Le Courrier des addictions (12) – n ° 1 – janvier-février-mars 2010
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gisme y est important, avec forte dépendance
et la tentative d’arrêt peut être à l’origine d’un
épisode dépressif.
Lors de la consultation de tabacologie, ces su-
jets sont habituellement en dehors d’une phase
aiguë. Cependant, ils ont souvent des symp-
tômes qui peuvent orienter le diagnostic. Ils
présentent "des hauts et des bas" marqués, une
labilité émotionnelle, une impulsivité et disent
très bien ressentir un mal-être psychologique:
ce sont toutes les manifestations retrouvées lors
des périodes "inter-critiques" (26).
L’impulsivité est un trait qui peut accompa-
gner divers troubles psychopathologiques, bi-
polaires, THADA et trouble des conduites, les
états de personnalité antisociale et limite. Ce
symptôme joue un rôle important dans toutes
les addictions, en particulier pour le tabac, l’al-
cool, le cannabis. Il intervient comme facteur
favorisant l’initiation, le plus souvent en asso-
ciation avec un état de recherche de sensation,
également et surtout comme facteur aggravant
au cours de l’évolution du tabagisme. Chez les
fumeurs "très impulsifs", la dépendance est
importante et le pourcentage de succès lors
des tentatives d’arrêt est réduit par rapport
aux fumeurs sans impulsivité excessive (27).
L’impulsivité est donc un élément important
du pronostic qui peut être évalué en utilisant
le questionnaire de Barratt, traduit en français
et validé.
Ainsi la co-occurrence de troubles psycholo-
giques anciens ou actuels constitue-t-elle un
élément très important pour la prise en charge
des fumeurs demandeurs d’une aide pour
arrêter de fumer. En effet, l’existence de tels
troubles de nature très diverse est un facteur
de gravité et de difficultés lors du sevrage ta-
bagique.
L’interprétation la plus souvent proposée est
celle de l’automédication : chez certains ado-
lescents, la cigarette peut apporter un soulage-
ment aux troubles psychologiques dont souf-
frent ces sujets, en particulier lorsqu’il existe
une anxiété sociale, un manque de confiance
en soi. La dépendance s’installe toujours très
vite, dès que la consommation devient régu-
lière (3 ou 4 cigarettes par semaines). Ultérieu-
rement, lors des tentatives d’arrêt, les troubles
réapparaissent le plus souvent sous la forme
d’un état dépressif, qui cède rapidement après
reprise des cigarettes (7). Mais l’usage impor-
tant et prolongé du tabac peut, comme toute
autre drogue, induire des modifications neu-
robiologiques secondaires par le processus
de la neuro-adaptation. Certaines études ont
démontré la survenue de syndromes anxieux,
en particulier des troubles paniques, après des
années de tabagisme (15).
Enfin, dépendance tabagique et troubles anxio-
dépressifs pourraient avoir des facteurs patho-
géniques communs d’ordre génétique et envi-
ronnemental. Cela a été démontré dans l’étude
de Fergusson (28) chez des adolescents suivis
jusqu’à l’âge de 16 ans. L’existence d’un trouble
dépressif augmente la probabilité d’une dépen-
dance tabagique et inversement, avec un OR
de 4,6. Ces diverses éventualités ne sont évi-
demment pas exclusives les unes des autres.
CONSÉQUENCES PRATIQUES
La mise en évidence des troubles affectifs
(syndromes anxieux et états dépressifs, formes
subsyndromiques et des troubles extériorisés)
a des conséquences importantes aux diffé-
rentes étapes de la dépendance tabagique.
Chez les adolescents, à la phase d’installation
de la dépendance, les troubles psychologiques
constituent indiscutablement un facteur fa-
vorisant l’augmentation rapide du nombre de
cigarettes fumées, avec en quelques semaines
ou mois, une perte du contrôle de la consom-
mation. Il est donc important de dépister pré-
cocement cette vulnérabilité psychologique
qui se présente souvent sous la forme d’affects
négatifs, avec diverses manifestations de neu-
roticisme : pessimisme, hyperémotivité, fragi-
lité psychologique. Il faut rechercher ces états
chez ceux qui se disent stressés, timides, avec
des difficultés d’affirmation de soi et égale-
ment chez l’adolescente lorsque des troubles
du comportement alimentaire sont présents.
Ces éléments sont souvent à l’origine du dé-
veloppement du tabagisme et également de
l’utilisation du cannabis et pour celle de l’al-
cool, de façon aiguë. Des difficultés scolaires
et des troubles des conduites sont souvent as-
sociés. De nouvelles stratégies de prévention
sont donc indispensables chez les adolescents,
fondées sur le dépistage et le traitement spé-
cifiques de ces perturbations, en particulier
par l’utilisation large des stratégies compor-
tementales et cognitives, dont l’efficacité a été
démontrée.
Chez les adultes, pour établir les stratégies de
sevrage les plus efficaces, il est nécessaire de
tenir compte des propriétés psychotropes de la
nicotine et des effets indiscutablement positifs
à court terme qui en résultent. Son action "an-
tidépressive" et "réductrice des affects négatifs"
constitue un des facteurs les plus importants
pour rendre compte des difficultés qu’éprou-
vent les fumeurs à arrêter de fumer. Les états
dépressifs survenus après sevrage régressent
en quelques heures après la reprise des ciga-
rettes, suggérant que la nicotine possède des
propriétés antidépressives. Un effet antidé-
presseur de la nicotine a été démontré chez
l’homme : 6 sujets déprimés non fumeurs ont
reçu de la nicotine pour une étude des troubles
du sommeil. Un traitement transdermique de
17,5 mg par jour de nicotine a corrigé les ano-
malies polygraphiques du sommeil, avec une
augmentation de la durée du sommeil para-
doxal. Parallèlement, le score du test Hamil-
ton-Depression initialement perturbé dans les
6 cas, s’est amélioré de plus de 40 %. De même
chez les fumeurs ayant un trouble dépressif
important après arrêt du tabac, nous avons pu
observer une amélioration très rapide de l’état
psychologique après la prise de gommes ou de
tablettes à la nicotine.
L’administration d’un antidépresseur est un
élément important pour la réussite de l’arrêt
du tabac, mais seulement dans les cas où un
trouble psychique patent ou latent est présent.
Le dépistage des états anxiodépressifs doit
donc être systématique, en se rappelant qu’ils
peuvent être atténués, méconnus. En cas de
forte dépendance à la nicotine et de troubles
anxiodépressifs associés, en plus des médica-
tions nicotiniques (MN), la prescription d’un
antidépresseur est indispensable, en associa-
tion avec les MN, soit deux ou trois semaines
avant la date d’arrêt, soit simultanément (31).
En raison de la coexistence des troubles an-
xieux, les antidépresseurs les plus utilisés sont
les inhibiteurs de recapture de la sérotonine
(IRS), éventuellement associés à la buspirone
dont l’efficacité a été démontrée chez ces fu-
meurs avec syndrome anxieux.
Dans les cas de dysthymie, d’état dépressif
chronique avec syndrome anxieux, des résul-
tats positifs sont obtenus par l’association de
MN et d’IRS. L’arrêt du tabac est plus facile
que lors des tentatives antérieures, sans que
survienne un état dépressif.
L’équilibre psychologique s’améliore nette-
ment : le moral remonte parallèlement à l’amé-
lioration des échelles HAD et BDI, dont le
suivi constitue un guide précieux. Le mal-être
général souvent présent depuis des années ré-
gresse. Il est toujours très gratifiant d’écouter
ces sujets décrire ce changement. Leur "confort
psychologique", noté de 0 à 10, qui était bas,
s’élève rapidement. Mais cela n’est obtenu
qu’avec un accompagnement régulier et pro-
longé, un soutien psychologique continu, avec
les adaptations posologiques nécessaires tant
pour les MN que les IRS (31).
Dans le cas des troubles bipolaires atténués
(cyclothymie), l’élément important constaté a
été la réponse au traitement thymorégulateur
par le divalproate : celui-ci a toujours été com-
mencé à 250 mg par jour et augmenté ensuite
progressivement. Avec des doses relativement
faibles de 500 à 750 mg par jour, la transforma-
tion de l’état psychologique a toujours été très
nette et très rapide dès les deuxième et troi-
sième semaines. Les sujets se sont sentis plus
calmes, moins sensibles aux situations "stres-
santes", moins émotifs et avec des oscillations
de l’humeur moins marquées. Cette évolution
sous traitement peut être considérée comme
un argument supplémentaire pour rattacher
ces troubles au spectre de la maladie bipolaire.
Il n’y a pas et il ne peut pas y avoir de moda-
lités uniformes pour arrêter de fumer : les si-
tuations observées sont extrêmement diverses
d’un sujet à l’autre. Certains fumeurs très mo-