L’évaluation cognitive dans la schizophrénie et le trouble bipolaire 141
sés, inappropriés et accompagnés d’une avolition. Les sujets
bipolaires expriment, quant à eux, une hyperthymie (élé-
ment central du tableau) pouvant aller dans le sens d’une
excitation ou au contraire d’une dépression. Cependant,
selon certains auteurs, les limites nosographiques entre les
deux pathologies ont été établies en suivant des moda-
lités évolutives. L’existence de troubles périodiques et
l’absence d’évolution déficitaire représentent des critères
diagnostiques majeurs en faveur du trouble bipolaire. En
ce qui concerne la schizophrénie, l’accent est plutôt mis
sur l’évolution déficitaire à terme et sur l’évolution d’un
seul tenant. La stabilité au cours du temps des diagnos-
tics de psychose maniaco-dépressive et de schizophrénie
n’est pas de 100 %. Ce fait est en partie lié aux caractéris-
tiques intrinsèques d’un diagnostic strictement catégoriel et
à l’évolution au cours du temps des symptômes, réalisant de
véritables «formes de passage ». À ce sujet, la place et la
forme clinique des troubles délirants posent problème : en
effet, 50 % des manies sont dites psychotiques. Parmi elles,
plus de 30 % possèdent des caractéristiques congruentes
à l’humeur et 16 % possèdent des caractéristiques non
congruentes. Cinquante pour cent des autres manies sont,
dites, mixtes et à plus de 20 % d’entre elles, sont associés
des troubles non congruents à l’humeur. En effet, certaines
études ont révélé que 30 à 50 % des maniaques présentent
des idées délirantes de persécution (considérées comme
non congruentes à l’humeur dans le DSM IV), tandis qu’un
tiers des sujets schizophrènes remplissent les critères diag-
nostiques d’un état dépressif majeur lors d’une première
hospitalisation [40]. Une étude récente, menée auprès
d’une population de sujets adolescents bipolaires, a observé
une corrélation entre la survenue d’épisodes psychotiques et
un pronostic moins favorable à moyenne échéance (en terme
d’adaptation sociale) [5]. Dans le cas de la dépression aty-
pique, les symptômes apathie, retrait et anhédonie peuvent
à la fois appartenir au registre dépressif et au registre de
la symptomatologie négative. Une étude de cohorte initiée
par Hafner et al. et impliquant 232 patients, a évalué la fré-
quence de la dépression au début de la schizophrénie à 75 %
[22]. Concernant la dimension négative, cette fréquence
(évaluée à un an) était moins élevée, favorisant un meilleur
pronostic. Parmi les critères défavorables d’un épisode
dépressif atypique, on retient : la présence de symptômes
négatifs, une personnalité schizoïde, une mauvaise adap-
tation sociale, des antécédents familiaux et une prise de
toxiques. Des transitions diagnostiques entre bipolarité et
schizophrénie (ou inversement) ont également été décrites
par Sheldrick et al. [35]. Les auteurs rapportent que 17 %
des sujets initialement diagnostiqués schizophrènes ont pré-
senté par la suite au moins un épisode de trouble thymique ;
par ailleurs, 8 % des patients initialement diagnostiqués
maniaques ont, par la suite, développé une schizophrénie.
Une autre étude prospective menée sur de grands échan-
tillons de population a révélé que 29 % des patients diagnos-
tiqués bipolaires devenaient schizophrènes, tandis que 16 %
des schizophrènes devenaient bipolaires [13]. Il est à noter
que l’évolution du diagnostic se fait le plus souvent de la
bipolarité à la schizophrénie. Ces données étant cependant
à moduler en fonction du niveau socioéconomique du patient
et des habitudes diagnostiques du psychiatre. Gonzales-
Pinto et al. ont repris l’anamnèse de 160 sujets bipolaires
(deux cliniciens ayant réalisé des entretiens semi-structurés
avec exclusion des cas litigieux) [20] : pour 30 % de ces
sujets, le premier diagnostic posé était celui de schizophré-
nie ; 80 % des patients de cet échantillon avaient présenté à
un moment de leur maladie des symptômes psychotiques et
dans 44 % des cas, ces symptômes étaient non congruents à
l’humeur. Parmi les critères singularisant les sujets n’ayant
pas été à l’origine repérés comme bipolaires, on retrouvait
un âge jeune au moment de l’évaluation [23] (25 au lieu de
31 ans pour les autres), un statut marital plus précaire (63 %
de personnes seules contre 26 % pour les autres), enfin la pré-
sence de troubles psychotiques non congruents à l’humeur
et largement en excès (84 % versus 24 %). En revanche,
le nombre d’hospitalisations ou le fonctionnement global
n’apparaissaient pas comme discriminants. Des analyses de
régression ont, par ailleurs, montré que les troubles psy-
chotiques non congruents à l’humeur avaient un plus haut
pouvoir discriminant pour les sujets bipolaires ayant initia-
lement bénéficié d’un diagnostic de schizophrénie (OR = 16).
Une autre variable à considérer est la séquence des symp-
tômes : dans le trouble bipolaire, les symptômes délirants
et hallucinatoires suivent en général — mais ne précèdent
pas — une période de trouble de l’humeur.
Les troubles affectifs observés chez les sujets schi-
zophrènes ne sont pas seulement la conséquence
psychosociale de la maladie, mais pourraient correspondre
à l’expression précoce d’un processus schizophrénique
en voie de constitution [30]. Un point de vue alternatif
stipule que les symptômes affectifs pourraient constituer un
facteur précipitant chez les sujets ayant une prédisposition
biologique à la schizophrénie [12]. Dans cette perspective,
deux études prospectives menées chez des sujets sains
ayant eu une expérience hallucinatoire ont montré que
l’évolution vers un tableau de schizophrénie constitué
(nécessitant un traitement antipsychotique) était significa-
tivement plus fréquente chez les sujets ayant déjà présenté
un épisode dépressif [17,25]. L’épisode dépressif précède-
rait également la survenue d’un accès maniaque chez le
patient bipolaire. Le sexe et l’âge du patient semblent éga-
lement jouer un rôle comparable dans la survenue des deux
pathologies : schizophrénie et manie surviendraient plutôt
chez des sujets jeunes et de sexe masculin [19,24]. Enfin,
l’anamnèse met souvent en évidence des évènements de vie
précipitants précédant le premier accès ou la rechute [4].
La grande majorité des systèmes de classification
(surtout anglo-saxons) offrent une place centrale aux symp-
tômes schneidériens de premier rang dans le diagnostic de
schizophrénie. Parmi ces systèmes, on peut citer le système
PSE/CATEGO, l’Index de New Haven, le DSM IV et la CIM
10. L’argument régulièrement cité en faveur de l’utilisation
de ces symptômes est leur concordance dans les différents
systèmes catégoriels et leur excellente fidélité inter-juge.
Cependant, ils ne sont pas spécifiques de la schizophrénie.
Dès 1970, Mellor met en évidence, après l’observation
attentive d’une cohorte de patients sur vingt années,
que les symptômes schneidériens de premier rang, bien
qu’ils soient suffisamment fréquents pour être utilisés en
diagnostic de routine, ne sont pas tout à fait spécifiques
de la schizophrénie [29]. D’après Taylor et Abrams, ils
surviendraient également chez 12 % des sujets maniaques
[36]. Utilisant les données de l’International Pilot Study
of Schizophrenia, Carpenter et al. montrent que 23 % des
sujets présentant un trouble bipolaire présentent conjoin-