Bactéries et cancer dossier thématique Lymphome gastrique du MALT : importance du traitement de H. pylori dans la prise en charge Gastric MALT lymphoma: major impact of H. pylori eradication Jean-Charles Delchier*, Mickael Lévy* par une infiltration tumorale de la muqueuse gastrique par des petits lymphocytes caractéristiques du tissu lymphoïde associé aux muqueuses. Le diagnostic histologique, difficile, nécessite des pathologistes entraînés. Le lymphome peut régresser après éradication de l’infection à Helicobacter pylori. Le traitement des malades non répondeurs n’est pas consensuel : radiothérapie, chimiothérapie, immunothérapie + chimiothérapie sont en évaluation. Le risque de cancer gastrique métachrone impose un suivi endoscopique à long terme. Summary RÉSUMÉ » Le lymphome gastrique du MALT est un lymphome B caractérisé Keywords: Helicobacter pylori – Gastric lymphoma – Treatment. Mots-clés : Lymphome gastrique − MALT − Helicobacter pylori − Chimiothérapie − Radiothérapie – Échoendoscopie − Translocation t(11 ;18). L * Service d’hépatologie et de gastroentérologie, hôpital Henri-Mondor, Créteil. 66 Gastric MALT lymphoma is a B lymphoma characterised by mucosa infiltration with small lymphocytes from mucosa associated lymphoid tissue. Histological diagnosis may be difficult and needs well trained pathologists. It may regress after Helicobacter pylori eradication. Treatment of unresponding patients is debated: radiotherapy, chemotherapy, immunotherapy + chemotherapy are currently evaluated. Due to the risk of metachronous gastric cancer, long-term endoscopic follow-up is mandatory. e lymphome gastrique B de bas grade du MALT (Mucosa Associated Lymphoïd Tissue) [LGM] est un lymphome extraganglionnaire de la zone marginale caractérisé par l’infiltration de la muqueuse gastrique par des petits lymphocytes B monoclonaux, dits “centrocyte-like”, entraînant une destruction de l’épithélium glandulaire à l’origine de la formation de lésions lympho-épithéliales (1). La maladie est souvent indolente, peu symptomatique, et peut rester localisée pendant une période prolongée. L’association entre l’infection à Helicobacter pylori et le développement du lymphome est maintenant bien établie (2). Il est démontré que l’éradication de H. pylori permet d’obtenir une rémission de la maladie dans 60 à 80 % des cas (3-5). Plusieurs autres traitements conservateurs sont proposés, notamment en cas de LGM non associés à H. pylori ou en cas de persistance du lymphome malgré l’éradication de la bactérie, allant de la monochimiothérapie à la radiothérapie en passant par les anticorps monoclonaux. La prise en charge thérapeutique nécessite la réalisation d’un bilan d’extension de la maladie qui doit déterminer au mieux les facteurs pronostiques de la réponse au traitement médical. Le traitement optimal n’est pas encore connu. Diagnostic La présentation clinique consiste, le plus souvent (près de 90 % des cas), en des douleurs épigastriques pseudo-ulcéreuses ou atypiques. Rarement, une anémie voire une hémorragie digestive (moins de 5 % des cas) peuvent révéler la maladie (6). Ces symptômes conduisent à la réalisation d’une gastroscopie qui permet d’évoquer le diagnostic. L’aspect endoscopique est non spécifique et les lésions sont souvent multifocales. On peut décrire 3 aspects, qui peuvent parfois être associés chez un même patient (6) : ✓ La forme pseudo-gastritique (30 % des cas) correspond à des lésions d’allure superficielle, associant des anomalies de relief de la muqueuse, qui peut prendre un aspect purpurique, avec des alternances de zones blanchâtres et érythémateuses parfois discrètement érosives. Correspondances en Onco-Théranostic - Vol. III - n° 2 - avril-mai-juin 2014 Lymphome gastrique du MALT : importance du traitement de H. pylori dans la prise en charge ✓ La forme ulcérée (45 % des cas), faite d’une ou de plusieurs ulcérations, plus ou moins creusantes, de taille variable, peut aller de l’ulcère unique, pouvant faire penser à un ulcère bénin, jusqu’à la vaste ulcération faisant craindre une lésion de haut grade. ✓ Enfin, on peut également voir des gros plis, épais, ne s’effaçant pas lors de l’insufflation de l’estomac, pouvant au maximum donner un aspect pseudo-tumoral, dans environ 25 % des cas. Ces constatations imposent la réalisation de biopsies multiples en zones pathologiques et saines pour une étude histologique, une recherche de l’infection à H. pylori, et également des prélèvements congelés pour la recherche d’altérations génétiques pronostiques. Le diagnostic histologique est souvent difficile, nécessitant l’avis de pathologistes experts avec, comme diagnostics différentiels, la simple gastrite chronique à H. pylori, les autres lymphomes à petites cellules B (leucémie lymphoïde chronique, lymphome folliculaire et lymphome du manteau) et le lymphome diffus à grandes cellules B, de haut grade de malignité. L’établissement des caractéristiques moléculaires, notamment de la translocation t(11;18), qui est mise en évidence par RT-PCR à partir de l’ARN extrait d’un fragment biopsique ou par technique de FISH sur coupes fixées, est impératif pour prédire l’évolution de ces tumeurs et déterminer la prise en charge thérapeutique optimale. Ces méthodes moléculaires sont également nécessaires pour la mise en évidence des maladies résiduelles et leur suivi. Diagnostic de l’infection à H. pylori Le diagnostic de l’infection à H. pylori revêt une importance particulière compte tenu de l’impact que son éradication peut avoir sur la tumeur. Lors de la gastroscopie, il est nécessaire de prélever des biopsies, fundiques et antrales préférentiellement, à distance de la lésion tumorale. Outre l’histologie, il faut chaque fois que cela est possible privilégier les méthodes de diagnostic bactériologiques. La culture permet l’étude de la sensibilité aux antibiotiques. Elle peut cependant être faussement négative car H. pylori est une bactérie fragile qui supporte mal le transport jusqu’au laboratoire. La PCR est plus sensible et tout aussi spécifique (7). Elle permet en outre la mise en évidence des résistances à la clarithromycine par la reconnaissance de mutations conférant une résistance de la bactérie, et ainsi de guider le traitement. Elle est maintenant disponible dans de nombreux laboratoires. En cas de diagnostic négatif avec les méthodes invasives (biopsies), la sérologie peut être utile pour mettre en évidence une infection antérieure (8). Bilan d’extension Une fois le diagnostic porté, un bilan d’extension doit être réalisé. Il doit rechercher une extension à distance, dans un autre site digestif ou extradigestif, et également une extension locorégionale. Les examens à effectuer sont les suivants : coloscopie, transit du grêle, tomodensitométrie thoraco-abdominale, biopsie ostéomédullaire, échoendoscopie (EE) gastrique, LDH, β2-microglobuline, examen ORL. Les atteintes extradigestives associées au LGM les plus fréquentes sont les localisations médullaires et pulmonaires. Elles sont diversement appréciées dans la littérature et leur fréquence est mal connue. Chacune représente environ 10 % de l’ensemble des patients (9). L’EE est un des éléments centraux du bilan. En effet, plusieurs études ont démontré la précision et la performance de l’EE pour le diagnostic et la stadification des lymphomes gastriques (10). Cette précision s’applique probablement plus à l’infiltration tumorale en profondeur qu’à l’extension en surface (11). L’infiltration tumorale pariétale du LGM est visualisée par un épaississement d’une ou de plusieurs couches de la paroi gastrique. Dans la majorité des cas, l’EE sera normale ou montrera un épaississement de la muqueuse (45 à 70 % des cas), pouvant s’étendre à la sous-muqueuse (10 à 50 %), plus rarement au-delà (0 à 20 %) [12, 13]. Une infiltration massive doit faire évoquer un lymphome de haut grade, à grandes cellules, méconnu initialement (14). L’EE permet donc d’individualiser des formes superficielles et des formes plus infiltratives de LGM. Il est d’ailleurs possible d’évaluer cette infiltration en fonction de la mesure de l’épaississement global de la paroi gastrique (valeur normale : ≤ 5 mm). L’EE permet également de rechercher des adénopathies périgastriques, qui représentent 10 à 30 % des cas (6, 13, 15). La concordance entre l’aspect endoscopique et l’aspect de l’EE fait parfois défaut. En effet, une lésion considérée comme superficielle (“pseudo-gastritique”) en endoscopie peut se révéler plus infiltrée en profondeur sur l’EE (13). Au terme de ce bilan, le lymphome peut être classé selon la classification de Ann Arbor modifiée par Musshoff (16). Traitements Éradication de H. pylori Elle s’adresse à tous les patients infectés, quels que soient le stade et le statut t(11;18). Certains recommandent même de traiter systématiquement, quel que soit le statut H. pylori. Correspondances en Onco-Théranostic - Vol. III - n° 2 - avril-mai-juin 2014 67 Bactéries et cancer dossier thématique Les recommandations de traitement de l’infection à H. pylori ont évolué ces dernières années (17). En effet, la trithérapie classique inhibiteur de la pompe à protons (IPP)-amoxicilline-clarithromycine est devenue peu efficace du fait du développement de résistances à la clarithromycine à un niveau qui dépasse 20 % en France (18). C’est pourquoi, maintenant, une trithérapie de 10 jours ne peut être proposée que sur la base d’une culture ou d’un test moléculaire permettant un antibiogramme. En cas de sensibilité à la clarithromycine, la trithérape classique peut être proposée. En cas de résistance à la clarithromycine avec sensibilité aux quinolones, une trithérapie de 10 jours associant un IPP, l’amoxicilline et la lévofloxacine 250 mg 2 fois par jour peut être administrée. En l’absence de données sur la sensibilité de la bactérie, le traitement recommandé en première ligne est soit la quadrithérapie bismuthée (Pylera®) pendant 10 jours soit le traitement séquentiel (IPP-amoxicilline pendant 5 jours puis IPP-métronidazole-clarithromycine pendant 5 jours). Il est impératif de vérifier l’éradication de la bactérie soit par test respiratoire à l’urée marquée au C13, soit par voie endoscopique. Cette vérification sera effectuée au plus tôt 4 semaines après la fin du traitement, en l’absence de prise d’antibiotiques ou d’IPP depuis au moins 14 jours, pour éviter les faux négatifs. Pour notre part, nous réalisons une première gastroscopie de suivi 2 mois après le traitement afin de vérifier l’éradication de H. pylori et de nous assurer de l’absence d’évolution péjorative (transformation, ou formes ulcérées et hémorragiques). Lors de cette endoscopie, il n’est pas particulièrement tenu compte de la persistance ou non du lymphome et aucune modification thérapeutique n’est réalisée à ce stade. Si la bactérie n’est pas éradiquée, un traitement éradicateur de deuxième ligne devra être administré en accord avec les recommandations actuelles (19). La première évaluation de la réponse tumorale au traitement éradicateur est effectuée 6 mois après la fin de la trithérapie qui a permis effectivement l’éradication de H. pylori. Elle consiste en une gastroscopie avec de multiples biopsies ainsi qu’en une EE afin de suivre la régression de l’épaississement pariétal et la disparition des adénopathies. Afin d’évaluer au mieux la réponse histologique, un score a été mis au point par le Groupe d’étude des lymphomes de l’adulte (GELA), qui est peu soumis aux variations “inter-observateurs” (20). Il est fondé sur 3 éléments : l’infiltrat lymphoïde, les lésions lympho-épithéliales et les modifications du stroma. Quatre scores de réponse sont ainsi définis : réponse complète, probable maladie résiduelle minime, maladie résiduelle “répondante”, pas de modifications (tableau). Les 2 premiers scores correspondent à une rémission complète ne nécessitant pas de traitement adjuvant. Le quatrième score signifie l’échec du traitement et la persistance du lymphome. Le troisième signifie qu’il existe une réponse que l’on peut qualifier de partielle mais nécessitant une surveillance, car, chez un nombre important de patients, la disparition du lymphome est un processus continu qui peut durer plusieurs mois (6 à 12, voire plus), laissant espérer un passage vers l’un des 2 premiers scores (21, 22). Il n’est donc pas licite de traiter à nouveau avant au moins 2 gastroscopies réalisées à 6 mois d’intervalle et affirmant soit l’échec, soit une réponse partielle sans modification. Lorsque la rémission est obtenue, un contrôle doit être effectué tous les 6 mois pendant les 2 premières années, puis tous les ans pendant 2 à 3 ans, et enfin adapté à la situation clinique (âge du patient, qualité Tableau. Score histologique du GELA pour l’évaluation post-thérapeutique des lymphomes gastriques du MALT (21). 68 Score Infiltrat lymphoïde Rémission histologique complète Absent ou cellules plasmatiques éparses Absentes et lymphocytes de petite taille dans la lamia propria Lésions lympho-épithéliales Modifications du stroma Lamia propria normale ou vide et/ou fibrose Probable maladie résiduelle minime Amas de cellules lymphoïdes ou nodules lymphoïdes dans la lamia propria/muscularis mucosae et/ou sous-muqueuse Absentes Lamia propria vide et/ou fibrose Maladie résiduelle répondante Dense, diffus ou nodulaire s’étendant aux glandes dans la lamia propria Focales ou absentes Lamia propria focale vide et/ou fibrose Pas de modification Dense, diffus ou nodulaire Présentes Peuvent être absentes Pas de modification Correspondances en Onco-Théranostic - Vol. III - n° 2 - avril-mai-juin 2014 Lymphome gastrique du MALT : importance du traitement de H. pylori dans la prise en charge de la réponse endoscopique et histologique, existence d’une métaplasie intestinale ou d’une dysplasie). La surveillance doit permettre de dépister les 2 risques principaux que sont la récidive du lymphome et l’apparition d’un carcinome gastrique. La récidive est possible mais ne dépasse pas les 10 à 15 % dans les diverses séries (22-24). Il faut noter que la rémission clinique, endoscopique et histologique peut être effective et durable alors qu’une population lymphoïde monoclonale identique à celle du lymphome initial persiste, parfois pendant plusieurs années (22, 25). Sa signification réelle est mal connue, notamment dans la genèse des éventuelles rechutes. Les patients atteints d’un LGM sont à risque de développer un second cancer (26) mais également et surtout un carcinome gastrique. Celui-ci peut-être synchrone (27) ou métachrone (28). La surveillance endoscopique doit permettre de le dépister au stade précoce et d’espérer une guérison complète au prix d’une gastrectomie totale. Plusieurs hypothèses ont été soulevées. L’infection à H. pylori, commune au développement du lymphome et à la carcinogenèse gastrique, est considérée comme un facteur de risque potentiel. Toutefois, chez certains patients, le cancer est survenu plusieurs mois, voire années, après l’éradication de l’infection ou en l’absence d’infection initiale, faisant suspecter d’autres mécanismes (28). La présence du lymphome lui-même pourrait favoriser le développement d’une gastrite atrophique, d’une métaplasie intestinale puis d’une dysplasie pouvant conduire au cancer, celui-ci se développant le plus souvent au niveau du site initial du lymphome (28). Facteurs prédictifs de la réponse au traitement éradicateur Certains éléments, au terme du bilan, permettent d’évaluer des facteurs pronostiques de la réponse au traitement éradicateur de l’infection à H. pylori Endoscopie et traitement éradicateur La logique voudrait que les formes supposées peu sévères ou superficielles en endoscopie répondent mieux au traitement médical. Toutefois, dans l’étude de Bayerdörffer et al. publiée en 1995 et concernant 33 patients traités par traitement anti-H. pylori, une rémission complète était obtenue chez 70 % d’entre eux, quel que soit l’aspect des lésions endoscopiques initiales : tumeur, érosions, anomalies de relief (5). Notre expérience confirme ces données : 6 mois après traitement éradicateur, des patients ayant des lésions pseudo-gastritiques, ulcérées ou à gros plis, montraient des taux de rémission de 64 %, 68 % et 75 %, respectivement, les différences n’étant pas statistiquement significatives (6). L’aspect endoscopique n’est donc pas un facteur prédictif de la réponse au traitement éradicateur. Échoendoscopie et traitement éradicateur Un travail ancien avait montré qu’une rémission complète du LGM pouvait être obtenue en cas d’infiltration limitée à la muqueuse ou étendue à la sous-muqueuse dans 100 % des cas 14 mois après le traitement éradicateur, alors que, en cas d’infiltration plus profonde, le traitement était un échec (29). Dans un travail de notre équipe, 69 % des patients traités par traitement éradicateur étaient en rémission 6 mois après la fin du traitement. Quand la paroi gastrique était normale (≤ 5 mm), la rémission était obtenue dans 76 % des cas, et dans 53 % des cas si la paroi dépassait 5 mm (résultat toutefois non significatif ), alors que, lorsque l’EE montrait la présence d’adénopathies (stade IIE), la rémission n’était obtenue que chez 33 % des patients, contre 76 % en cas d’absence d’adénopathie (stade IE). La différence était significative en analyse univariée et multivariée (p = 0,04 et 0,025) [6]. L’étude de Ruskoné-Fourmestraux et al. a montré un taux de rémission significativement plus élevé en cas d’atteinte exclusive de la muqueuse (78 %) qu’en cas d’atteintes allant jusqu’à la sous-muqueuse (43 %), la muscularis propria (20 %) ou la séreuse (25 %), mais également en cas d’infiltration profonde, au-delà de 6 mm. Toutefois, ces différences n’étaient pas significatives en analyse multivariée, et seule la présence d’adénopathies restait un facteur indépendant d’échec de la réponse tumorale au traitement éradicateur : 56 % de rémission globale (avec ou sans adénopathie, chez 34 patients) contre 79 % de rémission dans le groupe de patients sans adénopathie (n = 24), aucun des 10 patients ayant des adénopathies en EE n’ayant répondu au traitement (15). Grade histologique et traitement éradicateur On peut retrouver, au sein de la prolifération de bas grade en cas de LGM, une proportion variable de grandes cellules transformées, sans pour autant porter le diagnostic de lymphome de haut grade. Certaines études on suggéré qu’un taux élevé de grandes cellules (5 à 10 % avec des amas de moins de 20 cellules) développées dans le LGM de bas grade était de mauvais pronostic et diminuait grandement les chances de rémission après traitement Correspondances en Onco-Théranostic - Vol. III - n° 2 - avril-mai-juin 2014 69 Bactéries et cancer dossier thématique éradicateur (30). Dans notre expérience, nous n’avons retrouvé aucune corrélation entre la réponse tumorale et la proportion de grandes cellules : que cette proportion soit inférieure ou supérieure à 5 %, le taux de rémission était respectivement de 63 % et de 83 %, sans différence significative (6). Ces constatations sont confortées par des études rapportant des cas de lymphome de haut grade pour lesquels une rémission a été obtenue sous traitement éradicateur de l’infection à H. pylori seule (31). Translocation t(11;18) et traitement éradicateur La translocation t(11;18) (q21;q21) est spécifique des lymphomes du MALT et détectée chez 25 à 30 % des patients ayant un LGM (32, 33). Les gènes impliqués dans cette translocation sont le gène API2, localisé sur le chromosome 11, et le gène MALT1, localisé sur le chromosome 18. La t(11;18) est plus fréquentes en cas de LGM H. pylori négatifs (63 %) qu’en cas de LGM H. pylori positifs (15 %) [9]. Elle est également plus fréquente en cas de stade IIE (62 %) qu’en cas de stade IE (20 %), mais son incidence n’est pas plus élevée en cas de stade IV (9). Son intérêt pronostique après traitement éradicateur a été étudié entre autres par Liu et al. (34). Parmi 111 patients traités, 48 étaient en rémission (47 IE et 1 IIE) et 63 étaient en échec (43 IE et 20 IIE et au-delà). La t(11;18) n’était présente que chez 2 des 48 patients (4 %) en rémission et chez 42 des 63 patients (66 %) en échec. En particulier, elle était présente chez 26 des 43 patients IE non répondeurs (60 %) et chez 16 des 20 patients IIE et plus (80 %). La recherche de la t(11;18) a donc permis de distinguer, parmi les patients IE (sans adénopathie en EE), ceux qui avaient un risque plus élevé d’échec. Autres traitements En cas d’échec du traitement éradicateur de H. pylori ou de lymphome d’emblée H. pylori négatif, d’autres traitement peuvent être proposés. Chirurgie La chirurgie était le traitement proposé par certaines équipes avant que la relation du LGM avec l’infection à H. pylori soit connue. La maladie étant souvent multifocale, seule une gastrectomie totale était susceptible de guérir définitivement le patient. Ce geste est grevé d’une morbidité et d’une mortalité péri-opératoire inacceptables pour une pathologie accessible à un traitement médical simple. Il ne doit actuellement être réservé qu’aux complications de la maladie : l’hémor- 70 ragie digestive incontrôlable parfois révélatrice mais très rare. Radiothérapie La radiothérapie est une alternative thérapeutique qui a été proposée dans les stades I ou II avec de bons résultats, mais seulement dans de petits groupes. Une rémission complète a été obtenue dans 100 % des cas sans rechute avec une irradiation localisée de l’estomac et des ganglions adjacents (35-39). La tolérance semble acceptable à court et à moyen terme. Toutefois, il y a peu de données sur les effets à plus long terme, notamment chez les jeunes patients. La radiothérapie semble donc devoir être réservée aux échecs des traitements médicamenteux. Chimiothérapie et immunothérapie La monochimiothérapie par agents alkylants per os a été utilisée avec succès, soit en cas de non-obtention d’une rémission malgré l’éradication de H. pylori, soit en cas de lymphome H. pylori négatif d’emblée. Le cyclophosphamide 100 mg/j a été initialement le traitement de choix, puis le chlorambucil (6 mg/m2/j, 14 jours par mois ou en continu à raison de 2 gélules/jour) pendant 12 mois. Des taux de rémission allant de 60 à 75 % ont été obtenus (40, 41). Les patients qui répondent le mieux à ce traitement sont ceux qui n’ont pas d’adénopathie en EE et n’ont qu’une infiltration pariétale minime (6), et surtout ceux dont la lésion n’exprime pas la t(11;18) [9]. Ainsi, dans l’étude que nous avons menée, sur 15 malades en échec de réponse tumorale au traitement éradicateur, 12 patients évaluables ont reçu un traitement alternatif par chlorambucil per os pendant une période de 1 an (6 mg/m2, 14 jours par mois). Après un suivi médian de 27 mois (de 13 à 48 mois), une rémission complète était obtenue chez 7 patients (58 %) en 7 mois de médiane (de 6 à 16 mois). Dans ce groupe, 6 patients avaient une paroi gastrique normale ou égale à 5 mm ; 1 seul avait une paroi épaissie à 9 mm avec une adénopathie visible. En revanche, chez les 5 patients en échec du traitement par chlorambucil, la paroi gastrique était épaissie au-delà de 5 mm (de 6 à 12 mm) dans tous les cas et 4 d’entre eux avaient des adénopathies périgastriques visibles (6). La présence d’adénopathies périgastriques et l’infiltration tumorale pariétale en EE sont donc des facteurs prédictifs majeurs de la réponse au traitement par agents alkylants, en cas d’échec de la réponse tumorale au traitement éradicateur de H. pylori. La t(11;18) a également une influence sur l’efficacité des agents alkylants. La t(11;18) a été détectée chez 12 des 21 patients de notre cohorte ayant reçu du chlorambucil per os : Correspondances en Onco-Théranostic - Vol. III - n° 2 - avril-mai-juin 2014 Lymphome gastrique du MALT : importance du traitement de H. pylori dans la prise en charge 5 (42 %) étaient en rémission et 7 (58 %) étaient en échec. La t(11 ;18) était absente chez 9 patients : 8 (89 %) étaient en rémission et 1 (11 %) était en échec. Après un suivi à long terme (7 ans de médiane), 4 patients en rémission ont rechuté : tous exprimaient la t(11 ;18). Une rémission durable était donc obtenue chez près de 90 % des patients sans t(11 ;18) et chez seulement 8 % des patients exprimant la t(11 ;18) [figure] (9). La t(11 ;18) est donc un facteur prédictif de résistance aux traitements par agents alkylants seuls et doit être prise en compte dans le choix du traitement. D’autres analogues nucléosidiques ont été testés avec de bonnes réponses. La cladribine a permis la rémission de 100 % des LGM avec une toxicité minime (41) et elle semble agir quel que soit le statut t(11 ;18) [42]. La fludarabine, associée à la mitoxantrone, a aussi induit une rémission complète chez tous les patients atteints d’un lymphome du MALT de localisation non gastrique (43) et doit donc être testée en cas de lymphome gastrique. Le rituximab est un anticorps monoclonal anti-CD20 des lymphocytes B. Il est utilisé largement en cas de lymphome folliculaire et en cas de lymphome à grandes cellules, le plus souvent en association avec d’autres chimiothérapies. Il a été utilisé seul dans des lymphomes du MALT de sites différents avec des taux de réponse allant de 55 à 75 % (44, 45). En cas de LGM, une étude a montré, chez des patients résistants à l’éradication de H. pylori, des taux de réponse de 77 % (46 % de rémission complète et 31 % de rémission partielle). Il n’a été observé que 2 rechutes à 14 et 26 mois en l’absence d’influence de la t(11 ;18). Nous avons récemment rapporté notre expérience sur 106 malades traités par rituximab en monothérapie ou en association avec le chlorambucil. Les résultats sont très favorables, montrant qu’une monothérapie peut être proposée en l’absence de t(11 ;18) et que l’association au chlorambucil doit être privilégiée en sa présence (46). Stratégie thérapeutique (figure) La stratégie thérapeutique doit être guidée par le bilan initial, et notamment le statut H. pylori, le stade anatomoclinique et la recherche de la t(11 ;18). Tout patient H. pylori positif doit recevoir un traitement éradicateur. Celui-ci peut suffire et aboutir à une rémission dans près de 80 % des cas en cas de stade IE sans t(11 ;18). En cas de LGM H. pylori négatif d’emblée ou en cas de persistance de la maladie malgré l’éradication de la bac- Helicobacter pylori + Helicobacter pylori – Éradication Non-réponse Réponse Surveillance endoscopique Stade I ou II Stade IV t(11;18)+ t(11;18)– t(11;18)+ t(11;18)– Chlorambucil + rituximab ou radiothérapie Chlorambucil Chlorambucil + rituximab Chlorambucil Figure. Algorithme de la prise en charge d’un lymphome du MALT gastrique. térie, l’attitude doit tenir compte de la présence ou non de la t(11 ;18) et de la présence ou non d’adénopathies lors de l’EE en cas de stades localisés. Toutefois, aucun traitement n’est standardisé ni ne fait l’unanimité dans cette situation. Pour notre part, nous préconisons, en cas de stade IE ou IIE sans t(11 ;18), le recours au rituximab en monothérapie, avec un premier bilan en fin de traitement à 6 mois. Dans ce cas, environ 70 % des patients connaissent une rémission. En cas d’échec ou en cas d’expression de la t(11 ;18), le rituximab associé au chlorambucil constitue la meilleure option. Nous réservons la radiothérapie aux cas d’échec ou de contre-indications aux thérapeutiques médicamenteuses. Il faut insister sur le fait que, avant chaque décision de modification du traitement, il est important d’évaluer avec précision la maladie résiduelle histologique en corrélation avec l’aspect endoscopique et la symptomatologie. Aucun nouveau traitement ne se justifie dans l’urgence, d’autant que l’évolution vers la rémission est un phénomène continu, parfois retardé par rapport au traitement initial. À titre d’exemple, un patient asymptomatique avec une endoscopie normale ou ne montrant qu’un aspect “pseudo-gastritique” et un score rRD (Responding Residual Disease) stable dans la classification du GELA pourra être surveillé sans traitement pendant plusieurs mois avant de passer à une thérapeutique plus agressive. Correspondances en Onco-Théranostic - Vol. III - n° 2 - avril-mai-juin 2014 71 Bactéries et cancer dossier thématique Conclusion Les auteurs déclarent ne pas avoir de liens d’intérêts. Le lymphome gastrique du MALT est une pathologie aux frontières de la gastroentérologie, de l’hématologie, de l’anatomopathologie et de la biologie moléculaire. Sa prise en charge nécessite la réalisation d’un bilan initial exhaustif visant à déterminer le statut H. pylori, le stade anatomoclinique et la présence ou l’absence de la translocation t(11 ;18). Elle peut aller du simple traitement éradicateur de l’infection à H. pylori, suffisant dans près de 80 % des cas, jusqu’à des traitements relevant d’équipes spécialisées tels que le rituximab associé ou non à une chimiothérapie ou la radiothérapie. Une surveillance à long terme des patients, même en rémission, semble souhaitable, en particulier afin de détecter la survenue d’un cancer gastrique. ■ Références 1. Isaacson PG, Wright DH. 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