La chirurgie colique : principes de sécurité
Alain Rosiere, Luc Michel, Francis Lorge, service de chirurgie générale et digestive, cliniques
UCL de Mont-Godinne
Septembre 2007
Introduction
Le rôle du chirurgien est primordial dans la prise en charge thérapeutique du cancer du
côlon. Il doit d’abord traiter les symptômes liés à la tumeur (douleur, rectorragie, etc.), il doit
éviter les complications peropératoires et postopératoires par un bilan préopératoire le plus
complet possible et surtout il doit mettre tout en œuvre pour réaliser une chirurgie d’exérèse la
plus large possible afin que le patient ait les meilleures chances de survie. Ce n’est qu’à la fin
des années 1960 que des travaux ont démontré que la qualité de l’exérèse initiale
conditionnait toute l’évolution et il a été recommandé d’appliquer plusieurs principes de
sécurité lors de l’intervention. Avec un recul de 40 ans et de nombreuses études, qu’en est-il
réellement de l’impact de ces mesures sur le pronostic. Encore en 2007, une constatation
s’impose, c’est qu’en dépit d’une approche multidisciplinaire du cancer du côlon, la résection
radicale de la tumeur est le seul traitement potentiellement curatif.
‘No touch isolation technic’
La manipulation de la tumeur colique risque d’entrainer une dissémination
peropératoire de cellules tumorales dans les vaisseaux lymphatiques avec le risque
d’apparition secondaire de métastases hépatiques. Dés lors, il a été préconisé de réaliser une
ligature première des pédicules lymphovasculaires concernés avant toute manipulation de la
tumeur.
Turnbull a démontré l’efficacité de cette approche en 1967 dans une étude
comparative entre deux groupes de patients : le groupe de patients opérés selon cette
technique avait une survie à 5 ans de 51% versus 35% pour le groupe opéré de manière
classique. Cependant, les deux groupes n’étaient pas comparables et l’étude n’était pas
randomisée (1).
En fait, d’autres études plus récentes prospectives et randomisées n’ont pas prouvé
l’efficacité de la ligature lymphovasculaire première par apport à une approche classique.
L’étendue du curage ganglionnaire
Le facteur pronostique le plus important est l’envahissement ganglionnaire. Pour
permettre une stadification correcte, l’Union internationale contre le cancer (UICC) propose
un nombre de 12 ganglions examinés sur la pièce opératoire. Il a été démontré que l’examen
de 12 ganglions permet de détecter 92% des métastases et l’examen de 20 100% (2).
Il a également été démontré que le curage ganglionnaire avait aussi un intérêt
thérapeutique. Pour les tumeurs classés N1, la survie à 8 ans passe de 56 à 90% en fonction du
nombre des ganglions prélevés et pour les tumeurs classés N2 de 43 à 71% (3).
1
Nous savons que l’envahissement ganglionnaire se fait de proche en proche de
manière continue, progressive et anatomique : d’abord les ganglions péricoliques, puis les
ganglions intermédiaires et ensuite les ganglions pédiculaires. Dés lors, les pédicules
mésentériques principaux concernés par la tumeur seront toujours liés au ras de leur origine.
Certains se sont demandé s’il ne fallait pas étendre le curage ganglionnaire dans
l’espace lomboaortique sus-jacent rétropéritonéal malgré le risque élevé de morbidité (4).
Aucune étude n’a démontré une augmentation de la survie après une dissection lymphatique
totale.
En fait ce sont les ganglions situés à l’origine du pédicule artériel qui influencent le
pronostic. Si ces ganglions sont envahis, le pronostic est très défavorable et la survie à 5 ans
quasi nulle.
L’étendue de la résection intestinale
Dans le cadre d’une tumeur colique le problème de l’étendue de la résection intestinale
et de la marge de résection de part et d’autre de la tumeur est moins important que pour le
cancer du rectum ; en effet, le côlon est toujours suffisamment mobilisable pour permettre une
résection large avec rétablissement de la continuité.
Pour le cancer du côlon gauche, la réalisation d’une hémicolectomie gauche a été
opposée à une colectomie segmentaire. Aucune étude prospective randomisée n’a démontré
une augmentation de la survie selon que l’on effectue l’une ou l’autre procédure. Au
contraire, la mortalité postopératoire est plus élevée après hémicolectomie gauche qu’après
résection segmentaire (6% versus 2.3%) (5).
Ce que nous savons c’est que l’extension intramurale des adénocarcinomes par les
voies lymphatiques sous-muqueuses ne dépasse pas 4 cm. En fait, l’étendue de la résection est
dictée par la ligature des pédicules vasculaires à leur origine et la vascularisation par l’arcade
vasculaire de Riolan du côlon conservé; le curage ganglionnaire doit être réalisé de la même
manière quelle que soit la technique de résection utilisée.
La préparation des berges anastomotiques
Une des préoccupations des chirurgiens est le risque d’une récidive sur l’anastomose
digestive. Dans les années 1960, ce risque était réel avec une fréquence entre 5 et 15% après
colectomie gauche (6). Aucune véritable explication n’a pu être apportée de manière certaine.
Certains l’ont attribué à une propagation des cellules tumorales vers le rectum et la jonction
recto-sigmoidienne due à la préparation colique par voie orale. D’autres encore ont mis en
cause une exfoliation de fragments tumoraux dans la lumière intestinale lors de la
manipulation de la tumeur. Dés lors, plusieurs mesures ont été proposées à l’époque comme
l’irrigation de la lumière intestinale avant l’anastomose, l’isolement de la tumeur entre deux
lacs noués de part et d’autre de celle-ci, la préparation des berges avec une solution
cytotoxique (teinture d’iode). Depuis, aucune étude n’a objectivement prouvé l’efficacité de
ces mesures. Par contre, le taux de récidive anastomotique a nettement diminué actuellement.
Le risque de greffe pariétale
Le risque de voir apparaitre des implants tumoraux sur la cicatrice de laparotomie ou
sur les orifices de drain existe indépendamment du risque d’une carcinomatose péritonéale
mais ce risque est très faible (1%). Cependant, les patients décéderont dans les 4 ans de
2
dissémination tumorale (7). Dès lors, de manière pratique, il est recommandé de border les
berges de la laparotomie par des compresses afin d’éviter tout contact entre la tumeur et la
paroi.
L’ovariectomie bilatérale prophylactique
Il s’agit d’un sujet qui a souvent été débattu et pour lequel il n’y a jamais eu de
véritable consensus tant les résultats des études étaient divergents.
4 constatations semblent cependant se dégager :
•2 à 8% des femmes avec un cancer du côlon ont des métastases ovariennes
synchrones.
•Cette fréquence est plus importante chez la femme non ménopausée (8).
•1 à 7% des femmes vont développer des métastases ovariennes après une résection
curative d’un cancer du côlon.
Il n’a pas été démontré qu’une ovariectomie prophylactique lors de la colectomie augmentait
la survie. Elle avait l’avantage de prévenir la survenue de métastases secondaires.
L’attitude suivante est recommandée (9) :
•Réaliser une échographie endovaginale dans le bilan préopératoire et le suivi.
•Palper les ovaires en peropératoire et faire une biopsie au moindre doute.
•Pratiquer systématiquement une ovariectomie bilatérale chez la femme ménopausée.
Conclusion
Le rôle du chirurgien est primordial et l’intervention initiale conditionne toute
l’évolution future. La valeur du curage ganglionnaire est essentielle car c’est ce curage qui
constitue le facteur pronostique le plus important.
Références
1. Turnull RB, Kyle K, Watson FR, Spratt J. Cancer of the colon : the influence of the no
touch isolation technic on survival rates. Ann Surg 1967;166:420-7
2. Hermanek P, Henson DE, Hutter RV, Sobin LH In: TNM. A commentary on uniform
use. Berlin: Springer-Verag; 1993
3. Swanson RS, Compton CC, Steward AK, Bland KI. The prognosis of T3N0 colon
cancer is depend on the number of lymph nodes examined. Ann Surg Oncol
2003;10:65-71
4. Grinnel RS. Results of ligation of inferior mesenteric artery at the aorta in resection of
carcinoma of the descending and sigmoid and rectum. Surg Gyneclo Obstet
1965;120:1031-0-1036
5. Rouffet F, Mathon C, Vendroux J. Etendue de l’exérèse colique dans le traitement
curative des cancers du colon gauche. Chirurgie 1990 ;116 :419-424
6. Wright HK, Thomas WH, Cleveland JC. The low recurrence rate of colonic carcinoma
in ileocolic anastomoses. Surg Gyn Obst 1969;120:960-962
7. Hughes ES, McDermott FT, Poglase AL. Tumor recurrence in the abdominal wall scar
tissue after bowel cancer colon carcinoma. Dis Colon Rectum 1983;26:571-572
8. Cutait R, Lesser ML, Enker WE. Prophylactic oophorectomy in surgery for large
bowel cancer. Dis Colon Rectum 1983;26:6-11
9. Young RH. From krukenberg to today: the ever present problems posed by metastatic
tumor in the ovary: part I. Adv Anat Path, 2006;13:205-227
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