Les critères de qualité de l’exérèse chirurgicale des cancers du côlon D

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Les critères de qualité de l’exérèse chirurgicale
des cancers du côlon
Quality standards of the surgical treatment for colon cancer
쐌쎲 F. Bretagnol, A. Alves, Y. Panis*
왘 POINTS FORTS
CRITÈRES TECHNIQUES
Ligature vasculaire
왘 La qualité de l’exérèse chirurgicale d’un cancer du côlon est
un facteur pronostique de récidive et de survie du patient.
왘 Un curage ganglionnaire avec ligature à l’origine ou près
de l’origine des vaisseaux concernés est recommandé.
왘 Une marge de sécurité digestive de part et d’autre de la
tumeur est nécessaire et suffisante lors de la colectomie.
왘 L’examen anatomopathologique doit retrouver au
minimum 8 ganglions et, au mieux, au moins 12 ganglions
sur la pièce opératoire, pour permettre une évaluation satisfaisante du statut ganglionnaire.
Mots-clés : Cancer du côlon – Colectomie – Curage ganglionnaire – Classification TNM.
Keywords: Colon cancer – Colectomy – Lymph node retrieval
– TNM classification.
À
l’heure actuelle, malgré les progrès réalisés dans le
domaine de la radiothérapie et de la chimiothérapie,
le traitement curatif des cancers du côlon est l’exérèse
chirurgicale. Celle-ci est actuellement bien codifiée, avec un
taux de résécabilité élevé, de l’ordre de 90 %, même dans les
formes localement avancées ou métastatiques (1). Le principe
chirurgical consiste en l’exérèse de la tumeur primitive avec
des marges pariétales digestives saines, associée à un curage
ganglionnaire satisfaisant.
Comme pour le cancer du rectum, la qualité de l’exérèse chirurgicale est un facteur pronostique de récidive locale et de survie.
Cette évaluation nécessite une collaboration étroite entre le
chirurgien et l’anatomopathologiste, qui analyseront la pièce
opératoire, une définition objective et précise des pratiques
chirurgicales et la recherche des critères histopronostiques
étant alors indispensables.
La qualité de l’exérèse chirurgicale inclut donc non seulement
des critères techniques, mais aussi des critères anatomopathologiques ainsi que des critères relatifs au chirurgien ou à la
structure de soins.
* Service de chirurgie colorectale, hôpital Beaujon, Clichy.
La Lettre de l’Hépato-gastroentérologue - Vol. X - nos 1-2 - janvier-février 2007
Tout d’abord, l’utilité d’une ligature première des vaisseaux et
des lymphatiques drainant la tumeur avant toute mobilisation
tumorale avait été suggérée par la mise en évidence d’agrégats
de cellules tumorales dans le sang portal de patients atteints de
cancers coliques et de leur augmentation durant l’acte chirurgical. Dans la seule étude contrôlée comparant le devenir des
patients après résection colique avec et sans ligature première
des vaisseaux à leur origine, les résultats étaient en faveur de la
ligature première, mais aucune différence significative n’avait
été établie pour la survie globale (56 % versus 59 %), le décès
par récidive (24 % versus 31 %), la fréquence des métastases
hépatiques (14 % versus 22 %) et le délai de survenue des récidives (12 mois versus 20) [2].
La ligature à l’origine des vaisseaux irriguant la tumeur autorise
une exérèse large du mésocôlon et des ganglions lymphatiques
de drainage et permet l’ablation de ganglions situés au niveau
du dernier relais ganglionnaire. Ces ganglions apicaux, situés
à l’origine de l’artère mésentérique inférieure sur l’aorte dans
les cancers du côlon gauche et à l’origine des artères coliques
supérieures droites et iléocoliques dans les cancers du côlon
droit, sont le siège de métastases dans 2 à 17 % des cas (3).
Même si une récente étude rétrospective japonaise a montré
une amélioration significative en termes de survie après curage
ganglionnaire extensif (4), le bénéfice en termes de survie de
la ligature à l’origine n’a jamais été démontré par des études
contrôlées. Cependant, si l’exérèse des ganglions centraux n’améliore pas la survie lorsque ceux-ci sont envahis, elle permet,
dans tous les cas, une meilleure classification des tumeurs, sans
modifier la morbidité du geste opératoire. En résumé, le niveau
de ligature proximal ou distal de l’artère mésentérique inférieure
n’influence pas la survie.
Marge pariétale de résection
Contrairement à ce que l’on observe dans le cancer du rectum,
les marges pariétales de résection ne posent que rarement des
problèmes en cas de tumeur du côlon, où l’exérèse peut être
étendue à la demande sans conséquence fonctionnelle majeure.
L’extension intramurale des adénocarcinomes coliques par les
lymphatiques de la sous-muqueuse excède rarement 4 cm (5). De
plus, des études suggèrent qu’une marge de 2 cm serait suffisante,
98 % des tumeurs ayant une extension tumorale inférieure à
2 cm (6). En pratique, une marge distale de 5 cm en peropéra11
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toire avant section, soit 2,5 cm sur pièce fixée non étirée, est
considérée comme suffisante. Une étude contrôlée française
a montré qu’il n’existait aucune différence significative entre
une hémicolectomie gauche et une colectomie segmentaire
pour cancer en termes de survie globale à 5 ans (65 % versus
66 %) [7].
CRITÈRES ANATOMOPATHOLOGIQUES
Marge circonférentielle
La marge circonférentielle (ou latérale), dénommée aussi clairance chirurgicale, est la distance entre la zone d’extension
maximale de la tumeur et la surface péritonéale (séreuse). On
considère qu’il y a un envahissement tumoral de la marge circonférentielle si cette distance est inférieure ou égale à 1 mm (8). Le
pronostic d’un cancer colique dépend de la maladie résiduelle
après chirurgie. Une exérèse macroscopiquement incomplète
ou la présence de métastases à distance font classer la maladie
résiduelle R2. Si, en dépit d’une exérèse semblant complète, les
limites proximales, distales ou marginales de la pièce s’avèrent
envahies à l’examen microscopique, la maladie résiduelle est
classée R1. Elle est classée R0 si ces limites sont saines.
Ainsi, lorsqu’une tumeur envahit par contiguïté des organes de
voisinage, les adhérences entre la tumeur et les organes adjacents
contiennent, dans près de deux tiers des cas, des cellules tumorales viables, ce qui justifie théoriquement l’exérèse en bloc de
la tumeur et de l’organe adjacent sans libération préalable des
adhérences. Cela semble confirmé par une étude rétrospective
qui notait un taux de survie à 5 ans après résection en bloc
de 85 %, contre 0 % quand les adhérences tumorales étaient
disséquées (9). L’envahissement par contiguïté d’un organe de
voisinage n’est pas un facteur de mauvais pronostic si l’exérèse
en bloc est possible.
Des métastases ovariennes infracliniques sont présentes chez
1 à 7 % des patientes ayant un cancer colique, et cet envahissement est bilatéral dans plus de 50 % des cas (10). La palpation
systématique des ovaires, avec biopsie et examen extemporané
en cas de doute, est donc recommandée. L’intérêt carcinologique
d’une ovariectomie prophylactique au moment de la colectomie
n’a jamais été démontré (11).
Statut ganglionnaire
Le cancer colique est très lymphophile, et des métastases
ganglionnaires peuvent apparaître dès lors que la tumeur franchit
la musculaire muqueuse. Ces métastases suivent en général les
relais ganglionnaires : ganglions paracoliques, puis pédiculaires.
Le nombre de ganglions examinés sur une pièce de colectomie
dépend de la qualité de l’exérèse chirurgicale, mais aussi de celle
de l’examen anatomopathologique.
Le statut ganglionnaire est l’un des principaux facteurs pronostiques. Le nombre de ganglions examinés conditionne le nombre
de ganglions positifs. Il a donc semblé important de déterminer
un nombre minimal de ganglions à examiner par pièce opératoire
pour accroître la fiabilité du statut ganglionnaire. Un nombre
12
minimal de 12 ganglions a été proposé par l’American Joint
Committee on Cancer, en 1997 (12). En France, un minimum de
8 ganglions a été jugé indispensable (13). Le siège des ganglions
a également une importance pronostique, avec des taux de
survie sans récidive à 5 ans de 70 % en cas d’envahissement
de ganglions paracoliques et de 40 % en cas d’envahissement
de ganglions centraux (14). Plusieurs auteurs ont développé la
notion de ganglion sentinelle, comme pour le cancer du sein. Le
ganglion sentinelle est par définition le premier relais ganglionnaire envahi lors de la phase métastatique du cancer. La technique nécessite un repérage peropératoire du ou des ganglions
sentinelles après injection péritumorale d’un colorant ou d’une
solution radioactive. Après quelques minutes, les ganglions se
colorent. Il s’agit d’une technique encore en cours d’évaluation
en pathologie colorectale, car, contrairement à ce qui se pratique
dans le traitement du cancer du sein ou des mélanomes, la
lymphadénectomie standard est toujours préconisée. Le taux
de faux négatifs varie selon les séries de 100 % à 44 % (15). Le
seul intérêt de la technique pourrait être de guider l’analyse de
l’anatomopathologiste sur les ganglions potentiellement métastatiques pour qu’il en fasse une analyse minutieuse.
Autres critères pronostiques
Actuellement, la classification TNM (tumor node metastasis)
précise au mieux l’envahissement pariétal et ganglionnaire et
est indiscutablement la meilleure classification histopronostique
(16). Cette classification fait l’objet d’un consensus international
et est sensiblement identique dans tous les segments du tube
digestif. Elle doit donc être systématiquement utilisée.
Outre le statut ganglionnaire, le pronostic d’un cancer colique
opéré dépend d’autres facteurs qui sont le degré de différenciation et l’existence d’emboles vasculaires.
Le degré de différenciation cellulaire est un facteur pronostique
indépendant, mais, si la différenciation des tumeurs en trois
grades (bien, moyennement et peu différencié) est fiable pour
le même examinateur, il existe de grandes variations interobservateur (17).
La présence d’emboles vasculaires est aussi un facteur de mauvais
pronostic, avec des taux de survie à 5 ans allant de 15 à 47 % en
cas d’invasion veineuse, contre 40 à 72 % en son absence (18).
CRITÈRES RELATIFS AU CHIRURGIEN
ET À LA STRUCTURE DE SOINS
Il semble logique que le degré de spécialisation du chirurgien
et celui du centre dans lequel est opéré le patient influencent la
qualité des résultats opératoires. Cela reste particulièrement vrai
dans le cas du cancer du rectum, pour lequel il est démontré que
la spécialisation du chirurgien dans la technique d’exérèse totale
du mésorectum ainsi que le volume de cas traités améliorent le
contrôle local et la survie (19).
Pour le cancer du côlon, il semble que ces résultats ne soient pas
aussi clairement démontrés. Il est vrai que la chirurgie colique
pour cancer ne nécessite pas autant d’expertise chirurgicale
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que la chirurgie rectale, techniquement plus difficile. Pourtant,
plusieurs études rétrospectives ont suggéré, pour la prise en
charge du cancer du côlon, un effet volume significatif (20-22).
Dans une étude rétrospective américaine portant sur plus de
20 000 patients opérés d’un cancer colique, le volume d’activité du centre de soins constituait le principal facteur prédictif
indépendant et était corrélé à une moindre mortalité opératoire
(p < 0,001) [21]. De plus, une étude prospective à propos d’une
cohorte de 3 000 patients montrait que la survie globale à 5 ans
était significativement meilleure dans un “grand” centre à forte
activité que dans un “petit” centre (67 % contre 63 %) [22]. Pourtant, malgré une augmentation de 16 % de la mortalité opératoire
dans les centres à faible activité, il n’existait pas de corrélation
entre le volume d’activité et le risque de récidive locale ou de
survie sans récidive. Une revue de la littérature incluant 13 études
relatives à la chirurgie colorectale suggérait même que le chirurgien était un facteur pronostique important (23). Toutefois,
l’impact du volume d’activité du chirurgien sur les résultats ne
semble pas si prépondérant dans la chirurgie du côlon (24). Une
étude américaine montrait que les meilleurs résultats étaient
obtenus par un chirurgien ayant un grand volume d’activité
dans un “grand” centre de soins, mais les chirurgiens ayant un
faible volume d’activité dans un “grand” centre de soins avaient
de meilleurs résultats que des chirurgiens similaires opérant
dans un “petit” centre de soins (20).
En fait, toutes ces études comportent des biais évidents, et il est
possible que les différences constatées en termes de mortalité
ou de morbidité soient dues au fait que les patients opérés dans
le centre de soins ou par le chirurgien à faible volume d’activité
soient plus âgés ou qu’ils aient plus de comorbidités (24).
CONCLUSION
L’exérèse chirurgicale demeure le facteur primordial pour le
traitement curatif des cancers du côlon. Elle est techniquement plus facile que dans la chirurgie du rectum, et nécessite
une expertise moindre. Pourtant, elle répond à des critères de
qualité d’exérèse qui garantissent des résultats oncologiques
satisfaisants à long terme.
Ces critères incluent donc une exérèse chirurgicale avec des
marges pariétales saines associée à un curage ganglionnaire
satisfaisant. Un examen anatomopathologique exhaustif de la
pièce opératoire permettra d’évaluer le statut ganglionnaire. ■
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