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ÉDITORIAL
Dépression et cancer
Depression and cancer
S. Dauchy*
L’
association des thématiques dépression et cancer
reste d’actualité. La prévalence de la dépression
concerne toujours un à trois patients sur dix en
moyenne et elle est toujours aussi mal reconnue (1). Ce
diagnostic, qui résiste à l’évaluation intuitive, est améliorable
par une formation des acteurs, la bonne connaissance des
facteurs de risque et l’utilisation systématique d’échelles,
qui permettent au moins de mieux reconnaître la population
potentiellement déprimée.
L’article de M. Reich fait le point des connaissances en ce
domaine. Mais la simple implantation d’un repérage systématique ne suffit pas, en l’absence d’un réel effort organisationnel, pour rendre accessibles aux patients des prises en
charge psychologiques adaptées et validées, qu’elles soient
médicamenteuses ou psycho­thérapeutiques (2).
Les articles de P. Rouby et N. Bendrihen montrent comment
celles-ci sont à concevoir de façon complémentaire et non
alternative. La prise en charge psychothérapeutique n’intervient que lorsque le patient est prêt à s’y engager afin de
prolonger et d’enrichir le mouvement de relance émotionnelle et cognitive généré par les antidépresseurs. Elle ne se
substitue pas à l’étape de repérage diagnostique assurée par
l’équipe oncologique. La bonne organisation des soins doit
être intégrative – la prise en charge médicale incluant l’évaluation systématique d’une symptomatologie dépressive,
ce qui permet de faire un diagnostic précis et précoce des
épisodes dépressifs majeurs ; mais elle doit aussi être collaborative – par réelle coopération précoce avec une équipe de
* Psychiatre, chef du département de soins de support, institut de cancérologie GustaveRoussy, Villejuif.
440 | La Lettre du Cancérologue • Vol. XIX - n° 8 - octobre 2010
psycho-oncologie à même de rendre accessibles à l’ensemble
des patients des traitements médicamenteux et psycho­
thérapeutiques adaptés et, si possible, validés.
Cependant, le problème posé par la dépression en cancérologie dépasse largement un souci humaniste, au demeurant
légitime, d’attention portée à la souffrance psychologique
des malades. L’impact potentiellement large des troubles
dépressifs est rappelé par l’article de W. Rhondali : ils ont
des effets sur la morbidité somatique, la qualité de vie mais
aussi sur la relation de soins, l’information, les choix thérapeutiques… Autant de points cruciaux dans le parcours des
patients, qui contribuent à rendre indispensable leur prise
en charge.
Rappelons à ce sujet que l’étude des liens entre dépression
et incidence des cancers, ou dépression et progression de
ceux-ci, reste une question scientifique ouverte, même si le
mythe psychogénétique est bien ancré dans les croyances,
renforcé qu’il est par un flou conceptuel considérable entre
dépression, détresse, événements de vie, stress perçu, etc.
Jusqu’à la récente méta-analyse de Y. Chida et al. (3), la
plupart des études épidémiologiques concluaient à une
absence de preuve en termes d’incidence du cancer, mais à
une possible association à un moins bon pronostic de celui-ci
– les études ne contrôlant pas toujours certains facteurs
confondants comme la localisation ou la sévérité de la
pathologie cancéreuse, le recouvrement entre symptômes
dépressifs et symptômes somatiques, ou certains médiateurs
potentiels comme la moins bonne compliance au traitement
du patient déprimé, l’hygiène de vie, etc. La méta-analyse de
Y. Chida, qui pose plus clairement la question de ces différents biais, comme celle des biais potentiels de publication
ÉDITORIAL
positive, apporte des résultats sensiblement différents.
Elle conclut à un lien faible et douteux entre dépression et
progression du cancer (OR : 1,08 ; IC95 : 1,02- 1,15 ; p = 0,01),
alors qu’elle retrouve globalement un risque accru de 30 %
(OR : 1,29 ; IC95 : 1,14-1,46 ; p < 0,001) pour l’incidence des
cancers chez les patients qui ont été déprimés, surtout
lorsque la durée cumulée des épisodes s’allonge. La médiation
potentielle de cet impact passe probablement en partie par
des facteurs comme l’hygiène de vie ou l’accès aux soins,
mais certaines hypothèses de recherche existent autour de
médiateurs biologiques comme des facteurs génétiques,
neuro-endocrines ou immunologiques.
psychologiques permanentes ou transitoires qui font
des patients des individus pas toujours aussi rationnels,
acteurs et participants que l’évoque le discours social…
et, à l’heure où les inégalités sociales sont dénoncées
par le Plan cancer, permettre la prise de conscience de
ces facteurs d’inégalité psychologique est un objectif fort
pour la psycho-oncologie*. Nous souhaitons que cette
mise au point puisse éclaircir certains enjeux et acquis, et
qu’elle permette de soutenir l’intérêt de la communauté
cancérologique pour la prise en compte quotidienne de
cet enjeu majeur.
■
La dépression reste à l’évidence un facteur d’inégalité face
au cancer, parmi de nombreuses autres caractéristiques
* Le prochain congrès de la Société française de psycho-oncologie, qui se
tiendra à Paris les 8-9-10 novembre prochains, aura pour thème “Inégalités
psychiques et cancer”.
Références bibliographiques
1. Fann JR, Thomas-Rich AM, Katon WJ et al. Major
depression after breast cancer: a review of epidemiology and treatment. Gen Hosp Psychiatry 2008;
30(2):112-26.
27 Congrès
ème
de la Société Française
de Psycho-oncologie
SFPO
2. Gilbody SM, House AO, Sheldon TA. Routinely administered questionnaires for depression
and anxiety: systematic review. BMJ 2001;322
(7283):406-9.
3. Chida Y, Hamer M, Wardle J, Steptoe A. Do stressrelated psychosocial factors contribute to cancer
incidence and survival? Nat Clin Pract Oncol 2008;
5(8):466-75.
Inégalités et Cancers :
Les enjeux psychiques
Inscrivez-vous : www.sfpo.fr
8-9-10 novembre 2010 - Maison Internationale - CIUP - Paris 14ème
La Lettre du Cancérologue • Vol. XIX - n° 8 - octobre 2010 | 441
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