Mises au point Mises au point Dépendance tabagique : troubles anxieux et dépressifs Mots-clés : Tabagisme, Dépendance tabagique, Dépression, Anxiété, Troubles extériorisés, Troubles bipolaires, Thymorégulateurs. Keywords : Smoking, Tobacco dependence, Affective disorders, Externalizing troubles, Bipolar disorders, Antidepressive drugs. Tobacco dependence and affective disorders G. Lagrue*, D. Touzeau** Chez l’adulte et l’adolescent fumeur, l’évaluation des troubles psychiatriques et psychopathologiques et leurs traitements soulignent l’intérêt d’un repérage plus systématique des troubles de l’humeur au sens large dans une consultation de tabacologie. Celle-ci constitue un observatoire privilégié pour le dépistage de ces troubles souvent ignorés, qui peuvent alors bénéficier d’une double prise en charge thérapeutique avec, idéalement, un traitement intégré chaque fois que possible, soit par le tabacologue formé aux notions de base en psychiatrie, soit par le psychiatre formé à la tabacologie. Cela devrait permettre de nuancer la part des diagnostics issus du DSM et de prendre en considération globalement les facteurs de risque, ceux liés à l’environnement (précarité, conditions de travail…) partie prenante de la conduite de dépendance. In mental disorders, smoking and tobacco dependence are often present. Conversely among dependent smokers asking for smoking cessation, anxious and depressive disorders may be present but often unrecognized with subthreshold forms. A systematical investigation is essential in purpose to treat both the addiction and the affective troubles with an integrated strategy in the same structure. L’IMPACT DE LA DÉPRESSION Pour étudier les liens entre tabagisme, troubles anxieux et dépressifs, il est indispensable de définir les caractéristiques des fumeurs. Cette population est en effet très hétérogène, en particulier selon la présence ou l’absence d’une dépendance et l’importance de celle-ci. Pour le tabacologue, cette dépendance est évaluée en clinique par le questionnaire de Fagerström qui est une échelle dimensionnelle de dépendance physique, avec un score de 0 à 10. Dans les études épidémiologiques, elle est définie dans le DSM-IV par des critères qui sont, en règle générale, présents chez les fumeurs ayant un score supérieur à 5. Woody a proposé à partir des items du DSM-IV une quantification permettant d’évaluer l’intensité de la dépendance. Il trouve ainsi 20 % de dépendance importante et 40 % moyenne (tableau I) [1]. Dans les études où l’existence de celle-ci a été précisée, les chiffres se répartissent de 20 à 50 % suivant les critères utilisés (2). Ainsi, au moins un fumeur sur deux ne présente pas de dépendance physique et seuls 20 % en ont une importante. Les études épidémiologiques et cliniques ont * Centre d’addictologie (tabac-cannabis), hôpital Albert-Chenevier, 94000 Créteil. ** Clinique Liberté, 10 avenue de La Liberté, 92220 Bagneux. permis d’établir une relation entre affections psychiatriques et tabagisme. Dans la population des malades vus en milieu psychiatrique, le tabagisme est plus fréquent que dans les populations générales appariées. Les études publiées sont nombreuses et concordantes, telle celle de Hughes en consultation psychiatrique où le tabagisme est présent dans 50 à 70 % des cas, des dépressions, des syndromes anxieux et tout particulièrement des troubles bipolaires (3) [tableau I]. Tableau I. Fréquence du tabagisme en pathologie psychiatrique (3). Schizophrénie 88 % Troubles bipolaires I et II 70 % Dépression majeure 49 % Troubles anxieux 47 % Dans les populations de fumeurs, l’attention s’est d’abord portée sur la dépression, à la suite des travaux de Glassman et Anda (4, 5). Chez les fumeurs, un épisode dépressif majeur (EDM) vie entière, est deux fois plus fréquent (6,6 %) que chez les non-fumeurs (2,9 %) avec un odds-ratio (OR) de 2,9. L’association EDM vie entière-tabagisme paraît indépendante de l’âge, du sexe, du niveau socioculturel. Elle est très liée à l’abus et à la dépendance à l’alcool avec un OR de 5,3. Anda, en utilisant des critères dimensionnels tel le score de dépression Le Courrier des addictions (12) ­– n ° 1 – janvier-février-mars 2010 8 en épidémiologie, le CES-D (note de 0 à 60) et en classant les fumeurs par quintile, trouve une relation entre l’intensité du syndrome dépressif et le pourcentage de fumeurs réguliers actuels. L’existence d’un antécédent d’EDM modifie les conditions cliniques lors des tentatives de sevrage : le syndrome de sevrage est plus intense, surtout chez la femme et les troubles de l’humeur dépressif post-sevrage y sont plus fréquents (6). Les pourcentages de succès sont plus faibles. Pour Anda, le quit-ration (rapport : ex-fumeurs/ex-fumeurs + fumeurs) est d’autant plus faible que le CES-D est plus élevé. À 8 ans d’évolution, dans les cas avec antécédents d’EDM, le pourcentage de sujets abstinents est de 10 % contre 18 % (5) [tableau II]. Un état dépressif peut survenir entre un et trois mois après l’arrêt du tabac et la présence d’un EDM dans les antécédents augmentent le risque de leur survenue : dans le travail de Glassman (7), un EDM survient, dans 43 % des cas, chez des sujets abstinents à la 12e semaine (arrêt sans médication). Ce chiffre est en accord avec ceux de la série de Covey : le risque d’EDM post-sevrage semble lié à l’existence d’un antécédent dépressif : 2 % des cas en l’absence d’antécédents, 17 % chez les fumeurs ayant eu un seul EDM, 30 % en cas de dépressions récidivantes (8). Tableau II. Valeurs pronostiques de la dépression chez les fumeurs CES-D (5). Pourcentage d'arrêt À 4 ans À 9 ans État dépressif présent à J0 ➞ 4 % 10 % Absence d'état dépressif présent à J0 ➞ 8 % 18 % DAVANTAGE DE TENTATIVES DE SUICIDE Les liens avec les états dépressifs expliquent au moins en partie l’association tabagisme-tentatives de suicide avec un OR multiplié par 2, et plus suivant le nombre de cigarettes fumées (9). Au cours de ces dernières années, plusieurs faits se sont dégagés simultanément : la nécessité de distinguer les fumeurs avec et sans dépendance (2) ; le rôle des troubles anxieux qui est apparu très important, parfois prédominants et les premiers en date (10) ; la possibilité des troubles affectifs subsyndromiques Mises au point Mises au point traduisant une vulnérabilité psychologique, surtout chez les adolescents (11) ; la place des troubles bipolaires qui semble encore sous-estimée en tabacologie (12). La fréquence des autres conduites addictives associées, en particulier la consommation élevée d’alcool et l’usage du cannabis de plus en plus souvent rencontré chez les adolescents et les adultes jeunes, ce qui modifie évidemment les indications thérapeutiques et le pronostic. En utilisant les critères du DSM-IV, Schumann (13) a souligné la nécessité d’individualiser les fumeurs avec dépendance. Chez 4 075 sujets âgés en moyenne de 42 ans, 59 % sont "ever smokers" (fumeurs + ex-fumeurs) avec une dépendance tabagique vie entière présente chez 35 % d’entre eux. Les troubles psychiques, caractérisés selon l’axe I du DSM-IV, sont significativement plus fréquents chez les fumeurs dépendants que chez les non-dépendants. L’OR pour l’ensemble des troubles de l’humeur est de 1,9 avec une large prédominance des formes bipolaires types I et II. L’OR pour les troubles anxieux est de 2,1 (tableau III). Ces données sont en accord avec plusieurs études comparant fumeurs dépendants et non-fumeurs. Pour Breslau, dans une enquête portant sur des adultes âgés de 21 à 30 ans, on compte 29 % de fumeurs réguliers, dont 55 % présentent les critères de dépendance. Il démontre le lien étroit entre dépendance tabagique et survenue d’un épisode d’EDM sur un suivi de 14 mois. Tableau III. Fréquence des troubles psychologiques chez 4 075 sujets fumeurs (actuels : 37 % dont 39 % dépendants) âgés de 42 ans en moyenne (13). Les critères du diagnostic sont le DSM, dépendants versus non dépendants. Troubles de l'humeur 1,9 Dépression majeure 1,7 Dysthymie 1,5 Troubles bipolaires I et II 4,7 Troubles anxieux 2,1 Anxiété générale 1,8 Phobies sociales 2 TOC 2,8 Troubles paniques 2,2 Agoraphobie 1,6 LE POIDS DE LA PHOBIE SOCIALE Parmi les troubles anxieux, la phobie sociale joue un rôle important dans la dépendance tabagique comme cela est également le cas dans l’alcoolisme. Sonntag (14) dans une étude portant sur 3 000 sujets âgés de 14 à 24 ans a confir- mé la fréquence de ce trouble en population étudiante : 7,2 % de phobies sociales. Dans les groupes "phobie sociale", la dépendance tabagique est deux fois plus fréquente, 31 % contre 15 % dans le groupe indemne de ce trouble. Le nombre moyen de cigarettes fumées par les sujets atteints de phobie sociale est significativement plus élevé que celui des fumeurs normaux. Avec un recul de trois ans, l’existence initiale d’une phobie sociale multiplie par deux le risque de devenir un fumeur dépendant. La chronologie des faits montre que la phobie sociale peut être le trouble psychique initial : ces sujets disent bien avoir utilisé le tabac et également l’alcool comme une aide dans toutes les situations rendues difficiles par leur anxiété et leur manque de confiance en eux. Ainsi, ce trouble anxieux peut favoriser le tabagisme, tout comme il favorise la consommation d’alcool. La phobie sociale est, en outre, une affection invalidante, car elle provoque une souffrance psychologique multi-dimentionnelle avec un retentissement important dans la vie sociale et affective. Mais inversement, à long terme, des troubles anxieux induits par le tabagisme, principalement de types attaques de panique, peuvent apparaître (15). À côté de troubles anxieux et dépressifs bien définis, Breslau insiste sur l’importance d’une vulnérabilité psychologique dans la survenue d’une dépendance tabagique chez des adultes jeunes. Cette vulnérabilité est définie par l’existence d’un "neuroticisme" avec affects négatifs, pessimisme et hyper-émotivité évalués par des questionnaires spécifiques (9). Elle est observée plus fréquemment chez les fumeurs dépendants. Après une étude multivariée, cette fragilité psychologique apparaît, liée à la dépendance tabagique, indépendamment de la présence de syndromes anxieux et dépressifs actuels. Présente chez l’adolescent, elle peut donc prédisposer à la fois à la dépendance tabagique et aux syndromes anxieux et dépressifs. LE CAS DES ADOLESCENTS Chez les adolescents fumeurs, les troubles psychologiques sont fréquents. Ce sont tout d’abord des manifestations mineures, pouvant débuter dans l’enfance et comportant des symptômes isolés ou être plus nombreux ou s’associant de façon différente. Elles sont décrites avec des terminologies diverses qui traduisent le mal-être vécu par ces sujets (16-18) : crises de "cafard", dépressivité avec souvent des variations de l’humeur ; hyperémotivité et surtout instabilité de l’humeur avec pleurs faciles, troubles du sommeil, fatigabilité, timidité excessive, manque de confiance en soi, résignation, tendance aux affects négatifs, chez la jeune femme, majoration des symptômes en phase prémenstruelle. Tous ces troubles témoignent d’une vulnéra- 9 bilité psychologique qui constitue un facteur prédictif pour la survenue de syndromes anxieux et dépressifs ultérieurs. Ceux-ci peuvent d’ailleurs apparaître très tôt et être décelés à l’adolescence. Une telle vulnérabilité est un élément favorisant pour le développement de la dépendance tabagique (11). Cela est bien démontré dans l’étude de Patton utilisant le CIS (Clinical Interview Schedule). Le pourcentage de fumeurs réguliers à 15-16 ans est plus important lorsque le test est positif, surtout chez la fille, passant de 8 à 25 %. Il est d’autant plus important que le score est plus élevé, avec un OR atteignant 2 pour les scores supérieurs à 12 (19) [tableau IV]. Cela rejoint les données concernant la phobie sociale. Tableau IV. Association entre tabagisme et anxiété. Dépression chez l'adolescent (19). Scores CIS. – + ++ Filles fumeuses 29 % 25 % 46 % Garçon fumeurs 59 % 17 % 24 % Ces diverses manifestations anxieuses et dépressives constituent les troubles intériorisés, l’accent a été mis récemment sur les troubles extériorisés qui débutent dès l’enfance et l’adolescence et qui sont des facteurs importants dans l’installation d’un tabagisme (20) [tableau V]. Tableau V. Psychopathologie et usage régulier de substances psychoactives (SPA) [20]. Garçons Filles OR pour SPA Troubles psychologiques à 10-12 ans (DSM-IV) Usage de tabac, cannabis, alcool à 14-16 ans THADA 9 % 4,5 % 2,1 Troubles des conduites 20 % 5 % 5 Troubles extériorisés 28 % 14 % 2 Troubles intériorisés EDM, troubles anxieux 2 4 Le trouble de l’hyperactivité avec déficit de l’attention (THADA), qui survient vers 6-7 ans, peut persister à l’adolescence. Il est associé à un tabagisme précoce intense et prolongé avec un RR de 4. Il s’y associe souvent l’usage d’alcool et de cannabis. Il doit donc être recherché et traité dès que le diagnostic est certain (Ritaline®), car ce traitement, outre son action sur les symptômes du THADA, réduit le risque ultérieur de l’usage des substances psychoactives (SPA) [21]. 4 Les troubles des conduites, le trouble oppositionnel, sont également des facteurs prédisposants à l’usage des SPA. Ces troubles extériorisés peuvent persister sous des aspects atténués ou atypiques, et être Le Courrier des addictions (12) ­– n ° 1 – janvier-février-mars 2010 Mises au point Mises au point associés chez l’adulte à des états dépressifs uniou surtout bipolaires, à des personnalités antisociales. Chez des adolescents de 14-16 ans, au stade de tabagisme débutant, irrégulier, la présence de divers troubles psychopathologiques, surtout les troubles extériorisés, constitue un facteur favorisant puissant (OR de 3 à 5) [22] (tableau VI). Tableau VI. Vulnérabilité psychopathologique et importance des différents facteurs (22). Facteurs favorisants OR Adolescents entre 14 et 18 ans : troubles débutants, irrégulier 1 an plus tard (évolution ➞ troubles réguliers) État dépressif 1,5 Personnalité "limite" 1,8 THADA 3,8 Troubles des conduites 16,3 Alcool aigu 2,3 Chronologie : précession du trouble psychologique. Toutes ces manifestations devraient donc être recherchées chez les adolescents, dès 1416 ans, et également chez les jeunes fumeurs, surtout si un tabagisme régulier s’est installé. Leur dépistage et leur prise en charge dans le cadre scolaire pourraient constituer des éléments importants dans la prévention du tabagisme et de l’aide à l’arrêt du tabac. Des outils adaptés à cet âge de la vie existent tel le ADRS (Adolescent Depression Rating Scale), qui comporte 10 items en réponse binaire. LE RÔLE DU TROUBLE BIPOLAIRE Le rôle du trouble bipolaire (BP) dans la dépendance tabagique avait bien été souligné dans les travaux de Hughes (tableau I) et de Schermann (tableau III) : les BP I et II paraissent deux fois plus fréquents que les états dépressifs unipolaires. Or, dans la plupart des travaux réalisés jusqu’alors en tabacologie, seuls les états dépressifs unipolaires (EDM, dysthymie) ont été recherchés alors que les addictions paraissent beaucoup plus fréquentes au cours des troubles bipolaires (12). Si les formes de type I (états maniacodépressifs) ont toujours été reconnues et traitées en psychiatrie, il n’en est pas de même des types II (hypomanie), qui restent souvent et longtemps méconnus : un tiers des dépressions apparemment unipolaires sont en fait des formes bipolaires, avec des récurrences possibles et la persistance de symptômes dans les périodes inter-critiques (23, 24). Les formes atténuées, subsyndromiques (cyclothymie) sont également fréquentes, l’ensemble atteignant 4 à 6 % en population générale (25). L’usage des substances psychoactives (tabac, alcool, cannabis) est retrouvé dans plus de 40 % des cas. Le taba- LES OUTILS POUR LES DÉCELER La recherche de ces troubles psychopathologiques doit être systématique, tout particulièrement s’il existe une dépendance tabagique. En plus des données usuelles permettant de caractériser le tabagisme, telles qu’elles sont retrouvées dans le dossier CDT, ces troubles psychiatriques seront évalués en plusieurs étapes successives : l’entretien clinique, pour préciser le profil psychologique habituel (anxiété-moral) et les antécédents proches ou lointains d’épisodes dépressifs (durée, traitements, hospitalisations éventuelles, circonstances d’apparition) ou anxieux, c’est-à-dire le niveau global de l’anxiété, la phobie sociale (extrême timidité existant dès l’adolescence, éreutophobie), les phobies diverses (très fréquentes, en particulier l’agoraphobie) et les paniques (encore trop souvent étiquetés spasmophilie !). Les antécédents familiaux (ascendants, collatéraux) doivent également être précisés, car le facteur génétique est important dans certaine de ces affections. C’est particulièrement le cas du trouble bipolaire pour lequel cette notion constitue un élément important du diagnostic. Non seulement les divers états anxieux ou dépressifs, mais encore les usages de drogues, les suicides et tentatives de suicide, les épisodes aigus ; différentes échelles devraient être utilisées systématiquement. À titre d’exemple, à Créteil, nous utilisons depuis 10 ans des EVA (sur 10) indiquant le niveau habituel de l’anxiété, du moral, le HAD, qui fait partie du dossier CDT (en précisant bien qu’il apporte seulement un élément d’orientation et non de diagnostic), le BDI (Beck Depression Inventory, forme abrégée en 13 questions) qui permet une évaluation précise d’un état dépressif éventuel. Nous y avons ajouté ces dernières années, lorsque les antécédents le suggèrent, le dépistage d’un trouble bipolaire qui peut avoir été méconnu, et dont nous avons soulevé plus haut la fréquence : notion de "hauts et de bas" dans le moral, d’une hyperémotivité, d’une impulsivité excessive ; influence des saisons et chez la femme du cycle menstruel ; pratique des autoquestionnaires suivants : échelle d’impulsivité de Barratt (BIS II), d’Hypomanie de Angst (un score > 10 a une très bonne sensibilité pour le dépistage de ce trouble) [25], de tempérament cyclothymique d’Akiskal (29) [qui précise l’état actuel, avec également un score de 10 comme seui]. Il faut y ajouter la recherche d’un antécédent de THADA, pour lequel le test de Wender (en 10 items) peut apporter une orientation précieuse. Dans toutes ces situations, l’étape ultérieure est la pratique du mini-interview, questionnaire standardisé, fondé sur les critères du DSM-IV. L’attitude ainsi adoptée correspond à toutes les données scientifiques que nous avons décrites dans cet article : elle permet de détecter des troubles qui soit étaient méconnus, soit étaient ressentis par le sujet, mais ne faisaient pas l’objet d'une demande de soins, remontant souvent à l’adolescence et considérés alors par le sujet comme faisant partie de son caractère. En 2002, nous avions pu réaliser sur 200 fu- Tableau VII. Étude à l'hôpital Albert-Chenevier en 2002 de 200 fumeurs dépendants (Fagerström > 5) meurs dépendants (score de Fagerström su- avec une absence de troubles psychologiques l'anpérieur à 5) une enquête comportant HAD, née précédente. Diagnostic sur le mini-vie entière. BDI et mini-interview dont les résultats sont Antécédent EDM 73 % résumés dans le tableau VII. En accord avec les données de la littérature EDM actuel 23 % (30), l’élément prédominant est, dans 70 % des 9 % cas, la présence d’antécédents d’EDM, proches Dysthymie ou lointains avec, lors de la consultation, un Phobies sociales 26 % BDI anormal dans 35 % des cas et des sympAgoraphobie 18 % tômes dépressifs patents dans 20 % des cas ! 13 % Les différents troubles anxieux ont été égale- Stress post-traumatique ment décelés, tout particulièrement les pho- Troubles anxio-dépressifs > 50 % bies (agoraphobie avec panique) et la phobie sociale. Celle-ci est constatée dès l’adolescence, ces sujets se déclarent très timides avec parfois éreutophobie. Pour eux, la cigarette (et l’alcool associé éventuellement), leur a permis d’affronter des situations difficiles, ce qui bien entendu a conduit à poursuivre et augmenter cet usage. Le mini a également permis de mettre en évidence l’existence d’antécédents de "stress post-traumatique" et dans 9 % des cas de trouble bipolaire de type II (hypomanie), c'est-à-dire avec une fréquence 2 à 3 fois celle observée en population générale (23). Les manifestations sont souvent anciennes (plus de 10 ans), parfois jamais diagnostiquées comme telles. Il est important de noter qu’aucune plainte psychique patente n’était déclarée spontanément par ces consultants. En revanche, un mal-être psychologique chronique et ancien apparaissait lors de l’entretien. Au total, un trouble anxieux ou dépressif actuel a été découvert dans plus de la moitié des cas. Ces deux dernières années nous avons ajouté la détection des troubles bipolaires (type II-hypomanie) ou atténués (cyclothymie), avec l’évaluation de l’impulsivité. Cela a permis de mettre en évidence en plus des formes de type II déjà signalées, des formes atténuées de troubles bipolaires (cyclothymie), avec hyperémotivité et impulsivité. Le Courrier des addictions (12) ­– n ° 1 – janvier-février-mars 2010 10 Mises au point Mises au point gisme y est important, avec forte dépendance et la tentative d’arrêt peut être à l’origine d’un épisode dépressif. Lors de la consultation de tabacologie, ces sujets sont habituellement en dehors d’une phase aiguë. Cependant, ils ont souvent des symptômes qui peuvent orienter le diagnostic. Ils présentent "des hauts et des bas" marqués, une labilité émotionnelle, une impulsivité et disent très bien ressentir un mal-être psychologique : ce sont toutes les manifestations retrouvées lors des périodes "inter-critiques" (26). L’impulsivité est un trait qui peut accompagner divers troubles psychopathologiques, bipolaires, THADA et trouble des conduites, les états de personnalité antisociale et limite. Ce symptôme joue un rôle important dans toutes les addictions, en particulier pour le tabac, l’alcool, le cannabis. Il intervient comme facteur favorisant l’initiation, le plus souvent en association avec un état de recherche de sensation, également et surtout comme facteur aggravant au cours de l’évolution du tabagisme. Chez les fumeurs "très impulsifs", la dépendance est importante et le pourcentage de succès lors des tentatives d’arrêt est réduit par rapport aux fumeurs sans impulsivité excessive (27). L’impulsivité est donc un élément important du pronostic qui peut être évalué en utilisant le questionnaire de Barratt, traduit en français et validé. Ainsi la co-occurrence de troubles psychologiques anciens ou actuels constitue-t-elle un élément très important pour la prise en charge des fumeurs demandeurs d’une aide pour arrêter de fumer. En effet, l’existence de tels troubles de nature très diverse est un facteur de gravité et de difficultés lors du sevrage tabagique. L’interprétation la plus souvent proposée est celle de l’automédication : chez certains adolescents, la cigarette peut apporter un soulagement aux troubles psychologiques dont souffrent ces sujets, en particulier lorsqu’il existe une anxiété sociale, un manque de confiance en soi. La dépendance s’installe toujours très vite, dès que la consommation devient régulière (3 ou 4 cigarettes par semaines). Ultérieurement, lors des tentatives d’arrêt, les troubles réapparaissent le plus souvent sous la forme d’un état dépressif, qui cède rapidement après reprise des cigarettes (7). Mais l’usage important et prolongé du tabac peut, comme toute autre drogue, induire des modifications neurobiologiques secondaires par le processus de la neuro-adaptation. Certaines études ont démontré la survenue de syndromes anxieux, en particulier des troubles paniques, après des années de tabagisme (15). Enfin, dépendance tabagique et troubles anxiodépressifs pourraient avoir des facteurs pathogéniques communs d’ordre génétique et environnemental. Cela a été démontré dans l’étude de Fergusson (28) chez des adolescents suivis jusqu’à l’âge de 16 ans. L’existence d’un trouble dépressif augmente la probabilité d’une dépendance tabagique et inversement, avec un OR de 4,6. Ces diverses éventualités ne sont évidemment pas exclusives les unes des autres. CONSÉQUENCES PRATIQUES La mise en évidence des troubles affectifs (syndromes anxieux et états dépressifs, formes subsyndromiques et des troubles extériorisés) a des conséquences importantes aux différentes étapes de la dépendance tabagique. Chez les adolescents, à la phase d’installation de la dépendance, les troubles psychologiques constituent indiscutablement un facteur favorisant l’augmentation rapide du nombre de cigarettes fumées, avec en quelques semaines ou mois, une perte du contrôle de la consommation. Il est donc important de dépister précocement cette vulnérabilité psychologique qui se présente souvent sous la forme d’affects négatifs, avec diverses manifestations de neuroticisme : pessimisme, hyperémotivité, fragilité psychologique. Il faut rechercher ces états chez ceux qui se disent stressés, timides, avec des difficultés d’affirmation de soi et également chez l’adolescente lorsque des troubles du comportement alimentaire sont présents. Ces éléments sont souvent à l’origine du développement du tabagisme et également de l’utilisation du cannabis et pour celle de l’alcool, de façon aiguë. Des difficultés scolaires et des troubles des conduites sont souvent associés. De nouvelles stratégies de prévention sont donc indispensables chez les adolescents, fondées sur le dépistage et le traitement spécifiques de ces perturbations, en particulier par l’utilisation large des stratégies comportementales et cognitives, dont l’efficacité a été démontrée. Chez les adultes, pour établir les stratégies de sevrage les plus efficaces, il est nécessaire de tenir compte des propriétés psychotropes de la nicotine et des effets indiscutablement positifs à court terme qui en résultent. Son action "antidépressive" et "réductrice des affects négatifs" constitue un des facteurs les plus importants pour rendre compte des difficultés qu’éprouvent les fumeurs à arrêter de fumer. Les états dépressifs survenus après sevrage régressent en quelques heures après la reprise des cigarettes, suggérant que la nicotine possède des propriétés antidépressives. Un effet antidépresseur de la nicotine a été démontré chez l’homme : 6 sujets déprimés non fumeurs ont reçu de la nicotine pour une étude des troubles du sommeil. Un traitement transdermique de 17,5 mg par jour de nicotine a corrigé les anomalies polygraphiques du sommeil, avec une augmentation de la durée du sommeil paradoxal. Parallèlement, le score du test Hamilton-Depression initialement perturbé dans les 11 6 cas, s’est amélioré de plus de 40 %. De même chez les fumeurs ayant un trouble dépressif important après arrêt du tabac, nous avons pu observer une amélioration très rapide de l’état psychologique après la prise de gommes ou de tablettes à la nicotine. L’administration d’un antidépresseur est un élément important pour la réussite de l’arrêt du tabac, mais seulement dans les cas où un trouble psychique patent ou latent est présent. Le dépistage des états anxiodépressifs doit donc être systématique, en se rappelant qu’ils peuvent être atténués, méconnus. En cas de forte dépendance à la nicotine et de troubles anxiodépressifs associés, en plus des médications nicotiniques (MN), la prescription d’un antidépresseur est indispensable, en association avec les MN, soit deux ou trois semaines avant la date d’arrêt, soit simultanément (31). En raison de la coexistence des troubles anxieux, les antidépresseurs les plus utilisés sont les inhibiteurs de recapture de la sérotonine (IRS), éventuellement associés à la buspirone dont l’efficacité a été démontrée chez ces fumeurs avec syndrome anxieux. Dans les cas de dysthymie, d’état dépressif chronique avec syndrome anxieux, des résultats positifs sont obtenus par l’association de MN et d’IRS. L’arrêt du tabac est plus facile que lors des tentatives antérieures, sans que survienne un état dépressif. L’équilibre psychologique s’améliore nettement : le moral remonte parallèlement à l’amélioration des échelles HAD et BDI, dont le suivi constitue un guide précieux. Le mal-être général souvent présent depuis des années régresse. Il est toujours très gratifiant d’écouter ces sujets décrire ce changement. Leur "confort psychologique", noté de 0 à 10, qui était bas, s’élève rapidement. Mais cela n’est obtenu qu’avec un accompagnement régulier et prolongé, un soutien psychologique continu, avec les adaptations posologiques nécessaires tant pour les MN que les IRS (31). Dans le cas des troubles bipolaires atténués (cyclothymie), l’élément important constaté a été la réponse au traitement thymorégulateur par le divalproate : celui-ci a toujours été commencé à 250 mg par jour et augmenté ensuite progressivement. Avec des doses relativement faibles de 500 à 750 mg par jour, la transformation de l’état psychologique a toujours été très nette et très rapide dès les deuxième et troisième semaines. Les sujets se sont sentis plus calmes, moins sensibles aux situations "stressantes", moins émotifs et avec des oscillations de l’humeur moins marquées. Cette évolution sous traitement peut être considérée comme un argument supplémentaire pour rattacher ces troubles au spectre de la maladie bipolaire. Il n’y a pas et il ne peut pas y avoir de modalités uniformes pour arrêter de fumer : les situations observées sont extrêmement diverses d’un sujet à l’autre. Certains fumeurs très mo- Le Courrier des addictions (12) ­– n ° 1 – janvier-février-mars 2010 Mises au point Mises au point tivés, moyennement ou peu dépendants, réussissent seuls ou avec l’aide de leur entourage et de "méthodes" à effet placebo. Pour les autres, une intervention médicalisée est nécessaire : elle permet de proposer à chaque candidat au sevrage une aide adaptée à ses propres troubles, en tenant compte de l’intensité des diverses dépendances, des comorbidités psychiatriques et de l’usage fréquent des autres substances psychoactives. Pour la prévention des rechutes, les thérapies cognitivo-comportementales sont indispensables pour apprendre à ces sujets la gestion du stress, l’affirmation de soi et pour les aider à la restructuration cognitive. Les bénéfices sont essentiels : confirmation de l’arrêt du tabac et parallèlement amélioration de la qualité de vie psychologique. C’est seulement de cette façon que seront données à chacun les meilleures v chances d’un succès durable. Références bibliographiques 1. Woody G. Severity of dependence. Data from the DSM-IV. Addiction 1993;88:1573-9. 2. Hughes JR. Distinguishing nicotine dependence from smoking. Arch Gen Psychiatry 2001;58:817-8. 3. Hughes JR, Hatsukami DK, Mitchell JE, Dahlgren LA. Prevalence of smoking among psychiatric outpatients. Am J Psychiatry 1986;143:993-7. 4. Glassman AH. Cigarette smoking: implications for psychiatric illness. Am J Psychiatry 1993;150:546-53. 5. Anda RF, Williamson DF, Escobedo MS et al. Depression and the dynamics of smoking. JAMA 1990; 264:1541-5. 6. Borelli B, Bock B, King T et al. The impact of depression on smoking cessation in women. Am J Prev Med 1996;12:378-87. 7. Glassman AH, Covey LS, Stetner F, Rivelli S. 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Journal de Thérapie Comportementale et Cognitive 2005;15: 34-5. vvvvvvvvvvvvvvvvvvvvvvvvvvvvvvv marches pour Lutter contre La Bpco mière campagne annuelle nationale : "Les marches pour lutter contre La BPCO", tout au long de l’année 2010, "année du poumon", avec le concours de la Fédération française d’athlétisme. Ces marches, programme d’initiation à la marche nordique, nouveau sport-santé venu de Finlande, seront organisées dans toute la France. À travers l’organisation de manifestations ludiques, sportives et informatives avec la mesure de l’âge pulmonaire, "les marches" visent à sensibiliser le plus grand nombre aux conséquences irréversibles d’une pathologie dont on peut réduire les répercussions grâce à un diagnostic et une prise en charge précoces. v 95 % des Français (1) ne connaissent pas la signification des 4 lettres de cette maladie pulmonaire chronique grave : broncho-pneumopathie chronique obstructive (BPCO). Une maladie chronique, inflammatoire et lentement progressive des poumons et des voies aériennes, qui se caractérise par une diminution irréversible de la capacité respiratoire. Elle touche pourtant plus de 3,5 millions de personnes et est responsable d’environ 16 000 décès par an en France (2). Cent mille malades atteints de BPCO vivent sous oxygène à domicile (2). Chaque année, la mortalité par BPCO augmente et, dans 10 ans, celle-ci représentera la troisième cause de décès dans notre pays ! Et pourtant, 2 personnes sur 3 atteintes de BPCO ignorent souffrir de cette pathologie (2). Voilà pourquoi le Comité national contre les maladies respiratoires (CNMR) et la Fédération française des associations et amicales de malades insuffisants et handicapés respiratoires (FFAAIR), lancent la pre- Le Courrier des addictions (12) ­– n ° 1 – janvier-février-mars 2010 1. Sondage Ipsos Santé réalisé pour le CNMR et la FFAAIR (16 décembre 2009) auprès d’un échantillon de 1 020 personnes, représentatif de la population nationale (méthode des quotas de sexe, âge, CSP, après stratification par régions et taille d’agglomérations). 2. http://www.sante-sports.gouv.fr/qu-est-ce-que-la-bpco.html. Fédération française des associations et amicales de malades insuffisants et handicapés respiratoires (FFAAIR) www.ffaair.org. La Fédération française d’athlétisme (FFA) www.athle.com P. de P. 12