L’Encéphale (2009) Supplément 7, S279–S281

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L’Encéphale (2009) Supplément 7, S279–S281
Disponible en ligne sur www.sciencedirect.com
journal homepage: www.elsevier.com/locate/encep
Dépressions sévères : événements de vie,
histoire du sujet
Severe depression : life events, patient history
C. Lançon
CHU Sainte Marguerite, Pavillon SOLARIS, 270 Bd de Sainte marguerite, 13274 Marseille cedex 09
Mots clés
Dépressions sévères ;
Traumatisme ; Abus
sexuels ; Personnalité ;
Attachement
KEYWORDS
Severe depression ;
Trauma ; Sexual
abuse ; Personality ;
Bonding
Résumé Les relations entre dépressions sévères, événements de vie, et personnalité sont complexes.
Toutefois, l’existence d’abus sexuels et de maltraitance dans l’enfance participent à la vulnérabilité aux
troubles dépressifs. Il ne semble pas que ces maltraitances de l’enfance soient reliées à un trouble
particulier de la personnalité. Un mode d’attachement de type « insécure » serait un facteur de
vulnérabilité à la fois pour les troubles anxieux et dépressifs à l’âge adulte.
Abstract The relationships between severe depression, life events and personality are complex.
However, sexual abuse and maltreatment during childhood contribute towards vulnerability to depressive
disorders. Maltreatment in childhood does not appear to be linked to any particular personality disorder.
An « insecure » type of bonding appears to be a vulnerability factor both for anxiety and depressive
disorders in adulthood.
La question de l’histoire du sujet et de la survenue d’un
trouble de l’humeur « sévère » peut s’envisager selon plusieurs perspectives complémentaires. Deux questions principales nous semblent nécessaires à approfondir car elles
sont fréquemment évoquées en clinique face à un trouble
dépressif sévère. Tout d’abord, celle des relations entre
événements de vie et trouble dépressif et secondairement
celle des relations entre personnalité, événements de vie
et dépression. Il est toutefois nécessaire de rappeler que
les troubles cognitifs présents au décours des troubles
* Auteur correspondant.
E-mail : [email protected]
L’auteur a déclaré des conflits d’intérêts avec Lundbeck et Lilly.
© L’Encéphale, Paris, 2009. Tous droits réservés.
dépressifs, surtout lorsqu’ils sont sévères, rendent souvent
délicate la prise en compte d’événements de vie (biais
cognitifs ou faux souvenirs ?) et l’évaluation de la personnalité au décours de l’épisode dépressif. Ce n’est que lors
de la guérison de cet épisode dépressif que ces questions
pourront pleinement être tranchées. Il nous semble que ces
relations sont plus pertinentes à prendre en compte face
aux dépressions « sévères » du fait de leurs associations
avec certains troubles somatiques ou à des conduites
d’automutilations ou suicidaires.
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Événements de vie et dépression sévère
Les événements de vie sont fréquemment rapportés comme
facteurs de décompensation d’un trouble dépressif. De nombreuses études se sont intéressées aux rapports entre événements de vie « récents » et dépression. Les résultats
rapportés sont assez souvent contradictoires et l’existence
d’un PTSD peut parfois être considérée comme un facteur
de confusion dans ce type d’étude. Les liens entre PTSD et
sévérité des troubles de l’humeur sont largement discutés
dans la littérature [7]. Le rôle joué par ces événements dans
la survenue d’un état dépressif semble en fait « surestimé »
par les patients (et les cliniciens ?). Le travail conduit par
Kendler et al. [9] montre d’ailleurs que la vulnérabilité
dépressive (génétique et développementale) est un facteur
plus important pour la décompensation dépressive que l’intensité des événements de vie récents. Il semble d’autre
part que les événements de vie ne sont pas des facteurs
« spécifiques » de décompensation pour la dépression car ils
sont retrouvés à la fois dans les troubles dépressifs et les
troubles anxieux et d’autres troubles psychiatriques. La spécificité des événements de vie pour la survenue de l’un ou
l’autre de ces troubles reste très modeste [8]. Pour Banou
et al. [1], ce sont surtout les pertes interpersonnelles récentes, en réactivant les « pertes précoces », qui constituent le
facteur de « décompensation » éventuel dépressive. Ce travail souligne les liens étroits (déjà largement développés
dans de nombreuses théories) qui semblent exister entre
trauma dans l’enfance et vulnérabilité dépressive, au travers de la structuration de la personnalité et de la constitution de cognitions dysfonctionnelles.
Trauma et dépression sévère
Parmi les événements de vie « anciens », ce sont surtout
les abus sexuels dans l’enfance qui sont le plus fréquemment documentés dans leur relation potentielle future avec
la survenue d’un épisode dépressif. La survenue d’abus
sexuels dans l’enfance est cependant associée à la survenue à l’âge adulte de nombreux troubles psychopathologiques (dépression, addiction, suicide…). Certaines données
tendent à montrer que les patients ayant subi des abus
sexuels dans l’enfance et souffrant de troubles dépressifs
(avec des manifestations somatiques prépondérantes) présentent un trouble plus sévère et résistant aux traitements
[1, 7, 12]. L’association entre abus sexuels dans l’enfance
et dépression sévère à expression somatique semble pour
Poleshuck et al. [12] être un facteur de résistance à certaines formes de psychothérapies comme la thérapie interpersonnelle. Des interventions centrées à la fois sur « le
traumatisme » et l’estime de soi constituent des approches
nécessaires face à ces troubles sévères. L’association entre
trouble dépressif et troubles dissociatifs ou somatoformes
semble en relation avec la réactivation de traumatismes
infantiles [1], ces traumatismes dans l’enfance pouvant
aussi participer à l’association rapportée entre certaines
maladies (cancers, troubles cardiovasculaires) et des troubles dépressifs [2]. De même, la survenue d’un état dépressif après un infarctus du myocarde semble plus fréquente
C. Lançon
chez la femme ayant subi des maltraitances dans l’enfance
[2]. On peut ainsi supposer que face à un trouble dépressif
sévère, surtout lors d’une décompensation somatique ou
lorsqu’il s’associe des éléments dissociatifs au sens du DSM,
la recherche d’éléments traumatiques de l’enfance doit
être systématique et une prise en charge centrée sur la
gestion des émotions proposée.
Personnalité, événements de vie
et dépression sévère
L’existence de troubles de la personnalité constitue un facteur explicatif possible aux relations entre événements de
vie et troubles de l’humeur. La notion de personnalité
dépressive, réactualisation de la notion de tempérament
dépressif dans sa forme actuelle, la dysthymie, en est un
des exemples les plus marquants. Toutefois, les relations
entre dépression et troubles de la personnalité sont complexes et peu consensuelles [11]. De même, le rôle joué
par les traumatismes précoces (abus sexuels, négligence
affective…) dans la survenue de troubles de la personnalité
est discuté [6]. Ainsi, l’étude conduite par Bierer [3] montre que si les négligences et les abus émotionnels de l’enfance sont retrouvés chez une majorité de personnes
souffrant de troubles de la personnalité selon le DSM, cette
association est plus spécifique de la sévérité du trouble de
la personnalité. Seul le trouble de la personnalité borderline semble associé avec l’existence manifeste de négligence affective dans l’enfance. Les abus sexuels dans
l’enfance sont, dans cette étude, plus fréquents pour les
personnalités paranoïde et antisociale. Toutefois, pour
Tyrka et al. [14], la maltraitance dans l’enfance (physique
ou émotionnelle) n’est pas associée à un type particulier de
troubles de personnalité au sens du DSM, mais constitue
plus un facteur de gravité pour le suicide et l’automutilation à l’âge adulte. Pour Fletcher [5], il convient de prendre en compte les facteurs socio-économiques comme
facteurs confondant dans l’étude des relations entre maltraitance dans l’enfance et troubles de la personnalité. Les
conditions de vie dans l’enfance ont pour ces auteurs une
influence certaine sur l’impact des traumatismes infantiles. Il apparaît que les traumatismes précoces favoriseront
plus l’expression de comportements à type de suicide et
d’automutilation que de dépression à l’age adulte.
Le rôle joué par les événements de vie « précoces »
dans l’expression clinique de la dépression semble contradictoire. Les données publiées renforcent l’idée d’une vulnérabilité commune aux événements de vie s’exprimant à
l’âge adulte sous la forme de troubles des émotions.
Parallèlement à une vulnérabilité génétique, c’est surtout
la question des relations précoces qui est avancée comme
source de vulnérabilité aux troubles anxieux et/ou dépressifs. Les travaux récents sur les styles d’attachement permettent d’éclairer ce type de relation.
Les styles d’attachement sont abondamment étudiés
dans la littérature comme facteurs de vulnérabilité à de
nombreux troubles psychiatriques à l’âge adulte en particulier la dépression et les troubles anxieux [4]. La théorie de
Dépressions sévères : événements de vie, histoire du sujet
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l’attachement peut servir de modèle compréhensif dans la
construction de cognitions et d’attentes interpersonnelles
pouvant être sources de vulnérabilité dépressive et/ou
anxieuse. Toutefois, si le type d’attachement « insécure » a
le plus souvent été associé à la survenue ultérieure de troubles psychiatriques, il semble que ce soit de manière très
indirecte que ce type d’attachement participe à la vulnérabilité aux troubles psychiatriques. Il apparaît en fait que
l’attachement « insécure » participe à la construction de
styles cognitifs et d’attitudes dysfonctionnelles qui sont des
facteurs de prédisposition aux troubles des émotions. L’étude
conduite par Lee et Hankin [10] permet d’éclairer un peu
plus les relations entre style d’attachement et psychopathologie à l’âge adulte. Ces auteurs, dans une étude prospective chez 350 enfants, ont étudié les relations entre le type
d’attachement et la survenue de troubles anxieux et dépressifs. Ces auteurs retrouvent une relation significative entre
les types d’attachement anxieux et évitant, et la survenue à
l’adolescence de troubles anxieux et dépressifs. Dans cette
étude, il apparaît que c’est essentiellement le type d’attachement « anxieux » qui est le plus fortement associé à la
survenue à la fois de troubles anxieux et dépressifs à l’adolescence. C’est principalement au travers du développement
de cognitions reflétant une faible estime de soi que les attitudes dysfonctionnelles semblent influencer la survenue de
troubles anxieux/et ou dépressifs. Ces résultats permettent
de proposer face aux troubles anxieux et dépressifs (et
anxio-dépressifs), en dehors des traitements pharmacologiques, des stratégies psychothérapeutiques centrées sur les
relations précoces et les relations interpersonnelles. Une
attention toute particulière doit être accordée à l’estime de
soi, considérée comme « vulnérabilité » à l’apparition de
nombreux troubles psychopathologiques « sévères » (dépression, anxiété, PTSD, addiction, suicide…).
Pour conclure, l’histoire du sujet déprimé reste difficile
à appréhender au décours d’un épisode dépressif. Certaines
circonstances cliniques doivent toutefois faire évoquer
l’existence de styles cognitifs « vulnérables » et/ou d’événements de vie traumatisants dans l’enfance. Il s’agit de
dépressions s’accompagnant d’automutilations ou de
conduites suicidaires récidivantes. Les dépressions avec
une forte somatisation peuvent aussi amener à rechercher
des traumatismes précoces. Les stratégies de soins face à
ce type de patients ne sont pas consensuelles. La survenue
de traumatisme précoce doit toutefois faire proposer,
parallèlement aux traitements pharmacologiques, des stratégies psychothérapeutiques centrées sur les événements
précoces et la gestion émotionnelle [14].
Références
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[14]Tyrka AR, Wyche MC, Kelly MM et al. Childhood maltreatment
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