A. Gigi et al. L’Encéphale, 2006 ; 32 : 775-80, cahier 1
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tion progressive en quelques semaines de symptômes psy-
chotiques (propos délirants peu structurés, écholalie) néces-
sitent une première hospitalisation en psychiatrie. Dans un
premier temps, un bilan biologique standardisé et un CT-
scan cérébral sans injection de produit de contraste permet-
tent d’exclure une pathologie somatique. Les diagnostics de
trouble schizo-affectif et de trouble psychotique non spécifié
sont évoqués. Dans les mois qui suivent, une détérioration
progressive des fonctions cognitives motive un deuxième
examen neurologique. L’association des données neurora-
diologiques (CT-scan avec injection de produit de contraste,
IRM et scintigraphie cérébrale) et de l’évolution clinique per-
met de retenir le diagnostic de démence fronto-temporale.
Dans presque 9 cas sur 10, la démence fronto-temporale se
présente comme une maladie autosomique dominante, à
début insidieux, comprenant des symptômes thymiques et
des troubles du comportement. Ce tableau clinique hétéro-
gène, neuropsychiatrique, devrait être bien connu des psy-
chiatres, afin de diminuer le risque d’erreurs diagnostiques.
Mots clés : Démence fronto-temporale ; Diagnostic ; Troubles bipo-
laires ; Troubles psychotiques.
HISTOIRE CLINIQUE
Il s’agit d’une patiente âgée de 32 ans lors de sa première
consultation psychiatrique. Originaire du Portugal, la patiente
réside au Grand-Duché du Luxembourg depuis 1987, où elle
s’est mariée trois ans plus tard. Le couple est parent de deux
filles âgées respectivement de 4 ans et 16 mois.
La patiente ne présente aucun antécédent médico-chi-
rurgical, mais plusieurs antécédents familiaux sont à
retenir : la sœur aînée souffre d’un trouble schizophréni-
que depuis son premier accouchement ; la mère, décédée
suite à une pneumonie à l’âge de 49 ans, avait été hos-
pitalisée en milieu psychiatrique au Portugal de nombreu-
ses fois pour une schizophrénie paranoïde associée à une
épilepsie (probablement de type partiel) ; le père présente
des troubles cognitifs légers dans le contexte d’une
dépendance éthylique ; la grand-mère et l’arrière-grand-
mère maternelles étaient connues pour des troubles du
comportement sévères, mais qui n’ont pas été pris en
charge au niveau psychiatrique, la famille vivant à la cam-
pagne. Il est à retenir que la mère et l’arrière-grand-mère
maternelle présentaient des troubles cognitifs manifestes
(troubles mnésiques accompagnés de fugues fréquentes
sans explication du domicile), qui ont conduit progressi-
vement à une perte d’autonomie partielle pour la mère à
partir de l’âge de 40 ans, et totale pour l’arrière-grand-
mère autour de l’âge de 50 ans.
Lors d’un séjour au Portugal, la famille observe des trou-
bles du comportement avec une agitation psychomotrice
et amène la patiente consulter un psychiatre en urgence.
La patiente présentait progressivement, depuis une
semaine, une humeur irritable inhabituelle, accompagnée
d’une réduction du besoin subjectif de sommeil, une
importante fuite d’idées avec distractibilité et logorrhée,
dans le contexte des idées de grandeur partiellement cri-
tiquées. Après exclusion de prise de toxiques (anamnèse
et analyse d’urines) et un examen neurologique normal,
le diagnostic de trouble bipolaire, épisode hypomaniaque,
voire maniaque est évoqué par un psychiatre. Les entre-
tiens psychiatriques aux urgences permettent d’obtenir
une bonne alliance thérapeutique avec la patiente et sa
famille. L’indication d’une hospitalisation en psychiatrie
n’est pas retenue et un traitement thymorégulateur
(lithium, 400 mg/j) est instauré en attendant le retour au
Luxembourg. Un psychiatre traitant, rapidement consulté
dès le retour au Luxembourg, décide de continuer le trai-
tement thymorégulateur et confirme le diagnostic de trou-
ble bipolaire épisode hypomaniaque. L’absence d’amé-
lioration clinique, l’apparition progressive, en trois
semaines, de propos délirants peu structurés et surtout la
présence d’un épisode d’allure confusionnelle (état de
vigilance fluctuante avec discrète désorientation spatio-
temporelle) spontanément résolutif après trois heures,
justifient d’adresser la patiente aux urgences en vue
d’exclure une pathologie neurologique et d’envisager
éventuellement une prise en charge en milieu hospitalier.
Après un examen neurologique et un CT-scan cérébral
sans injection de produit de contraste se situant dans les
limites de la normale, la patiente est hospitalisée en ser-
vice de psychiatrie. Les examens biologiques sanguins
(hématologie, biochimie, ionogramme, hormones thyroï-
diennes, B12, folates) se situent dans les limites de la nor-
male et les sérologies virales recherchées (HIV1/2, syphi-
lis, Borrelia burgdorferi, hépatites B et C) s’avèrent
négatives. Lors de son admission en psychiatrie, on note
une patiente habillée de manière négligée, désinhibée, en
état d’agitation psychomotrice avec logorrhée, coprolalie,
écholalie et fuite des idées. L’hétéroanamnèse recueillie
auprès du mari met en évidence des modifications discrè-
tes mais progressives de la personnalité de la patiente
depuis presque deux ans. Il s’agit d’une légère fatigue
avec irascibilité qui ont lentement évolué vers un désinté-
rêt aussi bien pour les loisirs que pour les tâches ména-
gères, accompagné de bizarreries de comportement
(répétition de mots et de gestes stéréotypés, écholalie,
échopraxie), et des épisodes de violences verbales de
plus en plus fréquents. Lors de son deuxième accouche-
ment, il y a 18 mois, cet état s’est compliqué d’une désin-
hibition comportementale, d’un manque d’hygiène per-
sonnelle et de troubles du sommeil accompagnés de
cauchemars, dans le contexte d’une thymie triste avec
anhédonie. Suite à ces changements de comportement
la patiente est obligée d’arrêter son travail (technicienne
de surface) qu’elle avait exercé avec succès jusqu’alors
pendant une dizaine d’années. La présence de symptô-
mes psychotiques (délire de persécution peu structuré à
mécanisme interprétatif) en l’absence de troubles de
l’humeur pendant environ deux semaines fait évoquer le
diagnostic de trouble schizo-affectif (DSM IV). Le traite-
ment thymorégulateur (lithium, 400 mg/j) est poursuivi en
même temps que l’introduction de 4 mg de rispéridone/j.
Des benzodiazépines (lorazépam, 2,5 mg) sont utilisées
ponctuellement lors des moments d’agitation psycho-
motrice. L’apparition de symptômes psychotiques néga-