La d´ emence frontotemporale : revue de la litt´ erature

L’Enc´
ephale (2007) 33, 933—940
journal homepage: www.elsevier.com/locate/encep
CLINIQUE
La d´
emence frontotemporale : revue de la litt´
erature
Frontotemporal dementia: A review
V. Chauvirea, C. Evena,, J. Thuileb, F. Rouillonb, J.-D. Guelfib
aClinique des maladies mentales et de l’enc´
ephale, centre hospitalier Sainte-Anne,
100, rue de la Sant´
e, 75674 Paris cedex 14, France
bClinique des maladies mentales et de l’enc´
ephale, universit´
e Paris V-Ren´
e-Descartes,
centre hospitalier Sainte-Anne, Paris, France
Rec¸u le 28 d´
ecembre 2005 ; accept´
ele11d
´
ecembre 2006
Disponible sur Internet le 6 septembre 2007
MOTS CL´
ES
D´
emence
frontotemporale ;
Vieillissement ;
Crit`
eres
diagnostiques ;
Affaiblissement
cognitif
Résumé Les démences frontotemporales (DFT) se caractérisent par l’existence de troubles
du comportement d’apparition progressive associés à une dégénérescence frontale et tem-
porale antérieure. Elles comportent des caractéristiques cliniques parfois trompeuses qui en
font un diagnostic différentiel fréquent en psychiatrie. Nous exposons les critères consensuels
qui ont été proposés pour ce diagnostic et les situations qui, en pratique clinique, doivent le
faire suspecter. L’apparition progressive d’un changement de personnalité ou d’un trouble des
conduites sociales chez un sujet d’âge moyen, le plus souvent rapporté par l’entourage, doit
conduire à un examen des fonctions supérieures et à une imagerie cérébrale. Des tests cliniques
simples dans le contexte de la consultation peuvent faire évoquer le diagnostic et indiqueront
des tests neuropsychologiques plus approfondis. L’identification précoce des patients présen-
tant une DFT permet une prise en charge adaptée à ce type de démence. En effet, si les essais
thérapeutiques sont peu nombreux dans cette pathologie, certains antidépresseurs ont prouvé
leur efficacité et doivent être proposés plutôt que les anticholinestérasiques. Enfin, la prise
en charge globale de ces patients doit tenir compte, d’une part des répercussions dans la vie
quotidienne différentes de celles d’autres démences comme la maladie d’Alzheimer (MA), et
d’autre part, de son évolution souvent plus rapide.
© L‘Encéphale, Paris, 2007.
KEYWORDS
Frontotemporal
dementia;
Summary
Clinical characteristics. — Frontotemporal dementia (FTD) is a neurological disorder charac-
terised by the progressive degeneration of the frontal and anterior temporal cortex. FTD, as
well as nonfluent progressive aphasia and semantic dementia, belongs to the more generic
Auteur correspondant.
Adresse e-mail : [email protected] (C. Even).
0013-7006/$ — see front matter © L‘Encéphale, Paris, 2007.
doi:10.1016/j.encep.2006.12.001
934 V. Chauvire et al.
Aging;
Diagnostic criteria;
Cognitive impairment
entity of frontotemporal lobe degeneration. Considering the involvement of the frontal lobe,
the initial clinical presentation of FTD may be psychiatric, such as changes in personality or
behavioural disorders. Psychiatrists, therefore, have to establish the differential diagnosis with
late-onset schizophrenia or affective disorders. An accurate history of the onset of symptoms,
thanks to the patient and especially to his/her family, is essential to recognize this demen-
tia. In addition to behavioural changes, memory impairment, and speech disturbances are
often present from the beginning. Consensus criteria have been proposed in 1998 that help
to bring this diagnosis to mind in clinical practice. The progressive occurrence of personality
changes or inappropriate social conducts in the fifth or sixth decade must prompt cognitive
evaluation.
Neurocognitive and brain imaging data. — A brief cognitive evaluation, such as the frontal
assessment battery (FAB) may help to identify a dysexecutive syndrome and to prompt a tho-
rough neuropsychological evaluation. The pattern of neuropsychological impairment reflects
the involvement of the frontal lobe and appears different from that of other degenerative
diseases, such as Alzheimer’s dementia, which involves hippocampal damage. Additional inves-
tigations should however be made to detect a potentially curable dementia. Cerebral imaging is
essential to the differential diagnosis and also shows evidence for the positive diagnosis of FTD.
Structural MRI may initially not show the bilateral atrophy of the frontal lobe, but functional
imaging may be helpful in the early stages of the illness by showing evidence of abnormalities
in the anterior cerebral hemisphere.
Pathophysiological findings. — In recent years, significant advances in the understanding of
the pathological characteristics of FTD were made with genetic contribution, especially the
discovery of the tau protein involvement. In fact, neuropathological examination with immu-
nohistochemical analysis defines Pick’s disease with Pick bodies that belong to tauopathies.
Ubiquitinated intraneuronal inclusions may also be found, and some types of FTD have no
distinctive pathological feature. However, although a definite diagnosis would only be establi-
shed after postmortem pathological examination, the clinical, neuropsychological and imaging
data enable the early identification of patients with FTD and, subsequently, the appropriate
management.
Therapeutics. — Although the prevalence of FTD reaches 1 Alzheimer’s disease (AD) to 1.6
FTD in the general population between 45- and 64-year old, only few studies have focused
on the treatment of FTD. Some evidence supports the positive effect of serotonergic agents,
especially with regard to behavioural symptoms. Selective serotonin reuptake inhibitors or
trazodone should therefore be prescribed in preference to acetylcholinesterase medications
as in AD. However, no drug yet has the ability to stop or slow down the degenerative pro-
cess. The management of daily life also bears specificities related to the younger age of these
patients and to their behavioural disorders. Caregivers should receive some education about
the characteristics of this dementia and should be helped in social management. As concerns
aggressive behaviour, neuroleptics should generally be avoided because of poor tolerance.
Finally, the outcome is characterized by a rapid loss of autonomy and sometimes by a premature
institutionalisation.
© L‘Encéphale, Paris, 2007.
Introduction
Si Arnold Pick rapporta en 1892 l’histoire d’un patient
pr´
esentant un d´
eclin cognitif avec une atrophie c´
er´
ebrale
localis´
ee selon l’autopsie, c’est Alois Alzheimer qui d´
ecrivit
des anomalies cellulaires sp´
ecifiques : les corps de Pick.
Ces d´
eg´
en´
erescences focales pr´
esentant des corps de Pick
sont actuellement class´
ees parmi les d´
emences frontotem-
porales (DFT). On peut rapprocher ces d´
ecouvertes de la
difficult´
e actuelle pour distinguer une maladie d’Alzheimer
(MA) d’une DFT mais aussi d’autres pathologies. En effet,
sur une s´
erie de 74 patients r´
epondants aux crit`
eres de
DFT (Lund et Manchester [44]), pas une seule fois le diag-
nostic n’avait ´
et´
e´
evoqu´
e par le m´
edecin adressant le
patient et dans un tiers des cas, le diagnostic ´
evoqu´
e´
etait
celui d’une pathologie psychiatrique [28]. Le diagnostic de
d´
emence frontotemporale est pos´
e le plus souvent au sein
des «centres de consultation m´
emoire »par un membre
d’une ´
equipe pluridisciplinaire comprenant un neurologue,
un g´
eriatre et/ou un psychiatre. Les motifs d’admission
ou de consultation en psychiatrie des patients atteints de
DFT sont souvent [15] un trouble du comportement ou
un syndrome d´
epressif. Des affections plus particuli`
eres
sont retrouv´
ees chez les patients hospitalis´
es, comme les
d´
elires, les syndromes parano¨
ıdes, l’abus d’alcool ou les
probl`
emes sociaux. Il est donc n´
ecessaire pour les psy-
chiatres de connaˆ
ıtre ce diagnostic. Le but de cette revue
est de d´
efinir les caract´
eristiques de cette pathologie, de
donner les cl´
es pour ´
etablir le diagnostic, notamment dans
les formes `
apr
´
esentation psychiatrique, et enfin d’´
evoquer
les traitements actuellement propos´
es qui sont ceux de la
pharmacop´
ee psychiatrique.
La d´
emence frontotemporale : revue de la litt´
erature 935
Le concept de d´
eg´
en´
erescence
frontotemporale
Le tableau clinique, d´
ecrit par Arnold Pick au d´
ebut du xxe
si`
ecle, a ´
et´
e repris par l’´
ecole de Jean Delay dans les ann´
ees
1950 dans le but de diff´
erencier la MA de la DFT [6]. Les
´
etudes histologiques avaient permis de distinguer la mala-
die de Pick avec ses inclusions neuronales de la MA, mais
aussi de mettre en ´
evidence des formes sans corps de Pick.
Dans les ann´
ees 1980 [29], une premi`
ere liste de symptˆ
omes
a´
et´
e´
etablie par l’´
equipe de Gustafson pour permettre de
distinguer cliniquement la DFT de la MA, du sujet jeune.
En 1994, la mise en commun des r´
eflexions de Gustafson et
de Neary a permis d’aboutir aux crit`
eres de Lund et Man-
chester [44], consensus clinique et neuropathologique de la
d´
emence frontotemporale. Pour int´
egrer de fac¸on ´
elargie
l’ensemble des pathologies d´
eg´
en´
eratives du cortex fron-
tal et/ou temporal, le concept de d´
eg´
en´
erescence lobaire
frontotemporale a vu le jour `
a l’occasion d’une nouvelle
conf´
erence de consensus permettant la mise au point de
nouveaux crit`
eres en 1998 [27].
Dans un premier temps, des crit`
eres communs aux trois
syndromes ont ´
et´
e identifi´
es (Tableau 1) et secondairement,
Tableau 1 Crit`
eres communs aux trois syndromes cliniques
de d´
eg´
en´
erescence lobaire frontotemporale [7].
Crit`
eres compl´
ementaires
D´
ebut avant 65 ans
Pr´
esence d’un mˆ
eme trouble chez les parents du premier
degr´
e
Paralysie bulbaire, faiblesse musculaire, fasciculation
(association `
a une maladie des motoneurones moteurs
pr´
esente dans une minorit´
e de cas)
Crit`
eres diagnostiques d’exclusion
Ant´
ec´
edents et clinique
D´
ebut brutal avec AVC
Existence d’une relation entre le d´
ebut du trouble et un
traumatisme crˆ
anien
Amn´
esie s´
ev`
ere pr´
ecoce
D´
esorientation spatiale pr´
ecoce
Logoclonies, discours festinant (festination du discours,
acc´
el´
eration) avec perte du cours de la pens´
ee
Myoclonus
Atteinte corticospinale
Ataxie c´
er´
ebelleuse
Chor´
eo-ath´
etose
Examens compl´
ementaires
Imagerie c´
er´
ebrale
Pr´
edominance d’anomalies (structurales ou
fonctionnelles) `
a localisations post´
erieures ou centrales
L´
esions multifocales au scanner et `
alaRMN
Examens biologiques : pr´
esence d’un trouble m´
etabolique
ou inflammatoire comme la scl´
erose en plaques, la
syphilis, le sida et l’herp`
es enc´
ephalitique
Crit`
eres diagnostiques relatifs d’exclusion
ATCD atypiques d’alcoolisme chronique
Hypertension
ATCD de maladie vasculaire (ex : angine de poitrine)
Tableau 2 Crit`
eres diagnostiques cliniques de la d´
emence
frontotemporale [7].
Crit`
eres diagnostiques principaux
D´
ebut insidieux et ´
evolution progressive
D´
eclin dans les conduites sociales et interpersonnelles
Troubles de l’autor´
egulation et du contrˆ
ole dans les
conduites personnelles
´
Emoussement ´
emotionnel
Perte des capacit´
es d’introspection (perte de conscience
des symptˆ
omes mentaux)
Crit`
eres diagnostiques compl´
ementaires
Troubles du comportement
D´
eclin de l’hygi`
ene corporelle et de la tenue
vestimentaire
Rigidit´
e mentale et difficult´
e`
a s’adapter
Distractibilit´
e et manque de t´
enacit´
e
Hyperoralit´
e, changement des habitudes alimentaires
Pers´
ev´
erations et st´
er´
eotypies comportementales
Comportement d’utilisation
Discours et langage
Alt´
eration de l’expression orale : aspontan´
eit´
e, r´
eduction
du discours, logorrh´
ee
Discours st´
er´
eotyp´
e
´
Echolalie
Pers´
ev´
erations
Mutisme
Symptˆ
omes physiques
R´
eflexes archa¨
ıques
N´
egligence du contrˆ
ole des sphincters
Akin´
esie, rigidit´
e, tremblements
Pression art´
erielle basse et labile
Examens compl´
ementaires
Neuropsychologie : alt´
eration significative des «tests
frontaux »en l’absence d’une amn´
esie s´
ev`
ere, d’une
aphasie ou de troubles perceptifs et spatiaux
EEG : normal malgr´
e des signes cliniques ´
evidents de
d´
emence
Imagerie c´
er´
ebrale (structurale et fonctionnelle) :
anomalies pr´
edominant dans les r´
egions ant´
erieures
frontales et/ou temporales
des crit`
eres diagnostiques ont ´
et´
e´
edict´
es pour la d´
emence
frontotemporale (Tableau 2), l’aphasie non fluente pro-
gressive et la d´
emence s´
emantique [39]. Ces trois
entit´
es cliniques peuvent ˆ
etre distingu´
ees suivant le si`
ege
pr´
edominant de la d´
eg´
en´
erescence au niveau du cor-
tex frontal et/ou temporal. La DFT est d´
efinie par une
atteinte frontale et temporale ant´
erieure bilat´
erale et
sym´
etrique et se caract´
erise cliniquement par l’existence de
troubles du comportement. Dans l’aphasie non fluente pro-
gressive, l’atrophie frontotemporale p´
erisylvienne gauche
entraˆ
ıne un discours r´
eduit avec manque du mot, erreurs
phon´
emiques et syntaxiques, mais une pr´
eservation de
la compr´
ehension. Enfin, la d´
emence s´
emantique se
caract´
erise par une atteinte bilat´
erale pr´
edominant dans
la r´
egion temporale ant´
erieure et inf´
ero-externe respon-
sable d’un discours fluent avec perte du sens des mots et
des concepts non verbaux. Cependant, il existe des formes
fronti`
eres entre chacune de ces entit´
es avec association
936 V. Chauvire et al.
`
a des degr´
es variables de troubles du langage, de per-
turbations s´
emantiques, de troubles du comportement et
d’´
el´
ements dysex´
ecutifs. Les caract´
eristiques communes de
ces pathologies, tant du point de vue clinique que neu-
ropathologique, ainsi que l’existence de formes fronti`
eres
justifient leur regroupement conceptuel sous le vocable de
d´
eg´
en´
erescence lobaire frontotemporale (DLFT) [7].
Au sein de la «variante frontale »des DLFT : la d´
emence
frontotemporale, on distingue des formes particuli`
eres. La
premi`
ere est l’association dans 15 % des cas d’une DFT avec
une scl´
erose lat´
erale amyotrophique (SLA) alors que, par
exemple, l’association d’une SLA avec une MA est exception-
nelle. Des arguments cliniques (dysfonctionnement cognitif
frontal infraclinique dans la SLA), paracliniques (hypofixa-
tion frontale d´
ebordant de la zone motrice dans la SLA),
neuropathologiques (atteinte infraclinique de SLA dans des
DFT en postmortem) et exp´
erimentaux (souris transg´
eniques
avec mutation de la prot´
eine tau pr´
esentant des l´
esions `
ala
fois de DFT et SLA) vont dans le sens d’un continuum entre
la DFT et la SLA [24,47]. Une deuxi`
eme forme particuli`
ere
est celle de la DFT avec parkinsonisme li´
e au chromosome
17. Nous la d´
ecrirons bri`
evement pour expliquer le rˆ
ole
de la prot´
eine tau dans cette pathologie mais elle permet
d´
ej`
a de pointer les formes g´
en´
etiques existantes dans cette
pathologie et de noter l’importance de la recherche des
ant´
ec´
edents familiaux (50 % des cas de DFT).
La d´
emence frontotemporale
´
Epid´
emiologie
Une des derni`
eres ´
etudes ´
epid´
emiologiques r´
ealis´
ee autour
de Cambridge [36] a permis d’´
etablir une pr´
evalence
d’environ 15 pour 100 000 habitants ˆ
ag´
es de 45 `
a 64 ans. On
notait qu’un tiers des patients pr´
esentait des ant´
ec´
edents
familiaux. Lˆ
age moyen du d´
ebut des symptˆ
omes ´
etait de
52,8 ans ce qui est compatible avec les donn´
ees des autres
´
etudes qui retrouvent un ˆ
age moyen de d´
ebut entre 45 et
65 ans. Cet ˆ
age moyen de d´
ebut ne doit pas occulter les
ˆ
ages de d´
ebut tardif exclus de l’´
etude de Cambridge. Dans
une r´
ecente cohorte ´
etudi´
ee par Johnson et al. [16] chez des
patients entre 35 et 80 ans, 23 % des patients pr´
esentant une
DFT avaient un ˆ
age de d´
ebut sup´
erieur `
a 65 ans. Dans une
´
etude sur une population de plus de 85 ans, 3 % r´
epondaient
aux crit`
eres de DFT [11].Lesex-ratio ´
etait de 14 hommes
pour trois femmes alors qu’il est de 1 pour 1 dans d’autres
´
echantillons ´
etudi´
es [16]. Enfin, dans cette population de 45
`
a 64 ans, la proportion de personnes atteintes de MA ´
etait de
1,6 pour un patient DFT alors qu’elle ´
etait de 1 pour dix dans
l’´
echantillon de Pasquier et al. qui comprenait des patients
de 41 `
a 94 ans se rendant `
a une consultation sp´
ecialis´
ee
[28]. La proportion des DLFT au sein des d´
emences varie
selon les ´
etudes, principalement selon la structure d’ˆ
age de
l’´
echantillon et son origine : hospitali`
ere, ambulatoire ou en
population g´
en´
erale.
Clinique
Les symptˆ
omes surviennent de fac¸on insidieuse avec
un d´
ebut progressif qu’il importe de rechercher `
a
l’interrogatoire de la famille. En effet, le d´
ebut peut
sembler brutal du fait de l’anosognosie du patient. La
consultation est le plus souvent demand´
ee par l’entourage.
En effet, lorsqu’on analyse la plainte initiale des patients et
de leur entourage [33], il apparaˆ
ıt qu’un tiers des patients
ne se plaint d’aucun symptˆ
ome, que le second tiers rapporte
des troubles de la m´
emoire ou du langage alors que le der-
nier tiers pr´
esente des plaintes somatiques ou des troubles
de l’humeur. En revanche, l’entourage pointe l’importance
des troubles du comportement et de la personnalit´
e dans un
tiers des cas, alors que les troubles de m´
emoire, d’autres
troubles cognitifs, notamment du langage, sont rapport´
es
par les familles des autres patients. Il faut donc ˆ
etre attentif
`
a ces patients qui se plaignent de troubles de m´
emoire et/ou
du langage ou bien de troubles de l’humeur en psychiatrie
et syst´
ematiquement interroger l’entourage qui a souvent
rep´
er´
e des troubles du comportement ou une modification
de la personnalit´
e.
Comme nous l’avons d´
ej`
a mentionn´
e, un patient sur
trois rec¸oit un diagnostic initial de type psychiatrique, que
ce soit une schizophr´
enie `
ad
´
ebut tardif, une d´
ependance
`
a l’alcool, une hypomanie ou une d´
epression avec ou
sans symptˆ
omes d’obsessionnels-compulsifs [31]. En effet,
certains patients peuvent pr´
esenter des id´
ees d´
elirantes qui
sont rarement avec un th`
eme de pers´
ecution mais plutˆ
ot
de jalousie, mystique ou somatique. Les symptˆ
omes de
d´
esinhibition peuvent parfois mimer une hypomanie avec
une euphorie, une familiarit´
e excessive, un comportement
ludique, mais aussi une surestimation de soi. Au contraire,
le manque d’empathie peut parfois ˆ
etre au premier plan
avec des patients pr´
esentant une incapacit´
e`
a ressentir des
´
emotions et donc semblent froids, distants et indiff´
erents
aux sentiments des autres. Enfin, les comportements
r´
ep´
etitifs des patients peuvent se limiter `
a de simples
st´
er´
eotypies motrices mais peuvent constituer un trouble
d’allure obsessionnel-compulsif plus complexe. Selon
les s´
eries, entre 30 et 60 % des patients pr´
esentent des
compulsions de v´
erification (serrures, fenˆ
etres) ou des
rituels hygi´
eniques, cependant le plus souvent sans obses-
sions. Ils pr´
esentent souvent une anxi´
et´
e qui peut participer
`
a des passages `
a l’acte autoagressif.
Ces troubles neuropsychiatriques sont habituellement
rapport´
es `
a une atteinte du cortex frontal [13]. L’atteinte
du cortex orbitofrontal est responsable de la majorit´
e
des troubles du comportement avec une d´
esinhibition, des
troubles dans les conduites sociales avec un manquement
vis-`
a-vis des conventions, un comportement st´
er´
eotyp´
eet
ritualis´
e, des modifications de l’alimentation avec une
pr´
ef´
erence pour le sucr´
e et, de fac¸on plus rare et plus tar-
dive, une augmentation de l’activit´
e sexuelle. L’atteinte
du cortex cingulaire ant´
erieur entraˆ
ıne pr´
ef´
erentiellement
une apathie avec un ´
emoussement ´
emotionnel qui rend
d’autant plus difficile les relations interpersonnelles. Enfin,
l’implication du cortex pr´
efrontal dorsolat´
eral se traduit
par les ´
el´
ements du syndrome dysex´
ecutif, notamment un
d´
eficit de planification et d’organisation qui rend compte
des difficult´
es pour le patient d’ex´
ecuter des tˆ
aches
complexes. Cette atteinte du cortex frontal est ´
egalement
responsable d’un trouble du langage qui se traduit, soit par
une r´
eduction du discours, non par manque du mot mais
plutˆ
ot par des st´
er´
eotypies et une absence de spontan´
eit´
e,
soit par une logorrh´
ee. D’autres auteurs [23] rapportent
l’importance de l’implication du lobe temporal dans ces
La d´
emence frontotemporale : revue de la litt´
erature 937
troubles neuropsychiatriques, notamment dans les troubles
´
emotionnels comme dans l’anxi´
et´
e. En SPECT, cette derni`
ere
est associ´
ee `
a une hypoperfusion du lobe temporal droit,
mais de fac¸on inconstante. La diminution de l’empathie,
les difficult´
es dans les interactions sociales, l’impulsivit´
e
et les tendances sociopathiques sont ´
egalement associ´
ees
`
a une hypoperfusion temporale de fac¸on bilat´
erale. Ces
r´
esultats pourraient ˆ
etre interpr´
et´
es comme le reflet d’une
atteinte des boucles sous-corticofrontales notamment lim-
biques avec une atteinte fonctionnelle `
a la fois frontale et
temporale.
On peut ´
egalement noter des symptˆ
omes physiques [6],
comme des troubles neurov´
eg´
etatifs `
a type d’hypotension,
de malaise, voire de syncope. L’incontinence est rare et
secondaire `
a une n´
egligence du contrˆ
ole des sphincters. Les
crises comitiales sont exceptionnelles.
L’examen clinique est normal au d´
ebut de la maladie
[18], sauf s’il s’agit d’une forme associ´
ee `
a une scl´
erose
lat´
erale amyotrophique. `
A un stade ´
evolu´
e, on peut noter
des signes de dysfonctionnement frontal avec r´
eapparition
des r´
eflexes archa¨
ıques de type grasping ou r´
eflexe de suc-
cion. On observe ´
egalement un comportement d’imitation,
une persistance des mouvements passifs, une apraxie de
la marche ou l’existence d’une sous-utilisation motrice,
voire un d´
eficit moteur unilat´
eral. L’examen peut mettre en
´
evidence des signes pyramidaux ou extrapyramidaux notam-
ment dans le cadre des formes li´
ees au chromosome 17.
Les troubles du comportement visuel de type clignement
excessif ou errance du regard sont possibles.
Apr`
es l’interrogatoire de l’entourage, les tests neuropsy-
chologiques sont le deuxi`
eme pilier du diagnostic clinique
de DFT. Les ´
etudes sont le plus souvent r´
ealis´
ees en
comparaison avec la MA. Dans cette derni`
ere, le mini men-
tal test (MMS) est un instrument de d´
epistage et de suivi
bien valid´
e qui ´
evalue principalement les fonctions ins-
trumentales : orientation temporospatiale, langage, praxies
constructives, calcul et m´
emoire. Cependant, il n’est pas
adapt´
e`
a la recherche de troubles cognitifs dans la DFT.
En effet, le MMS ne permet pas de mettre en ´
evidence
l’atteinte frontale sauf quand celle-ci est ´
evolu´
ee. Il est
donc n´
ecessaire de r´
ealiser des tests dits «frontaux »`
a
la recherche d’un syndrome dysex´
ecutif. Une des ´
echelles
en franc¸ais que l’on peut utiliser est la batterie rapide
d’efficience frontale (BREF) [42]. Elle est constitu´
ee de
six sous-tests qui explorent la conceptualisation, le rai-
sonnement abstrait, les capacit´
es de flexibilit´
e mentale,
la programmation motrice et le contrˆ
ole de l’action, la
sensibilit´
e`
a l’interf´
erence, le contrˆ
ole inhibiteur et enfin
l’autonomie par rapport `
a l’environnement [2]. La fluence
verbale est souvent d´
eficitaire d`
es les premiers stades de la
maladie [18].
Le plus souvent, les ´
etudes sont r´
ealis´
ees par compa-
raison aux patients pr´
esentant une MA et plutˆ
ot que les
scores bruts des tests, il faut analyser le type d’erreurs
qui refl`
etent les diff´
erences entre ces deux pathologies
quant aux structures touch´
ees [45]. Concernant la fonction
mn´
esique, le lobe frontal est n´
ecessaire `
a la premi`
ere et `
a
la derni`
ere ´
etape qui sont l’encodage et la r´
ecup´
eration,
alors que l’hippocampe, touch´
ed
`
es les premiers stades
dans la MA, intervient dans le stockage de l’information.
Cela nous permet d’expliquer les r´
esultats de tests comme
le Grober et Buschke ou sa version r´
eduite, le test des
cinq mots de Dubois et al. [10] dans ces deux pathologies.
Ces deux tests reposent sur l’apprentissage contrˆ
ol´
e d’une
liste de mots avec rappel imm´
ediat et diff´
er´
e et possibi-
lit´
e de donner des indices qui am´
eliorent la r´
ecup´
eration.
Dans la MA, les troubles du stockage entraˆ
ınent une dimi-
nution des scores de fac¸on globale alors que l’atteinte
frontale, comme dans la DFT, entraˆ
ıne des troubles de la
r´
ecup´
eration et donc une am´
elioration par l’indic¸age des
performances mn´
esiques [1,30]. Concernant le langage, les
troubles dans la DFT sont pr´
ef´
erentiellement au niveau
de la compr´
ehension, de phrases notamment, ainsi que
dans l’interpr´
etation des m´
etaphores. Au niveau de la per-
ception visuospatiale, contrairement aux patients atteints
de MA qui pr´
esentent des erreurs dans l’appr´
eciation de
l’espace, ceux atteints de DFT pr´
esentent des erreurs
dans les copies tr`
es ´
elabor´
ees refl´
etant leurs difficult´
es de
planification.
On peut donc conclure qu’en r´
ealisant les deux tests
simples que sont la BREF et le test des cinq mots de Dubois
et al. [10], on peut d´
eceler une atteinte des fonctions
ex´
ecutives qui, si elle n’est pas sp´
ecifique d’une DFT, per-
met, en l’associant avec une ´
evaluation des troubles du
comportement, de donner des arguments pour continuer les
investigations neurologiques.
Examens paracliniques
Selon les recommandations de l’Anaes [1] de février 2000
pour le diagnostic de la MA, le bilan biologique doit
comporter de fac¸on systématique un ionogramme sanguin
incluant une calcémie et une glycémie ainsi qu’un dosage
de TSH. La sérologie syphilitique, HIV, le dosage de vita-
mine B12, de folates, le bilan hépatique et la ponction
lombaire seront prescrits selon le contexte clinique. Une
imagerie cérébrale systématique est recommandée pour
toute démence d’installation récente avec pour but prin-
cipal de ne pas méconnaître l’existence d’une autre cause
de démence (processus expansif intracrânien, hydrocé-
phalie à pression normale, lésions d’origine vasculaire).
L’Anaes précise également que cet examen sera au mieux
une imagerie par résonance magnétique (IRM). De plus,
cette IRM pourra également apporter des arguments en
faveur d’une DFT [22]. En effet, on observe une atrophie
du lobe frontal le plus souvent bilatérale et symétrique
alors qu’on note une atrophie localisée dans un premier
temps à l’hippocampe dans la MA. De fac¸on plus pré-
coce, l’imagerie métabolique, notamment une imagerie par
émission monophotonique (SPECT) peut mettre en évidence
une hypoperfusion des lobes frontaux et des lobes tempo-
raux alors même que l’IRM peut être dans les limites de
la normale [3]. Il ne faut pas hésiter à la demander en
cas de doute car c’est un argument reconnu par l’Anaes
pour faire le diagnostic différentiel entre une MA et une
DFT.
Hypoth`
eses physiopathologiques
Àlafinduxıx
esiècle, Alzheimer décrivait les corps de
Pick [6] : inclusions intraneuronales immunomarquées par
des anticorps anti-tau. La présence de ces corps de Pick
définit actuellement la maladie de Pick stricto sensu. Deux
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