440 | La Lettre du Cancérologue • Vol. XIX - n° 8 - octobre 2010
ÉDITORIAL
Dépression et cancer
Depression and cancer
S. Dauchy*
* Psychiatre, chef du département de soins de support, institut de cancérologie Gustave-
Roussy, Villejuif.
L’
association des thématiques dépression et cancer
reste d’actualité. La prévalence de la dépression
concerne toujours un à trois patients sur dix en
moyenne et elle est toujours aussi mal reconnue (1). Ce
diagnostic, qui résiste à l’évaluation intuitive, est améliorable
par une formation des acteurs, la bonne connaissance des
facteurs de risque et l’utilisation systématique d’échelles,
qui permettent au moins de mieux reconnaître la population
potentiellement déprimée.
L’article de M. Reich fait le point des connaissances en ce
domaine. Mais la simple implantation d’un repérage systé-
matique ne suffit pas, en l’absence d’un réel effort organi-
sationnel, pour rendre accessibles aux patients des prises en
charge psychologiques adaptées et validées, qu’elles soient
médicamenteuses ou psycho thérapeutiques (2).
Les articles de P. Rouby et N. Bendrihen montrent comment
celles-ci sont à concevoir de façon complémentaire et non
alternative. La prise en charge psychothérapeutique n’inter-
vient que lorsque le patient est prêt à s’y engager afin de
prolonger et d’enrichir le mouvement de relance émotion-
nelle et cognitive généré par les antidépresseurs. Elle ne se
substitue pas à l’étape de repérage diagnostique assurée par
l’équipe oncologique. La bonne organisation des soins doit
être intégrative – la prise en charge médicale incluant l’éva-
luation systématique d’une symptomatologie dépressive,
ce qui permet de faire un diagnostic précis et précoce des
épisodes dépressifs majeurs ; mais elle doit aussi être colla-
borative – par réelle coopération précoce avec une équipe de
psycho-oncologie à même de rendre accessibles à l’ensemble
des patients des traitements médicamenteux et psycho-
thérapeutiques adaptés et, si possible, validés.
Cependant, le problème posé par la dépression en cancéro-
logie dépasse largement un souci humaniste, au demeurant
légitime, d’attention portée à la souffrance psychologique
des malades. L’impact potentiellement large des troubles
dépressifs est rappelé par l’article de W. Rhondali : ils ont
des effets sur la morbidité somatique, la qualité de vie mais
aussi sur la relation de soins, l’information, les choix théra-
peutiques… Autant de points cruciaux dans le parcours des
patients, qui contribuent à rendre indispensable leur prise
en charge.
Rappelons à ce sujet que l’étude des liens entre dépression
et incidence des cancers, ou dépression et progression de
ceux-ci, reste une question scientifique ouverte, même si le
mythe psychogénétique est bien ancré dans les croyances,
renforcé qu’il est par un flou conceptuel considérable entre
dépression, détresse, événements de vie, stress perçu, etc.
Jusqu’à la récente méta-analyse de Y. Chida et al. (3), la
plupart des études épidémiologiques concluaient à une
absence de preuve en termes d’incidence du cancer, mais à
une possible association à un moins bon pronostic de celui-ci
– les études ne contrôlant pas toujours certains facteurs
confondants comme la localisation ou la sévérité de la
pathologie cancéreuse, le recouvrement entre symptômes
dépressifs et symptômes somatiques, ou certains médiateurs
potentiels comme la moins bonne compliance au traitement
du patient déprimé, l’hygiène de vie, etc. La méta-analyse de
Y. Chida, qui pose plus clairement la question de ces diffé-
rents biais, comme celle des biais potentiels de publication