés, étant donné le meilleur contrôle local
qu’elle procure.
Dans les cancers métastatiques, l’oxaliplatine s’est
imposée comme chimiothérapie de deuxième
ligne après échec de la gemcitabine à partir d’une
seule étude de phase III de faible puissance. Une
étude de phase III canadienne (12) a comparé,
chez 108 patients, un schéma FOLFOX-6 modifié
à un schéma de type LV5FU2 simplifié. La survie
sans progression – qui était l’objectif principal de
l’étude (3,1 versus 2,9 mois [HR = 1 ; IC
95
: 0,66-1,53 ;
p = 0,99]) – et le taux de réponse (13,2 versus 8,5 % ;
p = 0,361) n’ont pas été améliorés par l’adjonc-
tion d’oxaliplatine. De plus, la survie globale a été
statistiquement supérieure dans le bras LV5FU2
simplifié (6,1 versus 9,9 mois [HR = 1,78 ; IC
95
: 1,08-
2,93 ; p = 0,024]). Les toxicités sévères de grade 3-4
ont été plus importantes dans le groupe FOLFOX
(63 versus 11 %), aboutissant à plus d’arrêts définitifs
de la chimiothérapie (10 versus 0 %). Ces éléments,
associés au fait que 23 % des patients traités par
LV5FU2 simplifié contre seulement 7 % de ceux du
bras FOLFOX (p = 0,015) ont reçu un traitement de
troisième ligne, expliquent probablement la meil-
leure survie globale. La qualité de vie était inchangée
d’un groupe à l’autre.
Cancers du rectum
La durée optimale du délai entre la fin d’un trai-
tement néo-adjuvant et la chirurgie est souvent
discutée. Un certain nombre d’études rétrospectives
laissaient penser qu’un allongement du délai pouvait
être associé à une amélioration des résultats carcino-
logiques. Le groupe de recherche chirurgical sur le
cancer du rectum (GRECCAR) a publié le résultat
d’une étude de phase III évaluant l’intérêt d’opérer
les patients tardivement, 11 semaines après la radio-
chimiothérapie, par rapport à un délai classique de
7 semaines (13). Lobjectif principal était d’améliorer
le taux de réponse complète histologique. Globale-
ment, 265 patients présentant une tumeur cT3/T4
ou N+ et qui avaient reçu une radiochimiothérapie
(45-50 Gy) avec une fluoropyrimidine (5-FU ou
capécitabine) ont été inclus dans l’étude. Aucune
différence statistiquement significative n’a été
observée concernant le taux de réponse complète
histologique entre les 2 groupes (respectivement,
pour les groupes 7 et 11 semaines, 15 versus 17,4 % ;
p = 0,59). De plus, tous les autres éléments d’appré-
ciation de la réponse tumorale étaient strictement
identiques dans les 2 groupes (scores de régression
tumorale selon Dworak ou Rödel, marges circonfé-
rentielles, taux de chirurgie R1, taille tumorale,
etc.). En revanche, l’exérèse du mésorectum était
statistiquement de moins bonne qualité dans le
groupe 11 semaines : 90 versus 78,7 % d’exérèses
complètes du mésorectum dans les groupes 7 et
11 semaines, respectivement (p = 0,01). Les morbi-
dités médicales étaient statistiquement augmentées
dans le groupe 11 semaines, bien que les compli-
cations chirurgicales ne soient pas modifiées. La
conclusion de l’étude GRECCAR-6 est qu’il ne faut
pas modifier le délai postopératoire et qu’il faut
le laisser à 7 ± 1 semaines. Il faut noter, toutefois,
qu’une étude anglaise avec un schéma globalement
identique ayant comparé 6 à 12 semaines a retrouvé
une amélioration du taux de réponse complète en
faveur du long délai (14).
Les stratégies thérapeutiques non chirurgicales se
développent peu à peu dans la prise en charge des
cancers du rectum. Une étude rétro-prospective
anglaise a comparé l’évolution de patients traités
par radiochimiothérapie suivie de chirurgie ou par
radiochimiothérapie exclusive en cas de réponse
complète (15). Les patients étaient soit inclus de
manière prospective entre 2011 et 2015 dans un
centre expert anglais, soit enregistrés de manière
rétro-prospective à partir du registre OnCoRe anglais
entre 2005 et 2015. En tout, les 109 patients ayant
obtenu une réponse complète après radiochimio
-
thérapie exclusive ont été appariés à 109 patients
traités par radiochimiothérapie suivie de chirurgie,
grâce à un score de propension incluant le stade T,
l’âge et l’indice de performance. Lobjectif principal
était la survie sans récidive à 3 ans, n’incluant pas la
récidive intraluminale en raison de sa facilité à être
traitée, avec un p < 0,01 comme valeur significative.
Cette survie sans récidive n’était pas statistiquement
différente entre les 2 groupes (88 versus 78 % dans
les groupes observation et standard, respective-
ment ; p = 0,043). Il en était de même pour la survie
globale (respectivement 96 versus 87 % ; p = 0,024).
Avec un suivi médian de 33 mois, le taux de récidive
endo luminale était de 34 % ; le taux de colostomie
était significati vement réduit dans le groupe obser-
vation par rapport au groupe standard (74 versus
47 % [HR = 0,445 ; IC
95
: 0,31-0,63 ; p < 0,0001]).
Une stratégie de type watch and wait semble donc
réalisable chez des patients sélectionnés, sans
impact négatif sur la survie globale et permettant
d’éviter pour les patients une chirurgie parfois
mutilante.
La Lettre du Cancérologue Vol. XXVI - n° 3 - mars 2017 | 115
RÉTROSPECTIVE
PERSPECTIVES
Traitement adjuvant
du cancer du côlon
Globalement, 25 % des cancers du côlon opérés sont
de stade II ; leur prise en charge fait toujours l’objet
de discussions animées sur l’intérêt de réaliser une
chimiothérapie postopératoire. Un groupe australien a
inclus de manière prospective 230 patients chez qui a
pu être recherché de l’ADN tumoral circulant (ctADN)
en postopératoire (16). Un panel de 15 gènes a servi
pour cette recherche ; dans 99,6 % des cas, au moins
une de ces mutations a été retrouvée au niveau de la
tumeur primitive. Sur les 230 patients, 52 ont reçu
une chimiothérapie adjuvante, qui était prescrite à
la discrétion des cliniciens. Le ctADN était présent
chez 20 patients (8,7 %) en postopératoire ; il n’y avait
par ailleurs aucune corrélation entre sa présence et
un profil clinicobiologique particulier. Pendant le
suivi (médiane : 27 mois), 34 patients (14,8 %) ont
présenté une récidive. Dans le groupe des patients
sans traitement adjuvant, une récidive a été retrouvée
chez 78,6 % des patients ctADN+ et chez 9,8 % de ceux
ctADN– (HR = 18 ; IC95 : 7,9-40 ; p < 0,001). La survie
actuarielle sans rechute à 3 ans était de 0 % dans le
groupe ctADN+ et de 90 % dans le groupe ctADN–.
En analyse multivariée, les 2 seuls critères statistique-
ment significatifs étaient le stade T (T3 versus T4) et le
ctADN postopératoire (ctADN+ versus ctADN–), tant
pour l’ensemble de la population que pour le groupe
n’ayant pas reçu de chimiothérapie adjuvante. La sensi-
bilité et la spécificité du ctADN postopératoire pour
prédire une récidive à 3 ans étaient, respectivement,
de 48 et de 100 %. Chez les patients ayant reçu une
chimiothérapie adjuvante, la présence de ctADN à la
fin du traitement était associée à un risque de récidive
important (HR = 11 ; IC
95
: 1,8-68 ; p = 0,001). Le ctADN
semble donc capable d’identifier non seulement un
groupe à haut risque de récidive pour les cancers du
côlon de stade II mais également les patients chimio-
résistants. Une série plus importante est cependant
nécessaire pour valider ces résultats, ainsi qu’une
diffusion large de la technique.
Une autre approche de sélection des stades II à
haut risque a consisté à associer 2 concepts anta-
gonistes mais en fait complémentaires : sophis-
tication et simplification. Le groupe américain du
NCCN (National Comprehensive Cancer Network) a
eu recours à une approche bio-informatique utilisant
une logique booléenne pour rechercher les meilleurs
marqueurs associés aux signatures géniques dérivées
des cellules souches ou des cellules progénitrices.
L’analyse de 2 329 gènes a permis d’identifier CDX2
(Caudal-type homeobox transcription factor 2) comme
le meilleur biomarqueur des tissus épi théliaux coliques
matures. Après cette première étape, CDX2 a été testé
dans une cohorte de découverte puis de validation, qui
a compris, au total, 2 115 cancers coliques de stades II
et III. Globalement, les tumeurs CDX2– représentent
4,1 % des tumeurs testées. La survie sans récidive était
meilleure dans le groupe des tumeurs CDX2+ que
dans le groupe CDX2–, et ce dans toutes les cohortes.
De plus, dans les tumeurs de stade II, CDX2+ n’était
pas prédictif de la sensibilité à la chimiothérapie. En
revanche, dans le groupe CDX2– (n = 48), les patients
qui avaient reçu une chimiothérapie adjuvante
présentaient une survie sans récidive statistiquement
améliorée par rapport au groupe sans traitement.
CDX2 pourrait donc être un facteur pronostique
global pour les stades II et III, mais aussi un facteur
prédictif de la sensibilité à la chimiothérapie dans
les stades II (17). L’analyse de CDX2 est un test de
pratique courante réalisé en immuno histochimie. Bien
évidemment, ces résultats devront être confirmés
dans une population plus importante.
Une étude ancillaire concernant l’impact pronostique
des mutations de BRAF et de KRAS en fonction du
statut microsatellitaire a été réalisée chez 1 791 des
2 559 patients inclus dans l ’étude PETACC-8, qui
a comparé FOLFOX à FOLFOX + cétuximab (18).
Le phénotype MSI (microsatellites instables) et les
mutations de KRAS et de BRAF ont été retrouvés avec
une fréquence, respectivement, de 9,9, 33,1 et 9 %. La
double mutation KRAS et BRAF était exceptionnelle
(n = 4). Pour l’ensemble de la population, ni le statut
MSI, ni la présence d’une mutation de BRAF n’étaient
pronostiques pour la survie sans récidive ou la survie
globale, contrairement aux mutations de KRAS.
De plus, les mutations de KRAS étaient associées à
un mauvais pronostic chez les patients MSS (micro-
satellites stables) [survie sans récidive : HR = 1,64,
IC95 : 1,29-2,08, p < 0,001 ; survie globale : HR = 1,71,
IC95 : 1,21-2,41, p = 0,02]. En cas de statut MSI, la
présence d’une mutation de KRAS perdait toute signi-
fication. La présence d’une mutation de BRAF est asso-
ciée à une survie sans récidive (HR = 1,74 ; p = 0,01)
et à une survie globale (HR = 1,84 ; p = 0,046) plus
courtes chez les patients MSS. En revanche, cette
mutation est associée à une meilleure survie sans
récidive (HR = 0,23 ; p = 0,04) chez les patients
MSI, sans impact sur la survie globale (HR = 0,19 ;
p = 0,08), peut-être par manque de puissance statis-
tique. Au total, l’impact des mutations de KRAS, de
BRAF et le statut MSS, par leurs interactions et leur
impact pronostique, devront être pris en compte pour
l’analyse des études adjuvantes, ainsi que lors de la
conception des prochains essais.
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