C. LançonS280
Événements de vie et dépression sévère
Les événements de vie sont fréquemment rapportés comme
facteurs de décompensation d’un trouble dépressif. De nom-
breuses études se sont intéressées aux rapports entre évé-
nements de vie « récents » et dépression. Les résultats
rapportés sont assez souvent contradictoires et l’existence
d’un PTSD peut parfois être considérée comme un facteur
de confusion dans ce type d’étude. Les liens entre PTSD et
sévérité des troubles de l’humeur sont largement discutés
dans la littérature [7]. Le rôle joué par ces événements dans
la survenue d’un état dépressif semble en fait « surestimé »
par les patients (et les cliniciens ?). Le travail conduit par
Kendler et al. [9] montre d’ailleurs que la vulnérabilité
dépressive (génétique et développementale) est un facteur
plus important pour la décompensation dépressive que l’in-
tensité des événements de vie récents. Il semble d’autre
part que les événements de vie ne sont pas des facteurs
« spéciques » de décompensation pour la dépression car ils
sont retrouvés à la fois dans les troubles dépressifs et les
troubles anxieux et d’autres troubles psychiatriques. La spé-
cicité des événements de vie pour la survenue de l’un ou
l’autre de ces troubles reste très modeste [8]. Pour Banou
et al. [1], ce sont surtout les pertes interpersonnelles récen-
tes, en réactivant les « pertes précoces », qui constituent le
facteur de « décompensation » éventuel dépressive. Ce tra-
vail souligne les liens étroits (déjà largement développés
dans de nombreuses théories) qui semblent exister entre
trauma dans l’enfance et vulnérabilité dépressive, au tra-
vers de la structuration de la personnalité et de la constitu-
tion de cognitions dysfonctionnelles.
Trauma et dépression sévère
Parmi les événements de vie « anciens », ce sont surtout
les abus sexuels dans l’enfance qui sont le plus fréquem-
ment documentés dans leur relation potentielle future avec
la survenue d’un épisode dépressif. La survenue d’abus
sexuels dans l’enfance est cependant associée à la surve-
nue à l’âge adulte de nombreux troubles psychopathologi-
ques (dépression, addiction, suicide…). Certaines données
tendent à montrer que les patients ayant subi des abus
sexuels dans l’enfance et souffrant de troubles dépressifs
(avec des manifestations somatiques prépondérantes) pré-
sentent un trouble plus sévère et résistant aux traitements
[1, 7, 12]. L’association entre abus sexuels dans l’enfance
et dépression sévère à expression somatique semble pour
Poleshuck et al. [12] être un facteur de résistance à certai-
nes formes de psychothérapies comme la thérapie inter-
personnelle. Des interventions centrées à la fois sur « le
traumatisme » et l’estime de soi constituent des approches
nécessaires face à ces troubles sévères. L’association entre
trouble dépressif et troubles dissociatifs ou somatoformes
semble en relation avec la réactivation de traumatismes
infantiles [1], ces traumatismes dans l’enfance pouvant
aussi participer à l’association rapportée entre certaines
maladies (cancers, troubles cardiovasculaires) et des trou-
bles dépressifs [2]. De même, la survenue d’un état dépres-
sif après un infarctus du myocarde semble plus fréquente
chez la femme ayant subi des maltraitances dans l’enfance
[2]. On peut ainsi supposer que face à un trouble dépressif
sévère, surtout lors d’une décompensation somatique ou
lorsqu’il s’associe des éléments dissociatifs au sens du DSM,
la recherche d’éléments traumatiques de l’enfance doit
être systématique et une prise en charge centrée sur la
gestion des émotions proposée.
Personnalité, événements de vie
et dépression sévère
L’existence de troubles de la personnalité constitue un fac-
teur explicatif possible aux relations entre événements de
vie et troubles de l’humeur. La notion de personnalité
dépressive, réactualisation de la notion de tempérament
dépressif dans sa forme actuelle, la dysthymie, en est un
des exemples les plus marquants. Toutefois, les relations
entre dépression et troubles de la personnalité sont com-
plexes et peu consensuelles [11]. De même, le rôle joué
par les traumatismes précoces (abus sexuels, négligence
affective…) dans la survenue de troubles de la personnalité
est discuté [6]. Ainsi, l’étude conduite par Bierer [3] mon-
tre que si les négligences et les abus émotionnels de l’en-
fance sont retrouvés chez une majorité de personnes
souffrant de troubles de la personnalité selon le DSM, cette
association est plus spécique de la sévérité du trouble de
la personnalité. Seul le trouble de la personnalité border-
line semble associé avec l’existence manifeste de négli-
gence affective dans l’enfance. Les abus sexuels dans
l’enfance sont, dans cette étude, plus fréquents pour les
personnalités paranoïde et antisociale. Toutefois, pour
Tyrka et al. [14], la maltraitance dans l’enfance (physique
ou émotionnelle) n’est pas associée à un type particulier de
troubles de personnalité au sens du DSM, mais constitue
plus un facteur de gravité pour le suicide et l’automutila-
tion à l’âge adulte. Pour Fletcher [5], il convient de pren-
dre en compte les facteurs socio-économiques comme
facteurs confondant dans l’étude des relations entre mal-
traitance dans l’enfance et troubles de la personnalité. Les
conditions de vie dans l’enfance ont pour ces auteurs une
inuence certaine sur l’impact des traumatismes infanti-
les. Il apparaît que les traumatismes précoces favoriseront
plus l’expression de comportements à type de suicide et
d’automutilation que de dépression à l’age adulte.
Le rôle joué par les événements de vie « précoces »
dans l’expression clinique de la dépression semble contra-
dictoire. Les données publiées renforcent l’idée d’une vul-
nérabilité commune aux événements de vie s’exprimant à
l’âge adulte sous la forme de troubles des émotions.
Parallèlement à une vulnérabilité génétique, c’est surtout
la question des relations précoces qui est avancée comme
source de vulnérabilité aux troubles anxieux et/ou dépres-
sifs. Les travaux récents sur les styles d’attachement per-
mettent d’éclairer ce type de relation.
Les styles d’attachement sont abondamment étudiés
dans la littérature comme facteurs de vulnérabilité à de
nombreux troubles psychiatriques à l’âge adulte en particu-
lier la dépression et les troubles anxieux [4]. La théorie de